Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
ARRET DU
30 Novembre 2007
N 2065 / 07
RG 07 / 00120
JUGT
Conseil de Prud’hommes de ROUBAIX
EN DATE DU
13 Juin 2005
à parties
le 30 / 11 / 07
Copies avocats
le 30 / 11 / 07
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
-Prud’Hommes-
APPELANT :
M. Maurice X…
…
17450 FOURAS
Présent et assisté de Me Bruno GAMBILLO (avocat au barreau de PARIS)
INTIMEE :
SA ACTEOS
2 / 4 Rue Duflot
59100 ROUBAIX
Représentant : Me Patricia JEANNIN (avocat au barreau de LILLE)
en présence de M. Hubert de A…, directeur général
DEBATS : à l’audience publique du 18 Octobre 2007
Tenue par B. MERICQ
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : V. DESMET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE
B. MERICQ
: PRESIDENT DE CHAMBRE
H. LIANCE
: CONSEILLER
A. COCHAUD-DOUTREUWE
: CONSEILLER
ARRET : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Novembre 2007,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du nouveau code de procédure civile, signé par B. MERICQ, Président et par A. GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA COUR,
FAITS ET PROCÉDURE /
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
1. Maurice X… a été engagé selon contrat du 7 février 2002 (outre avenant du 2 mai 2002) par la société (SA) Acteos, celle-ci exploitant une activité de développement et commercialisation de logiciels pour la logistique et le transport, pour occuper, sous statut de cadre dirigeant, le poste de directeur exploitation du groupe Acteos (soit trois sociétés : Acteos-Syspac-Cohse) ; il s’est vu en outre confier le mandat social de directeur général délégué, selon procès-verbal d’une réunion du conseil d’administration tenue le 30 avril 2002.
Il a fait l’objet d’un licenciement pour fautes graves (en substance un » comportement frauduleux » contraire aux intérêts d’Acteos » s’inscrivant dans le cadre d’un management inacceptable doublé d’une politique marketing et d’un contact client catastrophiques « ) prononcé selon lettre du 7 mai 2003, après mise à pied conservatoire décidée le 11 avril 2003.
2. Saisi sur demande formée par Maurice X…, qui contestait la légitimité de la rupture et estimait n’avoir pas été rempli de ses droits, le conseil de prud’hommes de Roubaix a, selon jugement rendu le 13 juin 2005 auquel il est entièrement fait référence pour l’exposé des données de base du procès et des prétentions et moyens respectifs des parties, débouté Maurice X… de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, la société Acteos se voyant allouer une indemnité en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Maurice X… a relevé appel de ce jugement.
3. Par ses conclusions écrites et observations orales développées à l’audience à fins d’infirmation, Maurice X… reprend et précise devant la cour l’intégralité de ses moyens et prétentions de première instance aux fins de voir dire qu’il a été victime d’un licenciement abusif, ce qui devrait lui valoir paiement des indemnités légales et conventionnelles (dont l’indemnité contractuelle de licenciement) outre dommages-intérêts selon les chiffres par lui revendiqués (dont au titre de la perte de la possibilité de levée de stocks options).
Une fois soutenu qu’il a été engagé pour redresser la société Acteos, que les griefs énoncés à la lettre du 7 mai 2003 correspondent à des éléments pour l’essentiel connus des dirigeants de l’entreprise dès fin 2002 et que l’incompétence ou l’insuffisance professionnelle ne peuvent fonder un licenciement disciplinaire, il s’explique sur les faits qui lui sont reprochés par la société Acteos, qu’il conteste en détail : spécialement il justifie son effort pour le développement commercial de l’entreprise selon des méthodes connues et approuvées par les dirigeants et dénie avoir privilégié ses intérêts ; il critique les attestations-partiales-réunies par la société Acteos et conteste les faits relatés.
4. De son côté, par ses conclusions écrites et observations orales développées à l’audience, la société Acteos sollicite la confirmation pure et simple du jugement en ce que le licenciement qu’elle a prononcé était valide, les fautes reprochées à Maurice X… étant caractérisées en leurs éléments matériels et en leur gravité intrinsèque ; elle conteste en détail tous les éléments de la thèse du salarié et insiste sur la fraude (trucage des temps de développement à l’insu des dirigeants) qu’il a mise en oeuvre en faisant prévaloir ses intérêts personnels, d’autant que son comportement à l’égard des autres collaborateurs de l’entreprise était inacceptable.
À titre subsidiaire, elle fait valoir que l’indemnité contractuelle de licenciement s’analyse comme une clause pénale dont les conséquences seraient en l’espèce excessives, que Maurice X… n’a pas subi de préjudice important en ce qu’il a retrouvé rapidement un emploi, enfin que la levée des stocks options n’aurait pu en toute hypothèse rapporter à l’intéressé le bénéfice qu’il prétend.
