Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE CIVILE
GROSSES + EXPÉDITIONS
Me Estelle GARNIER
SCP LAVAL-LUEGER
SCP DESPLANQUES DEVAUCHELLE
ARRÊT du : 24 NOVEMBRE 2008
N° RG : 06 / 03060
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 14 Septembre 2006
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE
La S. A. KPMG
agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
2 bis rue de Villiers
Les Hauts de Villers
92300 LEVALLOIS PERRET
représentée par Me Estelle GARNIER, avoué à la Cour
ayant pour avocat Me Jean-Claude GOFARD du barreau de PARIS
D’UNE PART
INTIMÉS :
La SA LOGEX CENTRE LOIRE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
71 rue de la Garenne
41000 BLOIS
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP MASSOT-PARRINELLO, du barreau de PARIS
Monsieur Philippe X…
…
37000 TOURS
représenté par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP MASSOT-PARRINELLO, du barreau de PARIS
Maître Franck Y… de la SELARL Y…- Z…
pris en qualité de commissaire à l’exécution du plan de cession de la Société B…
SELARL Y…- Z…
…
37000 TOURS
représenté par la SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Edouard FABRE, du barreau de PARIS
Maître Francis A…
pris en sa qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société B…
…
…
37013 TOURS CEDEX
représenté par la SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Edouard FABRE, du barreau de PARIS
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL EN DATE DU 15 Novembre 2006
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 29 septembre 2008
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Monsieur Bernard BUREAU, Président de Chambre,
Madame Marie-Brigitte NOLLET, Conseiller,
Madame Elisabeth HOURS, Conseiller.
Greffier :
Madame Anne-Chantal PELLÉ, Greffier lors des débats.
DÉBATS :
A l’audience publique du 13 OCTOBRE 2008, à laquelle ont été entendus Monsieur Bernard BUREAU, Président de Chambre, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 24 NOVEMBRE 2008 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
La société anonyme B…, qui avait pour activité principale l’achat et la revente de céréales, de produits phytosanitaires, d’engrais et de produits du sol, était dirigée par Jacques B…, P. D. G, ; l’épouse de celui-ci et leur fils Pierre étaient administrateurs et directeurs généraux ;
La société B…, qui disposait en interne d’un comptable salarié, avait pour expert-comptable la société K. P. M. G. et comme commissaire aux comptes la société LOGEX représentée par Philippe X….
A partir de 1998, la société B…, aux prises avec des difficultés financières, a eu recours à des crédits bancaires et des crédits fournisseurs ; fin 2001, Jacques B… a cherché à céder ses parts sociales et demanda la désignation d’un administrateur ad hoc qui fut désigné en la personne de Me Y… ;
Un projet de cession à la société SOBRA fut envisagé sur la base des comptes sociaux, le bilan clos au 31 mai 2001 faisant apparaître une situation nette positive de 1. 898. 533 francs et une perte nette de 1. 531. 656 francs ;
Le projet de cession a échoué car il était subordonné à la présentation d’un état comptable au 15 janvier 2002 ; cet état comptable allait, en fait, révéler que les pertes d’exploitation étaient de l’ordre de dix millions de francs et le passif net de neuf millions de francs ;
La société B… a déposé son bilan le 25 janvier 2002 ; le Tribunal de commerce de TOURS a ouvert, le 29 janvier 2002, une procédure de redressement judiciaire ;
Une nouvelle décision du Tribunal de commerce de TOURS, du 09 avril 2002, a arrêté un plan de cession au profit de la société SOBRA-STOMATRA en désignant Me Y… comme commissaire à l’exécution du plan ;
Avant même que ce plan de cession n’intervienne, le juge commissaire avait ordonné, dans le cadre de l’article L. 621-8 du code de commerce, un contrôle de gestion du redressement judiciaire et une expertise portant, notamment, sur l’examen de la régularité et la sincérité de la comptabilité de la société B… ;
