Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 06/02/2020
la SCP CABINET TOCQUEVILLE
la SCP LEMAIGNEN – WLODYKA – DE GAULLIER
ARRÊT du : 06 FEVRIER 2020
No : 37 – 20
DBVN-V-B7D-F5LR
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de Versailles en date du 03 Juin 2015
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
La SA GROUPE WINDSOR Société anonyme
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège […]
[…]
Ayant pour avocat postulant Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat au barreau d’ORLEANS et pour avocat plaidant Me Hugues SALABELLE, membre de la SCP CABINET TOCQUEVILLE, avocat au barreau de PARIS,
D’UNE PART
INTIMÉ : – Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
Monsieur J… Q…
né le […] à LILLE (59500)
[…]
[…]
Ayant pour avocat postulant Me Benoit de GAULLIER, membre de la SCP LEMAIGNEN/de GAULLIER, et pour avocat plaidant Me Claude LEGOND, avocat au barreau de VERSAILLES
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL en date du : 25 Avril 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 28 Novembre 2019
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l’audience publique du 05 DECEMBRE 2019, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, en son rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l’article 786 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel D’ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 06 FEVRIER 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :
La société Windsor Promotion, qui a pour activité principale la promotion immobilière dans le secteur du logement et de l’immobilier d’entreprise, a embauché à compter du 11 octobre 2004, M. J… Q… , selon contrat à durée indéterminée, en qualité de Directeur général adjoint en charge du développement de l’immobilier d’entreprise (Bureaux, commerces, plateformes logistiques, résidences étudiantes).
Selon contrat de cession d’actions conclu avec la société Groupe Windsor le 23 juin 2011, M. Q… a acquis 2000 actions de la société Windsor Promotion au prix de 260.260 €, payable en 11 annuités de 22.000 € et une 12ème annuité de 18.260 €.
La société Windsor Promotion a procédé au licenciement économique de M. Q… , par lettre du 6 novembre 2013. M. Q… a quitté l’entreprise le 7 février 2014 et a contesté son licenciement. La cour d’appel de Versailles par arrêt du 20 février 2019 a confirmé le jugement rendu par le conseil de Prud’hommes le 19 septembre 2016 qui avait rejeté ses contestations.
Reprochant à M. Q… de ne pas avoir réglé l’échéance de 22.000€ prévue le 30 juin 2014, la société Groupe Windsor lui a adressé une mise en demeure le 4 juillet 2014 puis l’a fait assigner par acte du 31 juillet 2014 devant le tribunal de commerce de Versailles en résolution de la vente.
M. Q… a réglé la somme de 22.000 € par courrier du 4 novembre 2014. Il a exposé devant le tribunal qu’il effectuait ce règlement, sous réserve de l’appréciation faite par le tribunal des dispositions de l’article IV de l’acte de cession d’actions et qu’il n’avait pas réglélus tôt car il était dans l’attente du rachat de ses actions, prévu à l’article 4 du contrat et devant intervenir dans les 30 jours de son départ de l’entreprise.
Par jugement du 3 juin 2015, le tribunal de commerce de Versailles a statué ainsi :
Donne acte à la SA Groupe Windsor de son désistement de sa demande de résolution de contrat de cession d’actions conclut avec M. Q… le 23 juin 2011,
Ordonne à la société SA Groupe Windsor de proposer à M. J… Q… un acquéreur pour ses 2000 actions à un prix qui sera fixé conformément à la convention, soit sur la base des capitaux propres après affectation du résultat de la société à la clôture de l’exercice précédent la rupture de son contrat de travail et dit n’y avoir lieu à astreinte,
Déboute M. J… Q… de sa demande en dommages et intérêts.
Condamne la société SA Groupe Windsor à payer à M. Q… 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
Condamne la société SA Groupe Windsor au dépen de l’instance dont les frais de greffe (81,12€).
Pour statuer ainsi, le tribunal a indiqué qu’il convenait d’interpréter la clause « d’engagement du cessionnaire » selon l’intention commune des parties. Il a appliqué l’article 1160 du Code Civil au terme duquel le juge doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage soit qu’elles n’y soient pas exprimées et a relevé qu’il était d’usage, dans les sociétés fermées, d’assortir les cessions d’actions de clauses réciproques d’achats-ventes. Il en a déduit que cette clause de rachat au bénéfice de M. Q… existait dans la présente convention, même si elle n’était pas formulée.
