Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. Bernard D…, demeurant 12, Place des Nobles, 71480 Cuiseaux,
2 / Mme D…, demeurant 12, Place des Nobles, 71480 Cuiseaux,
3 / M. Frédéric D…, demeurant …,
4 / Mme Y… Epinat, demeurant : 01270 Coligny,
5 / Mme Gaby X…, née D…, demeurant …,
6 / M. Pierre E…, demeurant 1, rue du …,
7 / M. Jean-Paul G…, demeurant 12, Romantica, …,
8 / M. Louis G…, demeurant …,
9 / M. Jean K…, demeurant : 71480 Cuiseaux,
10 / M. Michel K…, demeurant : 71480 Cuiseaux,
11 / Mme Cécile A…, née C…, demeurant New York 219 East 28ème street appartement C 4, Etats-Unis,
12 / Mlle Véronique C…, agissant en qualité d’héritière de M. Bernard C…, décédé le 2 septembre 1993, demeurant … 23, 75016 Paris,
13 / M. Denis, Henri C…, agissant en qualité d’héritier de M. Bernard C…, décédé le 2 septembre 1993, demeurant …, en cassation d’un arrêt rendu le 18 janvier 1994 par la cour d’appel de Grenoble (1ère et 2ème chambres réunies), au profit :
1 / de la société Jules D… Salaisons, société anonyme, dont le siège est …,
2 / de M. I…, pris en qualité d’administrateur au redressement judiciaire de la société D… société anonyme, demeurant …,
3 / de M. B…, pris en qualité de représentant des créanciers de la société Jules D…, société anonyme, demeurant …,
4 / de M. Robert F…, demeurant …,
5 / de M. Michel H…, demeurant …, défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 14 novembre 1995, où étaient présents : M. Nicot, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Poullain, conseiller rapporteur, M.
Vigneron, conseiller, M. Mourier, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Poullain, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat des consorts D…, de Mme Z…, de M. E…, de M. G…, des consorts G…, des consortsTureaud et des consorts C…, de Me Thomas-Raquin, avocat de la société Jules D… Salaisons, de M. I…, ès qualités, de M. B…, ès qualités, de M. F… et de M. H…, les conclusions de M. Mourier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 18 janvier 1994), statuant en matière de référé, sur renvoi après cassation, que M. et Mme Bernard D…, M. Frédéric D…, Mmes X… et Epinat, MM. Perrod, Jean-Paul et Louis G…, Jean et Michel J… et M. C… (les consorts D…), actionnaires de la société Jules D… salaisons (la société D…), ont assigné cette dernière, ainsi que M. I… ès qualités d’administrateur judiciaire de la société D…, M. H…, président du conseil de la société D…, M. B…, ès qualités de représentant des créanciers de la société, et M. F… (la société D… et consorts), aux fins de voir ordonner une mesure d’instruction sur les agissements de M. H… au cours de son mandat social ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que, les consorts D… reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté leur demande d’expertise fondée sur l’article 415 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le pourvoi, d’une part, que les mesures d’instruction prévues par l’article 415 du nouveau Code de procédure civile peuvent et doivent être diligentées avant tout procès, sans que les demandeurs soient tenus d’indiquer s’ils engageront un procès, ni d’énoncer la nature et le fondement juridique de celui-ci ;
qu’en écartant la demande des consorts D…, motif pris de ce que les irrégularités sociales peuvent être reconstituées dans le cadre d’une mesure d’instruction au fond, la cour d’appel a violé, par fausse interprétation, l’article 145 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, en outre, qu’il résulte de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile que des mesures d’instruction peuvent être ordonnées, non seulement pour conserver, mais encore pour établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ;
que, dès lors, en ne vérifiant pas si la mesure demandée aurait pu établir la preuve des faits concernés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, enfin, qu’ils faisaient valoir dans leurs conclusions que la mesure d’instruction sollicitée visait à informer les actionnaires sur les opérations ayant conduit, sans que la régularité de la procédure de redressement judiciaire soit vraiment en cause, à la dissolution de la société, puis à la dispersion de ses actifs ;
que la cour d’appel, qui se cantonne aux événements antérieurs à la cession, en n’examinant au demeurant que leur régularité formelle, sans répondre à leur moyen pertinent, a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, l’arrêt constate que la procédure collective a été ouverte un mois et quatre jours après que M. H… ait pris le contrôle de la société, le dépôt de bilan ayant été décidé par un conseil d’administration où siégeait l’un des demandeurs à l’expertise, que la gestion de M. H… s’est effectuée, presque dès l’origine, sous le contrôle de l’administrateur au redressement judiciaire, que le tribunal de commerce a, immédiatement, fait effectuer un audit de la société et de ses filiales par un cabinet spécialisé, que le plan de cession a recueilli l’approbation du Tribunal et de la cour d’appel et que, tout au long de la gestion de M. H…, les assemblées se sont tenues régulièrement et qu’il n’est pas démontré qu’une seule demande de précision formée par l’un des actionnaires, à qui il était loisible de mettre à l’ordre du jour toutes les questions qu’ils jugeaient utiles, soit restée sans réponse ;