Le rapport déposé par le cabinet FIDULOR ayant démontré l’existence de nombreuses irrégularités et fraudes, Me Y… ès qualités et Me A… ès qualités de représentant des créanciers, ont assigné la société K. P. M. G., la société LOGEX et Philippe X… en responsabilité et en indemnisation ;
Par jugement du 14 septembre 2006, le Tribunal de Grande Instance de TOURS a, notamment, :
déclaré recevable l’action dirigée contre Philippe X… et refusé sa mise hors de cause ;
déclaré recevable l’action contre la société LOGEX et Philippe X… pour les exercices clos les 31 mai 1998 et 31 mai 1999 ;
débouté la société LOGEX et Philippe X… de leur demande d’annulation du rapport du cabinet FIDULOR ;
déclaré ce rapport opposable aux défendeurs ;
condamné, in solidum, la société K. P. M. G., la société LOGEX et Philippe X… à payer à Me Y… et Me A…, ès qualités, la somme de 1. 500. 000 à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation des intérêts ;
condamné, in solidum, la société K. P. M. G., la société LOGEX et Philippe X… à payer à Me Y… et Me A…, ès qualités, la somme de 8. 000 d’indemnité de procédure ;
Vu les conclusions récapitulatives :
– du 02 septembre 2008, pour la société K. P. M. G., appelante ;
– du 29 septembre 2008, pour la société LOGEX et Philippe X…, appelants ;
– du 24 septembre 2008, pour Me Y… et Me A… ès qualités ;
auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et demandes ;
Au soutien de son appel, la société K. P. M. G. rappelle que le cabinet FIDULOR, saisi par le juge commissaire dans le cadre de l’article L. 621-8 du code de commerce, a outrepassé sa mission en portant un jugement de valeur sur la tenue de la comptabilité alors qu’elle n’était pas saisie sur ce point, qu’elle ne disposait ni de la lettre de mission, ni des dossiers de travail du comptable ; l’appelante estime donc que le rapport du cabinet FIDULOR est non fiable et que, surtout, il lui est totalement inopposable ; elle ajoute que sa responsabilité ne peut être examinée qu’à l’aune de la lettre de mission qui lui avait été confiée et qui limitait son rôle à la présentation des comptes annuels sur la base de la comptabilité tenue par la société B… et des données que lui confiait celle-ci ; qu’elle n’était donc chargée de vérifier que la cohérence et la vraisemblance des comptes et non leur sincérité ce qui relève du rôle du commissaire aux comptes ; elle ajoute que la cohérence et la vraisemblance de ces comptes étaient parfaitement avérées, aux dires mêmes du cabinet FIDULOR, puisque les manoeuvres frauduleuses des dirigeants de la société B… étaient très habiles et préservaient les apparences ;
Reprenant les griefs qui lui sont reprochés, la société K. P. M. G. estime que la vérification des stocks, qui se sont révélés fictifs, ne lui incombait pas contractuellement et que cela rentre dans la mission légale du commissaire aux comptes qui dispose de moyens d’investigation qu’elle n’a pas ; elle ajoute, sur ce point, que les stocks étaient apparemment cohérents et que l’O. N. I. C. ne s’est pas aperçue, non plus, de l’irrégularité des stocks de céréales ;
La société K. P. M. G. affirme ensuite qu’elle n’avait pas pour mission de s’interroger sur les mouvements des comptes et, notamment, de se livrer à des recherches sur d’éventuelles ventes fictives comptabilisées ; elle relève qu’elle aurait dû, pour les établir, interroger les agriculteurs, ce qu’a été obligé de faire le cabinet FIDULOR dans un contexte différent ;
Pour les traites escomptées par les banques alors qu’elles ne reposaient sur aucune opération de vente, l’appelante fait valoir que, selon les termes des relations contractuelles qui la liaient avec la société B…, celle-ci se chargeait de la gestion, des factures et des avoirs ; elle ajoute que le chiffre est moindre que celui retenu par le cabinet FIDULOR et que, compte tenu de la complicité des céréaliers, la fraude n’était pas décelable ;
