Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 janvier 2021
Rejet
Mme DARBOIS, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président
Arrêt n° 82 F-D
Pourvoi n° F 18-21.697
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 JANVIER 2021
La société 3D plus, société par actions simplifiée, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° F 18-21.697 contre l’arrêt rendu le 21 juin 2018 par la cour d’appel de Versailles (12e chambre, section 2), dans le litige l’opposant à la société Spacekey Europe, société à responsabilité limitée, dont le siège est […] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Bras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société 3D plus, de la SCP Bernard Hémery Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Spacekey Europe, et l’avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l’audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Le Bras, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 21 juin 2018), la société 3D plus, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de composants électroniques destinés en particulier à l’aérospatiale, estimant que les produits d’un ancien distributeur, la société chinoise Orbita, présentaient des ressemblances résultant de la divulgation de son savoir-faire par d’anciens salariés qui ont constitué la société Spacekey Europe (la société Spacekey), ayant pour activité la distribution de composants et de matériels électroniques, a assigné cette dernière en contrefaçon de ses brevets et concurrence déloyale.
2. Ayant découvert que la société irlandaise OCE technology (la société OCE) distribuait en Europe les produits de la société Orbita, la société 3D plus lui a adressé, le 29 février 2016, une lettre de mise en garde l’informant de ses griefs contre les produits de cette dernière.
3. Reprochant à la société 3D plus d’avoir commis un dénigrement en divulguant l’existence de l’action en justice avant qu’elle ait donné lieu à une décision de justice définitive, la société Spacekey l’a assignée en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société 3D plus fait grief à l’arrêt de la condamner à verser à la société Spacekey une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant d’actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale commis par elle, avec intérêts au taux légal à compter de sa décision, alors « que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 et par l’article R. 621-1 du code pénal ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil ; qu’en retenant que les propos contenus dans la lettre de la société 3D plus du 29 février 2016 adressée à la société OCE caractérisaient un acte dénigrement constitutif de concurrence déloyale engageant la responsabilité de la société 3D plus à l’égard de la société Spacekey France sur le fondement de l’article 1240 nouveau du code civil, après avoir pourtant estimé que cette lettre faisait état d’infractions pénales présentées comme établies et avérées commises par d’anciens salariés de la société ayant fondé la société Spacekey France, ce dont il résultait que les prétendues imputations litigieuses étaient constitutives de diffamation, la cour d’appel a violé l’article 1240 (ancien article 1382) du code civil, ensemble les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et R. 621-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
6. L’arrêt relève d’abord que, dans sa lettre de mise en garde, la société 3D plus indiquait que les produits 3D de la société Orbita étaient le résultat d’informations volées par d’anciens salariés, qu’un procès était en cours contre ces derniers et la société Spacekey qu’ils avaient constituée, que les investigations en cours devaient permettre de confirmer les suspicions de la société 3D plus, ces documents ayant permis à la société Orbita de concevoir ses propres produits 3D et que si aucune décision n’avait encore confirmé ces suspicions, la société OCE se trouvait désormais informée des revendications de la société 3D plus contre les produits 3D de la société Orbita.
7. Il retient ensuite que les propos de la lettre revêtaient une connotation fortement péjorative dès lors qu’ils faisaient état d’infractions pénales commises par d’anciens salariés de la société 3D plus, présentées comme établies et avérées et ayant permis de contrefaire les produits de cette dernière. Il retient également que la mise en garde est exprimée sous la forme d’une critique dépréciante et non dans un but d’information objective, afin de ne pas laisser d’autre choix à son destinataire que celui d’abandonner la diffusion des produits concernés.
