Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu l’article 16 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 mai 2007) que Mme X… actionnaire de la société Yacht club international concessionnaire de l’exploitation du port de plaisance de Saint-Laurent du Var a consenti un bail commercial à la société La Marée le 5 mars 1983, que les époux Y…, venant aux droits de la société La Marée ont cédé ce bail le 15 mars 1990 à la société Roda, que celle-ci a assigné le 7 juin 2002 Mme X… en nullité du bail et paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour accueillir la demande en nullité du bail, l’arrêt retient que l’action n’est pas prescrite, la société Roda étant titulaire d’un bail en renouvellement en date du 1er avril 1998 et l’assignation introductive d’instance ayant été lancée le 7 juin 2002 ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ne résultait ni des conclusions ni des bordereaux de pièces, qu’un acte en date du 1er avril 1998 ait été communiqué et que les parties y aient fait référence, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 3 mai 2007, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Roda et M. Z…, ès qualités, ensemble aux dépens des pourvois ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Roda et M. Z…, ès qualités, ensemble, à payer à Mme X… la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société Roda et de M. Z…, ès qualités ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour Mme X… (demanderesse au pourvoi principal).
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué D’AVOIR déclaré nul et de nul effet le bail de renouvellement conclu entre la SARL RODA et Mademoiselle X… le 1er avril 1998 ;
AUX MOTIFS QU’«en premier lieu, c’est à tort que le Tribunal a déclaré prescrite, en application de l’article 1304 du Code civil, l’action en nullité engagée par la société RODA et son liquidateur, au motif que plus de cinq années s’étaient écoulées depuis le 5 mars 1983, qui est la date d’un tout premier bail, consenti entre Mademoiselle X… et une demoiselle Caroline A…, absente de ce procès. En effet, la SARL RODA est, quant à elle, titulaire d’un bail de renouvellement en date du premier avril 1998, et l’assignation introductive d’instance a été lancée le 7 juin 2002, donc moins de cinq années après la date du bail susceptible d’être annulé. Par ailleurs, ce bail est un contrat nouveau par rapport à celui conclu, à l’origine, le 5 mars 1983, et ceux qui ont suivi ; qu’il est donc légitime de comprendre l’assignation en nullité «du bail commercial consenti à la SARL RODA», sans autre précision de date, comme visant celui en date du premier avril 1998, seule convention à laquelle celle-ci a effectivement été partie, et qui est la seule dont l’annulation pourrait présenter un intérêt quelconque ; qu’en second lieu, ce bail est vide de tout contenu, dans la mesure où il vise expressément et sans réserve les dispositions du décret du 30 septembre 1953, alors qu’il concerne des locaux compris dans le domaine public portuaire, qui ne pouvaient en aucune façon faire l’objet d’un bail commercial, ni conférer la propriété commerciale, avec les prérogatives que celle-ci comporte, notamment le droit au renouvellement du bail, et la possibilité de céder le fonds de commerce ; que, fondée sur l’article 1131 du Code civil, visé dans l’assignation, l’action en nullité présentée par la société preneuse doit donc aboutir, puisque, en contrepartie du loyer commercial qu’elle était censée payer, elle n’a obtenu que la mise à disposition matérielle d’un local, dans lequel elle a exercé son activité, mais sans les droits qui s’attachent à la propriété commerciale. De plus, la situation dans laquelle s’est trouvée cette société n’est même pas régulière au regard de la législation relative aux conventions d’amodiation consenties par les collectivités publiques pour l’occupation d’installations dépendant du domaine public maritime, et qui suivent un régime d’autorisations limitées dans le temps, données à titre personnel par la puissance publique, conformément à des règles qui ne sont pas celles du statut des baux commerciaux. Les droits que tenait à ce titre Mademoiselle X… ne pouvaient donc faire l’objet d’un bail au profit d’un tiers ; qu’il convient donc d’infirmer le jugement entrepris, et de déclarer nul le bail de renouvellement intervenu entre les parties le premier avril 1998» ;
ALORS, D’UNE PART, QUE l’objet du litige que le juge doit trancher est délimité par les prétentions respectives des parties ; qu’en particulier, le juge ne peut fonder sa décision sur une pièce qui n’a pas été versée au débat contradictoire par les parties, ni même invoquée par ces dernières ; qu’en écartant la fin de non-recevoir soulevée par Mademoiselle X… tirée de la prescription de l’action en nullité du bail commercial qui la liait à la société RODA, au motif que le délai de prescription quinquennale de l’article 1304 du Code civil aurait commencé à courir à compter de la conclusion d’une convention datée du 1er avril 1998 emportant renouvellement du bail, cependant que cette convention, à supposer qu’elle existât, n’était pas produite aux débats ni même invoquée par les parties, la Cour d’appel a méconnu l’objet du litige, violant ainsi les articles 4 et 7 du nouveau Code de procédure civile.