Elle considère que la société B… est seule responsable des fausses factures qui sont si peu nombreuses (six au total) qu’un simple sondage aurait été inefficace pour les découvrir ;
Relativement au préjudice invoqué, la société K. P. M. G. fait valoir que le point de départ de celui-ci ne saurait être fixé au 31 mai 1998 alors que la date de cessation des paiements a été fixée par le Tribunal au 30 juin 2001 ; elle conteste encore le montant de ce préjudice en s’interrogeant sur la manière dont les actifs de la société B… et des époux B…, qui se sont vu étendre la procédure collective, ont été réalisés et elle fait valoir que l’intégralité de l’insuffisance d’actif ne saurait lui être imputée en s’étonnant même que les créances de Jacques B… au titre de son compte courant, des banques, de la S. C. I. GAMBETTA et des céréaliers, qui ont tous une responsabilité dans le creusement du passif, aient été admises ; elle ajoute, enfin, que son contrat avec la société B… contenait une clause de limitation de responsabilité à 150. 000 et que cette clause doit recevoir application ; qu’enfin, aucune solidarité ne doit être prononcée avec la société LOGEX et Philippe X… ;
La société LOGEX et Philippe X… estiment que le cabinet FIDULOR a enfreint les règles professionnelles d’indépendance et d’impartialité exigées puisque sa mission de gestion en faisait l’assistante et le conseil de Me Y… et qu’un de ses salariés a travaillé pour Me A… ; que, dans le cadre de son expertise, il a outrepassé sa mission et, dès lors, son rapport doit être annulé ou, pour le moins, déclaré inopposable aux appelants ; ils considèrent que Philippe X… n’est intervenu qu’en qualité de représentant de la société LOGEX et qu’il doit donc être personnellement mis hors de cause ; ils ajoutent que l’action de Me Y… et de Me A… ès qualités est partiellement prescrite en application des dispositions de l’article L. 822-18 du code de commerce et qu’aucune prorogation de délai ne peut leur être opposée car ils ne se sont livrés à aucune dissimulation ;
Ils rappellent le cadre de la mission légale du commissaire aux comptes et estiment avoir parfaitement rempli leur obligation de moyens étant précisé qu’il leur est interdit de s’immiscer dans la gestion de la société et qu’ils n’avaient pas, dans le cadre réglementaire de l’époque, à rechercher de façon systématique les fraudes ; ils font valoir que la société B… disposait d’un expert-comptable en la personne de la société K. P. M. G. et que, de ce fait, la société LOGEX avait obtenu l’autorisation de ne consacrer qu’un nombre d’heures limité au contrôle de la société B… ;
La société LOGEX et Philippe X… se fondent sur le rapport qu’ils ont demandé à l’expert C… pour contester la teneur du rapport du cabinet FIDULOR et soutenir qu’ils n’ont pas commis de faute ; ils rappellent que C… relève que l’écart entre les comptes collectifs et les comptes individuels n’était pas significatif pour mettre à jour les fraudes ; que les fausses factures étaient peu nombreuses et n’avaient qu’un impact minime ; que, d’ailleurs, le cabinet FIDULOR manque de preuves réelles sur ces factures ;
Ils affirment avoir effectué les circularisations nécessaires auprès des tiers et rappellent qu’en 1994, une première circularisation auprès des agriculteurs avait donné lieu à peu de réponses dans la mesure où ils étaient complices ; ils font valoir qu’ils ont mis en oeuvre des contrôles alternatifs ainsi que préconisé par les règles de leur profession ce qui a abouti au contrôle de 90 % des comptes clients qui n’ont révélé que deux anomalies régulièrement dénoncées ;
Ils soutiennent qu’il ne peut leur être reproché de s’être contenté du contrôle des soldes alors qu’ils n’avaient pas à vérifier les flux, ni les mouvements intermédiaires ;