* * *
DISCUSSION :
1. La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l’employeur.
La charge de la preuve repose sur l’employeur-lequel au surplus doit, pour caractériser la nécessité immédiate de rompre la relation de travail, agir avec diligence dès qu’il a connaissance de la (des) faute (s) qui va (vont) fonder sa décision de licenciement.
2. Parmi les griefs énoncés à la lettre de licenciement du 7 mai 2003, la cour s’attache à celui que la société Acteos résume comme un » comportement frauduleux contraire aux intérêts d’ACTEOS » (ses conclusions p. 7).
La fraude reprochée à Maurice X… est expliquée par la société Acteos (ses conclusions p. 18 et suiv.) comme relevant d’instructions données l’intéressé d’une part au directeur de projet Logidrive Jean-Michel C…, d’autre part au directeur commercial Frédéric D… de diviser par deux (soit cumulativement par quatre) les temps de développement calculés au moment de l’étude des commandes.
Maurice X… conteste cette fraude (et faute) prétendue en ce que, explique-t-il, cette décision avait été prise dès avril 2002 et, s’inscrivant dans la politique de recherche de clients, était parfaitement connue des dirigeant opérationnels de l’entreprise-dont le P.D-G Joseph E… qui supervisait les arbitrages en matière de commandes.
3. Certes, l’argumentation de Maurice X… doit être suivie quand il explique qu’il a été engagé pour aider au redressement de l’entreprise dont la situation en 2001 était gravement en péril-ainsi :
* le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration tenue le 30 avril 2002 témoigne de ce qu’un des administrateurs, Alex F… représentant l’actionnaire ETV Beteiligungs, avait insisté dès fin 2001-et ce à l’encontre des autres dirigeants d’Acteos Joseph E… et Hubert de A…-pour l’embauche, en la personne de Maurice X…, d’un » manager de crise expérimenté pour redresser la société « ,
* des documents antérieurs révèlent les contacts déjà pris en fin 2001 entre Alex F… et Maurice X…,
* d’autres documents démontrent les importantes pertes d’exploitation subies par la société Acteos en 2001, spécialement en rapport avec des prises de commandes insuffisantes.
Cette argumentation de Maurice X… est encore convaincante quant à la politique drastique de baisse des prix en direction des clients que l’entreprise a voulu mettre en oeuvre dès 2002 (voir par exemple le compte rendu d’un comité directeur rédigé le 30 octobre 2002 par Hubert de A…-pièce X… 2-où il est écrit que la » politique commerciale » de l’entreprise impose » l’agressivité en matière de prix « ).
4. Cela posé, la société Acteos démontre tout d’abord par un e-mail que Jean-Michel C…, directeur de projet affecté au logiciel Logidrive et produit phare d’Acteos, a adressé le 23 avril 2003 à Hubert de A…, directeur général Acteos, que » Maurice m’a en effet demandé au dernier trimestre 2003 (il faut lire 2002) de diviser par deux les temps de développement » (pièce Acteos 17).
Elle démontre encore, par attestation de Frédéric D… (pièce Acteos 18), que Maurice X… a également donné instruction, lors d’un entretien individuel en septembre 2002, » de systématiquement diviser par deux le nombre de jours de développement sur les projets communiqués par Jean-Michel C… car il est » hors jeu, il prend trop de sécurité « .
Ainsi Maurice X… a-t-il donné des instructions précises à deux collaborateurs qu’il supervisait de diviser par deux (soit cumulativement par quatre) les temps de développement à inclure dans une proposition de commande.
Or la société Acteos convainc de ce que, si cette politique a permis l’obtention de commandes (voir par exemple le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration tenue le 17 octobre 2002-pièce X… 70-au cours de laquelle les administrateurs ont constaté des estimations pour le quatrième trimestre faisant état d’une croissance très forte du chiffre d’affaires), c’était au prix d’un lourd déficit sur de nombreux projets, les temps de développement de certaines commandes ayant été, dans une proportion très importante, beaucoup plus lourds que ceux envisagés et facturés (voir tableau » Suivi prestations software » pièce Acteos 25-dont les exemples Descamps, Eveil & jeux, Conexha).
Contrairement à ce que plaide Maurice X…, rien ne démontre que cette pratique précise (la division du temps de développement) aurait été décidée en commun par les responsables de l’entreprise (Joseph E…, Hubert de A… et Maurice X…) ou aurait au moins été connue des dirigeants principaux Joseph E… et Hubert de A….