qu’ainsi ne se bornant pas à énoncer qu’il n’y avait pas lieu d’assurer la conservation de preuves, mais faisant apparaître que les anomalies dénoncées par les consorts D… pour caractériser leur intérêt légitime à demander une expertise n’existaient pas, et n’ayant en conséquence pas à s’expliquer spécialement sur son refus d’ordonner une enquête sur la dispersion des actifs après la réalisation du plan de cession dans des conditions ne laissant pas soupçonner de fraude, la cour d’appel, abstraction faite du motif erroné mais surabondant visé à la première branche, a légalement justifié sa décision prise dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;
Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches :
Attendu que, les consorts D… reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté leur demande d’expertise fondée sur l’article 415 du nouveau Code de procédure civile, relativement à la gestion des filiales de la société D…, alors, selon le pourvoi, d’une part, que les mesures d’instruction pouvant être sollicitées sur le fondement de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile doivent être ordonnées indépendamment de toutes les instances passées ou en cours ;
qu’en décidant cependant qu’une mesure d’instruction, relative aux filiales d’une société ayant fait l’objet d’un plan de cession, devait être écartée au motif que la situation de ces filiales avait été examinée à l’occasion de la procédure collective de la société-mère, la cour d’appel a violé, par fausse interprétation, l’article 145 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, d’autre part, que la mesure d’instruction demandée par les actionnaires ne visaient les filiales de la société D… que dans la mesure où elles constituaient un élément important de l’actif de cette société, qui venait de faire l’objet d’un plan de cession ;
que la cour d’appel qui s’est bornée à retenir par un motif inopérant que ces filiales « n’étaient pas parties à la présente procédure » n’a pas déduit les conséquences légales qui s’évinçaient des motifs par lesquelles elle constatait que lesdites filiales constituaient « un élément d’actif important » de la société-mère ;
que la cour d’appel a en conséquence violé l’article 145 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu’ayant relevé, que la situation des filiales avait été examinée à l’occasion de la procédure collective de la société D… dont elles constituaient un élément d’actif important, la cour d’appel, abstraction faite du motif visé à la seconde branche du moyen qui est surabondant, a pu statuer comme elle a fait ;
que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que, les consorts D… reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté leur demande d’expertise fondée sur l’article 226 de la loi du 24 juillet 1966, alors, selon le pourvoi, d’une part, que la personnalité morale de la société dissoute se poursuit pour les besoins de sa liquidation ;
que dès lors en écartant la demande des actionnaires tendant à ce que soit diligentée une mesure d’expertise sur le fondement de l’article 226 de la loi du 24 juillet 1966, au motif que la société avait été dissoute, la cour d’appel a violé par fausse interprétation, cet article et l’article 545 du Code civil ;
alors, d’autre part, que l’objet de la mesure d’expertise prévue par l’article 226 de la loi du 24 juillet 1966 est d’assurer l’information des actionnaires sur une ou plusieurs opérations de gestion ; qu’en écartant la demande des actionnaires de la société D…, tendant à ce qu’une telle mesure soit diligentée, au seul motif qu’une expertise avait déjà eu lieu, sans vérifier si cette expertise avait déjà été communiquée aux demandeurs, ni si elle complétait leur information sur les événements litigieux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu, qu’après avoir relevé que les consorts D… sollicitaient une expertise portant sur les comptes de la société D… et de ses filiales ainsi que sur les agissements de M. H… depuis sa nomination à la présidence du conseil d’administration de cette société et, plus spécialement, sur les opérations qu’il a traitées soit personnellement soit par personnes interposées avec les filiales de la société, l’arrêt retient que leur demande vise non pas une opération de gestion déterminée, mais toute la gestion et tend à un réexamen des comptes ;
que, par ce seul motif et abstraction faite des considérations critiquées au pourvoi, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d’exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en son audience publique du trois janvier mil neuf cent quatre-vingt-seize.
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