La société LOGEX et Philippe X… replacent aussi leur mission dans le cadre de l’activité de la société B… et font valoir qu’il appartenait à l’O. N. I. C. de vérifier la tenue des registres obligatoires et la teneur des stocks ; ils considèrent qu’il ne peut leur être reproché leur absence de contrôle physique de ces stocks alors que la société B… disposait de cinq sites différents et qu’elle mélangeait les céréales achetées par elle et celles qui étaient données en dépôt par les clients ; ils ajoutent que, de toutes façons, les stocks de céréales étaient minoritaires par rapport aux stocks d’approvisionnement qui, eux, étaient parfaitement contrôlés par les commissaires aux comptes et sur lesquels le cabinet FIDULOR n’a pas trouvé d’anomalies ;
Enfin, la société LOGEX et Philippe X… contestent le lien de causalité entre le préjudice invoqué et d’éventuelles fautes de leur part en rappelant qu’ils ne sauraient être tenus pour responsables d’une insuffisance d’actif en relation avec la complicité des banques, des agriculteurs et des céréaliers dont les créances doivent être écartées, comme celle de Jacques B…, de l’assiette de calcul du préjudice ; ils considèrent que, nonobstant les fraudes relevées, le dépôt de bilan était inéluctable pour la société B… et qu’il ne peut leur être imputé autre chose qu’une éventuelle aggravation du passif mais pas à compter du 31 mai 1998 puisque, à cette date, la situation de la société pouvait être redressée ;
Me A… ès qualités de représentant des créanciers et Me Y… ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de cession demandent la confirmation du jugement sur le principe de la responsabilité des appelants mais sa réformation sur la limitation du préjudice ; ils rappellent que le cadre de l’expertise du cabinet FIDULOR est différent de celui d’une expertise judiciaire, que le rapport du cabinet FIDULOR n’a donc pas à être contradictoire et peut être invoqué comme tout autre élément de preuve admissible dans le cadre du litige en responsabilité au cours duquel les appelants ont eu tout le loisir de le critiquer ; ils ajoutent que ce rapport n’est pas le seul élément de preuve apporté par eux puisqu’ils se fondent aussi sur de nombreuses pièces et les aveux des dirigeants de la société B… devant le Tribunal de commerce ; ils rappellent que l’expert-comptable a le devoir de vérifier les comptes qu’on lui demande de présenter et qu’ici la société K. P. M. G. a enfreint ses obligations contractuelles et les règles professionnelles ; qu’elle n’a vérifié, en effet, ni l’inventaire physique des stocks de céréales, ni la sincérité des traites affectées à des opérations fictives, qu’elle a relevé un écart important entre le compte général et les comptes individuels sans en tirer aucune conséquence et s’est contentée des déclarations données par la société B… sur les défaillances du logiciel ATHYS alors que ce logiciel était dévoyé de sa fonction et utilisé pour masquer la nature réelle des opérations ; ils ajoutent que la société K. P. M. G. ne peut leur opposer la clause limitative de responsabilité car l’action qu’ils engagent au nom des créanciers, qui sont des tiers au contrat, est de nature quasi délictuelle et non contractuelle ;
A l’encontre de la société LOGEX et de Philippe X…, Me Y… et Me A… font valoir que Philippe X… ne peut être mis hors de cause car il a signé les rapports de certification et il est légalement responsable de son intervention personnelle selon les règles de la profession et la jurisprudence constante ; ils ajoutent que la société LOGEX et Philippe X… ne peuvent leur opposer la prescription partielle de l’action car ils ont certifié les comptes après avoir constaté un écart de masse significatif entre le compte général et les comptes individuels et se sont ainsi livrés à des dissimulations qui les empêchent de se prévaloir de la prescription ; que le délai de prescription ne peut donc courir que de la date du dépôt du rapport du cabinet FIDULOR ; ils font valoir que la société LOGEX et Philippe X… n’ont pas