8. De ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les allégations et imputations contenues dans la lettre de mise en garde de la société 3D plus, même si elles visaient ses anciens salariés et les sociétés Spacekey et Orbita, n’avaient pour objectif que de porter le discrédit sur les produits 3D de sa concurrente, la cour d’appel a déduit à bon droit que la lettre litigieuse constituait un dénigrement de ces produits, fautif en application de l’article 1382, devenu 1240, du code civil.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société 3D plus aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société 3D plus et la condamne à payer à la société Spacekey Europe la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société 3D plus.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la société 3DPlus à verser à la société Spacekey Europe la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour réparation du préjudice découlant d’actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale commis par elle, avec intérêts au taux légal à compter de sa décision ;
AUX MOTIFS QUE, il y a lieu de statuer sur le bien-fondé d’une action en concurrence déloyale par dénigrement formée par une société commercialisant et distribuant des composants et des sous-ensembles électroniques de tous types (société Spacekey.), par ailleurs poursuivie pour concurrence déloyale et contrefaçon par copie servile dans le cadre d’une instance distincte introduite devant le tribunal de grande instance de Paris par la société 3D Plus, conceptrice et fabricante de toutes espèces de matériel électronique et notamment, de circuits intégrés en trois dimensions notoirement connus dans le monde, à qui elle reproche précisément, dans le cadre de la présente instance, de l’avoir en tant que société concurrente, prématurément discréditée auprès de sa clientèle et notamment auprès d’une société irlandaise (société OCE.) distribuant en Europe des produits prétendument contrefaisants fabriqués par une société chinoise (société Orbita.) qui se trouve être un ancien distributeur de la société 3D Plus et au réseau commercial de laquelle elle appartient par l’intermédiaire d’une société singapourienne D3CI ; sur la réalité d’un dénigrement de la société Spacekey : la société Spacekey soutient à l’appui de sa demande de réformation du jugement entrepris, que la lettre adressée le 29 février 2016 par son adversaire par la voie de son conseil habituel à l’un de ses partenaires potentiels, fait état de manière non autorisée d’une procédure judiciaire en cours en la dénigrant ouvertement, énonçant sans la moindre réserve ou mesure, que d’anciens salariés de la société 3DPlus ayant constitué la société Spacekey auraient détournés des informations permettant de fabriquer des produits concurrents contrefaisants ; elle précise que : – la société irlandaise destinataire de ces propos (société OCE.) étant non seulement l’une de ses concurrentes mais également, une concurrente directe de la société 3D Plus, les premiers juges ont commis une grave erreur d’appréciation des faits en retenant le contraire ; – tout porte en réalité à croire, que la lettre envoyée à la société OCE fait partie d’un ensemble de lettres circulaires adressées à l’ensemble des acteurs du marché des composants 3D dans le but évident de lui causer, ainsi qu’à la société Orbita, un tort irréparable ; – la société 3D Plus a d’ailleurs déjà agi de la même manière en décembre 2013, par l’intermédiaire d’un salarié occupant le poste de ‘VP Sales ant Marketing’ en son sein, ce salarié ayant en effet adressé des courriels constitutifs d’un dénigrement caractérisé indiquant ‘nous menons actuellement une action juridique en contrefaçon et copie servile contre ce contrefacteur et ces représentants en France’ ; – la société 3D Plus a précisé par ailleurs attaquer toute tentative d’infiltration du marché par la société Spacekey ou sa partenaire D3CI ainsi que tout partenariat commercial avec des sociétés tierces pouvant les aider à y parvenir, par le dénigrement systématique de leurs produits ; elle ajoute que : – le dénigrement vise naturellement un concurrent identifié ou identifiable et suppose, une communication externe ; – en matière de contrefaçon, sont ainsi dénigrants, le fait