Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– La société Euroshipping company inc,
– La société Cherokee bay limited,
– M. Jaime X…,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de BASTIA, en date du 14 octobre 2015, qui a prononcé sur leur requête en annulation des décisions du juge d’instruction ordonnant le gel et la main levée du gel d’un bien et en restitution de ce bien ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 23 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GAUTHIER ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 173, 591, 593 et 695-9-22 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt a rejeté la requête aux fins de nullité des ordonnances de gel d’un bien meuble du 7 août 2015 et de mainlevée de gel d’un bien meuble du 11 août 2015 rendues par M. le juge d’instruction de Bastia, déposée par les sociétés Euroshipping Charter company inc et Cherokee bay limited, ainsi que par M. X…, après l’avoir déclarée recevable ;
» aux motifs que l’article 695-9-22 du code de procédure pénale dispose que celui qui détient l’élément de preuve ou le bien objet de la décision de gel ou toute autre personne qui prétend avoir un droit sur ledit bien ou élément peut, par voie de requête remise au greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel territorialement compétente dans les dix jours à compte de la date de la mise à exécution de la décision considérée, former un recours à l’encontre de cette dernière ; que les dispositions de l’article 173 sont alors applicables ; que le recours n’est pas suspensif et ne permet pas de contester les motifs de fond de la décision de gel ; que la chambre de l’instruction peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, autoriser l’Etat d’émission à intervenir à l’audience par l’intermédiaire d’une personne habilitée par ledit Etat, à cet effet ou, le cas échéant, directement par l’intermédiaire des moyens de télécommunications prévus à l’article 706-71 ; que, lorsque l’Etat d’émission est autorisé à intervenir, il ne devient pas partie à la procédure ; qu’il s’en infère que si la chambre de l’instruction ne saurait régler au fond un litige portant sur la propriété d’un bien, il lui appartient de vérifier si les auteurs d’un recours étaient bien détenteurs du bien gelé ou titulaires d’un droit quelconque sur ce bien, avant d’examiner les moyens de nullité ; qu’au moment de la saisie, le seul détenteur du tableau était le capitaine du navire ; que la cour relève d’ailleurs que si la saisie a été effectuée en présence d’un représentant (M. Thomas A…), de la société Cherokee bay, propriétaire du navire et du fils de M. X…, Alfonso, aucun d’entre eux n’a fait valoir le moindre mandat ou le moindre titre pour agir ; que M. Paul Frederick B…, n’est pas au nombre des requérants ; qu’il en découle que la chambre est tenue d’examiner la situation des requérants qui prétendent avoir un droit sur le tableau, seule condition permettant de considérer que les nullités dénoncées, à les supposer démontrées, peuvent leur faire grief ; que les statuts et documents sociaux permettant de s’assurer de la réalité de l’existence des sociétés Euroshipping, société panaméenne et Cherokee bay, sise à Guernesey, ne figurent pas au nombre des pièces produites par les requérants ; que les éléments figurant au dossier de la procédure contiennent des éléments contradictoires ; que, si les avocats indiquent à l’audience que M. X…, n’est pas propriétaire du tableau et n’a aucun rôle de décideur dans les deux sociétés requérantes, il apparaît que les décisions rendues par les juridictions espagnoles, à l’origine des deux ordonnances contestées (jugement du tribunal de première instance et d’instruction n° 4 Pozuelo de Alarcon du 6 août 2015) considèrent sans la moindre ambiguïté que M. X…est le seul donneur d’ordre sur ce tableau ; que certes les requérants font valoir que cette décision a été frappée d’appel ; mais que le document qui est produit au soutien de cette affirmation est en langue espagnole et rien n’indique qu’il aurait été effectivement enregistré devant la juridiction compétente ; qu’entendu sur la situation du tableau, le capitaine de l’Adix a indiqué tenir ses ordres de M. X…seul, ce dernier lui ayant notamment donné l’ordre d’emballer le tableau en vue de son déplacement, comportement qui est la manifestation non équivoque d’un pouvoir de maîtrise sur l’oeuvre d’art ; que, par ailleurs, un constat établi, le 24 janvier 2013, par un notaire espagnol de la ville de Valence (Espagne) aux fins de dresser l’inventaire des oeuvres d’art présentes sur le navire « Adix », reprend les propos de Ricardo Luis D…, disant intervenir pour le compte de la société Cherokee bay ces termes : « Moi, le notaire soussigné, déclare expressément m’être conformé à l’obligation d’identification du titulaire réel imposé par la loi 10/ 2010 du 28 avril 2010. Le comparant déclare, es qualités, que le seul titulaire réel de l’entité qu’il représente est M. X…, titulaire du DNI/ NIF numéro 14. 453. 