rempli leur mission légale car après avoir défini trois postes à risques : les stocks, le compte fournisseur et le compte client, ils ne se sont livrés à aucune investigation sérieuse qui leur aurait permis de découvrir les nombreuses irrégularités comptables de la société B… ; qu’ainsi ils n’ont pas vérifié les procédures internes de la société et l’utilisation du logiciel ATHYS ; qu’ils n’ont pas recherché l’origine des écarts de masse importants rappelés ci-dessus ; qu’ils ne se sont pas étonnés de l’existence de fausses factures d’un montant important passées en écritures sous la rubrique » opérations diverses » ; qu’ils n’ont fait aucune circularisation auprès des céréaliers ni mis en oeuvre aucune procédure alternative pour ces derniers qui sont de gros négociants tenant une comptabilité et non de simples agriculteurs ; qu’ils n’ont pas vérifié la tenue des registres légaux et n’ont fait aucun contrôle des stocks physiques alors qu’il s’agissait d’un compte à risque ; qu’enfin, ils ont négligé l’indice important que constituait la suppression de la garantie de L’O. N. I. C. pour la campagne 2000-2001 ;
Les intimés estiment que leurs adversaires doivent supporter l’intégralité de l’insuffisance d’actif car ils considèrent que, dès la fin de l’exercice clos au 31 mai 1998, la société B… était en état virtuel de cessation de paiements et que si la société K. P. M. G. et les commissaires aux comptes avaient rempli leurs missions et dénoncé les irrégularités comptables, les créanciers n’auraient pas été trompés sur la santé financière de l’entreprise et auraient cessé leurs concours ; ils rappellent à cet égard qu’ils représentent l’intérêt collectif des créanciers et non tel ou tel de ceux-ci et qu’il est fait un procès d’intention aux banques et aux agriculteurs qui sont les victimes des fraudes et non les complices ; ils ajoutent que, depuis le jugement, l’insuffisance d’actif, qui s’élève à 4. 115. 429, 89 , peut être arrêtée définitivement puisque la liquidation des époux B…, eux-mêmes en situation obérée, n’a pas permis de recouvrer des sommes significatives et que la liquidation des actifs de la société n’a pas permis de combler le passif ;
En dernier lieu, Me A… ès qualités, dont la mission est terminée, demande à être mis hors de cause ;
SUR QUOI LA COUR :
1°) SUR LA RECEVABILITÉ DE L’ACTION A L’ENCONTRE DE PHILIPPE X… :
Attendu qu’aux termes de l’article 69 du décret du 12 août 1969, tout rapport ou tout document émanant d’une société de commissaires aux comptes dans l’exercice de sa mission légale doit comporter, indépendamment de la signature sociale, la signature de celui ou de ceux des commissaires aux comptes associés, actionnaires ou dirigeants de cette société qui ont participé à l’établissement de ce rapport ou de ce document ; qu’il résulte encore de l’article 174 du même texte que, nonobstant l’obligation d’assurance de responsabilité civile pesant sur la société de commissaires aux comptes, chaque associé ou actionnaire de la société doit contracter personnellement une assurance distincte de celle de la société ;
Attendu que les sociétés de commissaires aux comptes ne peuvent, en vertu du texte précité, oeuvrer que par l’intermédiaire de leurs membres qui doivent être, eux-mêmes, commissaires aux comptes ;
Attendu qu’il s’évince nécessairement de ces dispositions que le législateur a clairement voulu personnaliser les obligations légales pesant sur les commissaires aux comptes et responsabiliser le signataire des rapports de certification en permettant d’engager sa responsabilité propre en même temps que celle de la personne morale dont il est l’associé ou l’actionnaire ; que dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a estimé que l’action dirigée contre Philippe X… à titre personnel était recevable puisqu’il a été le signataire des rapports de certification controversés ;
2°) SUR LA PRESCRIPTION :