ALORS, D’AUTRE PART ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le juge doit, en toute circonstance, respecter et faire respecter le principe du contradictoire ; qu’en particulier, il ne peut fonder sa décision sur une pièce qui n’a été invoquée par aucune des parties, et n’a ainsi pas fait l’objet d’un débat contradictoire, sans solliciter préalablement les observations des parties ; qu’en l’espèce, il n’était soutenu, ni par la société RODA, ni par Mademoiselle X…, que le délai de prescription aurait commencé à courir à compter de la conclusion d’un nouveau bail en date du 1er avril 1998, cet acte n’ayant été ni produit, ni même invoqué par les parties ; qu’en fondant sa décision sur le fait que le délai de prescription n’avait commencé à courir qu’à compter de la conclusion, le 1er avril 1998, du bail renouvelé, sans rouvrir les débats afin de permettre aux parties de présenter leurs observations sur ce moyen relevé d’office, la Cour d’appel a violé l’article 16 du nouveau Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR déclaré nul et de nul effet le bail de renouvellement conclu entre les parties le premier avril 1998 et D’AVOIR en conséquence ordonné un expertise aux fins de proposer une évaluation du préjudice subi la société RODA du fait de la perte de valeur de son fonds de commerce résultant de l’impossibilité pour elle de prétendre au renouvellement du bail,
AUX MOTIFS QUE «du fait de l’annulation de la convention, la société RODA a perdu la possibilité d’obtenir le renouvellement du bail ou le versement d’une indemnité d’éviction, à l’expiration du bail, le 31 mars 2007.
Or, même dans le cas d’une entreprise dont la situation financière serait fortement obérée, le fonds de commerce aurait dû comporter au moins la valeur du droit au bail, que le contrat annulé était censé conférer à la société preneuse, et qu’un liquidateur aurait pu négocier. Dans ces conditions, cette dernière est en droit de prétendre à la réparation d’un préjudice dont le montant sera déterminé, à la date du 31 mars 2007, de la même manière que celui d’une indemnité d’éviction. Cette indemnité, qui conservera le caractère de dommages-intérêts, et à laquelle les dispositions de l’article L 145-28 du Code de commerce ne s’appliquera pas, devra faire l’objet d’une estimation par un expert» ;
ALORS QUE l’action en indemnisation du préjudice résultant de l’annulation d’un contrat est de nature quasi délictuelle et suppose, par conséquent, que soit caractérisée une faute du défendeur pour être accueillie ; qu’en l’espèce, Mademoiselle X… faisait expressément valoir que le bail commercial conclu avec la société RODA comportait une référence expresse à la situation des lieux loués, situés sur le domaine public maritime du port de SAINT LAURENT DU VAR (conclusions d’appel page 4) et qu’elle n’avait ainsi commis aucune faute à l’égard de la société RODA, laquelle était parfaitement informée de la situation juridique des locaux ; qu’en jugeant néanmoins que Mademoiselle X… était débitrice à l’égard de son ancienne co-contractante de dommages-intérêts en réparation de la perte de valeur du fonds de commerce de cette dernière, sans caractériser de faute de l’exposante, la Cour dappel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le demandeur à l’action en nullité d’un contrat peut se voir opposer la faute qu’il a lui-même commise lors de la conclusion de l’acte afin de voir limiter son droit à indemnisation du préjudice subi du fait de l’annulation du contrat ; qu’en l’espèce, Mademoiselle X… faisait expressément valoir que le bail commercial comportait une référence expresse à la situation des lieux loués, situés sur le domaine public maritime du port de SAINT LAURENT DU VAR (conclusions d’appel page 4), de sorte que la société RODA, parfaitement informée de l’impossibilité de conclure un bail commercial sur les lieux objet du contrat, avait conclu la convention en cause en parfaite connaissance du risque de sa disqualification en convention précaire, de sorte que les préjudices qu’elle alléguait lui étaient exclusivement imputables ; qu’en jugeant que Mademoiselle X… était débitrice, à l’égard de la société RODA, de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’aurait subi cette société du fait de l’absence de droit au renouvellement du bail annulé, sans rechercher, comme elle y était spécialement invitée, si la société RODA n’avait pas été informée de la situation juridique des lieux loués, de sorte que c’est son propre comportement qui était à l’origine de son préjudice, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour la société Roda et M. Z…, ès qualités (demandeurs au pourvoi incident).
