Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 12 décembre 1994, 94-80.155, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 12 décembre 1994, 94-80.155, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze décembre mil neuf cent quatre vingt quatorze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

– TROGER Jacques, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 17 novembre 1993, qui, pour faux et usage de faux en écriture privée et abus de biens sociaux, l’a condamné à 13 mois d’emprisonnement avec sursis, à 100 000 francs d’amende, a prononcé la privation des droits énumérés par l’article 42 du Code pénal pendant 10 ans et a statué sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 101 et 102 de la même loi, 427 et suivants du Code de procédure pénale, renversement de la charges de la preuve, violation de l’article 5 du Code pénal, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jacques Troger coupable d’abus de biens sociaux ;

« aux motifs qu’ »…hormis ses affirmations, Jacques Troger… n’a pu justifier tout au long de la procédure, d’une activité et de frais avancés au seul bénéfice de la SEMEA correspondant aux sommes perçues par lui… qu’il est établi que Jacques Troger, nonobstant ses dénégations a, en l’espèce, perçu sur le trésorerie de la SEMEA des indemnités manifestement excessives au regard de son activité effective pour le compte de cette entreprise, même si le principe d’une rémunération avait pu éventuellement être autorisé compte tenu de son statut de président de la SEMEA ;

que c’est donc à juste titre que les premiers juges…

ont maintenu Jacques Troger dans les liens de la prévention du chef d’abus de biens sociaux… » ;

« alors, d’une part, que la rémunération d’un dirigeant, autorisée dans son principe par le conseil d’administration d’une société, n’est susceptible de constituer un abus de biens sociaux que si elle est excessive au regard de la situation économique et financière de la société ;

qu’en l’espèce, le Conseil d’administration de la SEMEA ayant accordé à Jacques Troger le principe d’une rémunération calculée par référence aux indemnités perçues par les conseillers généraux, dont il n’a jamais été soutenu qu’elle ait été disproportionnée avec les ressources et la situation au demeurant prospère de la SEMEA, c’est à tort et en violation des textes susvisés que la Cour a condamné Jacques Troger pour abus de biens sociaux ;

« alors, d’autre part, que c’est au ministère public qu’il appartient, conformément aux règles qui régissent la charge de la preuve, d’établir en tous ses éléments l’infraction poursuivies ;

qu’il en résulte que les juges du fond ont renversé la charge de la preuve en déclarant le prévenu coupable d’abus de biens sociaux pour la raison qu’il « n’avait pu justifier…

d’une activité et de frais avancés au seul bénéfice de la SEMEA », lors même qu’il incombait à la poursuivante de démontrer en quoi la rémunération perçue par Jacques Troger aurait été excessive ;

« alors, subsidiairement, que lorsqu’un seul fait matériel peut recevoir plusieurs qualifications, il doit être envisagé uniquement sous sa plus haute expression pénale, qu’ainsi, les juges du fond ne pouvaient condamner Jacques Troger pour avoir perçu des indemnisations indues, sous le double fondement de l’abus de biens sociaux et de faux et usage de faux » ;

Attendu que, pour déclarer Jacques Troger, président de la société d’économie mixte SEMEA, coupable d’abus de biens sociaux, la cour d’appel, par des motifs propres et adoptés des premiers juges, relève qu’il a perçu, à titre d’indemnités et de remboursements de frais, la somme de 492 447 francs, qui, selon ses propres aveux et les déclarations de témoins, correspondaient à des prestations, pour la majorité d’entre elles, fictives et qu’ainsi, ces rémunérations étaient manifestement excessives au regard de son activité effective pour le compte de cette entreprise même si, dans leur principe, elles avaient pu être autorisées ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que l’assentiment du conseil d’administration ou de l’assemblée générale des actionnaires ne peut faire disparaître le caractère délictueux de prélèvements abusifs de fonds sociaux, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes susvisés ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 147, 150 et 151 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de faux et usage de faux en écriture privée ;

« aux motifs que « …les demandes d’indemnités qui comportaient comme la Cour l’a déjà rappelé des indications et prestations fictives, ont été en toute connaissance de cause présentées au nom du prévenu afin d’obtenir le versement de sommes indues ;

que dès lors, de tels documents falsifiés étaient manifestement de nature à causer un préjudice financier à la SEMEA… » ;

« alors, d’une part, qu’une simple « demande d’indemnités » n’étant pas susceptible de constituer un titre pour celui qui s’en prévaut, dans la mesure où elle peut toujours être soumise à justifications et à vérifications et n’a donc en soi aucun caractère probatoire, n’est pas susceptible d’être arguée de faux, contrairement à ce qu’ont admis les juges du fond en violation des textes susvisés ;

« alors, d’autre part, qu’en estimant que lesdits documents étaient « manifestement de nature à causer un préjudice financier à la SEMEA », la cour d’appel ne s’est pas suffisamment expliquée sur le point soulevé par Jacques Troger dans ces conclusions régulièrement déposées, selon lequel s’il avait perçu comme il le souhaitait une somme forfaitaire, la SEMEA aurait déboursé exactement les mêmes sommes et qu’ainsi il n’a, en toute hypothèse, pu causer aucun préjudice à cette société » ;

Attendu que, pour déclarer Jacques Troger coupable de faux et usage de faux en écriture privée au préjudice de la société SEMEA, dont il était le président, l’arrêt attaqué énonce qu’afin d’obtenir le versement d’indemnités ou le remboursement de frais, il a produit en toute connaissance de cause des « déclarations » ou « notes » comportant des indications de prestations fictives ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a, sans encourir les griefs allégués au moyen, justifié sa décision ;

Qu’en effet, constitue un faux pénalement punissablle tant au regard des articles 147 et 150 du Code pénal alors applicable que de l’article 441-1 du Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994, le fait, par une personne tenue de justifier sur le plan comptable les mouvements de fonds effectués en vertu de son mandat, de porter dans ses écritures des mentions inexactes concernant les opérations correspondantes ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le moyen relevé d’office pris de l’entrée en vigueur, le 1er mars 1994, des articles 112-1, 131-26, 441-1 et 441-10 du Code pénal ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu’aux termes de l’article 112-1, alinéa 2, du Code pénal, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que le demandeur, déclaré coupable de faux et usage de faux, a été condamné à la privation, pendant dix ans, des droits énumérés par l’article 42 du Code pénal alors applicable ;

Attendu que, si la cour d’appel n’encourt aucune censure pour avoir prononcé cette peine, il résulte de l’article 131-26 du Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 que l’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit ;

que, dès lors, conformément au principe susénoncé, la peine maximale plus douce, prévue par la loi nouvelle, doit lui être substituée ;

Par ces motifs,

ANNULE l’arrêt de la cour d’appel de Paris, 9ème chambre, en date du 17 novembre 1993, en ses seules dispositions portant condamnation de Jacques Troger à l’interdiction des droits civiques, civiles et de famille, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et vu l’article L. 131-5 du Code de l’organisation judiciaire ;

Faisant application de la règle du droit,

Vu l’article 131-26 du Code pénal ;

Dit que la peine de l’interdiction des droits civiques, civils et de famille que doit subir Jacques Troger est de cinq ans ;

Dit n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. le Gunehec président, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Gondre, Hecquard, Culié, Roman conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme Mouillard conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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