Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 28 janvier 2004, 03-81.345, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 28 janvier 2004, 03-81.345, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit janvier deux mille quatre, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MOUTON ;

Statuant sur les pourvois formés par :

– X… Patrick,

– X… Jean-Michel,

– X… Olivier,

– Y… Nicole, épouse X…, contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 29 janvier 2003, qui a condamné le premier, pour abus de biens sociaux, à 1 an d’emprisonnement avec sursis et 40 000 euros d’amende et les trois autres, pour recel d’abus de biens sociaux, respectivement à 30 000 euros, 15 000 euros et 1 500 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, L. 241-3 du Code de commerce, 460 du Code pénal ancien, 321-1 du Code pénal nouveau, ensemble violation du principe de la présomption d’innocence, des articles préliminaire du Code de procédure pénale, 6 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Patrick X… coupable d’abus de biens sociaux pour avoir fait bénéficier son frère Olivier X… d’un emploi fictif, et Olivier X… coupable de recel d’abus de biens sociaux pour avoir bénéficié de cet emploi fictif ;

« aux motifs qu’en ce qui concerne Olivier X…, son activité, qu’il évalue lui-même à une demi-journée de travail par semaine, est par nature invérifiable, dès lors qu’elle était supposée s’exercer non seulement hors de l’entreprise mais hors de toute structure professionnelle ; de surcroît, au cours de la période considérée, l’institut bénéficiait d’un excès de clientèle par rapport à ses capacités d’accueil, si bien que les prestations d’Olivier X…, à les supposer effectives, ne pouvaient profiter à la société qui le rémunérait ; la Cour n’est pas liée, quant à la justification des prestations fournies, par les appréciations de l’administration fiscale ; il convient de tenir l’emploi allégué pour fictif ;

« alors, d’une part, que ne caractérise pas un usage contraire à l’intérêt social des biens ou du crédit de la société, le recours à des prestations réellement effectuées pour le compte d’une entreprise, même si celle-ci n’en tire pas un profit immédiat ;

qu’en l’espèce, la cour d’appel a reconnu qu’Olivier X… était rémunéré pour la communication qu’il faisait au profit de la SARL Institut Marin Gérard X… auprès de ses collègues médecins ;

que le fait que la société bénéficiait d’un excès de clientèle par rapport à ses capacités d’accueil, ne suffit pas pour dire que l’activité de prospection était sans intérêt pour la société ; que la cour d’appel n’a pas caractérisé un des éléments constitutifs de l’infraction ;

« alors, d’autre part, que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé qu’Olivier X… était rémunéré pour la communication qu’il faisait au profit de l’institut, en sa qualité de médecin radiologue, auprès de ses collègues médecins ; qu’en affirmant par la suite, que même à supposer ces prestations effectives, il convient de tenir cet emploi comme fictif, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs contradictoires et ainsi n’a pas donné de base légale à sa décision ;

« alors, enfin, que toute personne poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ;

qu’en l’espèce, la cour d’appel a indiqué que l’activité de communication que faisait Olivier X… au profit de l’institut est par nature invérifiable ; qu’en déduisant de cette seule constatation la prétendue fictivité de I’emploi d’Olivier X…, sans retenir aucun autre élément qui pourrait fonder la déclaration de culpabilité des prévenus, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et violé le principe de la présomption d’innocence » ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, L. 241-3 du Code de commerce, 460 du Code pénal ancien, 321-1 du Code pénal nouveau, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Patrick X… coupable d’abus de biens sociaux pour avoir fait bénéficier son frère Jean-Michel X… d’un emploi fictif, et Jean-Michel X… coupable de recel d’abus de biens sociaux pour avoir bénéficié de cet emploi fictif ;

« aux motifs que Jean-Michel X… se rendait habituellement en soirée dans les locaux de l’entreprise, qu’il lui arrivait de donner des instructions aux femmes de ménage, qui travaillaient à l’institut pour le compte d’une société extérieure, et qu’il était consulté pour l’achat de matériel onéreux ; ces activités informelles, aux contours mal défini, ne constituaient pas un emploi ; en tout état de cause, un salaire mensuel de 30 000 francs était manifestement disproportionné à l’activité déployée ; dans ce cas encore, la Cour n’est pas liée par l’appréciation de l’administration fiscale ; qu’il convient de tenir l’emploi allégué pour essentiellement fictif ;

« alors, d’une part, qu’une rémunération excessive n’est constitutive d’un abus de biens sociaux qu’eu égard à la situation financière et économique de l’entreprise ; qu’en l’espèce, en se bornant à relever que le salaire mensuel de 30 000 francs de Jean- Michel X… était manifestement disproportionné à l’activité déployée, sans s’expliquer sur le caractère excessif de cette rémunération par rapport aux capacités financières et économiques de l’entreprise, qui était fortement bénéficiaire au moment de la période concernée, l’arrêt attaqué n’a pas caractérisé les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux et notamment l’élément matériel de l’infraction ;

« alors, d’autre part, que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé dans un premier temps qu’il est établi que Jean-Michel X…, exerçant les fonctions de directeur chargé de la surveillance de l’entretien des locaux et des installations techniques et de chauffage, se rendait habituellement en soirée dans les locaux de l’entreprise, qu’il donnait des instructions aux femmes de ménage et qu’il était consulté pour l’achat de matériel onéreux ; qu’en affirmant par la suite qu’il convient de tenir son emploi comme fictif, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs contradictoires et ainsi n’a pas donné de base légale à sa décision » ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, L. 241-3 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que dans ses seuls motifs, l’arrêt attaqué a déclaré Patrick X… coupable d’abus de biens sociaux pour avoir éludé des recettes provenant de clients ;

« aux motifs que l’instruction a établi que Patrick X… a systématiquement sollicité de la part de patients qui ne bénéficiaient pas d’une prise en charge par la Sécurité Sociale, le paiement de leur séjour en espèce, qu’il n’a pas facturé ces clients et qu’il a détourné à son profit personnel les recettes ainsi éludées ; le montant de ces opérations a été évalué de manière objective, détaillée et contradictoire par l’expert Eric Z…, inscrit sur la liste de la cour d’appel, à la somme de 1.034.240,74 francs (157.668.984,40 euros) ; les estimations avancées par Patrick X…, peu important l’appréciation de l’administration fiscale sur ce point, tendant à minimiser l’ampleur de tels détournements, ne reposent sur aucune justification probante ; l’argument invoqué par Patrick X…, selon lequel ces sommes – au demeurant sous-évaluées – ont été passées au débit des comptes courants des associés n’est pas de nature à combattre la prévention ; en effet, cette « régularisation comptable » est intervenue après la découverte de la commission du délit ; de surcroît, la société ayant connu de graves difficultés financières à l’époque des faits, qui ont conduit à l’ouverture d’une procédure collective le 25 octobre 1999, il aurait été conforme à l’intérêt social de désintéresser par priorité, sur les recettes litigieuses, les créanciers de la société autres que ses propres associés ;

« alors que le fait de désintéresser un créancier, fût-il un associé, à la place d’un autre créancier, n’est pas constitutif d’un abus de biens sociaux ; qu’en relevant, pour refuser la compensation entre les recettes provenant des clients qui auraient été éludées avec les comptes courants créditeurs des associés, qu’il aurait été conforme à l’intérêt social de désintéresser par priorité, sur les recettes litigieuses, les créanciers de la société autres que ses propres associés, la cour d’appel, qui a tranché une question de politique de l’entreprise, a excédé ses pouvoirs et violé les articles susvisés » ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, L. 241-3 du Code de commerce, 460 du Code pénal ancien, 121-3 et 321-1 du Code pénal nouveau, 459, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, a déclaré Patrick X… coupable d’abus de biens sociaux pour avoir versé à sa mère Nicole Y…, veuve X… une rente indue et déclaré Nicole Y…, veuve X… coupable de recel d’abus de biens sociaux pour avoir bénéficié de cette rente indue ;

« aux motifs que cette rente a été versée à Nicole Y…, veuve X…, sur la base d’une délibération de l’assemblée générale des associés, en sa qualité de veuve du fondateur de la société, Gérard X… ; cependant, Gérard X… étant décédé le 7 juillet 1980, il ne pouvait être le fondateur de la SARL Institut Marin Gérard X…, qui n’avait été constituée qu’après sa mort, le 1er avril 1981 ; le versement d’une rente à Nicole Y…, en sa qualité de veuve de Gérard X…, sur les fonds de ladite société, était donc dépourvu de toute justification ; ni Patrick X…, ni Nicole Y…, veuve X…, ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité pénale en arguant l’erreur ou la bonne foi, dès lors qu’ils n’ignoraient pas, en tant qu’associés fondateur de la SARL Institut Marin Gérard X…, que Gérard X… n’en était pas lui-même fondateur ;

« alors qu’en se déterminant ainsi, sans avoir recherché, comme elle y était invitée dans les conclusions régulièrement déposées par les prévenus, et comme l’avait relevé le jugement de relaxe infirmé sur ce point, si les délibérations de l’assemblée générale décidant le versement de la rente allouée à Nicole Y…, veuve X…, étaient exclusives de toute mauvaise foi de la part des prévenus, comme étant la conséquence des conseils erronés et répétés de l’expert comptable, du conseil juridique et du commissaire aux comptes de l’entreprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Mais sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale, des articles 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, L. 241-3 du Code de commerce, 460 du Code pénal ancien, 321-1 du Code pénal nouveau, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a condamné solidairement Patrick, Olivier et Jean-Michel X… ainsi que Nicole Y…, veuve X…, à verser à chacune des parties civiles la somme de 1 euro de dommages-intérêts, outre celle de 500 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ;

« aux motifs que la réserve spéciale de participation est calculée comme suit en fonction, d’une part, du bénéfice net de l’entreprise et, d’autre part, du montant global des salaires ; que les primes attribuées au titre de la RSP à chaque salarié évoluent de manière linéaire et croissante avec le bénéfice net de l’entreprise, la masse globale des salaires étant alors sans incidence ; les différents abus de biens sociaux commis par Patrick X… ont eu nécessairement pour effet de diminuer le bénéfice net de l’entreprise ; qu’ils ont donc eu directement pour effet de diminuer les primes attribuées à chaque salarié (non fictif) de l’entreprise ;

« alors, d’une part, qu’en cas d’abus de biens sociaux, seule la société souffre d’un préjudice personnel et direct et peut se constituer partie civile, par la voie de son représentant légal ou par celle d’un ou de plusieurs associés ou actionnaires, exerçant l’action sociale ut singuli ; qu’en déclarant recevables les constitutions de partie civile des salariés et de la section syndicale Force Ouvrière de la SARL Institut Marin Gérard X…, la cour d’appel a violé les articles et principe susvisés ;

« alors, d’autre part, qu’aux termes de l’article 2 du Code de procédure pénale, seules les personnes qui ont subi un préjudice personnel et direct peuvent se constituer partie civile ; que la diminution du bénéfice constitue, non pas un dommage propre de chaque salarié mais un préjudice subi par la société elle-même ;

qu’en déclarant recevables les constitutions de partie civile des salariés de la SARL Institut Marin Gérard X…, la cour d’appel a violé les articles et principe susvisés ;

« alors, de surcroît, que le bénéfice n’est pas obligatoirement distribué aux salariés sous forme de participation au résultat, dès lors que la société peut décider d’en faire un autre usage ; qu’en se bornant à relever que les différents abus de biens sociaux commis par Patrick X… ont eu nécessairement pour effet de diminuer le bénéfice net de l’entreprise, la cour d’appel n’a pas caractérisé un préjudice certain qu’aurait subi les salariés ;

« alors, enfin, que le préjudice indirect qui serait porté, par un délit d’abus de biens sociaux, à l’intérêt collectif d’une profession ne se distinguant pas du préjudice, lui-même indirect, qu’auraient pu subir individuellement les salariés de l’entreprise concernée, est irrecevable la constitution de partie civile d’un syndicat professionnel ; qu’en relevant, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de la section syndicale Force Ouvrière de la SARL Institut Marin Gérard X…, que les différents abus de biens sociaux commis par Patrick X… ont eu directement pour effet de diminuer les primes attribuées à chaque salarié de l’entreprise, la cour d’appel a de nouveau violé les textes susvisés » ;

Vu l’article 2 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que le droit d’exercer l’action civile devant la juridiction pénale n’appartient qu’à ceux qui ont subi un préjudice directement causé par l’infraction ;

Attendu que, pour allouer des dommages-intérêts à des salariés de la société Institut Marin Gérard X… et à la section syndicale Force ouvrière de ladite société, en réparation du préjudice causé par les abus de biens sociaux commis par le dirigeant de cette société, la cour d’appel énonce que les primes attribuées aux salariés au titre de la réserve spéciale de participation évoluant de manière linéaire et croissante avec le bénéfice net de l’entreprise, les abus de biens sociaux ont eu directement pour effet d’en diminuer le montant ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que la diminution du montant des primes perçues par les salariés n’est qu’une conséquence indirecte des abus de biens sociaux, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Et attendu qu’il ne reste plus rien à juger ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 29 janvier 2003, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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