Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société des Assurances générales de France (AGF) marine, aviation, transport (MAT), société anonyme, dont le siège est … des Victoires, 75002 Paris, venant aux droits de la SM3A,
en cassation d’un arrêt rendu le 10 mai 2000 par la cour d’appel de Lyon (6e chambre), au profit :
1 / de Mme Francine B…, épouse Z…,
2 / de Mlle Corinne Z…,
3 / de M. Yann Z…,
demeurant tous …,
4 / de Mme Danièle A…, veuve Y…, demeurant …,
5 / de Mme Pascale Y…, épouse X…, demeurant …,
6 / de M. Dominique Y…,
7 / de Mme Marie-Pierre Y…,
demeurant tous deux Les Verchères, Béchet, 01160 Druillat,
8 / de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Lyon, dont le siège est …,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 20 juin 2001, où étaient présents : M. Guerder, conseiller doyen faisant fonctions de président et rapporteur, M. Pierre, Mme Solange Gautier, MM. de Givry, Mazars, conseillers, MM. Trassoudaine, Grignon Dumoulin, conseillers référendaires, M. Kessous, avocat général, Mme Claude Gautier, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Guerder, conseiller doyen, les observations de Me Delvolvé, avocat des AGF marine, aviation, transport (MAT), de Me Le Prado, avocat des consorts Z…, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 10 mai 2000), que Jean-Pierre Y… et Rémy Z… ont effectué un vol de jour, d’Ambérieu-en-Bugey à Mionnay, à bord d’un appareil ultra-léger motorisé (ULM) appartenant à la société ULM concept ; que, vers 19 heures 30, l’appareil, après avoir décollé pour regagner sa base, s’est mis en descente avec le moteur à pleine puissance, puis a amorcé à l’aplomb de la piste une ressource au cours de laquelle différents éléments de la voilure se sont déchirés et arrachés, provoquant la dislocation progressive de l’aile supérieure et la chute en vrille de l’appareil qui s’est écrasé sur le terrain, avec ses deux occupants, mortellement atteints ; que les ayants cause de M. Z… ont fait assigner devant le tribunal de grande instance, en réparation de leurs préjudices, les ayants cause de M. Y… et leur assureur, la Société mutuelle d’assurances aériennes et des associations (SM3A), aux droits de laquelle est venue la société AGF marine, aviation, transport (la société) ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief à l’arrêt, après avoir déclaré M. Y… responsable de l’accident, d’avoir dit qu’elle devait sa garantie et de l’avoir condamnée in solidum avec les consorts Y… à payer diverses sommes aux consorts Z…, dans la limite de la responsabilité du transporteur aérien prévue par la Convention de Varsovie, alors, selon le moyen, que, s’il résulte de l’article 4.1.1.2. de l’arrêté du 24 juillet 1991 et des règles de l’air que le commandant de bord est responsable de l’application des règles de l’air à la conduite de son aéronef, il ne résulte en revanche d’aucun texte que la personne placée à l’avant de l’appareil est présumée être commandant de bord ; que la responsabilité d’un pilote ne doit dès lors être retenue qu’en raison d’une faute prouvée de celui-ci ;
que, pour retenir la responsabilité de M. Y…, les juges d’appel se sont exclusivement fondés sur le fait qu’il devait être réputé commandant de bord de l’aéronef de par son installation à l’avant de l’appareil, tout en relevant que l’appareil était à double commande ; qu’ainsi, sans établir la faute personnelle que M. Y… aurait commise, mais en relevant au contraire qu’il n’était pas possible de déterminer l’identité du pilote à l’origine des fautes mises en évidence par l’expert, la cour d’appel de Lyon a violé l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l’arrêt retient que le pilote, occupant de l’appareil, a fait preuve de négligence ou imprudence au sens des règles de l’air applicables, en faisant dépasser à l’appareil la vitesse maximale permise et en amorçant une ressource à grande vitesse sans réduction préalable de la puissance ; que l’expertise n’a pas permis de déterminer si ces deux fautes ont été commises par le même pilote ou par les deux personnes disposant d’une double commande ; qu’il est établi que M. Y… a occupé la place avant du commandant de bord de l’ULM, de sorte qu’il était réputé pilote commandant de bord selon l’expert, dont les conclusions sont corroborées par les auditions de diverses personnes ayant assisté au départ de l’aéronef et par les caractéristiques de l’appareil dont l’indicateur de vitesse n’était aisément lisible que depuis le siège avant ; qu’en conséquence, M. Y… était responsable de la conduite et de la sécurité du vol, au sens des dispositions de l’article 4.1.1.2 de l’arrêté du 24 juillet 1991, seul tenu de faire respecter les règles de l’air applicables, sans pouvoir s’abriter derrière une éventuelle erreur de pilotage de son compagnon, étant ajouté qu’en sa qualité d’actionnaire de la société ULM concept, propriétaire de l’engin, il était le plus apte à en connaître le fonctionnement ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, répondant aux conclusions, a pu déduire que M. Y… était entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident et que sa faute exclusive ne présentait pas les caractères d’une faute intentionnelle ou inexcusable au sens de l’article 25 de la Convention de Varsovie ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :
1 / que, au titre de l’exclusion de garantie tirée de l’application de l’article 5 B des conditions générales de la police d’assurance, la société SM3A avait exposé que le pilote n’avait pas respecté les dispositions de l’article 5.1.1. de l’arrêté du 24 juillet 1991 concernant les limitations de la navigabilité, en dépassant la vitesse maximale autorisée (140 km/h) ; que les juges du fond n’ont pas répondu à ce moyen ; que l’arrêt attaqué est de ce fait entaché d’un défaut de réponse à conclusions, en violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que, au titre de l’exclusion de garantie tirée de l’application de l’article 5 C.2 des conditions générales de la police d’assurance concernant les infractions avec la réglementation des vols, la SM3A avait exposé, en premier lieu, que le commandant de bord, en violation de l’article 3.1.1. de la réglementation de la circulation aérienne (RCA), avait conduit son aéronef d’une façon négligente ou imprudente, puisqu’il s’était mis en léger piqué alors qu’il n’avait pas atteint le niveau minimal et avait conservé le moteur à gaz à fond, ce qui lui faisait dépasser la vitesse maximale autorisée, et, en second lieu, que le commandant de bord n’avait pas respecté l’article 4.5. de la RCA puisque, lorsqu’il avait fait sa prise d’altitude après le décollage, il avait entrepris une manoeuvre non indispensable à la bonne conduite de l’aéronef, le faisant passer en-dessous de la hauteur réglementaire entreprenant un léger piqué qui l’avait emmené à une hauteur variant entre 50 et 100 mètres du sol, et que cette manoeuvre ne pouvait en aucun cas constituer une manoeuvre préalable à l’atterrissage ; que les juges du fond se sont contentés d’énoncer que les exclusions de garanties s’interprétant strictement ne pouvaient vider le contrat d’assurance de sa substance, sans cependant justifier leur décision au regard de ce moyen ;
que l’arrêt attaqué est de ce fait entaché d’un défaut de réponse à conclusions, en violation de l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;
3 / qu’en tout état de cause, en retenant que l’exclusion de garantie ne pouvait jouer pour les fautes intentionnelles, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la faute retenue à l’encontre de M. Y… n’ayant pas de caractère intentionnel ou dolosif, la cour d’appel a dénaturé les clauses claires et précises de l’article 5 C.2 des conditions générales de la police d’assurance de M. Y… qui prévoyaient, au titre de l’exclusion de garanties, que « le vol ne devra pas être entrepris ou poursuivi en infraction à la réglementation concernant les conditions de vol et les qualifications qui s’y trouvent attachées », sans caractériser la nature de la faute de pilotage ; qu’elle a donc violé l’article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que l’arrêt relève que M. Y… avait souscrit auprès de la SM3A une police garantissant sa responsabilité civile dans le cadre d’une activité de pilote d’ULM exercée sans contrepartie financière, à l’exclusion de toute activité sportive, quel que soit l’appareil ULM utilisé ; que le vol effectué dans le cadre d’un « loisir », et non dans le cadre d’un travail commandé par la société ULM concept, était bien couvert par la garantie ; que les exclusions de garantie, qui s’interprètent strictement, ne sauraient vider le contrat d’assurance de sa substance ;
que la négligence ou l’imprudence ci-dessus relevées contre M. Y… constituent des erreurs de pilotage, dont le caractère intentionnel ou dolosif n’est pas démontré ; que la vocation de l’assurance de responsabilité civile est de couvrir ce type de risques, d’autant que la rubrique « exclusions communes à tous les risques » ne vise que les fautes intentionnelles ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions, a exactement déduit qu’aucune clause d’exclusion de garantie ne pouvant être appliquée, la société devait garantir la responsabilité de M. Y… et de ses ayants cause ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société AGF marine, aviation, transport (MAT) aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société AGF marine, aviation, transport (MAT) ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille un.