Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
ARRET No
du 26 février 2019
R.G : No RG 18/00418 – No Portalis DBVQ-V-B7C-ENW2
U… NÉE K…
U…
U…
c/
K…
G…
VM
Formule exécutoire le :
à :
-SELARL PELLETIER & ASSOCIES
-SELARL DEROWSKI & ASSOCIEES,
-SCP BILLY FLORY COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1o SECTION
ARRÊT DU 26 FÉVRIER 2019
APPELANTS :
d’un jugement rendu le 10 janvier 2018 par le tribunal de grande instance de CHALONS-EN-CHAMPAGNE,
Madame B… U… NÉE K…
[…]
Mademoiselle Z… U…
[…]
Monsieur E… U…
[…]
COMPARANT, concluant par la SELARL PELLETIER & ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS
INTIMES :
Monsieur C… K…
[…]
COMPARANT, concluant par la SELARL DEROWSKI & ASSOCIEES, avocats au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE
Maître Y… G…
[…]
COMPARANT, concluant par SCP BILLY FLORY, avocats au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE, et ayant pour conseil le Cabinet NGO JUNG & PARTNERS, avocats au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller
Madame Florence MATHIEU, conseiller
GREFFIER :
Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier, lors des débats et Madame NICLOT, greffier, lors du prononcé,
DEBATS :
A l’audience publique du 08 janvier 2019, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 février 2019,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 26 février 2019 et signé par Monsieur MARTIN, président de chambre, et Madame NICLOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Mme B… U… née K…, M. C… K… et M. P… K… qui sont frères et soeur, ont créé en 1983 la SARL « société de rabattement de nappes K… » devenue la SARL Holding K….
Par acte du 2 décembre 2000, Mme U… a cédé une part sociale de la société Holding K… à cinq personnes de son entourage pour une valeur de 448,38 euros.
Le 16 décembre 2000, la société Holding K… a été transformée en société anonyme et M. C… K… en est devenu le dirigeant.
Les 17 décembre 2000 et 11 janvier 2001, Mme U… a fait, au profit de chacun de ses deux enfants mineurs, un don manuel de 136 actions puis de 68 actions évaluées chacune à la somme de 448,38 euros.
Le 15 janvier 2001, Mme U… et ses deux enfants ont cédé la totalité de leurs actions de la société Holding K… à une nouvelle structure, la SAS SOFIMAR, contrôlée par C… et P… K….
Par cette cession, la SAS SOFIMAR détenait la quasi totalité des actions de la société Holding K… (4 993 actions sur 5 000).
Mme U… a sollicité une consultation d’un avocat spécialiste en droit des sociétés, Maître I…, qui, le 29 avril 2008, rendait un avis aux termes duquel il estimait qu’il pouvait y avoir un manque à gagner de l’ordre de 1.188.000 euros sur la vente des parts, sous réserve, selon lui, d’un certain nombre de valorisations et d’indications sur l’activité.
Par acte du 6 avril 2009, les consorts U… ont assigné la SAS SOFIMAR en référé expertise devant le président du tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne aux fins de voir ordonner une expertise comptable.
Par ordonnance du 18 juin 2009, le juge a déclaré l’action prescrite et surabondamment mal fondée.
Par arrêt du 13 septembre 2010, la cour d’appel de Reims a infirmé la décision, a déclaré recevable la demande d’expertise et a désigné M. V… en qualité d’expert.
Celui-ci a déposé son rapport le 15 novembre 2011 ; l’expert a conclu à une décote inexpliquée de 25 % de la valeur des parts détenues par les consorts U….
A la suite de ce rapport, les consorts U… ont assigné la société SOFIMAR le 17 avril 2012 devant le tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne en indemnisation de leur préjudice en soutenant qu’ils avaient été victimes du silence intentionnel et de la réticence de C… K…, dirigeant de la société Holding K… puis de la SAS SOFIMAR, qui aurait omis de leur communiquer les éléments de valorisation des titres.
