Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le neuf mai mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller TACCHELLA, les observations de Me CHOUCROY et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général ROBERT ; Statuant sur le pourvoi formé par :
– Y… Dominique-
contre un arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 5° chambre, en date du 20 mai 1987 qui, pour fraude fiscale, l’a condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d’amende, qui a décidé des mesures de publication de la décision et fait droit aux demandes de l’administration des Impôts, partie civile ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le premier moyen de cassation, proposé et pris de la violation des articles 550, 551, 565 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ; » en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception de nullité de la citation ; » aux motifs que le tribunal a relevé qu’il se trouvait saisi des faits par l’ordonnance de renvoi en date du 27 décembre 1985 et que le prévenu avait pu préparer sa défense, mais que le demandeur soutient que cette ordonnance était encore moins explicite que la citation dont s’agit ; que, toutefois, l’ordonnance de renvoi du 27 décembre 1985, qui a été portée à la connaissance de l’inculpé et de son conseil, le jour même, mentionne que Y…, s’est soustrait à Louvroil en 1979, 1980 et 1981 à l’établissement et au paiement de l’impôt sur le revenu dont il était redevable, en souscrivant des déclarations mensongères minorant les revenus effectivement imposables et qu’elle vise l’article 1741 du Code général des impôts ; que la citation délivrée au prévenu, le 20 mars 1986, reproduit exactement la prévention figurant dans ladite ordonnance et qu’elle vise le même texte ; qu’il n’est pas nécessaire que les faits soient détaillés et précisés ni que les circonstances constitutives du délit soient énumérées dans la citation :
que si les faits ont été portés à la connaissance du prévenu au cours d’une information, celui-ci ne saurait prétendre que les faits n’ont pas été suffisamment précisés dans la citation et qu’il a été porté atteinte à ses droits ;
» alors que tout prévenu doit être informé d’une manière détaillée de la nature de la cause de la prévention dont il est l’objet, et doit, par suite, être mis en mesure de se défendre sur les divers chefs d’infraction qui lui sont imputés ; que doit être sanctionné par la nullité l’exploit qui méconnaît les formes prévues par les articles 550 et suivants du Code de procédure pénale et porte atteinte aux intérêts de la personne qu’il concerne ; qu’il en est ainsi lorsque, comme en l’espèce, » la partie civile (sic) » a pu avoir un doute sur l’objet et la portée de l’acte par lequel elle a été traduite devant le tribunal, l’avis d’une ordonnance de renvoi ne pouvant suppléer la carence de la citation ; qu’ainsi les droits de la défense ont été ouvertement violés » ; Attendu que Dominique Y…, domicilié alors dans le ressort du tribunal de Grasse, a été, par ordonnance du juge d’instruction en date du 27 décembre 1985, renvoyé devant le tribunal correctionnel de cette ville pour s’être à l’occasion de faits perpétrés à Louvroil (Nord), courant 1979, 1980 et 1981, frauduleusement soustrait à l’établissement et au paiement de l’impôt sur le revenu dont il était redevable en souscrivant des déclarations mensongères minorant ses revenus effectivement imposables, délit prévu et puni par l’article 1741 du Code général des impôts ; Que la citation, qui après cette ordonnance de renvoi lui a été, à la requete du Parquet, délivrée par l’huissier compétent et qui fixait la date de l’audience correctionnelle à laquelle Y… devait comparaître, a, selon l’arrêt attaqué, reproduit fidèlement l’ensemble du texte de cette ordonnance de renvoi ; Qu’en refusant d’en prononcer la nullité, invoquée par le prévenu avant tout débat au fond, et en motivant sa décision dans les termes rapportés par le moyen proposé, la cour d’appel a fait l’exacte application des articles 551 et 565 du Code de procédure pénale ; Que dès lors ce moyen ne peut qu’être écarté ; Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 du Code général des impôts, L. 85 du Livre des procédures fiscales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponses à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ; » en ce que l’arrêt attaqué a refusé de faire application de la règle non bin in idem et a déclaré le demandeur coupable de fraude fiscale ;
» aux motifs que Y… a été condamné définitivement par la Cour de Douai le 7 juin 1985, es-qualités de PDG de la société Inter Papier-Peint, à la peine de un an d’emprisonnement avec sursis et à celle de 20 000 francs d’amende ; qu’il a été déclaré coupable de s’être à Louvroil en 1979, 1980, étant PDG de la société Inter Papier-Peint, soustrait à l’établissement et au paiement de l’impôt sur les sociétés en minorant l’assiette de l’impôt dans ses déclarations et d’avoir sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures ; que la cour d’appel a constaté que cette société avait payé indûment, à la place du demandeur, d’importantes sommes ; qu’elle a constaté que ces dépenses ne figuraient pas sur le relevé 2067 concernant les frais généraux de la société ; qu’elle a évalué les » avantages particuliers non déclarés perçus par Y… à 194 955 francs et à 224 797 fancs en 1978 et 1979 ; que toutes les irrégularités reprochées à Y… résultent, non seulement, du rapport de l’administration des Impôts de Valenciennes en date du 1er février 1984, mais encore de la letre du directeur des services fiscaux des Alpes Maritimes du 28 mars 1985 adressée au juge d’instruction de Grasse ; que les sommes sujettes à l’impôt dissimulées, dont certaines constituent des avantages en nature, concernent tout aussi bien ses frais de déplacement entre Rousies et Nice, les primes de ses polices d’assurance-vie, les aménagements et les dépenses courantes de la maison de Peymeinade, les dépenses de la maison de Rousies, l’utilisation du véhicule Mercédès de la société à des fins personnelles, la pension alimentaire versée à ses enfants, le débit de son compte courant fin 1980 et les jetons de présence de 1979 ; que les minorations effectuées par Y… dans ses déclarations s’élèvent à 272 107 francs en 1979 et à 248 544 francs en 1980 et que les droits éludés seraient ainsi de 162 495 francs et de 149 118 francs selon l’Administration ; » alors qu’en vertu de la règle non bis in idem, les mêmes faits concernant la même personne ne peuvent plus ceux-ci ayant fait l’objet d’une condamnation définitive être poursuivis sous une autre qualification juridique ; qu’en l’expèce, la cour d’appel a omis de répondre aux chefs péremptoires des conclusions d’appel du demandeur invoquant l’application de cette règle propre à écarter une nouvelle condamnation » ; Attendu que s’il est vrai que les juges du second degré n’ont pas explicitement répondu à l’argumentation de Y… selon laquelle il aurait déjà été jugé pour les mêmes faits par le tribunal correctionnel d’Avesnes, puis en appel, par la Cour de Douai le 7 juin 1985, ils ont cependant implicitement rejeté l’exception soulevée ;
Que d’ailleurs, au vu des mentions de l’arrêt attaqué, la Cour de Cassation est en mesure de s’assurer que les faits de fraude fiscale et de passation d’écritures comptables irrégulières jugés à Avesnes, puis par la Cour de Douai le 7 juin 1985 étaient ceux commis au sein de la SA » Inter Papiers-Peints » et visaient l’impôt sur les sociétés dû par cette personne morale, alors que les poursuites diligentées à Grasse portaient l’impôt sur le revenu dû personnellement par Y…, en sa qualité de contribuable, personne physique ; Que dès lors, le moyen proposé ne saurait être accueilli ; Sur le troisième moyen de cassation, proposé et pris de la violation des articles 1741 du Code général des impôts, L. 227 du Livre des procédures fiscales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; » en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de fraude fiscale ; » aux motifs que les service des impôts des Alpes Maritimes n’a pas procédé à la vérification ni constaté l’infraction ; qu’il a utilisé simplement les documents communiqués par le service des impôts de Valenciennes concernant la société Inter Papier-Peint, mais que sa plainte à l’égard de Y… est régulière ; que les minorations effectuées par le demandeur dans ses déclarations s’élèvent à 272 107 francs en 1979 et à 248 544 francs en 1980, et que les droits éludés seraient ainsi de 162 495 francs et de 149 118 francs selon l’Administration ; qu’entendu par la gendarmerie le 20 juin 1983, Y… a déclaré qu’il ignorait l’existence du document N° 2067 et qu’il n’avait pu ainsi le remplir ; que sa déclaration des revenus ne mentionnait pas d’avantages en nature puisque tous les remboursements effectués par la société Inter Papier-Peint correspondaient à des dépenses professionnelles ; que seules ses dépenses personnelles étaient portées au débit de son compte courant ; que Y… en ne déclarant pas ses avantages en nature ou en omettant de déclarer d’autres sommes a donc bien commis le délit de fraude fiscale ; qu’il ne s’agit pas d’une erreur ou d’une omission involontaire ; qu’il vivait sur un grand pied aux frais de sa société dont il était pratiquement le seul actionnaire et qu’il ne pouvait ignorer qu’il avait l’obligation, notamment, de déclarer ses avantages en nature ; » alors que, d’une part, les poursuites pénales du chef de fraude fiscale et la procédure administrative tendant à la fixation de l’assiette et de l’étendue des impositions étant, par leur nature et par leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale en déduisant l’existence de dissimulation des seules évaluations de l’Administration ;
» alors, d’autre part qu’il incombe aux parties poursuivantes, ministère public et Administration, de rapporter la preuve du caractère intentionnel de la soustraction à l’établissement et au paiement des impôts ; que le seul fait que le demandeur » vivait sur un grand pied aux frais de sa société dont il était pratiquement le seul actionnaire » ne saurait laisser présumer la volonté délictueuse du prévenu ; qu’ainsi la cour d’appel a privé sa décison de base légale au regard des textes visés au moyen » ; Attendu qu’à l’examen de l’arrêt attaqué, la Cour de Cassation est en mesure de s’assurer que contrairement aux allégations du moyen, la cour d’appel, pour déclarer le prévenu coupable des faits de fraude fiscale qui lui étaient imputés à titre personnel, ne s’est pas fondée sur les résultats de la seule procédure administrative tendant à la fixation de l’assiette et de l’étendue de l’imposition dont il fut l’objet, mais sur les déclaration de Dominique Y… devant les premiers juges et en appel ; Qu’en spécifiant le montant des droits par lui éludés, dépassant largement la tolérance légale, et en énonçant que les minorations de ses déclarations fiscales ne résultaient ni » d’une omission involontaire ni d’une erreur « , la cour d’appel, sans renverser la charge de la preuve, a établi l’ensemble des éléments constitutifs tant matériels qu’intentionnel du délit dont elle a dit Dominique Y… coupable ; Que, par suite, le moyen n’est pas justifié ; Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi