Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
I – Sur le pourvoi n S 94-42.872 formé par la société Paravision International, dont le siège est …, défenderesse au pourvoi n U 94-42.966 ;
II – Sur le pourvoi n U 94-42.966 formé par Mme Laure Y…, demeurant …, défenderesse au pourvoi n S 94-42.872 ;
en cassation d’un arrêt rendu le 27 avril 1994 par la cour d’appel de Paris (22ème chambre, section A),
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 11 juillet 1995, où étaient présents : M. Lecante, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Carmet, conseiller rapporteur, M. Brissier, conseiller, Mme Brouard, conseiller référendaire, M. Kessous, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Carmet, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Paravision International, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mlle Y…, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n S 94-42.872 et U 94-42.966 ;
Attendu que Mme Y… a été engagée le 18 mars 1986 par la société compagnie d’entreprise et de gestion ;
qu’elle a eu la qualité de chef des services administratifs et financiers, puis celle de secrétaire générale ;
qu’en mai 1988 la société CDG a changé d’actionnariat la totalité de ses actions ayant été acquise par la société Paravision ;
que le 29 août 1988 la situation de Mme Y… aurait fait l’objet d’un avenant à son contrat de travail selon lequel son nouveau titre était celui de « directeur des comptables et adjoint à la direction financière, cadre supérieur », l’indemnité de licenciement à laquelle elle pourrait prétendre serait calculée sur une ancienneté de 17 ans en 1988 et enfin elle aurait droit à un préavis de 10 mois et n’aurait à en effectuer que trois ;
qu’après le licenciement de Mme Y…, intervenu le 9 juillet 1990, estimant que ce document avait été fabriqué après coup, la société Paravision a déposé une plainte pour faux, usage de faux et escroquerie actuellement en cours d’instruction ;
que par arrêt du 20 octobre 1993 faisant l’objet du pourvoi n Y 93-46.485 la cour d’appel de Paris a décidé que Mme Y… n’avait pas commis de faute grave et a ordonné la réouverture des débats pour statuer sur le caractère fondé du licenciement ainsi que sur le montant des indenmités de licenciement et de préavis ;
que par l’arrêt attaqué en date du 27 avril 1994, la cour d’appel, statuant après réouverture des débats, a décidé que le licenciement procédait d’une cause réelle et sérieuse ;
que s’agissant de l’indemnité de licenciement et de préavis, elle a à nouveau sursis à statuer sur leur détermination en ce qu’elles étaient fondées sur l’avenant du 29 août 1988, jusqu’à décision définitive sur la procédure pénale mais a condamné la société à payer à la salariée sur la base d’une ancienneté de 10 ans et de la qualification d’un cadre de catégorie A, en exécution de la convention collective applicable ;
Sur le moyen unique du pourvoi n U 94-42.966 formé par la salariée :
Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ;
alors, selon le moyen, que d’une part, le manquement à l’obligation de loyauté à l’égard d’un employeur se caractérise par la dissimulation volontaire d’un fait ou d’un acte en rapport avec l’exécution du contrat de travail ou ayant une incidence sur celle-ci ;
qu’en se bornant à relever que Mme Y… aurait continué de tenir la comptabilité de son employeur à l’insu de celui-ci sans rechercher s’il s’agissait là d’une attitude volontaire ou d’une circonstance fortuite, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 122-14-3 du Code du travail ;
alors que, d’autre part, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement le manquement du salarié à l’obligation de loyauté à l’égard du seul employeur ;
qu’en se fondant sur l’existence d’un conflit entre actionnaires de la société employeur, sur les déclarations de M. X…, la sentence Leguide ou encore l’attitude de la société Ariès après le licenciement de la salariée, la cour d’appel a statué par une motivation inopérante et, partant, privé derechef sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 122-4-3 du Code du travail ;
alors qu’enfin, en énonçant que la tenue de la comptabilité de la société Ariès constituait un manquement à l’obligation de loyauté à l’égard de son employeur sans caractériser en quoi cette activité avait une incidence sur l’exécution de son contrat de travail ou sur la confiance de l’employeur, l’arrêt est dépourvu de base légale au regard de l’article L. 122-14-3 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d’appel exerçant le pouvoir d’appréciation qu’elle tient de l’article L. 122-14-3 du Code du travail a décidé que le licenciement procédait d’une cause réelle et sérieuse ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi n S 94-42.872 formé par l’employeur :
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné à payer à la salariée les indemnités de licenciement et de préavis calculées sur la base d’une ancienneté de 10 ans et la qualification de cadre A, ainsi que les congés payés afférents avec intérêts, au taux légal, alors, selon le moyen, que d’une part, lorsque le juge pénal est saisi de la question de la licéité du droit à l’indemnité de licenciement déduit du contrat, ce droit même envisagé sur une autre fondement reste indéterminé tant qu’il n’est pas statué sur la validité de l’indemnité contractuelle ;
que tout autre solution aboutit à un cumul potentiel et prohibé des indemnités contractuelles, légales ou conventionnelles ; qu’en l’espèce, la cour d’appel pouvait dès lors surseoir à statuer en raison de l’instance pénale concernant l’avenant tout en condamnant l’employeur sur le fondement de la convention collective ;
qu’aussi bien en refusant de surseoir à statuer sur le droit à l’indemnité quel que soit le fondement envisagé, ce dernier restant indéterminé tant que la décision pénale n’était pas rendue, la cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil et 4 du Code de procédure pénale ;
alors que d’autre part, aux termes de l’article 1150 du Code civil, le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ;
que la faute intentionnelle qui prive du bénéfice de tout droit qui pourrait résulter de l’engagement obtenu grâce à cette faute, est celle qui se caractérise par la volonté de causer un préjudice ou par une intention frauduleuse caractérisée ;
qu’en l’espèce, s’il apparaissait, à l’issue de l’instruction de la plainte pénale, que la caractère frauduleux de l’acte avéré, l’avenant du 29 août 1988 révèlerait donc l’intention frauduleuse de Mme Y… d’obtenir une indemnité à laquelle la société Paravision n’avait pas consenti ;
que cette faute lourde était par l’effet du droit commun privative du droit invoqué par son auteur, à savoir le droit à l’indemnité de licenciement ;
que dès lors, en octroyant une indemnité de licenciement à Mme Y… alors qu’un doute subsistait sur le caractère frauduleux de l’avenant qu’elle invoquait, la cour d’appel n’a pas légalement fondé sa décision au regard de l’article 1150 du Code civil ;
Mais attendu d’une part, que le licenciement de la salariée ne se fondait pas sur la faute lourde ayant consisté à avoir falsifié l’avenant litigieux ;
Attendu d’autre part, qu’en se fondant sur la convention collective applicable et non pas sur l’avenant argué de faux, la cour d’appel a procédé à une exacte appréciation des indemnités dues à Mme Y… ;
que le moyen n’est pas fondé ;
Sur la demande présentée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que l’employeur sollicite sur le fondement de ce texte l’allocation d’une somme de 15 000 francs ;
Mais attendu qu’il n’y a pas lieu d’accueillir cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
REJETTE la demande présentée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Paravision International, envers Mme Y…, aux dépens et aux frais d’exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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