Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier février deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller PALISSE, les observations de Me SPINOSI et de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Philippe
– Y… Martin,
contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 22 mars 2004, qui a condamné, le premier, pour abus de confiance à 15 mois d’emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d’amende, le second, pour recel d’abus de confiance, à 15 mois d’emprisonnement avec sursis, 80 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I – Sur la recevabilité du pourvoi de Martin Y… ;
Attendu que ce pourvoi, formé le 1er avril 2004, plus de cinq jours francs après le prononcé de l’arrêt contradictoire, est irrecevable comme tardif en application de l’article 568 du Code de procédure pénale ;
II – Sur le pourvoi de Philippe X… ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 510, 591, 592 et 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce qu’il résulte des mentions de l’arrêt selon lesquelles la cour d’appel était composée » lors des débats « , de Mme Beauquis, président, M. Morel et Mme Filippini, conseillers, » et lors du délibéré et au prononcé de l’arrêt « , de Monsieur Morel, conseiller, » désigné pour présider cette chambre, qui a donné lecture et en a signé la minute, en raison de l’empêchement de Mme Beauquis, président, en application des articles 485 et 486 du Code de procédure pénale « , qu’un seul magistrat, M. Morel, a délibéré » ;
Attendu que les mentions de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que les mêmes magistrats ont participé aux débats et au délibéré et que l’arrêt a été lu par l’un deux, en application de l’article 485 du Code de procédure pénale ;
Que, dès lors, le moyen manque en fait ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris ayant déclaré le prévenu coupable d’abus de confiance ;
« aux motifs que » les premiers juges ont à juste titre relevé que Philippe X… avait reconnu devant les enquêteurs de la commission des opérations de bourse avoir passé des ordres pour Martin Y… dès l’ouverture de son compte en agissant comme simple transmetteur d’ordre, puis avoir, durant le mois d’août 1994, à la demande de Martin Y… qui était parti en voyage, eu l’initiative des ordres passés auprès de GSD Gestion pour le compte de Martin Y… ; s’il est revenu sur ses déclarations devant le juge d’instruction, en alléguant des pressions exercées à son encontre lors de son interrogatoire par la commission des opérations de bourse, les déclarations de M. Z…, associé de GSD Gestion, reconnaissant que pendant le mois d’août 1994, Philippe X… passait des ordres à la fois pour Martin Y… et pour le Fonds Benchmark 2 et qu’il détenait pour ce faire une procuration signé par Martin Y…, confortent les premiers aveux de Philippe X… et les constatations nombreuses et convergentes de la commission des opérations de bourse et de l’expert judiciaire ; que, Martin Y…, contestant les conclusions de la commission des opérations de bourse et de l’expertise judiciaire, a soutenu au cours de l’information avoir lui-même passé ses ordres qu’il transmettait à GSD Gestion ; qu’il a reconnu avoir signé en avril 1994, au moment de l’ouverture de son compte, une procuration » en blanc « , mais dont il n’avait su, qu’en septembre 1994, qu’elle avait été remplie au nom de Philippe X… ; qu’il a admis, toutefois, avoir demandé, de manière exceptionnelle, à ce dernier, de passer des ordres pour lui lorsqu’il n’arrivait pas à joindre GSD ; mais les dénégations des prévenus ne sont étayées d’aucun élément de preuve pertinent de nature à remettre en cause les conclusions circonstanciées de l’expertise judiciaire ; que, Martin Y… a sollicité l’annulation de l’expertise et une contre-expertise ; que ses demandes ont été rejetées par une ordonnance du juge d’instruction, confirmée par un arrêt de la chambre d’accusation, devenu définitif après le rejet du pourvoi en cassation de Martin Y… ; que, la Cour observe qu’aucun enregistrement des ordres n’est produit aux débats, Philippe X… se bornant à indiquer que durant la période visée à la prévention, ce moyen de contrôle, institué par les autorités de marché, et qu’il lui appartenait, en sa qualité de directeur de la salle des marchés, de mettre en place, n’avait pas fonctionné au sein de la société Rochefort Finances ; que les bordereaux horodatés de passation des ordres, également prévus par la réglementation, n’ont pas davantage été produits ;
que, pour les motifs ci-dessus exposés et ceux pertinents des premiers juges, il est établi que Philippe X… a, parallèlement à la gestion du fonds Benchmark 2, et à l’insu de ses employeurs, initié ou transmis des ordres pour Martin Y…, et fait en sorte de le favoriser au détriment de Benchmark 2 ; pour ce faire, il s’est servi des moyens mis à sa disposition par ses employeurs :
matériels informatiques, données boursières, volume représenté par le Fonds Benchmark 2 ; qu’il a utilisé le même circuit d’intermédiaires en passant des ordres simultanés sur les deux comptes et en procédant à des affectations tardives d’opérations ; qu’en mettant à profit ses fonctions au sein de Rochefort Finances et Rochefort Gestion pour gérer de manière occulte des transactions pour le compte de Martin Y… et pour attribuer à ce compte des opérations gagnantes qui auraient dû bénéficier au Fonds Commun de Placement dont son employeur était le dépositaire et qu’il avait reçu mission de gérer, Philippe X… s’est rendu coupable du délit d’abus de confiance au préjudice de son employeur, visé à la prévention ; qu’il est constant que Martin Y… a été le bénéficiaire des détournements commis par Philippe X… ; que, compte tenu des liens personnels existant entre les deux prévenus, du procédé de fraude utilisé qui impliquait une collusion entre eux et de la profession de Martin Y…, la connaissance par celui-ci de l’origine frauduleuse des gains importants enregistrés sur son compte, et aussitôt débités, est certaine ; que Martin Y… sera retenu dans les liens de la prévention » ;
« alors que la cour d’appel, qui relevait que plusieurs intermédiaires financiers étaient intervenus dans le traitement des opérations litigieuses, ne pouvait fonder la culpabilité du prévenu sur l’affectation tardive de ces opérations, sans rechercher s’il avait réellement le pouvoir de retarder les affectations litigieuses ou si celles-ci n’étaient pas, comme il l’avait fait valoir dans ces écritures, le fait d’autres intermédiaires financiers » ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 214-20 du Code monétaire et financier, 2, 509, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris ayant reçu la constitution de partie civile de la Caisse centrale de réassurance venant aux droits de la société Rochefort Finances et a condamné le prévenu à lui payer la somme de 678 245 euros ;
« aux motifs que « Philippe X… conclut à l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la Caisse centrale de réassurance, au motif que seule la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel des organismes de mutualité (CPM), propriétaire des sommes gérées par le fonds Benchmark 2, a qualité pour se constituer partie civile ; que, Martin Y… conclut également à l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la Caisse Centrale de réassurance en faisant valoir qu’une transaction globale et définitive intervenue entre la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel des organismes de mutualité, et la société Rochefort Finances, le 8 novembre 1995, aux termes de laquelle la société Rochefort Finances a indemnisé la Caisse centrale de prévoyance et de retraite à concurrence de 38,9 millions de francs, a éteint définitivement le contentieux entre ces parties, et qu’aucune quittance subrogative n’ayant été établie au profit de la société Rochefort Finances, la Caisse centrale de réassurance n’a pu, par l’effet de la fusion intervenue postérieurement le 29 octobre 1996, être cessionnaire d’un quelconque droit à réparation fondé sur les infractions reprochées aux deux prévenus ; qu’il sollicite la condamnation de la partie civile au versement d’une somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 472 du Code de procédure pénale ; que, la Caisse centrale de réassurance, agissant pour le compte de la société Rochefort Finances qu’elle a absorbée conformément au traité de fusion du 29 octobre 1996, et du fait de cette fusion, pour le compte de la société Rochefort Gestion dont l’actionnaire unique était la société Rochefort Finances et dont la liquidation a été clôturée par l’assemblée générale ordinaire du 30 septembre 1996, sollicite la confirmation du jugement et la condamnation des prévenus à lui payer la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ; que, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, la Caisse centrale de réassurance est recevable à se constituer partie civile, dès lors, d’une part, que, par le traité de fusion, l’ensemble des éléments d’actif et de passif composant le patrimoine de la société Rochefort Finances lui ont été transmis, le passif comportant, notamment, un poste » provisions pour risques et charges » d’un montant de 46 508 106 francs, et que, d’autre part, la société Rochefort Finances, dépositaire du Fonds Benchmark 2, a subi un préjudice direct du fait que les gains résultant des ordres passés par son préposé Philippe X…, n’ont pas été affectés par lui sur le compte du Fonds, mais ont été détournés au profit de Martin Y… ; que, la transaction intervenue le 8 novembre 1995, dont les termes ne permettent pas, au demeurant, de connaître la cause de l’indemnité versée à la Caisse de prévoyance et de retraite, ne saurait dispenser les auteurs de l’infraction, de réparer le préjudice qui en découle ;
