Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu que, selon un acte établi par la société Fidal, M. X… a cédé à la SA X…, dont il était le dirigeant, pour le prix de 3 000 000 francs, le fonds de commerce, jusqu’alors donné en gérance libre à la société, qu’il avait acquis de la succession de son père, après licitation, au prix de 160 000 francs, cinq années plus tôt ; qu’il a souscrit une déclaration fiscale mentionnant que la plus-value réalisée bénéficiait de l’exonération prévue par les dispositions de l’article 151 septies du code général des impôts ; qu’ayant fait l’objet d’un important redressement fiscal, il l’a vainement contesté, avec l’assistance du cabinet Fidal, devant les juridictions administratives ; qu’il a alors recherché la responsabilité civile professionnelle de la société d’avocats en lui reprochant, d’une part, un manquement à son obligation de conseil sur les incidences fiscales de la cession du fonds de commerce et, d’autre part, un pareil manquement quant au coût des majorations encourues du fait du contentieux administratif et quant au délai de pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat ;
Sur le second moyen, tel qu’il figure au mémoire en demande et est annexé au présent arrêt :
Attendu que l’arrêt juge souverainement que, le délai de pourvoi ayant été porté à la connaissance de M. X… par la notification effectuée par le greffe de la juridiction administrative, celui-ci, qui n’invoquait que la carence de l’avocat sur ce point, n’avait subi aucun préjudice ; que le moyen n’est pas fondé ;
Mais, sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches :
Vu les articles 1147 et 1315 du code civil ;
Attendu que pour débouter M. X… de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la société Fidal à son obligation contractuelle de conseil et d’information lors de la cession du fonds de commerce, l’arrêt retient que les parties sont en désaccord sur la mission donnée au cabinet d’avocats, que cette mission avait pour seul but la rédaction de l’acte de cession et n’englobait pas d’autre suivi que les formalités consécutives à cet acte, que le client de la Fidal était la société Etablissements X…, que M. X…, dont les juridictions administratives avaient souligné la mauvaise foi, ne rapportait pas la preuve d’avoir consulté le cabinet Fidal sur la question de la plus-value et que, chef d’entreprise habitué aux chiffres, il ne pouvait ignorer ni avoir réalisé une très forte plus-value ni l’imposition qui devait en résulter ;
Qu’en se déterminant ainsi, alors que le rédacteur d’acte, tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée et les incidences, notamment fiscales, des engagements souscrits de part et d’autre, peu important que son concours ait été sollicité par l’une d’elles, doit rapporter la preuve qu’il a rempli cette obligation à leur égard, quelles que soient leurs compétences personnelles, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a débouté M. X… de son action en responsabilité dirigée contre la SELAFA Fidal et fondée sur un manquement de celle-ci à son obligation d’information et de conseil lors de la cession du fonds de commerce, l’arrêt rendu le 1er décembre 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne la société Fidal aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Fidal ; la condamne à payer à M. X… la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyens produits par la SCP Tiffreau, avocat aux Conseils, pour M. X….
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Monsieur Jean-Pierre X… de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la part de la Société FIDAL à son obligation contractuelle de conseil et d’information lors de la cession du fonds de commerce ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la cession du fonds et la plus-value ; l’appelant, dans la partie rappel des faits de ses écritures, affirme qu’il n’est pas contesté que pendant la période concernée, la Société d’avocats FIDAL conseillait Monsieur Jean-Pierre X… aussi bien en sa qualité de dirigeant de la Sarl Etablissements X… qu’à titre personnel dans les domaines juridiques et fiscaux ; qu’ayant subi un redressement fiscal, il en déduit qu’il a été mal conseillé, ce qui constituerait une faute entraînant réparation ; que cette faute aurait été reconnue par l’avocat ; qu’ainsi il soutient que le cabinet d’avocats FIDAL aurait été son conseil permanent, de façon générale, aussi bien pour sa société que pour lui-même, aussi bien pour les questions juridiques que pour les questions fiscales ; qu’il considère ce postulat comme établi parce qu’il n’est pas contesté ; que contrairement à cette affirmation, la lecture des conclusions de la Société FIDAL démontre qu’elle dément être intervenue à un autre titre qu’en qualité de rédacteur des actes de cession ; qu’elle « conteste formellement avoir conseillé à Monsieur X… d’avoir opté pour une franchise d’imposition des plus-values par application de l’article 151 septies du Code général des impôts » ; qu’en effet elle affirme n’avoir été saisie que « en qualité de rédacteur des actes de cession et non en qualité de conseiller fiscal de Monsieur X… » et affirme avoir facturé sa prestation en ce sens ; que par ailleurs, elle accuse l’appelant de détourner volontairement ses propos en faisant croire qu’elle aurait reconnu sa responsabilité alors qu’au contraire son courrier du 11 mai 2004 indique « le cabinet FIDAL ne saurait être responsable du redressement fiscal » ; que la Cour constate que contrairement à l’affirmation du demandeur, il n’existe pas d’accord sur la mission donnée par lui à son avocat ; que la seule preuve qu’il apporte de l’étendue de cette mission consiste en une facture du 16 septembre 1991 à Sté X… faisant suite à un courrier du 14 mai 1991 de cet avocat adressé à « Etablissements X… à l’attention de Monsieur Jean-Pierre X… » ; que dans ce courrier, la Société FIDAL rappelle sa mission qui est de « préparer la cession à votre société du fonds de commerce que vous lui louez actuellement » au prix déjà convenu entre vendeur et acquéreur de trois millions de francs ; que ce courrier fixe les honoraires et les frais prévus de greffe, de publicité et de timbres fiscaux ; qu’il calcule également les droits de mutation à 397.400 F sur la base du prix de cession convenu de 3.000.000 F ; quant à la facture, elle porte en objet « préparation et réalisation des documents relatifs à l’acquisition par la Société du fonds de commerce précédemment exploité dans le cadre d’un contrat de location gérance ; formalités consécutives » ; que la Cour considère qu’il n’existe aucune équivoque : cette mission, préparatoire à la cession, avait pour seul but la rédaction de l’acte de cession pour un montant déjà convenu, sa publicité et le paiement des droits de mutation ; qu’elle n’englobait pas d’autre suivi que les formalités consécutives à cet acte ; que le client n’était pas Jean-Pierre X…, personne physique vendeur, mais la société anonyme des Etablissements X…, personne morale distincte et acquéreur ; que d’ailleurs il n’était pas possible, comme le fait justement valoir l’intimée, qu’une facture payée par la société acquéreur rémunère une prestation destinée à la personne physique de son vendeur, fût-il son actionnaire principal ; que ne rapportant pas la preuve d’avoir consulté le cabinet FIDAL sur cette question de la plus-value, l’appelant ne prouve pas qu’une faute particulière a été commise sur le sujet et notamment ne prouve pas que cet avocat lui avait suggéré d’appliquer l’article 151 septies CGI ; que le premier juge, après avoir suivi le même raisonnement, a cependant considéré qu’en ne veillant pas à l’information de Jean-Pierre X… sur les incidences fiscales de la cession du fonds de commerce, la Société FIDAL avait manqué à son devoir général de conseil ; que la Cour ne partage pas cette analyse ; qu’ainsi que plus haut étudié, le client de la société FIDAL n’était pas Jean-Pierre X… mais son entreprise, société anonyme personne morale distincte, et l’acte juridique examiné était une cession de fonds de commerce de l’un à l’autre ; qu’il pesait sur l’avocat une obligation générale de conseil dans le cadre de cet acte ; que la sécurité juridique de l’opération, revendiquée par l’appelant, concernait l’acquisition du fonds de commerce par la société et non la continuation par le précédent propriétaire de la dissimulation du loyer réel, que le montant du prix de cession pourrait indirectement révéler en déclenchant un éventuel contrôle fiscal ; que par ailleurs, la preuve d’aucune faute particulière de la société FIDAL ne ressort des décisions statuant sur le redressement ; qu’en effet, le tribunal administratif a rejeté le recours à cause de « la persistance d’un comportement ayant pour but de tenter d’éluder l’impôt preuve de la mauvaise foi du contribuable » ; et la Cour administrative, se fondant sur le montant anormalement bas de la redevance et les paiements en nature au profit du chef d’entreprise, a considéré comme démontrée « la volonté du contribuable d’éluder l’impôt et son absence de bonne foi » ; qu’or la société d’avocat était étrangère à la fixation du prix de la redevance de location-gérance et du prix de cession, éléments pris en compte pour le redressement fiscal ; qu’enfin le courrier du 30 mars 1999 par lequel la Société FIDAL déclare « si toutes les voies de recours épuisées il en résultait des conséquences dommageables pour vous-même relativement à ce contentieux, notre société en assumerait naturellement les conséquences financières qui s’imposent » ne vaut pas reconnaissance de responsabilité, parce que, quelques lignes plus haut, est insérée la précaution de rappel, « l’intervention de l’assurance nécessite l’existence d’une responsabilité avérée et définitive » et parce qu’à cette date, le litige fiscal n’était pas terminé ; que de plus par courrier du 11 mai 2004, cette société d’avocats a écrit à l’appelant « l’intervention de notre assurance suppose une responsabilité avérée qui n’apparaît donc pas en l’espèce » ; que de façon superfétatoire, Jean-Pierre X…, chef d’entreprise habitué aux chiffres, ne pouvait ignorer qu’il réalisait une très forte plus-value en vendant pour 3.000.000 FF ce qu’il avait acheté 160.000 FF cinq ans auparavant ; qu’il ne prétend pas avoir davantage ignoré que le système français taxe les plus-values ; qu’en conséquence il ne pouvait ignorer et ne le soutient pas, que la question de l’imposition de cette plus-value allait se poser ; qu’il était inutile de l’informer de cette évidence ; quant aux mécanisme précis qui aurait éventuellement pu éviter ou diminuer cette imposition ; il ressortissait à une consultation de droit fiscal qu’il n’a pas sollicitée ; qu’en conséquence, par infirmation, la Société FIDAL ne sera pas déclarée fautive et responsable, ne serait-ce que pour partie, du redressement fiscal. »
ALORS QUE 1°) le devoir d’information de l’avocat spécialisé en matière fiscale, ne se limite pas à la rédaction d’un acte de cession de fonds de commerce mais s’étend à toutes les conséquences juridiques et fiscales de cette cession ; qu’en disant que l’obligation de la Société FIDAL, avocat spécialiste des règles fiscales, se limitait à la rédaction de l’acte de cession du moment qu’aucune consultation précise ne lui avait été demandée en matière fiscale, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil
ALORS QUE 2°) il appartient à l’avocat de démontrer qu’il a fourni à son client les conseils nécessaires pour servir ses intérêts, ce dans tous les aspects juridiques et fiscaux liés à l’opération confiée ; qu’en disant que Monsieur X… « ne rapportait pas la preuve d’avoir consulté le cabinet FIDAL sur cette question de la plus-value, l’appelant ne prouve pas qu’une faute particulière a été commise à ce sujet, et notamment ne prouve pas que cet avocat lui avait suggéré d’appliquer l’article 151 septies CGI », quand il appartenait au contraire à la Société FIDAL, spécialiste de droit fiscal, de prouver qu’elle avait donné un conseil suffisant pour servir les intérêts de son client, en ce compris l’existence d’une imposition sur la plus-value, la Cour d’appel a violé l’article 1315 du Code civil
ALORS QUE 3°) lorsqu’il est l’unique rédacteur d’un acte, l’avocat est tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de conseiller l’ensemble des parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d’autre, peu important que la demande de rédaction de l’acte n’ait été faite que par une seule des parties ; qu’en disant que seule la Société ETABLISSEMENTS X… était cliente et devait donc bénéficier des conseils juridiques et fiscaux de la Société FIDAL quand il est acquis que l’acte de cession devait être établi au bénéfice non seulement de cette société mais encore de Monsieur Jean-Pierre X…, cédant, par ailleurs seul interlocuteur de la Société FIDAL puisqu’il était également président de la Société ETABLISSEMENTS X…, la Cour d’appel a violé ensemble l’article 1147 du Code civil et l’article 7.2 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat
ALORS QUE 4°) le devoir de conseil est dû par l’avocat quelles que soient la compétence et l’information dont dispose par ailleurs son client ; qu’en disant le contraire, la Cour d’appel a derechef violé l’article 1147 du Code civil ;
ALORS QUE 5°) aux termes de son courrier du 30 mars 1999, la Société FIDAL avait précisé à Monsieur Jean-Pierre X… que « Comme convenu lors de notre réunion du 26 mars ( ) je vous confirme bien volontiers que la Société FIDAL est assurée pour les conséquences dommageables des actes commis par ses avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, comme je vous l’ai indiqué, l’intervention de l’assurance nécessite l’existence d’une responsabilité avérée et définitive. Or comme vous avez pu le constater, si le tribunal administratif vous a condamné en prenant une décision diamétralement opposée aux conclusions du commissaire du gouvernement, les voies de recours demeurent ouvertes, à savoir Cour Administrative d’appel et Conseil d’Etat. Nous avons pris bonne note ( ) de votre volonté de faire appel de cette décision et vous remercions de la confiance que vous nous témoignez en nous confiant cette mission. ( ) Enfin, si toutes les voies de recours épuisées, il en résultait des conséquences dommageables pour vous-même relativement à ce contentieux, notre société en assumerait définitivement les conséquences financières qui s’imposent. Espérant vous avoir apporté tout apaisement ( ) » d’où il ressortait clairement, de manière univoque et sans interprétation possible que la seule condition posée désormais à la responsabilité de la Société FIDAL et à l’indemnisation corrélative de Monsieur X… était une issue défavorable de la procédure contentieuse engagée devant les juridictions administratives ; qu’en disant cependant que ce courrier ne valait pas reconnaissance de responsabilité malgré l’issue défavorable de ce litige, la Cour d’appel a dénaturé les termes dudit courrier en violation de l’article 1134 du Code civil
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Monsieur Jean-Pierre X… de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la part de la Société FIDAL à son obligation contractuelle de conseil et d’information concernant l’absence d’information sur le délai du pourvoi en cassation ;
AUX MOTIFS QUE « En ce qui concerne l’absence d’information sur le délai de pourvoi en cassation, reprochée par l’appelant à l’intimée, la Cour reprend le même raisonnement que plus haut ; le client affirmant que son avocat ne l’a pas informé du délai, cet avocat n’en rapportant pas la preuve, sa carence dans la preuve de l’information nécessaire doit être constatée ; mais cette carence était en l’espèce sans incidence puisque le délai avait été porté à sa connaissance par la notification administrative ; qu’il n’a donc existé aucun préjudice et il n’y a pas lieu à dommages-intérêts »
ALORS QUE la mission d’assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et, notamment, de lui rendre compte de la décision rendue en lui fournissant un avis motivé sur l’éventualité d’un recours et en lui en précisant les modalités ; que l’absence d’information par l’avocat à son client d’un délai de recours engage nécessairement la responsabilité de l’avocat, sans que les notifications administratives puissent pallier sa défaillance ; qu’en disant que malgré l’inexécution de son obligation d’information sur les délais de recours par la Société FIDAL, il n’y avait aucun préjudice subi par Monsieur X… en raison de la notification administrative qui lui avait été adressée, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil.