Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 25 janvier 2006, 05-83.863, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 25 janvier 2006, 05-83.863, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq janvier deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de Me ROUVIERE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MOUTON ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

– X… Alain,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 3 mai 2005 qui, pour abus de biens sociaux et banqueroute, l’a condamné à 4 mois d’emprisonnement avec sursis ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 du Code pénal, L. 242-6-3 et L. 242-30 du Code de commerce, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Alain X… coupable d’avoir, entre le 1er janvier 1992 et le 15 janvier 1994, fait de mauvaise foi des biens ou des crédits de la société Sibam Menuiserie un usage contraire à l’intérêt de celle-ci pour favoriser les intérêts de la société Groupe CM en accroissant de façon non justifiée le montant des avances faites par la société Sibam Menuiserie au Groupe CM et en ne rémunérant pas les comptes depuis 1991 et, en répression, l’a condamné à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis ;

« aux motifs que le premier acte interruptif de la prescription triennale remonte au 15 février 1996, date à laquelle le procureur de la République a transmis le rapport Y… aux services de gendarmerie pour enquête ; qu’en matière d’abus de biens sociaux, sauf dissimulation, le point de départ de la prescription est fixé au jour où les comptes sociaux sont présentés aux associés ; qu’au 15 février 1993, le bilan de l’exercice clos le 31 décembre 1992 n’avait pas encore été arrêté ni présenté à l’assemblée générale ordinaire, qu’il s’ensuit que la juridiction peut examiner les comptes de la période commençant le 1er janvier 1992 ;

« que, sur les abus de biens sociaux par accroissement des avances faites au Groupe CM, il est reproché à Alain X… d’avoir accru « de façon non justifiée le montant des avances faites par la société anonyme Menuiserie Sibam au groupe CM » ; qu’au 1er janvier 1992, le total des avances consenties à la société Groupe CM atteignait 4.727.000 francs, qu’il a été porté à 4.929.000 francs au 31 décembre 1992, pour être ramené à 4.869.999 francs au 31 décembre 1993 mais pour finir à 5.091.399 francs au 31 décembre 1994, soit un accroissement de 364.399 francs, ou 55.552,27 euros au cours de la période non prescrite ; que ces avances avaient le caractère de créances liquides, qu’elles ont d’abord figuré au bilan dans la rubrique « Autres créances » ; que, le Groupe CM étant incapable de rembourser ces avances à première demande, la décision a été prise, par une personne que l’instruction n’a pas permis d’identifier à coup sûr, de consolider les avances consenties à la société holding pour effacer leur caractère de créance à vue, que le jeu d’écriture consistant à faire glisser ces sommes dans un poste de bilan « Prêts participatifs » venait concrétiser cette décision des dirigeants communs de la société Sibam Menuiserie et de Groupe CM de renoncer à un remboursement immédiat des 4 millions de francs par la holding ;

que le Groupe CM a finalement été contraint de faire sa propre déclaration de cessation des paiements « courant 1994 » selon les écritures du prévenu, à une date non précisée au dossier ; que le prévenu ne discute pas dans ses écritures que la société Sibam Menuiserie avait rencontré, dès 1991, de graves difficultés financières, qu’elle avait été dans l’obligation d’entreprendre une « réduction drastique de ses coûts se traduisant par le licenciement de 9 personnes entre le mois de septembre 1992 et le début de l’année 1993, permettant une économie de 2 millions de francs en terme de salaires, et l’absorption du site de production bois appelé Metrabois, soit une économie de 8 millions de francs », qu’il avait étudié un « investissement dans un nouveau système informatique afin d’avoir une approche plus précise des coûts de production en raison du changement d’orientation de l’entreprise qui était donc passée de la production de produits standards à des produits sur mesure » ; que ce projet n’avait jamais vu le jour en raison du manque de fonds propres disponibles, alors que Alain X… reconnaît lui-même qu’il avait pour objet d’assurer l’avenir de l’entreprise ; qu’il s’en déduit que la cessation des paiements de la société Sibam Menuiserie a été la conséquence directe de cette incapacité à s’adapter aux évolutions de son marché ; que la liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Cambrai a été la suite inéluctable de ce manque de liquidités constaté en 1992, 1993 ; que ce manque de liquidités est imputable à la mise à disposition de la société Groupe CM de plus de 4 millions de francs ; que le reproche est fondé, que les faits sont caractérisés, que Alain X… doit être reconnu coupable d’avoir consenti des avances de fonds supplémentaires au détriment de la société Sibam Menuiserie ;

« que, sur les abus de biens sociaux par absence de rémunération des avances faites au Groupe CM depuis 1991, il est acquis aux débats que, de 1987 à 1991, les avances croisées aux sociétés du Groupe CM avaient été rémunérées au taux fiscalement admis pour qu’ils soient déductibles, qu’en 1991 la rémunération due à la société Sibam Menuiserie par Groupe CM a été arrêtée à 351.000 francs, qu’elle n’a jamais été payée ; qu’à partir de 1992, les intérêts n’ont plus été comptabilisés ni calculés, que la non facturation des intérêts du compte courant Groupe CM avait fait l’objet d’une décision du Conseil d’administration, mentionnée dans le rapport spécial aux commissaires aux comptes et approuvée par l’assemblée générale ordinaire des actionnaires ; que les sommes laissées en compte courant n’ont donné lieu à aucun calcul d’intérêts en 1993 et 1994, qu’aucune mention ne figure à ce sujet dans les rapports au commissaire aux comptes et dans les procès-verbaux du Conseil d’administration, que le rapport spécial du commissaire aux comptes ne fait plus mention de ces avances ni de l’absence ou renonciation à rémunération, alors que le compte courant s’élève à 4,8 millions à fin 1993 et à 5,1 millions au 31 décembre 1994 ; que Alain X… soutient que la société Sibam Menuiserie n’avait pas renoncé à percevoir des intérêts comme l’indique la délibération du conseil d’administration du 27 novembre 1992 par laquelle, s’il avait été décidé de ne pas facturer les intérêts relatifs au compte courant Groupe CM, il avait été prévu que « ces intérêts pourront être facturés à la société Groupe CM dans la mesure où la situation de ladite société viendrait à s’améliorer  » ;

que cet espoir de retour à meilleure fortune a été ruiné dès l’année suivante, que les difficultés de la société Groupe CM ont conduit à provisionner le montant de ces avances à 100 % au 31 décembre 1993 ; que Alain X… et Michel Z… savaient que la situation de la société Groupe CM irait en se dégradant par suite de la liquidation judiciaire de la société CM Construction, prononcée en 1991, société soeur de la société Sibam Menuiserie, qui la privait d’une source de revenus capitale pour sa pérennité (4 % du chiffre d’affaires de la filiale) ; que se trouvant dans l’incapacité de redresser l’exploitation de la société Sibam Menuiserie par manque de financements, ils ont, à la clôture du bilan 1990, décidé de réduire de 4 % à 2 % du chiffre d’affaires les redevances versées à la holding appelée « management fees », destinées à couvrir les salaires et charges sociales des dirigeants ; que cette décision n’a eu aucun effet immédiat sur la trésorerie de la société Sibam Menuiserie dans la mesure où l’avoir de 1.733.000 francs qui a été émis n’a pas été accompagné du reversement de cette somme ; que, nonobstant cette clause de retour à meilleure fortune, il est manifeste que les dirigeants de la société Sibam Menuiserie avaient renoncé à percevoir la rémunération des avances consenties à la holding dès 1993, que les faits sont constants et l’infraction caractérisée dans tous ses éléments ;

« alors, de première part, que la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, imputer au prévenu la responsabilité directe de la déconfiture de la société Sibam Menuiserie pour avoir mis « plus de 4 millions de francs » à la disposition de la société Groupe CM et constater que les faits reprochés ne portaient que sur un accroissement desdites avances à hauteur de 364.399 francs au cours de la période non prescrite ;

« alors, de deuxième part, qu’en retenant, pour dire que la déconfiture de la société Sibam Menuiserie avait eu pour origine le manque de liquidités imputable à la mise à disposition des avances litigieuses à la société Groupe CM, que ces difficultés de trésorerie avaient interdit la mise en place d’un nouveau système informatique dont le prévenu aurait reconnu lui-même « qu’il avait pour objet d’assurer l’avenir de l’entreprise », sans s’expliquer autrement sur l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre l’impossibilité de procéder à cet investissement et la cessation des paiements de l’entreprise, la cour d’appel n’a pas justifié légalement sa décision ;

« alors, de troisième part, que la cour d’appel n’a pas caractérisé par des motifs suffisants l’élément intentionnel de l’infraction en imputant au prévenu la décision d’avoir renoncé dès 1993 à percevoir la rémunération des avances consenties à la société Groupe CM tout en constatant que, la situation financière de cette entreprise allant en se dégradant depuis 1991, le conseil d’administration de la société Sibam Menuiserie avait été contraint de prendre acte de cette situation en novembre 1992 en accordant à la débitrice une clause de retour à meilleure fortune » ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 626-1, L. 626-2, L. 626-3, L. 626-5 et L. 626-6 du Code de commerce et 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Alain X… coupable d’avoir, entre le 15 janvier 1994 et courant janvier 1995, commis le délit de banqueroute en accroissant de façon non justifiée le montant des avances faites par la société Sibam Menuiserie au groupe CM et en ne rémunérant pas les comptes ;

« aux motifs qu’il est inutile de surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt de la chambre commerciale de la cour d’appel de céans dès lors que les éléments du dossier d’information forcent à conclure que la société Sibam Menuiserie était en état de cessation des paiements au 15 janvier 1994, comme le démontrent les différés de paiement relevés par Y… qui ne s’expliquent que par l’impossibilité dans laquelle se trouvait la débitrice de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;

« et que, pour les motifs exposés ci-dessus, les faits poursuivis sous la qualification d’abus de biens sociaux sont valablement sanctionnés sous la qualification de banqueroute dès lors qu’ils sont directement à l’origine de l’état de cessation des paiements, fixé provisoirement au 15 janvier 1994 ; qu’il est reproché à Alain X… d’avoir commis le délit de banqueroute en détournant ou en dissimulant une partie de l’actif de cette société « notamment en accroissant de façon non justifiée le montant des avances faites par la société anonyme Menuiserie Sibam au groupe CM, en ne rémunérant pas les comptes, en réalisant des ventes à pertes et en réalisant des abandons de créances » ; que l’accroissement de façon non justifiée du montant des avances faites par la société anonyme Menuiserie Sibam au groupe CM est caractérisé dès lors que leur montant a été porté de 4.869.000 francs à 5.091.399 francs entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, à une époque où la société Groupe CM se trouvait dans une santé très précaire, dans les conditions que les développements qui précèdent ont analysées et qui, mutatis mutandis, conservent toute leur portée ; que l’absence de rémunération des comptes est tout autant établie par les analyses qui précèdent dans la mesure où elles ont porté sur toute la période visée à la prévention ; qu’Alain X… sera déclaré coupable de banqueroute par détournement d’actif ;

« alors que, la cour d’appel ayant retenu que la société Sibam Menuiserie était en cessation des paiements à la date du 15 janvier 1994, elle ne pouvait décider que les faits incriminés pour la période, postérieure, du 15 janvier 1994 à janvier 1995 étaient directement à l’origine de cet état de cessation des paiements » ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Challe conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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