Attendu que la société LOGEX et Philippe X… invoquent les dispositions de l’article L. 225-242 (dans sa numérotation de l’époque), qui renvoie à l’article L. 225-254 du code de commerce, pour estimer que l’action serait prescrite pour leurs diligences relatives aux exercices clos au 31 mai 1998 et 31 mai 1999 ;
Mais attendu qu’il résulte du dernier de ces textes que le délai de prescription de trois ans ne court qu’à compter de la révélation du fait dommageable s’il a été dissimulé ;
Attendu que, selon une jurisprudence bien établie, constitue une dissimulation la volonté, pour le commissaire aux comptes, de cacher des faits dont il a eu connaissance par la certification des comptes ;
Or attendu qu’il résulte des propres documents de travail de la société LOGEX et de Philippe X… que le commissaire aux comptes a relevé pour l’année 1998 : » un écart entre balance auxiliaire et balance générale (idem N-1) et un écart important en masses » ; que ces mêmes écarts étaient relevés à la fois sur les comptes fournisseurs et les comptes clients ; que, pour ces derniers, la société LOGEX et Philippe X… mentionnaient » importantes anomalies de masses » et par ailleurs » évolution très importante de factures à établir » ; que, pour l’exercice 1999, des mentions analogues étaient portées sur les documents de travail ; que ces anomalies étaient, par ailleurs, confirmées par les propres notes de travail de la société K. P. M. G. ;
Attendu qu’ayant eu connaissance de ces nombreuses anomalies, reportées, de surcroît, d’année en année, les commissaires aux comptes auraient dû refuser la certification ou, pour le moins, émettre des réserves motivées ; qu’au lieu de cela, leurs rapports, pour les exercices considérés, ont toujours certifié les comptes et n’ont formulé aucune réserve significative ; que la société LOGEX et Philippe X… ont donc dissimulé les irrégularités dont ils avaient connaissance et, dès lors, ne peuvent invoquer la prescription de l’action ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
3°) SUR LA NULLITÉ OU L’INOPPOSABILITÉ DU RAPPORT FIDULOR :
Attendu que la mission d’expertise confiée par le juge commissaire au cabinet FIDULOR en application des dispositions de l’article L. 621-8 du code de commerce n’est pas soumise aux règles édictées par les articles 155 et 232 du code de procédure civile et le moyen tiré d’une violation de ces règles et de celles fixées par les articles 237 et 238 du code de procédure civile est inopérant ; que, de même, le fait que le juge commissaire ait aussi donné au cabinet FIDULOR une mission de contrôle de gestion n’est pas de nature à nuire à l’indépendance du technicien puisque les missions sont strictement séparées et que l’expertise ne porte, par hypothèse, que sur la gestion passée de la société ; que les allégations de la société LOGEX et de Philippe X… sur les rapports d’intérêt ou de concurrence entre sociétés d’experts-comptables ou de commissaires aux comptes et le cabinet FIDULOR ne sont pas suffisantes, en l’absence de faits précis de nature à porter le discrédit sur l’impartialité de l’expert, pour remettre en cause l’honnêteté du rapport ;
Attendu qu’il a été vu que l’expertise ordonnée dans le cadre de l’article L. 621-8 du code de commerce ne constitue pas une expertise au sens des dispositions du code de procédure civile ; qu’il n’en reste pas moins que le rapport établi dans ce cadre peut servir de fondement à une action en responsabilité contre des tiers et être admis, à titre de preuve, comme tout autre élément admissible (attestation, constat d’huissier, etc.) même s’il ne présente pas les garanties attachées à une expertise judiciaire ; qu’il est cependant nécessaire que ce rapport ait été régulièrement communiqué en temps utile aux parties et que celles-ci aient pu présenter leurs moyens de défense ce qui est le cas en l’espèce puisque la société K. P. M. G., la société LOGEX et Philippe X… ne se privent pas de contester les termes du rapport du cabinet FIDULOR qui, d’ailleurs, ne lient nullement la juridiction ; que la société LOGEX et Philippe X…, notamment, ont obtenu un contre-rapport officieux d’un autre expert, William C…, qui, en termes de preuve, présente autant de valeur que le rapport FIDULOR ; que, dès lors, les moyens tirés de l’inopposabilité de ce dernier seront rejetés et ce, d’autant plus, que ce rapport ne constitue pas le seul élément sur lequel Maître Y… ès qualités, fonde sa demande ;