La SA Groupe Windsor a interjeté appel du jugement le 1er juillet 2015 et demandé la résolution du contrat de cession d’actions au motif que M. Q… n’avait pas réglé les échéances du 30 juin 2015 et du 30 juin 2016 de 22.000€ chacune.
Par arrêt du 21 février 2017, la cour d’appel de Versailles a statué ainsi :
Infirme en ses dispositions frappées d’appel le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 3 juin 2015, sauf en ce qu’il a débouté M. Q… de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
Prononce la résolution du contrat de cession d’actions signé le 23 juin 2011 entre la société Groupe Windsor et M. Q… ,
Rejette toutes autres demandes
Y ajoutant,
Condamne M. Q… aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct par application de l’article 699 du code de procédure civile.
Sur pourvoi de M. Q… , la Cour de cassation, par arrêt du 10 avril 2019 a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 21 février 2017 et renvoyé les parties devant la cour d’appel d’Orléans.
Elle a retenu que la cour d’appel avait, d’une part méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile car elle avait statué sans répondre aux conclusions de M. Q… qui faisaient valoir qu’ayant été licencié le 6 novembre 2013 et ayant quitté définitivement l’entreprise le 7 février 2014, la société Groupe Windsor devait en application de l’article 4 du contrat de cession racheter ses actions dans le mois de son départ de la société soit avant le 7 mars 2014, de sorte qu’il était libéré du paiement des annuités à compter du mois de juin 2014 ; d’autre part privé sa décision de base légale en prononçant la résolution du contrat sans préciser en quoi le défaut de paiement des échéances litigieuses était, dans les circonstances qu’elle rappelait, un manquement d’une gravité suffisante justifiant la résolution du contrat.
La société Groupe Windsor a saisi la Cour d’appel d’Orléans par acte de saisine du 25 avril 2019. M. Q… a lui-même saisi la Cour d’appel de renvoi suivant acte de saisine du 6 juin 2019 et les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 8 juillet 2019.
Dans ses dernières conclusions du 6 novembre 2019, la société Groupe Windsor demande à la cour de :
Vu l’article 16 du code de procédure civile,
Vu les articles 1134 et 1160 du Code Civil,
Infirmer le Jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Vu l’article 1184 du Code Civil,
Prononcer la résolution de l’acte de cession d’actions intervenue le 23 juin 2011 entre M. Q… et la Société Windsor Groupe
Constater que compte-tenu des dividendes perçus par M. Q… depuis le 23 juin 2011 de la Société Windsor Promotion et le montant du prix acquitté par ce dernier, la Société Groupe Windsor doit à M. Q… au titre du compte de restitution la somme de 22.000 €
Débouter en toute hypothèse M. Q… de son appel incident.
Condamner M. Q… à payer à la Société Groupe Windsor la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile
Condamner M. Q… aux entiers dépens.
Elle fait valoir que la convention de cession d’actions stipule clairement qu’en cas de départ de la société Windsor Promotion, M. Q… s’engage à céder ses actions à toute personne que désignerait la collectivité des associés mais qu’elle ne contient aucun engagement de rachat de ses actions de la part du cédant puisque d’une part, la clause s’intitule « engagement du cessionnaire » et non du cédant et que d’autre part, l’emploi du temps conditionnel « désignerait » implique que la société n’a pas l’obligation de désigner un acquéreur pour les actions du salarié qui quitte la société. Elle soutient que la clause litigieuse est claire et n’avait pas à être interprétée et que le tribunal a violé le principe du contradictoire en appliquant sans réouvrir les débats, l’article 1160 du Code civil et un prétendu usage « d’assortir les attributions d’actions de clauses réciproques d’achat/vente » alors que ces deux fondements n’étaient pas invoqués. Elle ajoute que le contrat de cession d’actions n’est pas une « attribution d’actions » relevant des articles L225-197-1 et suivants du Code de commerce et qu’il n’existe pas d’usage de prévoir une clause de rachat des actions attribuées aux salariés dans ce cadre en cas de départ de ces derniers.
Elle précise que l’achat des actions n’a pas pu être présenté à M. Q… comme une condition nécessaire pour être embauché, puisqu’il date de juin 2011 alors que ce dernier a été embauché en octobre 2004 sept ans plus tôt et était en outre libre de refuser d’acheter ces action. Elle indique encore que les actions de l’autre salarié auquel le jugement se réfère ont été rachetées par la société en exécution d’un engagement express pris par la société Windsor Promotion, ce qui n’est pas le cas s’agissant de M. Q… .