que, les premiers juges ayant exactement évalué, en se fondant sur l’expertise judiciaire, le préjudice direct et personnel subi par la partie civile, la Cour confirmera sur ce point le jugement » ;
« alors que, d’une part, les juges, tenus de statuer dans les limites des conclusions des parties, ne peuvent, sans excès de pouvoir, modifier d’office la cause ou l’objet des demandes qui leur sont soumises ;
qu’en l’espèce, la partie civile faisait valoir que son préjudice résultait du paiement d’une indemnité transactionnelle à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel des organismes de mutualité ;
qu’en retenant que la Caisse centrale de réassurance venant aux droits de la société Rochefort Finances aurait subi un préjudice direct du fait que des gains n’auraient pas été affectés sur le compte du Fonds Benchmark 2, la cour d’appel a modifié la cause et l’objet de la demande qui lui était soumise et, partant, a excédé ses pouvoirs ;
« alors que, d’autre part, le fait que des gains n’aient pas été affectés sur le compte du Fonds commun de placement ne pouvait personnellement préjudicier qu’à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel des organismes de mutualité, investisseur unique dans le fonds et en aucun cas à la Caisse centrale de réassurance, simple dépositaire, qui, à ce titre, n’avait ni vocation à bénéficier de ces gains prétendument détournés ni, en conséquence, un intérêt suffisant pour se constituer partie civile » ;
Attendu que, pour déclarer la partie civile recevable à demander la réparation du préjudice résultant des détournements opérés par son préposé, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en cet état, et dès lors que la Caisse centrale de réassurance venant aux droits de Rochefort Finances, en sa qualité de détentrice des fonds détournés par son préposé, est fondée à invoquer un préjudice direct dont elle doit être dédommagée ; les juges, qui n’ont pas exédé leurs pouvoirs, ont justifié leur décision ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 475-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a condamné Philippe X… à payer à la partie civile » la somme supplémentaire de 7 500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel » ;
« aux motifs qu’ » au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, il est justifié d’allouer à la partie civile la somme supplémentaire de 1 500 euros, soit 7 500 euros pour chacun des prévenus » ;
« alors que le tribunal avait, sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, condamné le prévenu à payer à la partie civile la somme de 750 euros ; que, la cour d’appel, qui a considéré qu’il était justifié d’allouer à la partie civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, » la somme supplémentaire de 1 500 euros » ne pouvait, sans vicier son arrêt d’une contradiction de motifs, préciser qu’il était justifié d’allouer à la partie civile la somme de » 7 500 euros « , la somme supplémentaire de 1 500 euros accordée par la cour d’appel au titre des frais exposés en cause d’appel ne pouvant porter qu’à 2 250 euros les sommes devant être allouées à la partie civile ;
« alors que, ce faisant, la cour d’appel a en outre entaché sa décision d’une contradiction entre ses motifs et son dispositif en condamnant le prévenu, après avoir retenu qu’il était justifié d’allouer à la partie civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, » la somme supplémentaire de 1 500 euros « , à payer à celle-ci » la somme supplémentaire de 7 500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel » ;
Attendu que la contradiction invoquée relève d’une difficulté d’exécution et de la procédure prévue aux articles 710 et 711 du Code de procédure pénale ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs,
I – Sur le pourvoi de Martin Y… :
LE DECLARE IRRECEVABLE ;
II – Sur le pourvoi de Philippe X… ;
LE REJETTE ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Philippe X… et Martin Y… devront payer chacun à la Caisse centrale de réassurance en application de l’article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Palisse conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;