d’informer des tiers sur le risque de contrefaçon de produits concurrents, le fait de faire connaître par courrier électronique et de publier sur un site internet l’accusation de contrefaçon portée contre une société alors qu’aucune décision de justice n’a reconnu ces faits et encore, toute information portant sur une action en contrefaçon, engagée ou non ; – la jurisprudence établie condamne au titre du dénigrement toute information sur une instance en cours, en considérant que l’on peut craindre qu’elle préjuge de la décision à venir et crée un tort considérable et irréversible au concurrent désigné ; – une mise en garde n’est ainsi permise et licite que si elle est mesurée ; – toute dérive est systématiquement sanctionnée ; – la jurisprudence considère que le préjudice s’infère nécessairement de l’acte déloyal ; – la lettre adressée par la société 3D Plus, traduit de toute évidence une communication excessive donnée à une instance en cours en livrant, sous couvert d’une lettre d’avocat, des informations partielles présentées de manière biaisée à un concurrent direct des parties dans le but évident de ruiner son image et de tenter de l’éliminer du marché ; – un tel comportement caractérise une volonté de nuire sur le plan commercial ; – le discrédit est en effet porté sur l’entreprise elle-même puisque les anciens salariés de la société 3D Plus concernés, ont créé ou rejoint la société Spacekey ; – contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, les propos de la société 3D Plus sont loin d’être mesurés ; la société 3D Plus répond que : – la lettre privée adressée à la seule société OCE, ne peut caractériser juridiquement un acte de dénigrement ; – la société Spacekey ne démontre pas qu’elle a eu un comportement déloyal caractérisant une faute, cause d’un préjudice démontré ; – la société destinataire de cette lettre n’était en effet pas cliente de la société Spacekey mais le distributeur irlandais de la société chinoise Orbita commercialisant en Europe, au même titre que la société Spacekey et de manière parallèle, les produits de cette société chinoise dont il est suspecté qu’ils mettent en oeuvre des secrets de fabrique obtenus de manière déloyale par une divulgation non autorisée par deux de ses anciens salariés ayant constitué la société Spacekey ; – la lettre incriminée était donc une simple lettre de mise en garde, ne poursuivant aucun autre objectif et était au demeurant nécessaire dès lors qu’en droit irlandais, toute éventuelle réclamation judiciaire doit être précédée d’une lettre informative préalable ; – cette mise en garde, rédigée en termes mesurés, prend soin de rappeler à plusieurs reprises qu’aucune décision de justice n’est encore intervenue ; – la société Spacekey n’y est au demeurant citée que de manière marginale soit une seule et unique fois, comme étant la société fondée par les anciens salariés de la société 3D Plus ; – cette lettre de mise en garde ne comporte en réalité aucune critique sur les prestations de la société Spacekey et/ou ses méthodes commerciales ; – quoi qu’il en soit, la société OCE n’est pas un consommateur mais un professionnel aguerri, distributeur sur l’ensemble du territoire européen de produits provenant d’Asie ; – il est enfin inexact de prétendre, que la société 3DPlus aurait par le passé, commis des actes de dénigrement envers la société Spacekey ; vu l’article 1240 du code civil dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2016 ; le dénigrement s’entend comme étant le fait, de jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent pour en tirer profit ; il est établi par les éléments portés aux débats ainsi que par la discussion des parties d’une part, que la société Spacekey dont le gérant (M. A… X…) et le principal actionnaire (M. P… U…) sont d’anciens salariés de la société 3D Plus spécialisée dans la fabrication de matériel électronique et dans les prestations de service d’assemblage et d’encapsulation de composants électroniques, commercialise et distribue des composants et matériels électroniques et est également l’un des membres du réseau commercial de la société D3CI qui, basée à Singapour, diffuse les produits fabriqués par la société chinoise Orbita prétendument très proches de ceux commercialisés et distribués par la société 