Par jugement du 14 mars 2013, le tribunal a considéré :
– que le protocole d’accord signé le 18 décembre 2000 entre C… K… et B… U… fixant les modalités de la cession et son prix était dépourvu de toute valeur probante dans la mesure où il n’avait été établi qu’en un exemplaire original,
– que la réticence dolosive de C… K… n’était pas établie,
– que la demande de dommages et intérêts était prescrite,
– que les consorts U… devaient être déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
Par arrêt du 19 août 2014, la cour d’appel de Reims a infirmé le jugement, a dit que le consentement des consorts U… avait été vicié par réticence dolosive, que cette réticence dolosive de M. K… était à l’origine directe de l’erreur commise par Mme U… sur la valeur des actions de la société Holding K… au mois de janvier 2001 et qu’elle avait vicié son consentement ; la cour a alloué aux consorts U… des dommages et intérêts et des sommes au titre de dividendes à hauteur de plus de 800 000 euros, outre 10 000 euros pour préjudice moral à Mme U… et des frais irrépétibles, étant précisé que les consorts U… n’avaient pu demander la résolution de la vente des parts de la société K… et donc la récupération de celles-ci , la société ayant été dissoute entre temps.
Cet arrêt est devenu définitif, la société SOFIMAR s’étant désistée de son pourvoi.
Par actes d’huissier délivrés les 3 et 4 mars 2015, B…, Z… et E… U… ont assigné C… K…, dirigeant de société, et Y… G…, le conseil de ce dernier, devant le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne aux fins:
–de les déclarer recevables en leur action,
–de les condamner solidairement à leur verser :
* 1.000.000 euros de préjudice au titre de la responsabilité quasi-délictuelle à leur égard constituée d’une part, par les manoeuvres dolosives commises par M. C… K… et d’autre part, par le manquement de Maître G… à son devoir de conseil et à son obligation de loyauté en tant que rédacteur d’acte
* 5 000 euros au titre des frais irrépétibles
Les défendeurs ont opposé à titre principal la prescription de l’action exercée à leur encontre.
Par jugement du 10 janvier 2018, le tribunal a déclaré les demandeurs irrecevables en leur action et les a condamnés in solidum à payer à Y… G…, ès-qualités d’avocat, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le premier juge a considéré que l’action de B… U… était prescrite dès le 19 juin 2013, soit à l’expiration du délai de prescription quinquennale réduit depuis l’entrée en vigueur le 19 juin 2008 de la loi du 17 juin 2008, et que s’agissant de ses enfants, E… et Z… U…, leur action était tout autant prescrite, le point de départ de la prescription courant à compter de leur majorité respectivement au 31 août 2006 et 25 février 2010 et alors qu’il était démontré la connaissance des faits litigieux dès le 29 avril 2008.
La juridiction a relevé :
–qu’il ressortait des pièces du dossier que Maître I…, avocat de B… U…, avait adressé le 29 avril 2008 à celle-ci un avis sur la valorisation des parts sociales détenues dans le capital de la société Holding K… et vendues par elle, ces parts ayant été sous-évaluées, en confirmant l’impression de sa cliente d’avoir été flouée de 1.000.000 euros,
–que, dès le 6 avril 2009, B… U… avait saisi le président du tribunal de commerce de Chalons-en-Champagne statuant en référé aux fins d’organiser une expertise comptable au motif, selon les propres mentions de l’ordonnance rendue le 28 mai 2009, que C… K… avait tenu des propos sous-entendant une sous-évaluation des parts sociales vendues par celle-ci , sa participation dans la société au moment de la cession ayant été évaluée approximativement à plus du double de la valeur réalisée,
–que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 13 septembre 2010 infirmant la décision de référé qui avait rejeté la demande d’expertise avait relevé que les consorts U… se réservaient, le cas échéant, le droit de solliciter à terme le prononcé de la nullité du protocole du 18 décembre 2000 sur le fondement du dol ou pour défaut de délivrance de deux originaux de l’acte,
–que cette même cour avait retenu, par arrêt définitif rendu le 19 août 2014 déclarant non prescrite l’action en nullité du contrat de cession des parts sociales intentée à l’encontre de la société SOFIMAR par B… U…, que celle-ci avait eu connaissance des faits de dol au plus tôt au 29 avril 2008, date de l’avis de Maître I…, avocat, et au plus tard à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire le 15 novembre 2011,
–que cependant, cette expertise, ordonnée au visa de l’article 145 du code de procédure civile, ne tendait qu’à conserver ou établir avant tout procès la preuve des faits dont pouvait dépendre l’action pour dol, la connaissance des faits remontant, quant à elle, à l’avis de Maître I…,
–que B… U… pouvait donc parfaitement saisir la juridiction au fond dès le 29 avril 2008 eu égard aux éléments dont elle disposait et solliciter une expertise comptable.
Par déclaration reçue au greffe le 22 février 2018, B…, Z… et E… U… ont formé appel de cette décision.
