Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 juillet 1995), que l’administration des Douanes a procédé le 3 août 1981 à la saisie du yacht » Doina » appartenant à la société de droit panaméen Navimar Yachting dont le capital était entièrement détenu par M. X… ; que, le 21 novembre 1982, la société Navimar Yachting a, en accord avec l’administration des Douanes, vendu le navire à la société Hobby Yachting Limited dont M. X… est également seul actionnaire, et qui, après mainlevée de la saisie obtenue par lui contre paiement d’une caution le 6 mai 1983, a revendu le navire à un acheteur norvégien, M. Y…, le 7 mai 1983 ; que la procédure de saisie ayant été annulée par arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 3 juillet 1985, M. X… a assigné le directeur général des Douanes en paiement de l’indemnité prévue par l’article 402 du Code des douanes, en prenant comme assiette la valeur du navire ; qu’il lui a été accordé par arrêt, devenu irrévocable, de la cour d’appel de Paris le 2 octobre 1987 une certaine somme à ce titre ; que M. X… a, à nouveau, assigné le 20 mai 1988 le ministre du Budget et en tant que de besoin le directeur général des Douanes sur le fondement de l’article 401 du Code des douanes pour obtenir la réparation de l’intégralité de son préjudice, dont celui résultant de la réduction du prix de revente, les frais d’entretien du navire et les frais de défense ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que l’administration des Douanes fait grief à l’arrêt d’avoir mis hors de cause l’agent judiciaire du Trésor, alors, selon le moyen, que, par application de l’article 38 de la loi du 3 avril 1955, dès lors que l’action en cause ne tend pas à contester des droits de douane ou un impôt en son principe ou dans son montant et ne constitue pas une opposition à un acte de poursuite accompli pour en assurer le recouvrement, mais qu’elle vise à rechercher la responsabilité de l’Etat à raison d’une faute imputée à ses agents et qui serait susceptible de se rattacher à l’exercice des prérogatives de puissance publique, l’agent judiciaire du Trésor est seul habilité à représenter l’Etat dans une telle instance ; qu’en l’espèce, M. X… a exercé une action sur le fondement de l’article 401 du Code des douanes en vue d’obtenir la réparation de l’entier préjudice par lui subi du fait de la faute de service commise par les agents des Douanes ; qu’en déclarant, en dépit des conclusions de l’administration des Douanes, que l’action dirigée contre cette dernière était recevable et en mettant en conséquence l’agent du Trésor hors de cause, la cour d’appel a violé les articles 122 et 125 du nouveau Code de procédure civile et 38 de la loi du 3 avril 1955 ;
Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que l’article 26 de la loi du 30 décembre 1986 s’appliquait non seulement aux contestations concernant l’assiette et le recouvrement des droits de douane mais encore aux actions en responsabilité engagées par des redevables contre l’Etat en raison de saisies effectuées dans le cadre d’infractions douanières ; qu’elle en a exactement déduit qu’il convenait de mettre hors de cause l’agent judiciaire du Trésor ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que l’administration des Douanes fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré M. X… recevable à agir, alors, selon le moyen, qu’il résultait du jugement confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 2 octobre 1987 qu’elle avait été condamnée à payer une certaine somme » à titre d’indemnité forfaitaire pour la période considérée » ; qu’en estimant que M. X… n’avait pas été intégralement indemnisé par ces décisions irrévocables, la cour d’appel a violé l’article 1351 du Code civil ;
Mais attendu que les termes » indemnité forfaitaire » n’ayant été énoncés que pour caractériser le régime particulier de l’article 402 du Code des douanes qui ne répare que la retenue momentanée des marchandises lorsqu’elle résulte d’une saisie non fondée, la cour d’appel a exactement retenu que M. X… était recevable à poursuivre, sur le fondement de l’article 401 du même Code, la réparation de l’intégralité du préjudice subi par lui du fait de la saisie annulée de son navire par des agents non habilités de l’administration des Douanes ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que l’administration des Douanes fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée au paiement d’une certaine somme au titre des frais de défense exposés par M. X…, alors, selon le moyen, que toute décision doit être motivée ; qu’en la condamnant au paiement de la somme de 100 000 francs » au vu des éléments produits » sans les analyser, la cour d’appel a privé sa décision de motifs et, partant, a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d’appel a apprécié souverainement le montant du préjudice dont elle a justifié l’existence par l’évaluation qu’elle en a fait, sans être tenue d’en préciser les divers éléments ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi incident :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir donné à l’expert mission de déterminer la valeur marchande du navire Doina à la date du 22 novembre 1982 et la nature et le montant des frais d’entretien exposés par lui entre le 22 novembre 1982 et le 7 mai 1983, alors, selon le moyen, d’une part, que tout préjudice doit être intégralement réparé ; qu’en l’espèce, le préjudice résultait de l’immobilisation du navire depuis le jour de la saisie douanière illégale jusqu’à celui de la vente du navire ; que, dès lors, en fixant la mission de l’expert au 22 novembre 1982, date de la vente, et non au 3 août 1981, date de la saisie, au motif inopérant qu’ » aucun élément ne permet à M. X… de prétendre que son navire aurait pu être vendu antérieurement au 21 novembre 1982 « , la cour d’appel a violé les articles 401 du Code des douanes, 1382 du Code civil, 265 du nouveau Code de procédure civile ; et, d’autre part, qu’en se fondant d’office sur le motif tiré de ce qu’ » aucun élément ne permet à M. X… de prétendre que son navire aurait pu être vendu antérieurement au 21 novembre 1982 « , sans avoir invité M. X… à présenter ses observations contradictoires sur ce point, la cour d’appel a violé les articles 7 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le moyen, qui n’est dirigé que contre la partie du dispositif qui ordonne avant dire droit une expertise, est irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident.
