Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq février deux mille quatre, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller THIN, les observations de Me CHOUCROY et de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général FINIELZ ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Louis,
– Y… Michel,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 28 janvier 2003, qui a condamné le premier, pour abus de biens sociaux et tentative d’escroquerie, à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende, le second, pour recel d’abus de biens sociaux, à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Louis X…, pris de la violation des articles 486, 592 du Code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué indique qu’à l’audience des débats, la Cour était composée de M. Velly président, Mme Besse et M. Ducrotte, conseillers puis que l’arrêt a été rendu par la Cour composée de M. Velly, président, M. Coural et Mme Haudun, conseillers ;
« alors qu’il ne résulte pas de l’arrêt que les magistrats qui ont assisté à l’audience des débats en ont délibéré ; qu’au contraire l’arrêt a été rendu, après près d’un an de mise en délibéré, par une cour d’appel composée différemment de celle ayant assisté aux débats en violation des textes susvisés » ;
Attendu que les mentions de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que les mêmes magistrats ont participé aux débats et au délibéré et que l’arrêt a été lu par l’un d’eux, en application de l’article 485 du Code de procédure pénale ;
Que, dès lors, le moyen manque en fait ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Louis X… , pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 203, 512, 387, 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce que la cour d’appel a ordonné la jonction des dossiers 01/01565 et 01/00420 ;
« aux motifs que, en regard des dispositions des articles 512 et 387 du Code de procédure pénale, la Cour ordonne la jonction des dossiers 01/01565 et 01/00420, ces procédures visant des faits connexes et dans le but d’une bonne administration de la justice ;
« 1 ) alors que, seules les infractions connexes peuvent être jointes et faire l’objet d’une seule décision ; qu’en se bornant à affirmer la connexité des procédures, l’une concernant des faits de destruction du bien d’autrui et de tentative d’escroquerie à l’assurance commis en février 1999 l’autre concernant des faits d’abus de biens sociaux commis en octobre 1987, sans procéder à aucune constatation justifiant cette connexité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
« 2 ) alors que, en prenant en compte pour justifier le quantum de la peine unique prononcée les deux procédures distinctes concernant des faits commis à douze ans d’écart sans aucun lien entre eux au seul visa d’une connexité inexistante, la cour d’appel a méconnu les règles du procès équitable et violé les textes susvisés » ;
Attendu que la jonction de deux procédures est une mesure d’administration judiciaire qui échappe au contrôle de la Cour de Cassation ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Louis X… , pris de la violation des articles L. 242-6, 3 , du Code de commerce, 8, 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Louis X… coupable d’abus de biens sociaux commis en octobre 1987 ;
« aux motifs que Louis X… soulève la prescription des faits au motif que les factures constitutives de l’abus de biens sociaux poursuivi figuraient dans la présentation des comptes de la société Télécoise en assemblée générale qui les a approuvés ; que la prescription commence à courir du jour où le délit est apparu et a pu être poursuivi dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ; que les éléments du dossier et des débats démontrent que, la comptabilité de la société Télécoise ayant été présentée par Louis X… , à l’occasion de l’exercice de 1987, de telle sorte que les membres de l’assemblée générale n’aient pu percevoir la fraude poursuivie, la prescription triennale a nécessairement commencé à courir à partir du moment où ces faits ont été mis à jour par Nicole Z… le 16 septembre 2000 auprès des services de la police judiciaire, ce qui a déterminé l’ouverture d’une enquête préliminaire le 21 septembre 2000 ; que l’usage des biens est nécessairement abusif lorsqu’il est fait dans un but illicite, et quel que soit l’avantage à court terme qu’il peut procurer puisque l’utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit est contraire à l’intérêt social en ce qu’elle expose la société au risque anormal de sanction pénale ou fiscale contre elle-même ou ses dirigeants, et porte atteinte à son crédit ou sa réputation ; qu’il apparaît clairement que Louis X… a commis le délit d’abus de biens sociaux en réglant à la société Launet, représentée par Michel Y… son PDG, deux factures datées du 30 novembre 1987 d’un montant total de 1 019 960 francs, sans aucune contrepartie autre que celle de minorer les impôts sur la société et surtout de renforcer ses liens personnels et amicaux avec ce dernier ; que les investigations démontrent l’absence de cause du versement et les incohérences dans les explications des deux hommes, alors, de surcroît, que Louis X… avait, dans ses premières auditions, reconnu les faits d’une façon particulièrement claire et précise ; qu’on comprend mal que Louis X… , PDG de la société Télécoise, ait effectué le versement d’une somme d’argent si importante (au vu du chiffre d’affaires) par anticipation auprès de la SA Launet en 1987 sans jamais solliciter l’exécution des chantiers prévus ; qu’en outre, Michel Y… ne peut valablement soutenir sa négligence pour expliquer le fait qu’il n’avait pas remboursé cette somme ; qu’il invoque ainsi avoir conservé ces fonds sans s’en préoccuper et que Télécoise avait abandonné les prestations ; que par ailleurs, Louis X… avait expliqué devant les policiers, avant de revenir sur ses déclarations, que deux fausses factures avaient été émises par la SA Launet pour justifier le paiement de somme litigieuse ;
qu’il soutenait également que ce versement était un moyen d’obtenir plus facilement des marchés publics en raison de l’influence de Michel Y… auprès des élus locaux ; qu’il précisait de surcroît comment il versait des liquidités auprès d’élus de la localité ;
« alors que, la prescription de l’action publique du chef d’abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ; qu’en l’espèce Louis X… avait fait valoir que les factures litigieuses n’avaient fait l’objet d’aucune dissimulation comptable et que la société Télécoise avait tenu régulièrement ses assemblées générales approuvant les comptes de la société depuis 1987 ;
qu’en affirmant que la comptabilité de la société Télécoise ayant été présentée par Louis X… à l’occasion de l’exercice 1987 de telle sorte que les membres de l’assemblée générale n’aient pu percevoir la fraude poursuivie et que la prescription n’avait pu courir qu’à partir du moment où ces faits avaient été mis à jour par Nicole A…, sans préciser en quoi aurait constitué la dissimulation qui aurait ainsi retardé le point de départ de la prescription, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que la société Télécoise, dont Louis X… était le président, a, le 30 novembre 1987, payé à la société Launay, dirigée par Michel Y…, le montant de deux factures non causées d’un montant total de 1 019 960 francs, afin de renforcer les liens personnels et amicaux l’unissant à ce dernier ; que, pour écarter l’argumentation de Louis X…, qui se prévalait de la prescription de l’action publique en soutenant que les paiements incriminés figuraient dans les comptes de l’exercice 1987 régulièrement approuvés par l’assemblée générale des actionnaires, la Cour prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que les comptes annuels présentés aux associés dissimulaient des opérations fictives, étayées par des fausses factures, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Louis X…, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Louis X… coupable de tentative d’escroquerie et d’abus de biens sociaux ;
« alors que la théorie de la peine justifiée est contraire aux règles du procès équitable et des principes de légalité et proportionnalité des peines ;
d’où il suit que le bien fondé des critiques précédemment proposées, quand bien même elles n’atteindraient pas tous les chefs d’infractions reprochées à Louis X…, devrait entraîner la cassation de l’arrêt dans son entier en ce qui concerne le demandeur, sauf à méconnaître les textes susvisés » ;
Attendu que le moyen, qui ne critique aucune disposition de l’arrêt attaqué ne peut qu’être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Michel Y…, pris de la violation de l’article 321-1 du Code pénal ;
« en ce que l’arrêt attaqué a condamné Michel Y… du chef de recel d’abus de biens sociaux à la peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis ;
« alors que la cassation de l’arrêt sur l’infraction préalable d’abus de biens sociaux, sur le pourvoi formé par Louis X…, entraînera par voie de conséquence la cassation sur le recel d’abus de biens sociaux » ;
Attendu que, le pourvoi de Louis X… devant être rejeté, le moyen est devenu sans objet ;
Sur le second moyen de cassation, proposé pour Michel Y…, pris de la violation des articles 121-1 et 321-1 du Code pénal, 425 et 437 de la loi du 24 juillet 1966, ensemble l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions, violation des droits de la défense et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a condamné Michel Y… du chef de recel d’abus d’abus de biens sociaux à la peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis ;
« aux motifs qu’il apparaît clairement que Louis X… a commis le délit d’abus de biens sociaux en réglant à la société Launet représentée par son PDG Michel Y… deux factures datées du 30 novembre 1987 d’un montant total de 1 019 960 francs, sans aucune contrepartie autre que celle de minorer les impôts sur la société et surtout de renforcer ses liens personnels et amicaux avec ce dernier ; que les investigations démontrent l’absence de cause du versement et les incohérences dans les explications des deux hommes, alors de surcroît que Louis X… avait, dans ses premières auditions, reconnu les faits d’une façon particulièrement claire et précise ; qu’en effet, on comprend mal que Louis X…, PDG de la société Telecoise, ait effectué le versement d’une somme d’argent si importante par anticipation auprès de la société Launet en 1987 sans jamais solliciter l’exécution des chantiers prévus ; qu’en outre Michel Y… ne peut valablement soutenir sa négligence pour expliquer le fait qu’il n’avait pas remboursé cette somme ; qu’il invoque ainsi avoir conservé ces fonds « sans s’en préoccuper » et que Telecoise avait « abandonné » les prestations ; que par ailleurs, Louis X… avait expliqué devant les policiers, avant de revenir sur ces déclarations, que deux fausses factures avaient été émises par la société Launet pour justifier le paiement des sommes litigieuses ; qu’il soutenait également que ce versement était un moyen d’obtenir plus facilement des marchés publics en raison de l’influence de Michel Y… auprès des élus locaux ; qu’il précisait de surcroît comment il versait des liquidités auprès d’élus de la localité ; que les deux hommes ont donc chacun trouvé un intérêt personnel à la commission de ces faits ;
« alors que, d’une part, la cour d’appel, qui s’est bornée à faire état de déclarations faites par Louis X… devant les policiers, sur lesquelles celui-ci était revenu, au sujet du fait que le paiement litigieux aurait pu trouver sa cause dans l’existence de prétendues facilités pour l’obtention de marchés publics en raison de l’influence de Michel Y… auprès des élus locaux, sans rechercher ni caractériser aucun fait susceptible de caractériser le délit de trafic d’influence, et sans réfuter les motifs du jugement mentionnant que le trafic d’influence n’était pas établi, a sanctionné, par le truchement de recel d’abus de biens sociaux, en réalité un prétendu trafic d’influence non prouvé et non poursuivi, privant sa décision de toute base légale au regard de l’article 321-1 du Code pénal, et des articles 425 et 437 de la loi du 24 juillet 1966 ;
« et alors, d’autre part, que le seul fait de recevoir un paiement, sans aucune dissimulation, pour avance de travaux ultérieurement non réalisés, et de ne pas prendre l’initiative de les rembourser, ne caractérise ni la connaissance de l’origine délictueuse du paiement, ni l’intention de commettre un recel d’abus de biens sociaux, si bien que l’arrêt est privé de toute base légale au regard des articles 121-1 et 321-1 du Code pénal » ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Thin conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger, Dulin, Mme Desgrange, MM. Rognon, Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Soulard, Samuel, Mme Salmeron conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Finielz ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;