5. Rien ne démontre suffisamment que cette pratique aurait été connue des dirigeants de l’entreprise (Joseph E… et Hubert de A…) avant avril 2003 : au contraire, des e-mails (pièce Acteos 17) échangés en avril 2003 entre Jean-Michel C… et Joseph E… ou Hubert de A… révèlent que les dirigeants de l’entreprise n’ont eu connaissance du problème et de son ampleur qu’en avril 2003… alors qu’auparavant ils avaient pu être trompés par les résultats économiques apparemment bons obtenus par Maurice X… sur la fin d’année 2002.
D’autre part, loin de relever d’une simple erreur de gestion, elle caractérise une faute en ce qu’elle a abouti à ce que Joseph E…, qui faisait les arbitrages définitifs quant aux commandes et aux budgets, prenne ses décisions d’entreprise sur la base d’information gravement erronées.
Le fait que Maurice X… a pu agir ainsi mû plutôt par la volonté d’obtenir à toute force un » redémarrage commercial par le biais d’une offre mieux adaptée au marché, notamment en termes de fonctionnalités et de prix » (conclusions X… p. 6) que par le désir d’assurer ses intérêts pécuniaires personnels au détriment de l’avenir de l’entreprise n’ôte rien du caractère fautif de cette pratique mise en oeuvre à l’insu des dirigeants principaux de la société Acteos et dans des conditions préjudiciables à l’entreprise.
6. Pour répondre plus complètement à l’argumentation de Maurice X…, il sera observé que l’e-mail que l’administrateur Alex F… a adressé le 22 avril 2003 au P.D-G Joseph E… pour s’étonner voire se plaindre du licenciement en cours de Maurice X… (pièce X… 8) a été plus tard démenti par le même Alex F…, se disant mieux informé des conditions dans lesquelles Maurice X… avait apparemment obtenu le redressement de la société Acteos (pièce Acteos 46).
7. Un autre grief énoncé à la lettre de licenciement et relatif à l’ » attitude déloyale à l’égard de M. de A… » est démontré par les pièces du dossier Acteos, des attestations révélant qu’en plusieurs occasions, devant d’autres collaborateurs de l’entreprise, Maurice X… a dénigré Hubert de A… pour lui imputer la responsabilité de la situation déficitaire de la société Acteos voire annoncer publiquement son licenciement à venir (voir par exemple attestation de Frédéric D…-pièce Acteos 18).
Il s’avère ainsi qu’à un période clé pour la société Acteos, alors qu’un plan drastique d’économies, y compris avec des répercussions défavorables au personnel, était mis en oeuvre pour pallier la situation de l’entreprise en péril, Maurice X… a, dans des réunions ouvertes, émis des critiques précises à l’égard des membres de l’équipe dirigeante, dont l’autre directeur général qu’était Hubert de A…, laissant entendre qu’il allait être licencié ; de telles critiques, émises par un cadre dirigeant, excédaient l’usage pur et simple de la liberté d’expression de tout citoyen en ce qu’elles portaient atteinte à la cohésion de l’équipe dirigeante, à la confiance qui pouvait lui être accordée et à la crédibilité de l’entreprise elle-même.
Elle méconnaissait en outre la charte de fonctionnement de la direction du groupe.
8. Ces fautes combinées telles qu’elles ont été caractérisées supra ont justifié la décision de licenciement prise par l’entreprise en ce que la société Acteos ne pouvait, en présence d’un collaborateur aussi incertain voire déloyal dans la conduite de sa politique commerciale, poursuivre la relation de travail même pendant la durée du préavis sans risque de compromettre ses intérêts légitimes.
9. En l’état de ces considérations, la cour retient que les griefs ci-dessus analysé sont établis et tous imputables à Maurice X… en personne sans qu’il puisse exciper d’un accord de sa direction ou des nécessités de redressement de l’entreprise ; le licenciement a dès lors à raison été opéré pour faute grave.
Il s’en déduit notamment que l’indemnité contractuelle de rupture, stipulée » en cas de licenciement hors faute grave « , ou les stock-options, dont les droits ne pouvaient être exercés en cas de licenciement pour faute grave (voir contrat de travail articles 14 et 22), ne sont pas dus.
10. Les éléments de la cause justifient l’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur de la société Acteos, à hauteur de 1. 500,00 pour l’instance d’appel.
* * *
PAR CES MOTIFS :
-confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
ET, Y AJOUTANT :
-condamne Maurice X… à payer à la société Acteos la somme de 1. 500,00 (mille cinq cent euros), pour l’instance d’appel, en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
-condamne Maurice X… aux dépens de l’instance d’appel.