Par conclusions du 17 décembre 2018, ils demandent à la cour :
– de les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,
– de dire que la présente action vise à obtenir une indemnisation au titre des manoeuvres dolosives de C… K… et non la restitution de l’exacte valeur à dire d’expert, déjà indemnisée,
– de dire que M. K… a engagé sa responsabilité quasi-délictuelle en commettant des manoeuvres dolosives à leur encontre,
– de dire que Maître G… a manqué à son devoir de conseil et à son obligation de loyauté en tant que rédacteur d’acte,
Par conséquent ,
– de condamner solidairement M. K… et Maître G… à leur verser les sommes de 1.000.000 euros à titre de dommages et intérêts et 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de les condamner solidairement aux dépens avec recouvrement direct.
Par conclusions du 14 décembre 2018, M. K… demande à la cour :
Par application de l’article 2224 du code civil, de l’article L 225-254 du code de commerce,
et de l’article 1147 ancien du code civil,
Vu l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 19 août 2014,
Et vu l’article 1351 ancien du code civil,
– de dire et juger irrecevables les nouvelles demandes d’indemnisations formulées par les consorts U… à l’encontre Monsieur C… K… au visa du principe de concentration des demandes,
– de dire et juger irrecevables lesdites demandes indemnitaires à raison de l’interdiction de cumul entre les responsabilités contractuelle et quasi délictuelle,
– de dire et juger prescrites les demandes des consorts U… dirigées à l’encontre de Monsieur C… K…, au visa des dispositions de l’article 2224 du code civil,
En conséquence,
– de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne le 10 janvier 2018 et en tant que de besoin :
– de dire et juger prescrites lesdites demandes au visa des articles L 225-251 et L 225-254 du code de commerce,
– de les déclarer par suite irrecevables,
Subsidiairement,
– de dire et juger irrecevables les demandes indemnitaires comme se heurtant au principe de la chose jugée par application des dispositions de l’article 1351 ancien du code civil,
– de dire et juger que le préjudice allégué a déjà été indemnisé par l’arrêt de la cour d’appel de Reims du 19 août 2014,
– de dire et juger que les demandeurs ne rapportent pas la preuve du préjudice qu’ils invoquent,
En toute hypothèse,
– de dire et juger mal fondées les demandes indemnitaires formulées par les consorts U… et les en débouter,
– de condamner les consorts U… au paiement de la somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner les consorts U… aux entiers dépens avec recouvrement direct.
Par conclusions du 19 juillet 2018, M. G… demande à la cour :
– de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– en conséquence, de déclarer l’action des consorts U… à son encontre irrecevable car prescrite,
A titre subsidiaire,
– de constater qu’il n’est à l’origine d’aucun manquement en qualité de rédacteur d’acte,
– de constater l’absence de préjudice des consorts U…,
– de débouter les consorts U… de leurs demandes,
En tout état de cause,
– de condamner les consorts U… à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article700 du code de procédure civile,
– de condamner les consorts U… aux dépens.
MOTIFS DE LA DECISION :
La prescription de l’action sur le fondement de l’article 2224 du code civil :
Les appelants soutiennent :
–qu’à la date du dépôt du rapport de l’expert judiciaire du 15 novembre 2011, aucune juridiction ne s’était encore prononcée sur le bien fondé ou non de l’action des consorts U…, de sorte que la prescription ne pouvait être acquise avant,
– que la consultation de Maître I… ne peut absolument pas faire naître le point de départ de la prescription, le droit d’obtenir une revalorisation des parts n’étant qu’éventuel à cette date puisqu’il a fallu attendre le rapport d’expertise judiciaire pour avoir la certitude de la valeur des parts,
–que l’action n’est donc pas prescrite,
Le tribunal a motivé sa décision en visant notamment les arrêts rendus par la cour d’appel de Reims les 13 septembre 2010 et 19 août 2014 précités.
Il n’est pas possible de faire dire à une décision ce qu’elle ne dit pas au risque de la dénaturer et il convient donc de rappeler :
–que le premier arrêt ayant ordonné une expertise confiée à M. V… a été rendu au seul visa de l’article 145 du code de procédure civile et qu’il prend soin de préciser dans sa motivation en page 3 que les consorts U… font pertinemment valoir qu’il est prématuré de se prononcer sur la recevabilité d’une action qui n’est, en l’état, qu’éventuelle et dont le fondement juridique est incertain à ce stade,
–que le second arrêt, dont il sera expliqué plus avant qu’il ne concerne pas les mêmes parties et qu’il n’a pas la même cause, ne s’est pas davantage prononcé sur le problème de la prescription puisque le litige portait sur la nullité du contrat de cession des parts sociales et qu’en tout état de cause, la cour n’a pas statué sur le point de départ exact de cette prescription dans la mesure où elle a indiqué qu’elle ne commençait à courir au plus tôt qu’à compter de l’avis de Maître I… daté du 29 avril 2008 et au plus tard qu’à compter de
la date du dépôt du rapport d’expertise le 15 novembre 2011.
