Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 8 novembre 2006, 05-85.990, Inédit

·

·

Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 8 novembre 2006, 05-85.990, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit novembre deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de Me X…, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, et de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CHARPENEL ;

Statuant sur les pourvois formés par :

– Y… Jean-Claude,

– Z… Yvon,

contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, 9e chambre, en date du 15 septembre 2005, qui a condamné, le premier, pour abus de biens sociaux en récidive, à 2 ans d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis et mise à l’épreuve, le second, pour recel, à 15 mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, et a prononcé sur l’action civile ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires en demande, en défense et en réplique produits ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé par Me X…, pour Jean-Claude Y…, pris de la violation des articles L. 225-216 et L. 246-6 et suivants du code de commerce, des articles 132-2 et suivants du code pénal, ensemble les articles 7, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a rejeté la demande de Jean-Claude Y… tendant à la requalification des faits en délit d’avance de fonds par une société pour acheter ses propres actions et de voir constater l’amnistie, et de l’avoir déclaré coupable d’abus de bien sociaux et, en répression, de l’avoir condamné Jean-Claude Y… à 2 ans d’emprisonnement dont seulement 18 mois assortis du sursis avec mise à l’épreuve pendant 3 ans, outre des dommages-intérêts ;

« aux motifs que la thèse soutenue par Jean-Claude Y… selon laquelle les fonds versés par la société Fonderie Ginet à la société Epicare Consultant l’auraient été en exécution d’un prêt ne résiste pas à l’examen des faits tels qu’ils sont établis par le dossier et les débats ; que la cour relève en effet les points suivants ; que la mise à disposition des fonds aurait dû intervenir sous forme d’un débit de la trésorerie de la société Fonderie Ginet pour créditer le compte de la société Epicare Consultant qui aurait ensuite versée les fonds aux cédants ; qu’or les fonds ont été directement versés sous forme de chèque à Yvon Z… sans que la société Epicare Consultant n’apparaisse dans la transaction ; qu’à cet égard, la thèse des chèques de garantie ne repose sur aucun élément étant rappelé que le chèque est un moyen de paiement et que le transfert de la propriété de la provision est immédiat ; que les fonds n’ont pas non plus transité par le compte des frères Y… ; que de plus la société Epicare Consultant n’est qu’un des acquéreurs et il n’est nulle part expliqué comment cette société a financé l’acquisition des parts par les autres cessionnaires ; qu’aucun des documents relatifs à la prise de contrôle ne fait état de cette opération de prêt ; que le fait que le prêt ait été régulièrement porté au bilan de la société Fonderie Ginet ne démontre pas la réalité de l’opération dans la mesure où elle a été inscrite à un moment ou les frères Y… contrôlaient la société et donc les donnés fournies à l’expert comptable ; qu’en revanche, n’est pas produit dans le bilan de la société Epicare Consultant à l’actif duquel aurait dû figurer l’opération ; que le document intitulé  » convention de prêt  » du 25 juin 2001 a été établi à une date ultérieure ce qui démontre que cette pièce n’est pas sincère et la prive de toute force probante ; que le prêt dont se prévaut Jean-Claude Y… aurait été très désavantageux pour la société Fonderie Ginet ; qu’au début de l’information, aucun des prévenus n’ont fait état de ce prêt ; que Sylvain Y… ne soutient d’ailleurs pas cette thèse devant la cour ;

qu’il ressort du protocole d’accord daté du 28 mai 2001 que le procédé mis en oeuvre avait déjà été envisagé lors des négociations préalables (arrêt attaqué, p. 18, 19, 20 et 21) ;

« alors que, premièrement, si le contrat de prêt suppose la remise des fonds, ces derniers peuvent être directement remis à un tiers sans transiter par le patrimoine de l’emprunteur ; que, par suite, la circonstance que les fonds n’aient pas transité par le compte de la société Epicare Consultant ou sur celui de Jean-Claude Y…, pour être directement remis à Yvon Z… ne permettaient pas d’infirmer l’existence d’un prêt par la société Fonderie Ginet ; qu’ainsi en relevant que l’existence d’un prêt n’était pas établie dans la mesure où les fonds avaient été directement remis à Yvon Z… sans transiter par le compte de la société Epicare Consultant ou de celui de Jean-Claude Y…, la cour d’appel a statué aux termes de motifs inopérants et a violé les textes susvisés ;

« alors que, deuxièmement, le prêt, s’il n’est pas un prêt à la consommation, est un contrat consensuel et l’exigence d’un écrit n’est pas une condition de formation du contrat, mais est seulement exigé, en matière civile, à titre d’élément de preuve, lorsque les sommes prêtées dépassent un certain montant ; que, partant, les juges du fonds ne pouvaient énoncer que le prêt n’avait fait l’objet d’aucun document pour dire que son existence n’était pas établie ;

que la cour d’appel a, à cet égard encore, statué aux termes de motifs inopérants et a violé les textes susvisés ;

« alors que, troisièmement, en observant que le prêt est une opération désavantageuse pour la société Fonderie Ginet alors que cette circonstance était indifférente à l’existence d’un contrat de prêt, la cour d’appel a, de nouveau, violé les textes susvisés ;

« et alors que, quatrièmement et enfin, les juges du fond, tenus de motiver leur décision, doivent répondre aux moyens des parties ; qu’aux termes de ses conclusions d’appel (production), Jean-Claude Y… avait soutenu que la société Epicare Consultant avait commencé à rembourser les sommes prêtées à hauteur de 48 352,86 euros, que contrairement aux éléments relevés par la cour d’appel, cette circonstance était bien de nature à établir l’existence d’un prêt ou d’une avance ; que pour n’avoir répondu à ce moyen, pourtant péremptoire, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé par la société civile professionnelle Piwnica Molinié, pour Yvon Z…, pris de la violation des articles 6 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, 2-2 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie, 321-1 du code pénal, L. 225-216, L. 242-6 et L. 242-24 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation de la règle specialia generalibus derogant ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Yvon Z… coupable de recel d’abus de biens sociaux,

« aux motifs qu’Yvon Z… soutient que les faits visés par la prévention sous la qualification d’abus de biens sociaux ne sont pas constitutifs de ce délit mais de l’infraction prévue par l’article L.225-216 du code de commerce ; que l’infraction principale est donc amnistiée en raison de sa nature en application de l’article 2-2 de la loi du 6 août 2002 ; que la thèse soutenue par lui selon laquelle les fonds versés par la société Fonderie Ginet à la société Epicare Consultant l’auraient été en exécution d’un prêt accordé ne résiste pas à l’examen des faits tels qu’ils sont établis par le dossier et par les débats ; qu’Yvon Z… affirme que l’avance des fonds a été faite aux consorts Y… et ce, alors que les fonds n’ont pas transité sur les comptes de ceux-ci et qu’aucun élément ne vient démontrer l’existence d’un tel accord ; que l’élément invoqué par Jean-Claude Y… selon lequel  » le prêt avait été régulièrement porté au bilan de la société Fonderie Ginet » ne démontre aucunement la réalité de l’opération, s’agissant d’un bilan mis en forme à l’époque durant laquelle les frères Y… contrôlaient la société et étaient donc en mesure de contrôler également les données fournies à l’expert comptable chargé d’établir la comptabilité de la société ; que la « convention de prêt » datée du 25 juin 2001 signée de Sylvain Y… agissant au nom ès qualités de président du conseil d’administration de la société Fonderie Ginet, dont il n’est pas établi qu’elle ait été réellement signée par Sylvain Y…, est une pièce qui n’est pas sincère et qui est dépourvue de toute force probante quant à la réalité de l’opération censée avoir été réalisée à la date indiquée ; que la mention de  » comptes courants associés  » pour un montant de 480 000 euros (équivalant à 3 148 593,60 francs) qui figure dans la déclaration de cessation des paiements de la société effectuée par Sylvain Y… et dont Yvon Z… soutient qu’elle établirait la réalité du prêt octroyé ne démontre rien à cet égard, compte tenu de son imprécision et du manque de fiabilité des assertions comptables des frères Y… ; qu’en tout état de cause, la qualification des faits tels que revendiqués par Jean-Claude Y… et Yvon Z… serait celle d’abus de crédit d’une société, sans que puisse y être simplement substituée, comme le soutiennent les prévenus, celle d’avant ou prêt par une société pour la souscription ou l’achat de ses actions par un tiers ;

« 1 ) alors que le délit d’avance ou de prêt par la société pour la souscription ou l’achat de ses actions par un tiers prévu et réprimé par les articles L. 225-216 et L. 242-24 du code de commerce est une incrimination spéciale qui n’entre pas dans les prévisions de l’article L. 242-6 du même code relatif au délit d’abus de biens sociaux, de pouvoir ou de crédit d’une société ;

« 2 ) alors que la cour d’appel ne pouvait, sans contredire les énonciations du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la société Fonderie Ginet en date du 25 juin 2001, régulièrement versé aux débats, faire état, pour rejeter le moyen invoqué par Yvon Z… et tiré de ce que les faits déférés relevaient non de la qualification d’abus de biens sociaux mais de la qualification de l’article L. 225-216 du code de commerce, de ce que Jean-Claude et Sylvain Y… n’étaient pas des  » tiers  » au sens de ce texte étant administrateurs de la société Fonderie Ginet, dès lors qu’il ressort sans ambiguïté des énonciations de ce procès-verbal que ceux-ci n’ont été désignés comme administrateurs que postérieurement à la cession, c’est-à-dire postérieurement à l’opération critiquée et étaient par conséquent incontestablement des  » tiers  » ;

« 3 ) alors qu’en vertu de la règle specialia generalibus derogant les juges ne peuvent qualifier des faits constitutifs d’un délit d’avance ou de prêt par une société pour la souscription ou l’achat de ses actions par un tiers d’abus de biens sociaux ou de crédit ;

« 4 ) alors que les juges doivent tirer les conséquences légales de leurs propres constatations et que la cour d’appel, qui constatait que les comptes courants d’associés des consorts Y… figuraient dans la déclaration de cessation des paiements de la société Fonderie Ginet pour un montant qui correspondait très exactement au montant de l’avance consentie par la société Fonderie Ginet (2 500 000 francs) augmenté de ses intérêts, ne pouvait, en présence de cet élément déterminant, sans se contredire ou mieux s’expliquer, décider que la preuve de l’existence de cette avance n’était pas rapportée ;

« 5 ) alors que le délit d’avance par une société pour la souscription ou l’achat de ses actions par un tiers étant amnistié de droit en application de l’article 2-2 de la loi du 6 août 2002, et l’action publique étant par conséquent éteinte, la cour d’appel ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs et violer ce texte, déclarer Yvon Z… coupable de recel pour avoir détenu les fonds provenant d’une telle avance ;

« 6 ) alors que si l’amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers, il ne peut être prononcé aucune peine » ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que les actionnaires de la société Fonderie Ginet, présidée par Yvon Z…, ont, par convention signée le 25 juin 2001, cédé la totalité de leurs actions à une société Epicare Consultant, dirigée par Jean- Claude Y…, à ce dernier, à son frère Sylvain et à des personnes de leur entourage ; que la signature de cette convention a été immédiatement suivie d’une assemblé générale de la société acquise, au cours de laquelle Jean-Claude Y… a été nommé administrateur et son frère Sylvain président ; que les actions ont été réglées aussitôt au moyen de huit chèques émis sur le compte de cette société, remis à Yvon Z… qui les a encaissés dès le lendemain ;

Attendu que, pour rejeter la demande tendant à voir dire que les faits reprochés aux prévenus constituaient le seul délit d’avance de fonds par une société pour l’achat de ses propres actions et déclarer Jean-Claude Y… coupable d’abus de biens sociaux et Yvon Z… de recel, l’arrêt attaqué prononce par motifs propres et adoptés partiellement repris aux moyens ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, la cour d’appel, qui a répondu comme elle le devait aux arguments péremptoires des parties, a justifié sa décision ;

D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, Mme Thin conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x