POURVOI INCIDENT
MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, après avoir déclaré nul et de nul effet le bail de renouvellement conclu entre les parties le 1° avril 1998, débouté, en conséquence, la société RODA de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice d’exploitation et en remboursement du coût de travaux de remise en état,
Aux motifs que toujours en raison des effets rétroactifs de l’annulation, il ne peut être accédé aux demandes de la société RODA tendant à la réparation d’un préjudice qu’elle aurait subi du fait de l’inexécution des travaux de remise en état après un incendie ; il convient de la débouter également de ses prétentions à obtenir la réparation de pertes d’exploitation ; en effet, il résulte des éléments fournis aux débats par Mademoiselle X… que lorsque la société RODA a introduit sa demande de nullité du bail, elle se trouvait dans un état de déconfiture avancé, déjà depuis quelques temps ; en effet, au jour de son assignation, 7 juin 2002, elle se trouvait en état de redressement judiciaire depuis un an déjà, avec un passif qui atteignait 412.763,90 euros ; Mademoiselle X… avait d’ailleurs obtenu l’expulsion de la preneuse, pour défaut de paiement du loyer, par une ordonnance de référé en date du 28 mars 2001, dont celle-ci a cependant pu obtenir l’infirmation, par arrêt de cette Cour d’appel en date du 15 novembre 2001, simplement en déposant son bilan dans le cours de la procédure d’appel,
Alors, d’une part, que lorsque l’exécution défectueuse d’un contrat nul cause un préjudice à l’une des parties, celui-ci doit être réparé par la partie fautive, nonobstant le caractère rétroactif de la nullité prononcée ; qu’en considérant que l’effet rétroactif de l’annulation du contrat de bail s’opposait à ce que puissent être accueillies les demandes de la société RODA tendant à la réparation d’un préjudice qu’elle aurait subi du fait de l’inexécution des travaux de remise en état après un incendie, cependant qu’il lui appartenait de réparer le préjudice qui avait pu être causé à cette société par l’exécution défectueuse, par le bailleur, du contrat de bail commercial dont elle avait prononcé la nullité, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil, et
alors, d’autre part, qu’en retenant, pour débouter la société RODA de ses prétentions tendant à obtenir la réparation de ses pertes d’exploitation non prises en charge par sa compagnie d’assurance, pour la période du 12 octobre 2001 au 15 mars 2002, date de la réouverture du restaurant, après exécution par elle des travaux de reconstruction, que Mademoiselle X… avait refusé d’effectuer, «que lorsque la société RODA a introduit sa demande de nullité du bail, elle se trouvait dans un état de déconfiture avancé, déjà depuis quelques temps ; en effet, au jour de son assignation, 7 juin 2002, elle se trouvait en état de redressement judiciaire depuis un an déjà, avec un passif qui atteignait 412.763,90 euros», la Cour d’appel s’est déterminée à partir de motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil.