Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ Le Bureau d’Etudes Z…, domicilié …,
2°/ Mme Liliane A…, domiciliée …, agissant en qualité de représentant des créanciers de la SARL Bureau d’études Z…
3°/ M. Michel X…, domicilié 33, place Mage, 31000 Toulouse, agissant en qualité d’administrateur au redressement judiciaire de la SARL Bureau d’études Z…
en cassation d’un arrêt rendu le 4 août 1994 par la cour d’appel de Toulouse (2e chambre), au profit de M. Christian Y…, demeurant …, 31240 L’Union,
défendeur à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 29 octobre 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Gomez, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. Gomez, conseiller, les observations de Me Ryziger, avocat du Bureau d’études Z…, de Mme A… et de M. X…, ès qualités, de Me Vuitton, avocat de M. Y…, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Toulouse, 4 août 1994), que la société Bureau d’Etudes Z… (société Z…) a assigné M. Y…, son ancien salarié en lui reprochant d’avoir, après son brusque départ de la société, pour créer une société ayant le même objet social que celle à laquelle il appartenait, désorganisé cette dernière et débauché des employés ayant des postes clés et hautement qualifiés;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Z…, Mme A…, en qualité de représentant des créanciers de cette société et M. X… en qualité d’administrateur au redressement judiciaire de cette société, font grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande fondée sur la concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, d’une part, qu’elle avait fait valoir que M. Y… avait commis des actes de concurrence déloyale en constituant une société concurrente dont il était le dirigeant, employant d’anciens salariés et ayant détourné la clientèle de la société Z… dont il était toujours associé, ajoutant qu’il n’avait ni quitté la société ni cédé ses parts, et avait fait oeuvre de concurrence en sa qualité d’actionnaire de sa propre société en agissant auprès des dirigeants de celle-ci avec une hargne tatillonne, et que c’est à ce niveau de responsabilité que la cour d’appel devait analyser la concurrence déloyale dont avait fait preuve M. Y…; qu’en se contentant de relever que M. Y… n’était pas lié à la société par une clause de non-concurrence, et que la société qu’il avait créée l’avait été le 6 avril 1990 soit postérieurement à la cessation de ses fonctions de gérant, ladite société n’ayant été immatriculée que le 11 mai 1990 soit après la fin des activités salariales de M. Y… puis en déduisant qu’il est de principe que le seul fait de quitter un employeur pour créer une société concurrente ne suffit pas à fonder une action en concurrence déloyale en dehors de toute manoeuvre, pour rejeter le grief formé par elle, la cour d’appel n’a pas recherché, ainsi qu’elle y était expressément invitée, si la qualité d’associé conservée par M. Y… ne lui interdisait pas d’accomplir des actes de concurrence dans le cadre d’une autre société, qu’il avait créée a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile; alors, d’autre part, que constituent des actes de concurrence déloyale le débauchage de salariés qualifiés désorganisant l’entreprise; qu’en l’espèce elle faisait valoir que les salariés démissionnaires étaient spécialisés dans des systèmes particuliers (Catia etc) et avaient bénéficié d’une formation onéreuse pour l’utilisation des nouveaux systèmes de CAO ;
qu’en se contentant d’affirmer que les salariés dessinateurs n’étaient pas détenteurs d’un savoir-faire, qu’il n’était pas établi qu’ils avaient subi des pressions de M. Y… ou qu’ils aient violé des obligations contractuelles, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérants a justifié sa décision en ne recherchant pas s’il s’agissait d’un personnel dont la démission avait désorganisé les services où ils étaient employés, et partant l’entreprise, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et suivants du Code civil; et alors, enfin, qu’elle avait fait valoir que M. Y… avait créé une société Ecam, directement concurrente de celle dont il avait été le gérant et le salarié; que des membres qualifiés du personnel l’avaient suivi et que la société Ermo, son sous-traitant habituel, avait suivi aussi en transférant une partie de son personnel à la société Ecam, que la société Ecam a immédiatement bénéficié de la clientèle Latécoère dont M. Y… était l’interlocuteur constant avec le personnel spécialisé qui l’avait suivi, et obtenu ainsi des travaux qui auraient été normalement confiés à la société Z…; qu’ayant constaté que la société Ecam avait été créée le 6 avril 1990 à une époque où M. Y… était son salarié, que cette société a été immatriculée après la cessation de son contrat de travail, que quatre salariés l’avaient quitté pour se mettre au service de la société Ecam, la cour d’appel qui en déduit que ces départs n’avaient pas été provoqués, et qu’aucun acte déloyal ne peut être imputé à M. Y…, sans prendre en considération le fait que son sous traitant avait transféré une partie de son personnel à la société Ecam, et que cette dernière avait immédiatement dès son immatriculation bénéficié des contrats de la société Latécoère, son principal client, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil;
Mais attendu, d’une part, qu’après avoir constaté que M. Y…, associé minoritaire et gérant de la société Z… avait avisé l’assemblée générale du 13 février 1990 qu’il quittait la société, qu’il avait conservé en accord avec elle ses fonctions de gérant jusqu’au 28 février 1990, qu’il avait créé le 6 avril 1990 une société ayant le même objet social que celle dans laquelle il était auparavant employé et enfin qu’il n’était pas lié par une clause de non concurrence avec son ancien employeur, la cour d’appel qui rappelle le principe de la liberté du commerce, et ne retient aucun comportement abusif de la part de M. Y… n’avait pas à rechercher si sa qualité d’associé lui interdisait d’accomplir des actes de concurrence dans le cadre d’une autre société;
Attendu, d’autre part, que c’est en motivant sa décision que la cour d’appel retient qu’il n’est pas démontré que les anciens salariés de la société Z…, embauchés par la société Ecam créée par M. Y… étaient détenteurs d’un savoir-faire, objet d’une protection particulière et avaient violé une clause contractuelle les liant à leur ancien employeur;
Et attendu, enfin, que l’arrêt retient que la politique commerciale de la société Z… consistant en un choix délibéré d’un seul client, la société Latécoère, n’était pas imputable à M. Y… mais à l’associé majoritaire, M. Z…; que la cour d’appel, répondant aux conclusions de la société Z… qui invoquaient au titre de la concurrence déloyale des faits de création d’une société directement concurrente, de débauchage de salariés, de dénigrement et de mise en place d’une politique désastreuse, a, en rejetant le moyen tiré de ce que l’existence d’un seul client la société Latécoère, ayant eu pour effet de permettre à M. Y… de bénéficier de la clientèle de son ancien employeur, légalement justifié sa décision;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Z…, Mme A…, en qualité de représentant des créanciers de cette société et M. X… en qualité d’administrateur au redressement judiciaire de cette société, font grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande fondée sur la concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, qu’elle faisait valoir que M. Y…, dans le cadre de la société Ecam avait commencé ses activités tandis qu’il était toujours à son service, fait constitutif d’une concurrence déloyale; qu’elle produisait au débat l’annexe du bilan de la société Ecam, pour le premier exercice dont il ressortait que cet exercice qui avait duré onze mois, recouvrait la période du 1er mai 1990 au 31 mars 1991; qu’en se contentant d’affirmer nonobstant les pièces produites que la société Ecam créée le 6 avril 1990, soit postérieurement à la cessation des fonctions de gérant de M. Y… n’a été immatriculée que le 11 mai 1990, soit après la fin des activités salariales de l’intéressé intervenue le 5 mai 1990, et qu’aucun élément de la procédure ne vient corroborer les affirmations de l’appelant selon lesquelles M. Y… aurait en réalité commencé à travailler pour la nouvelle société avant le 5 mai 1990, la cour d’appel a dénaturé les documents produits dont il résultait que la société Ecam dirigée par M. Y… avait commencé son activité dès le 1er mai 1990 et a violé l’article 1134 du Code civil;
Mais attendu que c’est en appréciant hors toute dénaturation les documents produits que la cour d’appel, qui a constaté que la société Ecam, créée le 6 avril 1990, avait été immatriculée au registre du commerce le 11 mai 1990, en a déduit qu’il n’était pas démontré que M. Y… avait commencé ses activités au sein de cette société avant le 5 mai 1990; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Le Bureau d’études Z…, Mme A… et M. X…, ès qualités, aux dépens;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y…;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique , et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre mil neuf cent quatre-vingt-seize.