Attendu que le cabinet FIDULOR avait pour mission, notamment, dans le cadre de l’expertise, » d’examiner la régularité et la sincérité de la comptabilité » ; que, dès lors, même si le cabinet FIDULOR a cru bon de rédiger toute une partie sur la responsabilité de l’expert-comptable et du commissaire aux comptes de la société B…, il ne saurait être fait grief à l’expert d’avoir sur ce point outrepassé sa mission puisque l’examen de la régularité et de la sincérité de la comptabilité devait l’amener nécessairement à porter un jugement de valeur sur le travail accompli par les professionnels du chiffre en présence des nombreuses irrégularités constatées ;
Attendu que les autres critiques formées par les appelants contre le rapport cabinet FIDULOR relèvent du fond et seront examinés ci-après ; qu’il peut cependant, déjà être évoqué le grief général formulé par la société K. P. M. G. qui reproche au cabinet FIDULOR de s’être prononcé sans avoir eu connaissance de la lettre de mission qui détermine l’étendue de ses obligations contractuelles envers la société B… et sans avoir eu connaissance aussi de ses dossiers de travail ;
Attendu que ces critiques sont avérées ; que le cabinet FIDULOR a toujours admis n’avoir pas eu ces documents en sa possession au moment de son expertise ; que cela, cependant, n’est pas de nature à jeter un discrédit total sur le contenu du rapport et il appartient à la Cour d’apprécier la responsabilité de la société K. P. M. G. au regard de ses obligations contractuelles et des règles de sa profession en écartant, le cas échéant, les griefs retenus par l’expert si, à la lumière de ces éléments, ils ne lui apparaissent pas fondés ;
Attendu qu’il convient aussi, avant d’entrer dans le détail des faits, de constater que ni la société K. P. M. G. ni la société LOGEX et Philippe X… ne contestent formellement les irrégularités comptables commises par la société B… même si, ces derniers, avec leur conseil technique C…, relèvent que, sur certains points (notamment la consistance des stocks), les éléments de preuve font défaut puisque le cabinet FIDULOR a relevé que la société B… avait détruit des pièces qui eussent été utiles pour la démonstration ; qu’en présence de ces irrégularités avérées et reconnues par les dirigeants de la société B… devant le Tribunal de commerce, les appelants soutiennent qu’ils n’ont pas failli à leurs obligations contractuelles (la société K. P. M. G.) ou légales (la société LOGEX et Philippe X…) ;
4°) SUR LA RESPONSABILITÉ DE LA SOCIÉTÉ K. P. M. G.
Attendu que la société K. P. M. G. avait reçu, de la société B…, le 31 mai 1994, une mission de présentation des comptes annuels selon les normes générales et spécifiques de l’Ordre des Experts Comptables ; que la lettre de mission précise qu’elle s’appuie sur une prise de connaissance de l’entreprise, un examen analytique des chiffres clefs de l’entreprise et des rapprochements par épreuves des pièces justificatives et des enregistrements comptables ;
Que la lettre de mission précise encore les limites de celle-ci qui n’est pas un audit et ne comprend pas :
* la vérification des existants en espèces ou en valeur détenus par le client,
*la vérification matérielle de l’existence des matières premières et marchandises, de l’avancement des travaux et produits en cours et l’appréciation de la qualité de stocks et en-cours ;
* la confirmation directe d’information auprès de tiers (clients, fournisseurs, banques, état, avocats, etc.)
Attendu que, pour la société K. P. M. G., sa mission se limitait à établir les déclarations fiscales et les bilans, sur la base de la comptabilité tenue par l’entreprise et à présenter des comptes tenus par la société B… sous sa seule responsabilité en s’assurant que ces comptes présentaient une apparence de cohérence et de vraisemblance ;
Mais attendu que l’expert comptable investi d’une telle mission ne saurait se limiter à un rôle de scribe pour la simple collecte des éléments fournis par l’entreprise et la mise en forme de la présentation finale de ces comptes ; que si l’on se réfère au guide méthodologique rédigé par le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables, la mission de présentation des comptes est une mission d’opinion justifiant de la part du professionnel du chiffre la manifestation d’un certain esprit critique sur les éléments qui lui sont fournis ; qu’on peut notamment lire dans ce document que si la mission s’applique sur des comptes déjà établis par l’entreprise cliente, l’expert comptable doit mener les diligences nécessaires pour exprimer son opinion sur les comptes qui lui sont présentés ; que la deuxième phase de la mission telle qu’elle est normalisée par le document cité consiste en des travaux de contrôle qui nécessitent qu’il s’intéresse, notamment, à l’outil informatique utilisé et à la régularité formelle des comptes ; que la phase de contrôle se termine par un examen critique ;
Or attendu qu’il résulte des propres documents de travail de la société K. P. M. G. que cette dernière avait relevé d’importants écarts de masse et des divergences entre les comptes auxiliaires et le compte général de l’entreprise ; qu’ainsi on peut lire sur les fiches de travail
* du 23 juin 1998 sur le compte clients : » l’anomalie de solde existe comme les exercices antérieurs ; par contre, importante anomalie de masses comme pour les fournisseurs » et sur le compte fournisseurs » rapprochement non satisfaisant, comme les exercices précédents il existe un écart de solde, cependant les écarts de masses sont anormalement importants et anormaux »
*du 24 juin 1999 : sur le compte clients » écart en solde de 3154, 80 frs, important écart en masses » et sur le compte fournisseur » écart de masses anormalement élevé (idem en n-1) »
* du 17 juillet 2000 : » écart entre gestion commerciale ATHYS et balances comptables « ,
*du 13 décembre 2000 » cohérence OK cette année entre ATHYS et la compta ; néanmoins, dans le détail, la répartition des comptes clients et fournisseurs est totalement erronée / ATHYS » ;
Attendu que dans sa fiche de travail du 27 juin 2000, la société K. P. M. G. concluait même » contrôle non satisfaisant, la comptabilisation n’est sans doute pas fidèle à l’arrêté des opérations » ;
Attendu qu’il est ainsi démontré que la société K. P. M. G. qui a relevé d’importantes distorsions, plusieurs années durant sur ces comptes, n’a jamais fait la moindre observation lors de la présentation des comptes annuels et n’a pas relevé les incohérences qu’elle dénonçait pourtant dans ses fiches de travail ; que, de même, alors que ces mentions sont, le plus souvent assorties de la mention » signalé à M. D… « , la société K. P. M. G. ne s’est nullement souciée de la régularisation des comptes et de la recherche de la source de ces écarts par le comptable de la société B…, qui se trouvait être la cheville ouvrière des irrégularités constatées ;
Attendu que les mentions portées sur les fiches de travail de la société K. P. M. G. telles que citées ci-dessus relèvent à différentes reprises les distorsions entre les comptes et les écritures résultant de l’utilisation du logiciel ATHYS ; qu’il résulte des éléments du dossier que la société K. P. M. G. s’est contentée, sans se poser de questions, des explications fournies par D… et ne s’est pas interrogée sur le fonctionnement et l’utilisation faite du logiciel ATHYS qui s’est révélé être dévoyé de son usage normal et utilisé, notamment, pour obtenir un gonflement artificiel des stocks donnant ainsi une fausse idée des actifs sociaux ; qu’ici encore, une faute peut être retenue contre l’expert-comptable qui devait s’intéresser de près à l’outil informatique utilisé par la société B… ;
Attendu que les manquements contractuels de la société K. P. M. G. à ce titre sont d’autant plus avérés qu’elle avait, outr