MOYENS ANNEXES
Moyens produits à l’appui du pourvoi principal par la SCP Boré et Xavier, avocat aux Conseils, pour l’administration des Douanes et Droits indirects.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré l’action de M. X… recevable contre M. le directeur général des Douanes et d’avoir mis en conséquence hors de cause l’agent judiciaire du Trésor ;
AUX MOTIFS QUE l’article 26 de la loi du 30 décembre 1986 a précisé que » les actions liées indirectement au recouvrement des créances fiscales et qui dès lors n’ont pas une cause étrangère à l’impôt … sont exercées par les comptables visés à l’article L 252 du Livre des procédures fiscales » ; que l’administration des Douanes se trouve ainsi substituée à l’agent judiciaire du Trésor pour représenter l’Etat non seulement dans les contestations concernant l’assiette et le recouvrement des droits de douanes mais également dans les actions en responsabilité engagées par des redevables contre l’Etat en raison des saisies effectuées dans le cadre d’infractions douanières ;
ALORS QUE par application de l’article 38 de la loi du 3 avril 1955, dès lors que l’action en cause ne tend pas à contester des droits de douane ou un impôt en son principe ou dans son montant et ne constitue pas une opposition à un acte de poursuite accompli pour en assurer le recouvrement mais qu’elle vise à rechercher la responsabilité de l’Etat à raison d’une faute imputée à ses agents et qui serait susceptible de se rattacher à l’exercice des prérogatives de puissance publique, l’agent judiciaire du Trésor est seul habilité à représenter l’Etat dans une telle instance ; qu’en l’espèce, M. X… a exercé une action sur le fondement de l’article 401 du code des douanes en vue d’obtenir la réparation de l’entier préjudice par lui subi du fait de la faute de service commise par les agents des Douanes ; qu’en déclarant, en dépit des conclusions de l’exposante, que l’action dirigée contre cette dernière était recevable et en mettant en conséquence l’agent du Trésor hors de cause, la cour d’appel a violé les articles 122, 125 et 38 de la loi du 3 avril 1955 ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) :
Le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré M. X… recevable à agir contre l’exposante et d’avoir en conséquence condamné l’administration des Douanes au profit de celui-ci ;
AUX MOTIFS QUE s’il a été déjà sollicité et obtenu l’indemnité minimale qui lui était réservée par l’article 402, il n’en demeure pas moins recevable à poursuivre sur le fondement de l’article 401 la réparation de l’intégralité du préjudice par lui subi du fait de la saisie de son navire par des agents non habilités de l’administration des Douanes ;
ALORS QUE il résultait du jugement confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 2 octobre 1987 que l’exposante avait été condamnée à payer une certaine somme » à titre d’indemnité forfaitaire pour la période considérée » ; qu’en estimant que M. X… n’avait pas été intégralement indemnisé par ces décisions irrévocables, la cour d’appel a violé l’article 1351 du Code civil ;
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) :
Le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné l’exposante au paiement de la somme de 100 000 francs au titre des frais de défense au profit de M. X… ;
AUX MOTIFS QUE la demande présentée s’inscrit dans le cadre de la réparation du préjudice causé par les poursuites irrégulières engagées par l’administration des Douanes ; qu’au vu des éléments produits, il convient de limiter à 100 000 francs la réparation qui sera allouée à ce titre ;
ALORS QUE toute décision doit être motivée ; qu’en condamnant l’exposante au paiement de la somme de 100 000 francs » au vu des éléments produits » sans les analyser, la cour d’appel a privé sa décision de motifs et partant d’une violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
POURVOI INCIDENT :
Moyen produit à l’appui du pourvoi incident par la SCP Tiffreau, avocat aux Conseils, pour M. Philippe X….
Par ce moyen, M. X… reproche à la cour d’appel d’avoir donné à l’expert » mission de déterminer la valeur marchande du navire Doina à la date du 22 novembre 1982 (et) la nature et le montant des frais d’entretien de ce navire exposés par M. X… entre le 22 novembre 1982 et le 7 mai 1983 (…) « ,
AUX MOTIFS QU’aucun élément ne permet à M. X… de prétendre que son navire aurait pu être vendu antérieurement au 21 novembre 1982 et qu’il ne peut en conséquence demander réparation du fait de son immobilisation que depuis cette date et jusqu’au 7 mai 1983 ; que sa référence à la valeur du navire au jour de la saisie ne peut donc être retenue et qu’il ne saurait davantage demander le remboursement des frais d’entretien pour la période comprise entre le 3 août 1981 et le 21 novembre 1982 (…) ;
ALORS QUE 1°) Tout préjudice doit être intégralement réparé ; qu’en l’espèce, le préjudice résultait de l’immobilisation du navire depuis le jour de la saisie douanière illégale jusqu’à celui de la vente du navire ; que dès lors, en fixant la mission de l’expert au 22 novembre 1982, date de la vente, et non au 3 août 1981, date de la saisie, au motif inopérant qu’aucun élément ne permet à M. X… de prétendre que son navire aurait pu être vendu antérieurement au 21 novembre 1982, la cour d’appel a violé les articles 401 du Code des douanes, 1382 du Code civil, 265 du nouveau Code de procédure civile ;
ALORS QUE 2°) Au surplus, en se fondant d’office sur le motif tiré de ce qu’aucun élément ne permet à M. X… de prétendre que son navire aurait pu être vendu antérieurement au 21 novembre 1982, sans avoir invité M. X… à présenter ses observations contradictoires sur ce point, la cour d’appel a violé les articles 7 et 16 du nouveau Code de procédure civile.