3D Plus et que d’autre part, la société irlandaise OCE tend également à diffuser en Europe les produits fabriqués par la société Orbita ; la lettre incriminée du 29 février 2016, présentée par la société Spacekey comme étant dénigrante émane du conseil de cette société spécialisé en propriété intellectuelle et est précisément énoncée en ces termes : ‘ Nous vous écrivons au nom de la société française 3D Plus qui a son siège social sis […]. Celle-ci s’est aperçue que : – OCE Technology (ci-après mentionnée comme ‘OCE’), vend des produits 3D (cubes ou modules comprenant des composants empilés en 3 dimensions), notamment à travers son site internet (http://ocetechnology.com/), et/ou sur différents salons (tels que Spacetech, ESA, DASIA) ; – ces produits 3D sont fabriqués par une société chinoise dénommée Orbita Software Engineering Inc. (Ci-après mentionnée comme ‘Orbita’), à laquelle OCE est de toute évidence liée économiquement. Notre cliente voudrait porter à votre connaissance les faits suivants : – Orbita a été son distributeur en Chine de 2005 à 2007 ; – 3 D Plus considère que les produits 3D d’Orbita sont le résultat d’informations volées par des anciens salariés de 3D Plus (qui sont à présent impliqués dans le réseau de distribution d’Orbita), – un procès est actuellement en cours en France contre ces anciens salariés (et la société qu’ils ont constituée, à savoir Spacekey Europe.) – dans le cadre de cette procédure, trois saisies ont été pratiquées par 3D Plus au siège/domicile de ces anciens salariés. Ces investigations, qui sont en cours, devraient révéler dans les mois prochains les documents que ces anciens salariés ont volés à notre cliente et qui ont été transmis à Orbita, lui permettant alors de concevoir ses propres produits 3 D./Notez qu’aucune décision n’a pour l’instant confirmé les suspicions de 3D Plus, mais nous anticipons, une telle décision sera bientôt rendue./Si votre fabriquant ne vous a pas déjà informé de ces informations, vous êtes à présent, du moins à la date de cette lettre, complètement au courant de ces revendications de 3D Plus contre les produits 3D d’Orbita./Nous restons à votre disposition. Si vous aviez quelque interrogation à ce propos, merci de nous contacter.’ ; la société 3D Plus estime manifestement à tort à la simple lecture de ces énonciations, que les termes employés par le conseil de la partie adverse pour la mettre en garde contre une réalité plausible de contrefaçon ainsi que contre l’existence de poursuites judiciaires pour contrefaçon, sont mesurés et objectifs et partant, non constitutifs de dénigrement ; de tels propos et énonciations sont au contraire à connotation fortement péjorative puisque faisant état d’infractions pénales commises (vols) par d’anciens salariés de la société 3D Plus ayant depuis constitué la société Spacekey, ces infractions étant présentées comme établies et avérées (‘ont volés’) et comme, ayant permis de contrefaire des produits fabriqués par la société 3D Plus ainsi qu’une décision de justice ne pourra que prochainement le confirmer (‘une telle décision sera rendue’.) ; la forme de cette mise en garde qui au demeurant ne précise même pas les références du brevet prétendument enfreint (brevet évoqué par le terme ‘revendication’), exprimée sous forme de critique dépréciante et non pas dans un but d’information objective d’une société cliente de la société Orbita ayant les mêmes intérêts que la société Spacekey n’offrait en réalité à son destinataire pas d’autre choix, que d’abandonner la diffusion des produits concernés. Le dénigrement imputé à la société 3D Plus qui admet en effet dans la lettre incriminée que la société Spacekey est impliquée dans le réseau de commercialisation de la société Orbita, est ainsi dûment caractérisé, peu important de savoir si la société 3D Plus a ou non agi de manière intentionnelle ; sur le préjudice subi : la société Spacekey rappelle que : – un préjudice s’infère nécessairement de tout acte de concurrence déloyale ; – le marché des modules 3 D étant un marché assez restreint a fortiori s’agissant comme en l’espèce de produits affectés à une niche précise (le spatial), il est aisé de ruiner la réputation de l’un de ses acteurs par une lettre telle que la lettre dénigrante litigieuse ; – cette lettre qui n’a pas été isolée, tend par intimidation à la mettre à l’écart de tous les circuits économiques et il est plus que probable qu’elle a circulé entre d’autres mains ; – son image en a été gravement et irrémédiablement atteinte à telle enseigne que sa situation financière est mauvaise ; – ses moindres diligences pour s’implanter sur le marché sont systématiquement réduites à néant de manière impromptue et inopinée, en dépit des excellents contacts et réputation que ses dirigeants entretiennent ; – les échecs précédemment rencontrés lors de diverses négociations avec des tiers tiennent ainsi à des actions souterraines fomentées par la société 3D Plus qui de son côté, affiche une croissance confortable alors qu’elle dispose au demeurant, d’énormes ressources en raison de son affiliation à un très gros groupe américain ; – son préjudice est d’autant plus important que l’Agence Spatiale Européenne (ESA) mentionnée dans cette lettre est non seulement un utilisateur mais également, un organisme certificateur pour le marché spatial en Europe ; – si cette agence lui ouvre ses portes, grâce par exemple à l’entremise de la société OCE, tous les industriels du secteur seront donc nécessairement intéressés pour évaluer la qualité des produits 3D, concurrents de ceux de la société 3D Plus ; – elle est fondée à voir enjoindre à la société 3D Plus de ne pas évoquer l’existence du litige en cours et les griefs qu’elle entend formuler comme à être indemnisée de son préjudice sous forme de dommages-intérêts en proportion, de la gravité des accusations portées, de leur caractère réitéré, de l’étroitesse du marché et des facultés de paiement de la société 3D Plus ; la société 3D Plus s’oppose à ces réclamations qu’elle qualifie d’astronomiques, objectant qu’un préjudice juridiquement indemnisable doit être certain, direct et personnel et que, dans les circonstances de cette espèce, cette preuve n’est pas établie par son adversaire ; contrairement aux allégations de la société 3D Plus, la société Spacekey établit par la copie d’un courriel qu’elle verse aux débats – voir cote 8 qu’à la réception de lettre incriminée, la société OCE a bien suspendu ses activités sur les composants 3D ; elle établit également qu’à une autre reprise, la société 3D Plus a fait état d’une procédure pour contrefaçon par copie servile dirigée contre la société D3CI présenté comme ‘contrefacteur’ alors que cette procédure n’avait pas encore été engagée avec donc comme objectif évident, de provoquer un détournement de clientèle – voir cote 5A, courriel du 16 décembre 2013 ‘nous menons actuellement une action juridique en contrefaçon et copie servile contre ce contrefacteur et ces représentants en France’ ; ces circonstances caractéristiques de dénigrement avéré étant de nature à établir, non seulement l’existence du préjudice occasionné par une société bénéficiant d’une certaine notoriété à une société de taille plus modeste et plus récente (2006) cherchant à pénétrer le marché étroit de produits de haute technologie dans le domaine spatial mais également son étendue, conduisent la Cour à faire raisonnablement droit à la demande d’indemnisation, à hauteur de 50 000 euros ;
1) ALORS QUE les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 et par l’article R. 621-1 du code pénal ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil ; qu’en retenant que les propos contenus dans la lettre de la société 3DPlus du 29 février 2016 adressée à la société OCE caractérisaient un acte dénigrement constitutif de concurrence déloyale engageant la responsabilité de la société 3DPlus à l’égard de la société Spacekey France sur le fondement de l’article 1240 nouveau du code civil, après avoir pourtant estimé que cette lettre faisait état d’infractions pénales présentées comme établies et avérées commises par d’anciens salariés de la société ayant fondé la société Spacekey France, ce dont il résultait que les prétendues imputations litigieuses étaient constitutives de diffamation, la cour d’appel a violé l’article 1240 (ancien article 1382) du code civil, ensemble les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et R. 621-1 du code pénal ;
2) ALORS, en toute hypothèse, QUE le juge a l’obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu’il résulte des termes clairs et précis de la lettre de la société 3DPlus du 29 février 2016 (prod.) que « 3D Plus considère que les produits 3D d’Orbita sont le résultat d’informations volées par des anciens salariés de 3D Plus (qui sont à présent impliqués dans le réseau de distribution d’Orbita), / – un procès est actuellement en cours en France contre ces anciens salariés (et la société qu’ils ont constituée, à savoir Spacekey Europe.) / – dans le cadre de cette procédure, trois saisies ont été pratiquées par 3D Plus au siège/domicile de ces anciens salariés. Ces investigations, qui sont en cours, devraient révéler dans les mois prochains les documents que ces anciens salariés ont volé à notre cliente et qui ont été transmis à Orbita, lui permettant alors de concevoir ses propres produits 3 D. / Notez qu’aucune décision n’a pour l’instant confirmé les suspicions de 3D Plus, mais nous anticipons, une telle décision sera bientôt rendue » ; qu’en retenant néanmoins que la lettre faisait état d’infraction pénales – commises par d’anciens salariés de la société 3D Plus ayant depuis constitué la société Spacekey – présentées comme établies et avérées, la cour d’appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre du 29 février 2016, a violé l’article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble le principe susvisé ;
3) ALORS QUE le seul fait de mettre en garde un distributeur de produits contre des risques de contrefaçon des produits qu’il diffuse et du litige en cours concernant cette contrefaçon constitue un moyen de défense légitime du fabricant et ne caractérise pas un dénigrement constitutif de concurrence déloyale ; qu’en retenant, pour en déduire que les propos contenus dans la lettre du 29 février 2016 caractérisaient un dénigrement constitutif de concurrence déloyale, que les produits de la société Orbita distribués par les sociétés OCE et Spacekey Europe étaient présentées comme contrefaisant les produits de la société 3DPlus et que le litige en cours sur ce point ne pourrait que le révéler, la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser un dénigrement constitutif de concurrence déloyale, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1240 (ancien article 1382) du code civil ;
4) ALORS QUE le seul fait de mettre en garde un distributeur de produits contre des risques de contrefaçon des produits qu’il diffuse et du litige en cours concernant cette contrefaçon constitue un moyen de défense légitime du fabricant et ne caractérise pas un dénigrement constitutif de concurrence déloyale, peu important que les termes employés n’offrent d’autre choix au destinataire du courrier que d’arrêter la diffusion des produits présentés comme contrefaisants ; qu’en retenant que le contenu du courrier prétendument dénigrant n’offrait à son destinataire pas d’autre choix que d’abandonner la diffusion des produits concernés, pour en déduire qu’il constituait un dénigrement constitutif de concurrence déloyale, la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à justifier d’un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1240 (ancien article 1382) du code civil ;
5) ALORS QUE le juge doit prendre en considération dans l’appréciation du caractère fautif de la divulgation d’une information, lorsqu’il est argué que cette divulgation caractérise un dénigrement constitutif de concurrence déloyale, la bonne foi et l’absence d’intention de nuire ; qu’en se bornant à affirmer qu’il importait peu de savoir si la société 3D Plus avait ou non agi de manière intentionnelle, sans rechercher, comme elle y était invitée, pièce à l’appui, par la société 3D Plus (conclusions p. 11, §2 et s., pièce 35), si le droit irlandais ne lui imposait pas, avant toute réclamation judiciaire, l’envoi d’un courrier destiné à informer le destinataire le plus fidèlement possible des griefs qu’il allègue et de lui laisser la possibilité de les commenter, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1240 (ancien article 1382) du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la société 3DPlus à verser à la société Spacekey Europe la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour réparation du préjudice découlant d’actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale commis par elle, avec intérêts au taux légal à compter de sa décision ;