Il n’était donc pas permis au tribunal de tirer des conséquences en terme de prescription de ces deux arrêts.
Il ressort de la consultation écrite du 29 avril 2008 de Maître I…, avocat sollicité par Mme B… U… pour évaluer l’impact des sociétés filiales du groupe détenues par la SA Holding K… sur sa participation au moment de la vente de ses parts sociales, que ce professionnel y précise à plusieurs reprises que les éléments qu’il a recueillis le sont sous réserve et que les évaluations sont établies à partir d’une valeur mathématique et d’une production simplifiée compte tenu de l’absence d’indications plus particulières sur l’activité de ces sociétés ou que les éléments le sont sous réserve de la valorisation des participations financières, des distributions et d’éventuelles moins values.
Cet avocat ajoute qu’il faut bien entendu prendre en compte les réserves émises précédemment concernant une évaluation de l’entreprise alors que tous les éléments ne lui avaient pas été transmis.
Il n’est donc pas permis, sous peine là encore de dénaturer ce document, de considérer que cet avis, fût-il donné par un avocat spécialisé en droit des sociétés, qui comporte beaucoup de réserves et d’incertitudes, ait pu constituer le point de départ du délai de prescription comme établissant une connaissance certaine des faits par Mme U….
Seul le rapport de 58 pages dressé le 15 novembre 2011 par M. V… duquel il ressort pour la première fois de manière circonstanciée une spoliation avérée de Mme U… et de ses enfants quant à la valeur des parts cédées peut donc constituer le point de départ de la prescription.
L’assignation ayant été délivrée les 3 et 4 mars 2015, l’action n’est pas prescrite sur le fondement de l’article 2224 du code civil.
La prescription de l’action sur le fondement des articles L 225-251 et L 225-254 du code de commerce :
M. K… invoque à titre subsidiaire la prescription de l’action sur le fondement des articles L 225-251 et L 225-254 du code de commerce au motif que l’action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu’individuelle, se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou s’il a été dissimulé, de sa révélation.
L’action exercée par Mme U… et ses enfants n’est aucunement fondée sur les articles susvisés mais sur les anciens articles 1382 et suivants du code civil au soutien d’une action en responsabilité quasi-délictuelle pour réticence dolosive exercée contre M. K… pris en son nom personnel – il est assigné en tant que tel et les conclusions des consorts U… le désignent d’ailleurs personnellement – et il est donc indifférent que Mme U… ait été actionnaire de la société Holding K… au moment du litige.
Aucune prescription ne peut donc non plus être invoquée quant à un fondement juridique sur lequel les consorts U… ne s’appuient pas.
L’action formée sur le fondement des anciens articles 1382 et suivants n’est donc pas prescrite.
L’autorité de chose jugée tenant au principe de concentration des moyens et des demandes :
L’ancien article 1351 du code civil dispose que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
M. K… soutient :
–que les demandes indemnitaires sont irrecevables car portant atteinte au principe de concentration des moyens dès lors qu’il appartenait aux consorts U… de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens de nature à fonder celle-ci (il s’agit d’un préjudice identique résultant des manoeuvres dolosives dont ils auraient été victimes),
–que les demandes indemnitaires sont également irrecevables car il est interdit de cumuler les responsabilités contractuelle et quasi-délictuelle, ce qui équivaut à solliciter une double indemnisation sur le fondement quasi-délictuel alors que ce préjudice a d’ores et déjà été indemnisé dans le cadre de la responsabilité contractuelle consacrée par l’arrêt de la cour d’appel du 19 août 2014.
Au regard de l’article susvisé, il ne saurait y avoir atteinte au principe de concentration des moyens et des prétentions au motif que la demande serait formée sur la même cause et conséquemment, atteinte à l’autorité de chose jugée dans la mesure où :
–l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 19 août 2014 concerne une action engagée par les consorts U… contre la société SOFIMAR et non contre M. C… K… comme c’est le cas dans la présente procédure, de sorte qu’il n’y a pas identité des parties,
–le même arrêt concerne une action aux fins de remise des choses en l’état antérieur engagée par les consorts U… (ceux-ci ayant fait observer qu’il ne leur était plus possible de solliciter la nullité de la vente et la restitution conséquente des titres cédés, la société Holding K… ayant été dissoute et radiée le 17 septembre 2004) destinée à compenser la sous-évaluation des parts lors de la cession.
Compte tenu de ces éléments, aucune autorité de chose jugée ne peut être opposée aux consorts U… non plus que l’irrecevabilité des demandes indemnitaires qu’ils forment, s’agissant de deux responsabilités au fondement juridique différent, l’une de nature contractuelle et l’autre de nature quasi-délictuelle, qui ne concernent au surplus pas la même partie (l’une, la société SOFIMAR, défenderesse condamnée par arrêt de cette cour le 19 août 2014, l’autre, M. K…, défendeur à titre personnel dans la présente procédure).
La faute personnelle de M. C… K… :
Les appelants soutiennent que cette faute a été consacrée par l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 19 août 2014 qui dit expressément que la réticence dolosive de C… K… est à l’origine directe de l’erreur commise par Mme U… sur la valeur des actions et qui n’a fait que remettre les choses en leur état antérieur, la restitution des titres cédés n’étant plus possible du fait de la dissolution de la société Holding K…, radiée en 2004.
M. K…, qui concentre exclusivement son argumentation sur les fins de non recevoir tenant à la prescription de l’action et à la chose jugée, ne fait valoir aucune contestation véritable à ce titre, sinon d’affirmer qu’il n’y a aucune faute, aucun préjudice et aucun lien de causalité entre les deux.
Sa faute est constituée par la réticence dolosive dont il a fait preuve en taisant à sa soeur, Mme U…, et aux enfants mineurs qu’elle représentait à l’époque, la valeur réelle des parts sociales que ceux-ci détenaient en omettant de leur communiquer les éléments de valorisation des titres qu’il connaissait nécessairement en sa qualité de dirigeant expérimenté de sa société, à la différence de Mme U… qui n’en était que la secrétaire comptable, fonction de nature administrative qui ne la prédisposait en aucune manière à connaître la valeur des parts sociales qu’elle détenait à l’époque.
Le manquement au devoir de conseil et de loyauté de Maître G… :
L’ancien article 1382 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Les consorts U… soutiennent que la faute de Maître G… est indéniable puisqu’il a manqué à son devoir de conseil et à son obligation de loyauté en tant que rédacteur d’acte et en ce qu’il aurait dû s’abstenir de rédiger un faux protocole en un seul exemplaire et de rédiger la totalité des actes de cession qui ont spolié, acte après acte, Mme U… et ses enfants.
L’intimé lui répond qu’il n’a commis aucune faute, dans la mesure où, s’il était tenu, pour assurer l’efficacité des cessions de parts sociales d’un devoir de conseil à l’égard de toutes les parties, il ne saurait lui être reproché de n’avoir pas vérifié le montant réel des parts cédées, et ce d’autant que cette cession intervenait dans un contexte familial ; il ajoute que Mme U… était assistée d’un conseil à l’époque.
Il est constant que lorsqu’un avocat rédige un acte juridique, il est tenu d’une obligation de conseil quant aux conséquences juridiques de cet acte.
Pour autant, sa responsabilité ne peut être engagée, en particulier dans les actes de cession de parts sociales, qu’à la condition qu’il soit établi qu’il avait connaissance du caractère mensonger des déclarations de l’une des parties et alors qu’il n’existait aucun élément pouvant permettre de le faire douter de leur sincérité.
En l’espèce, il ressort de l’examen des actes litigieux que Mme U… n’avait pas de conseil propre lors de la rédaction des actes de cession de parts sociales.
Il ne peut non plus lui être opposé le fait que celle-ci aurait eu une parfaite connaissance de la valeur des parts cédées puisqu’il a été précédemment indiqué qu’elle n’était que la secrétaire comptable de la société.
Il n’est pas contesté que Maître G…, même si son nom n’y figure pas, a participé sans mandat des parties à la rédaction du protocole d’accord du 18 décembre 2000 aux termes duquel Mme U… cédait l’intégralité de sa participation dans la société Holding K… comportant une valeur des parts forfaitaire en raison du caractère familial de la société.
Ce protocole a été déclaré dépourvu de toute valeur probante pour n’avoir été rédigé qu’en un exemplaire original.
Si la responsabilité de Maître G… est engagée à ce titre pour n’avoir pas assuré la sécurité juridique de cet acte en le soumettant aux formes légales qui s’imposaient, ce qui constitue une faute, il n’est pas démontré par les consorts U… que le préjudice qu’ils invoquent ait un lien de causalité avec cette faute, l’absence d’effet probatoire du protocole leur profitant puisque M. K… n’a pas pu s’en prévaloir par la suite.
Le seul fait pour Maître G… d’avoir rédigé les statuts sociaux de la SARL Holding K… et les actes de cession des parts sociales – dont la forme et les mentions obligatoires devant y figurer ne sont d’ailleurs pas en cause – ne peut présumer de la connaissance que l’avocat avait de la valeur réelle des parts, étant précisé que le contexte familial dans lequel cette cession s’est opérée pouvait lui laisser penser que Mme U… faisait des concessions à son frère sur cette valeur.
Compte tenu de ces éléments, il n’est démontré ni une violation du devoir de conseil ni a fortiori une violation du devoir de loyauté de Maître G….
Les consorts U… seront par conséquent déboutés de leur demande à son encontre.
L’indemnisation du préjudice subi par les consorts U… à l’égard de M. K…:
Les consorts U… soutiennent que ce n’est qu’en condamnant M. K… à un montant équivalent du détournement qu’il a commis qu’ils seront réellement indemnisés, soit à hauteur de 1.000.000 euros qui correspond à un montant à peu près équivalent à la condamnation de 800 000 euros prononcée par la cour d’appel de Reims, outre 200 000 euros compte tenu des tracas qu’ils subissent depuis huit ans (sic).
Ils concèdent que c’est à la cour d’apprécier l’étendue de leur préjudice.
Il ressort des éléments du dossier et des conclusions des parties qu’en réalité, Mme U… reproche à son frère, C… K…, d’avoir trahi sa confiance et celle de ses enfants en lui cachant la valeur réelle des parts sociales.
Le préjudice né de cette réticence dolosive émanant d’un membre proche de la famille ne peut évidemment être indemnisé à hauteur de ce qu’ont déjà obtenu les consorts U… dans le cadre de l’action introduite à l’encontre de la société SOFIMAR puisqu’il s’agit d’un préjudice différent, de nature essentiellement morale, qui sera justement indemnisé par l’allocation d’une somme de 10 000 euros revenant à chacun des consorts U…, soit 10 000 euros pour Mme B… U…, 10 000 euros pour M. E… U… et 10 000 euros pour Melle Z… U… au paiement desquelles M. K… sera condamné.
L’article 700 du code de procédure civile :
La décision sera infirmée.
Succombant en ses prétentions, M. K… ne peut prétendre à une indemnité sur ce fondement.
Aucune considération liée à l’équité ne justifie qu’il soit fait droit à la demande formée par Maître G….
En revanche, l’équité commande que M. K… soit condamné à payer à Mme B… U…, M. E… U… et Melle Z… U… la somme de 4 000 euros pour les frais irrépétibles engagés en première instance et en appel.
Les dépens :
La décision sera infirmée.
M. K… sera condamné aux dépens de première instance et d’appel avec recouvrement direct au profit de la SELARL Pelletier et Associés par application de l’article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 janvier 2018 par le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne.
Statuant à nouveau ;
Déclare recevable car non prescrite l’action engagée par B… U… née K…, Z… U… et E… U….
Dit que l’autorité de chose jugée ne peut être opposée à B… U… née K…, Z… U… et E… U… du fait de l’arrêt définitif rendu par la cour d’appel de Reims le 19 août 2014 en l’absence d’identité de parties et de cause.
Dit que M. C… K… a engagé sa responsabilité quasi-délictuelle par sa réticence dolosive à l’égard de B… U… née K…, Z… U… et E… U….
Dit que Maître G… n’a pas commis de faute à leur égard et déboute en conséquence les consorts U… de leur demande d’indemnisation à son encontre.
Condamne M. C… K… à payer en réparation du préjudice subi :
–à Mme B… U… née K… la somme de 10 000 euros,
–à Melle Z… U… la somme de 10 000 euros,
–à M. E… U… la somme de 10 000 euros.
Condamne M. C… K… à payer à Mme B… U… née K…, Melle Z… U… et M. E… U… la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute les autres parties de leur demande à ce titre.
Condamne M. C… K… aux dépens de première instance et d’appel avec recouvrement direct au profit de la SELARL Pelletier et Associés par application de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président