527- M » ; qu’enfin, la cour observe qu’avant l’ordre donné, le 28 juillet 2015, par M. X…au capitaine du navire d’emballer le tableau en vue de son enlèvement, une procuration générale a été consentie par M. E…, citoyen helvétique, administrateur unique d’Euroshipping la veille, soit le 27 juillet, à M. Paul Frederick B…, capitaine du navire, pour effectuer des démarches fiscales, administratives … ; que certes, les sociétés requérantes versent aux débats un document intitulé « contrat de prêt d’actifs (hors titres) », signé, le 27 octobre 1999, entre elles, ayant pour objet la mise à disposition de Cherokee bay, par Euroshipping charter company, de certains actifs hors titre afin que Cherokee bay « puisse les utiliser et en bénéficier », contrat établi par « Ogier et Le Masurier Jersey », sans aucune autre indication ; qu’au nombre des actifs visés par cette convention, parmi plusieurs oeuvres d’art figure le tableau concerné ; qu’il reste que ce document est antérieur au contrat notarié ci-dessus et que les avocats des requérants, invités à s’expliquer sur les conditions dans lesquelles M. X…aurait mis à disposition ou cédé le tableau à l’une ou l’autre des deux sociétés n’ont pas été en mesure de fournir la moindre explication ; qu’il apparaît, par ailleurs, qu’Euroshipping charter company est actionnaire minoritaire de Cherokee bay ; qu’il en résulte que les deux entités Cherokee bay et Euroshipping charter company, faute d’en établir la réalité ou la simple vraisemblance, ne peuvent prétendre détenir un droit sur le tableau concerné ; quant à M. X…, il ressort des explications fournies à l’audience qu’il ne revendique aucun droit sur l’oeuvre concernée ni sur les sociétés requérantes alors même que les éléments communiqués par les autorités espagnoles, au premier rang desquels des décisions de justice convergentes, démontrent que ses droits sur le tableau « Head of a Young Woman » sont contestés par les autorités hispaniques et font l’objet de procédures judiciaires en cours ; que cette situation impose de considérer que l’intéressé ne justifie pas l’exercice d’un droit quelconque sur l’oeuvre considérée en l’état ; que dans ces conditions, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de nullité invoqués, il y a lieu de rejeter la requête ;
» 1°) alors qu’il résulte des dispositions de l’article 695-9-22 du code de procédure pénale que toute personne qui prétend avoir un droit sur un bien gelé peut, par voie de requête remise au greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel territorialement compétente, dans les dix jours à compter de la mise à exécution de la décision considérée, former un recours à l’encontre de cette dernière dans les formes prévues par l’article 173 du code de procédure pénale ; qu’il ressort des pièces de la procédure comme de la requête formulée par les demandeurs que la société Euroshipping charter company, revendique, avec constance, être propriétaire légitime du tableau litigieux et l’avoir mis à disposition de la société Cherokee bay par le biais d’un contrat de lending produit à l’appui de sa requête ; qu’en lui refusant, néanmoins, le droit de formuler des moyens de nullité sur le fondement de l’article 695-9-22 du code de procédure pénale nonobstant les propres constatations de l’arrêt et les différents éléments de la procédure mettant en évidence qu’elle avait, depuis le début de la procédure exécutée en France, toujours affirmé avec force être la propriétaire légitime du tableau litigieux, la chambre de l’instruction a méconnu l’article précité et privé sa décision de toute base légale ;
» 2°) alors qu’il résulte des dispositions de l’article 695-9-22 du code de procédure pénale que celui qui détient l’élément de preuve ou le bien objet de la décision de gel peut, par voie de requête remise au greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel territorialement compétente, dans les dix jours à compter de la mise à exécution de la décision considérée, former un recours à l’encontre de cette dernière dans les formes prévues par l’article 173 du code de procédure pénale ; que la détention précaire résulte d’un acte juridique par lequel une personne se voit confier des actes de maîtrise et de jouissance sur une chose qu’elle s’oblige à restituer ; qu’il n’est pas contesté en l’espèce que la société Cherokee Bay, société de droit britannique, était propriétaire du navire l’Adix sur lequel le tableau litigieux a été saisi tandis qu’elle devait en assurer la garde, conformément au contrat de prêt d’actifs souscrit le 28 octobre 1999 avec la société Euroshipping charter company, aux termes duquel elle s’engageait à prendre soin des actifs prêtés par la société Euroshipping charter company, dont faisait partie le tableau litigieux, en exerçant le degré de diligence le plus élevé possible et en prenant les mesures nécessaires ou souhaitables dans toute juridiction pertinente, afin de protéger le droit de propriété d’Euroshipping charter company sur les actifs concernés ; qu’en rejetant la requête en nullité formée par la société Cherokee bay après avoir affirmé que le seul détenteur du tableau était le capitaine du navire et qu’elle ne pouvait prétendre détenir aucun droit sur le tableau litigieux, quand il résultait du contrat de prêt dont l’existence n’était pas contestée, que l’oeuvre « Head of a Young Woman » avait été mise à sa disposition afin qu’elle puisse « l’utiliser » et en « bénéficier », ce dont il résulte qu’elle en était bien un détenteur précaire, la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée de la notion de détention, en violation des textes visés au moyen ;