AUX MOTIFS QUE, sur le préjudice subi : la société Spacekey rappelle que : – un préjudice s’infère nécessairement de tout acte de concurrence déloyale ; – le marché des modules 3 D étant un marché assez restreint a fortiori s’agissant comme en l’espèce de produits affectés à une niche précise (le spatial), il est aisé de ruiner la réputation de l’un de ses acteurs par une lettre telle que la lettre dénigrante litigieuse ; – cette lettre qui n’a pas été isolée, tend par intimidation à la mettre à l’écart de tous les circuits économiques et il est plus que probable qu’elle a circulé entre d’autres mains ; – son image en a été gravement et irrémédiablement atteinte à telle enseigne que sa situation financière est mauvaise ; – ses moindres diligences pour s’implanter sur le marché sont systématiquement réduites à néant de manière impromptue et inopinée, en dépit des excellents contacts et réputation que ses dirigeants entretiennent ; – les échecs précédemment rencontrés lors de diverses négociations avec des tiers tiennent ainsi à des actions souterraines fomentées par la société 3D Plus qui de son côté, affiche une croissance confortable alors qu’elle dispose au demeurant, d’énormes ressources en raison de son affiliation à un très gros groupe américain ; – son préjudice est d’autant plus important que l’Agence Spatiale Européenne (ESA) mentionnée dans cette lettre est non seulement un utilisateur mais également, un organisme certificateur pour le marché spatial en Europe ; – si cette agence lui ouvre ses portes, grâce par exemple à l’entremise de la société OCE, tous les industriels du secteur seront donc nécessairement intéressés pour évaluer la qualité des produits 3D, concurrents de ceux de la société 3D Plus ; – elle est fondée à voir enjoindre à la société 3D Plus de ne pas évoquer l’existence du litige en cours et les griefs qu’elle entend formuler comme à être indemnisée de son préjudice sous forme de dommages-intérêts en proportion, de la gravité des accusations portées, de leur caractère réitéré, de l’étroitesse du marché et des facultés de paiement de la société 3D Plus ; la société 3D Plus s’oppose à ces réclamations qu’elle qualifie d’astronomiques, objectant qu’un préjudice juridiquement indemnisable doit être certain, direct et personnel et que, dans les circonstances de cette espèce, cette preuve n’est pas établie par son adversaire ; contrairement aux allégations de la société 3D Plus, la société Spacekey établit par la copie d’un courriel qu’elle verse aux débats – voir cote 8 qu’à la réception de lettre incriminée, la société OCE a bien suspendu ses activités sur les composants 3D ; elle établit également qu’à une autre reprise, la société 3D Plus a fait état d’une procédure pour contrefaçon par copie servile dirigée contre la société D3CI présenté comme ‘contrefacteur’ alors que cette procédure n’avait pas encore été engagée avec donc comme objectif évident, de provoquer un détournement de clientèle – voir cote 5A, courriel du 16 décembre 2013 ‘nous menons actuellement une action juridique en contrefaçon et copie servile contre ce contrefacteur et ces représentants en France’ ; ces circonstances caractéristiques de dénigrement avéré étant de nature à établir, non seulement l’existence du préjudice occasionné par une société bénéficiant d’une certaine notoriété à une société de taille plus modeste et plus récente (2006) cherchant à pénétrer le marché étroit de produits de haute technologie dans le domaine spatial mais également son étendue, conduisent la Cour à faire raisonnablement droit à la demande d’indemnisation, à hauteur de 50 000 euros ;
ALORS QUE le principe de la réparation intégrale du préjudice interdit au juge toute évaluation forfaitaire de celui-ci ; qu’en se bornant à retenir, pour allouer à la société Spacekey Europe une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison des prétendus actes de dénigrement imputés à la société 3DPlus, que les circonstances caractéristiques du dénigrement établissaient l’étendue du préjudice qui devait être raisonnablement évalué à la somme précitée, la cour d’appel, qui a procédé à une réparation forfaitaire du préjudice, a violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil.
ECLI:FR:CCASS:2021:CO00082