» 3°) alors qu’il résulte des dispositions de l’article 695-9-22 du code de procédure pénale que celui qui détient le bien objet de la décision de gel ou toute autres personne qui prétend avoir un droit sur ledit objet peut, par voie de requête remise au greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel territorialement compétente, dans les dix jours à compter de la mise à exécution de la décision considérée, former un recours à l’encontre de cette dernière dans les formes prévues par l’article 173 du code de procédure pénale ; qu’il résulte des termes de la requête en nullité déposée par les requérants que, depuis son acquisition au Royaume-Uni en 1977 par M. X…, l’oeuvre d’art litigieuse a toujours été détenue par ce dernier, que ce soit de manière directe, ou indirecte par le biais de la société Euroshipping charter company dont il est l’un des actionnaires ; qu’il résulte, par ailleurs, des pièces de la procédure que M. X…était visé par le certificat afférant à la demande de gel du tableau litigieux émise par les autorités espagnoles comme étant « accusé » d’un « possible délit de contrebande » « puisqu’il fut demandé pour ne pas exporter l’objet (cadre de Picasso) et pourtant il a été trouvé dans le territoire d’un autre pays membre (France) » ; qu’en rejetant la requête en nullité formée par M. X…contre des ordonnances de gel et de mainlevée de gel du tableau litigieux, prises sur le fondement d’un certificat émis par les autorités espagnoles le mettant en cause personnellement au titre d’un prétendu délit d’exportation illégale de ce tableau, la chambre de l’instruction a méconnu les texte susvisés et privé sa décision de toute base légale ;
» 4°) alors que toute contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que la chambre de l’instruction ne pouvait dans le même temps affirmer que les droits de M. X…sur le tableau étaient contestés par les autorités hispaniques et faisaient l’objet de procédures judiciaires en cours, et qu’il ne justifiait de l’exercice d’aucun droit sur l’oeuvre considérée, la contestation de ses droits par les autorités hispaniques impliquant nécessairement la revendication de l’existence de ces droits sur l’oeuvre en cause ; qu’en rejetant la requête en nullité sur le fondement de motifs contradictoires, la chambre de l’instruction a privé sa décision de toute base légale ;
» 5°) alors que la contradiction entre les motifs et le dispositif d’un arrêt équivaut à un défaut de motifs ; qu’une requête en annulation n’est recevable que dans la mesure où son requérant a qualité pour agir ; qu’après avoir, dans ses motifs, considéré qu’aucun des requérants n’avait qualité à agir en annulation des ordonnances litigieuses, faute d’être selon elle, ni détenteur du bien gelé, ni titulaire d’un droit quelconque sur le bien, la chambre de l’instruction, dans son dispositif déclare leur requête recevable ; qu’en prononçant ainsi par des motifs en contradiction avec le dispositif, dès lors que le défaut de qualité à agir des auteurs d’une requête en nullité rendait nécessairement celle-ci irrecevable, la cour d’appel a méconnu les textes visés au moyen et privé sa décision de toute base légale » ;
Vu l’article 695-9-22 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il résulte de ce texte que le détenteur d’un bien faisant l’objet d’une mesure de gel ainsi que toute personne qui prétend avoir un droit sur le dit bien peut exercer un recours contre la décision ordonnant cette mesure ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, sur la demande des autorités judiciaires espagnoles, le juge d » instruction de Bastia a ordonné le gel d’un tableau de Pablo Picasso, découvert, au cours d’une visite des agents des douanes, sur un navire appartenant à la société Cherokee bay ; que cette société, ainsi que la société Euroshipping charter company, qui se prétend propriétaire de l’oeuvre, et M. X…ont présenté une demande d’annulation des décisions du juge d’instruction ordonnant le gel et la main levée du gel de ce bien ;
Attendu que, pour rejeter la requête, l’arrêt attaqué énonce d’abord que la chambre est tenue d’examiner la situation des requérants qui prétendent avoir un droit sur le tableau, seule condition permettant de considérer que les nullités dénoncées, à les supposer démontrées, peuvent leur faire grief, puis que les deux sociétés ne peuvent prétendre détenir un droit sur le tableau concerné et que M. X…ne justifie pas l’exercice d’un droit quelconque sur l’œuvre considérée, et en déduit qu’il n’est dès lors pas besoin d’examiner les moyens de nullité invoqués ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, après avoir constaté que le bien litigieux se trouvait sur le bateau appartenant à la société Cherokee bay et retenu que le capitaine du navire, préposé de cette société, en était le détenteur, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu d’examiner l’autre moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bastia, en date du 14 octobre 2015, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf mai deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
ECLI:FR:CCASS:2016:CR02061