Elle expose aussi que c’est à tort que M. Q… prétend que les actions ne pourraient être vendues sans l’accord préalable du président du Groupe Windsor car la clause d’agrément incluse dans les statuts de la société Groupe Windsor n’empêche pas les cessions d’actions de la société Windsor Pomotion, et car si les statuts de cette dernière prévoient aussi un agrément du cessionnaire en cas de cession d’actions, ils imposent en cas de refus d’agrément, un rachat desdites actions par les autres associés ou par la société dans les conditions prévues à l’article 1843-5 du Code civil.
Elle demande la résolution du contrat pour non paiement des échéances des 30 juin 2015 et 2016 en rappelant que la résolution peut être prononcée par le juge en cas d’inexécution partielle quand elle porte sur une obligation déterminante de la conclusion du contrat et est suffisamment grave, ce qui est le cas en l’espèce compte tenu des manquements volontaires et persistants de M. Q… à son obligation de payer et du prix des actions acquises. Elle indique en outre que M. Q… s’oppose au paiement de ces échéances pour des motifs fallacieux tirés de ce qu’il n’aurait pas été convoqué à l’assemblée générale du 23 juin 2015 sur les comptes clos au 31 décembre 2014 et n’aurait pas reçu copie du procès verbal de cette assemblée, étant ainsi dans l’ignorance d’une éventuelle distribution de dividendes, alors qu’il a bien été convoqué et que la société Windsor Promotion n’avait pas à lui transmettre spontanément les procès verbaux de ces assemblées, qui ont d’ailleurs été communiqués sans être suivis du paiement des échéances. Elle ajoute qu’en réglant l’échéance du 30 juin 2014, son ancien salarié a renoncé à soutenir que l’inexécution par elle de sa prétendue obligation de rachat de ses actions l’avait libéré de son obligation au paiement des annuités du 30 juin 2014, 2015 et 2016.
Elle indique enfin que par suite de la résolution du contrat, M. Q… a droit à la restitution du prix qu’il a payé, soit 100.000€ et doit restituer les dividendes qu’il a perçus depuis le 23 juin 2011, soit la somme de 78.000€, de sorte qu’elle doit lui régler la somme de 22.000€.
M. Q… demande à la cour, dans ses dernières conclusions du 29 juillet 2017 de :
Confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné à la SA Groupe Windsor de proposer à M. Q… un acquéreur pour ses 2000 actions de la société Windsor Promotion à un prix qui sera fixé conformément à la convention.
Et y ajoutant,
Condamner la SA Groupe Windsor à une astreinte de 1000 € par jour calendaire à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, pour proposer un repreneur aux 2000 actions détenues par M. Q… ,
Subsidiairement,
Condamner la société Groupe Windsor à payer à M. Q… la somme de 499.740,00 € en réparation du préjudice subi.
Condamner la société Groupe Windsor à payer à M. Q… la somme de 50.000€ à titre de dommages et intérêts pour inégalité de traitement des actionnaires.
Condamner la société Groupe Windsor à payer à M. Q… la somme de 150.000€ au titre de son préjudice financier.
Condamner la société Groupe Windsor à la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamner la société Groupe Windsor aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Claude Legond conformément à l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Débouter la société Windsor Promotion de son appel, de ses demandes, fins et conclusions.
Au sujet du rachat de ses actions, il indique que le contrat précise que la cession « devra » intervenir au plus tard dans les 30 jours suivant la date à laquelle le contrat de travail aura pris fin, ce terme imposant une obligation à la société Groupe Windsor de procéder au rachat des actions et rappelle que cette cession lui a été proposée 18 mois après son embauche, en 2006, sur la base de la valeur des actions au 31 décembre 2006, même si l’acte n’a été régularisé qu’en 2011, de sorte qu’il n’était alors pas en situation de refuser. Il indique que la commune intention des parties impose des obligations réciproques et que ce contrat serait déséquilibré, illusoire et dolosif si la société Groupe Windsor n’était pas amenée à lui racheter ses actions car les clauses d’agrément prévues par les statuts des sociétés Groupe Windsor et Windsor Promotion restreignent toute possibilité de vendre les actions à des tiers sans l’accord préalable du Président. Il ajoute que d’ailleurs, pour deux autres salariés ayant signé des conventions de cession analogues, la société Groupe Windsor a racheté leurs actions après leur départ de la société, et qu’en réalité, il est traité différemment car il a contesté son licenciement.
Il en déduit que si la cour ne retenait pas une obligation de rachat des actions par la société, il serait titulaire d’actions sans valeur, ne pouvant les vendre en raison de la clause d’agrément, ce qui lui causerait un préjudice devant être réparé à hauteur de la somme de 489.740€ correspondant à la valeur des actions au 31 décembre 2013 déduction faite du prix restant dû.
Il s’oppose par ailleurs à la demande de résolution formée par la société Groupe Windsor. Il fait valoir, qu’il n’a eu connaissance de la décision prise par l’assemblée générale d’affecter au « report à nouveau » le bénéfice net de l’exercice clos au 31 décembre 2013 que le 16 juillet 2014 et a dû régler l’échéance de 22.000€ alors que les trois autres actionnaires concernés ont bénéficié d’un report in fine de l’échéance par la seule volonté du Président, ce qui constitue une décision discriminatoire à son égard. Il ajoute qu’il n’a pas été convoqué à l’assemblée générale du 23 juin 2015 et n’a pas reçu la copie du procès verbal de cette assemblée générale et du rapport de gestion.
Il sollicite en outre des dommages et intérêts d’une part pour inégalité de traitement des actionnaires et comportement discriminatoire, d’autre part pour perte de chance d’avoir pu placer la somme correspondant au rachat de ses actions refusé à tort par la société Goupe Windsor.
L’affaire a été fixée à l’audience du 5 décembre 2019 en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile auquel renvoie l’article 1037-1 du même code.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 28 novembre 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de rachat des actions
L’acte de cession stipule en son article 4 :
« En cas de départ de la société ou des sociétés liées, le cessionnaire s’engage irrévocablement à céder les présentes actions à toute personne que désignerait la collectivité des associés.
La cession devra intervenir au plus tard dans les 30 jours suivant la date à laquelle le contrat de travail aura pris fin et ceci quelque soit le motif, que le départ soit volontaire ou non.
Le prix de cession des actions sera fixé exclusivement en considération des capitaux propres après affectation du résultat de la société Windsor Promotion à la clôture de l’exercice précédent la rupture du contrat de travail. (…)
Le cessionnaire s’interdit de céder, même gratuitement, à un tiers tout droit attaché aux actions, et notamment tout droit préférentiel de souscription, droit d’attribution d’actions gratuites sans l’accord préalable et écrit de la collectivité des associés. »
Il est exact que cette clause s’intitule « engagement du cessionnaire » et stipule que le cessionnaire s’engage à céder les actions au départ de la société sans stipuler expressément que le cédant, la société Windsor Groupe, s’engage à racheter ou faire racheter les actions. Les parties lui donnent toutefois des sens différents en s’appuyant à chaque fois sur certains de ses termes.
M. Q… s’appuie sur les termes « le cessionnaire s’engage irrévocablement à céder les présentes actions » et « la cession devra intervenir au plus tard dans les 30 jours suivant la date à laquelle le contrat de travail aura pris fin, quelque soit le motif, que le départ soit volontaire ou non ». Il déduit de ces termes impératifs que la cession doit obligatoirement intervenir dans les trente jours et par suite que la société Groupe Windsor doit lui racheter les actions.
Au contraire, la société Groupe Windsor déduit de l’emploi du terme « désignerait » au conditionnel que lorsque le cessionnaire quitte la société, la collectivité des associés peut désigner une personne pour acquérir ses actions mais n’y est pas obligée.
Ces deux interprétations sont opposées et sont l’une et l’autre possibles au regard des termes employés : dans une première interprétation, le caractère impératif des termes employés conduit à considérer que le cessionnaire qui quitte la société à l’obligation de céder ses actions et comme il ne peut les céder librement mais seulement à une personne désignée par la collectivité des associés, cette dernière a dès lors l’obligation corrélative de désigner une personne pour les racheter. Dans une seconde interprétation, la collectivité des associés a la faculté de désigner une acquéreur, sans y être tenue, et c’est seulement si elle le décide et désigne effectivement un acquéreur que la cession doit alors intervenir dans le délai de trente jours.
C’est donc à tort que la société Groupe Windsor prétend que cette clause est claire et précise et ne pouvait être interprétée par le tribunal sauf à la dénaturer. S’il est exact que les premiers juges n’ont pas explicité, à destination des parties, les usages auxquels ils se sont référés, afin de leur permettre de former leurs observations sur ce point, c’est toutefois à bon droit qu’ils ont retenu que cette clause devait être interprétée.
Compte tenu de la date de la convention, il convient d’appliquer les anciens articles 1156 et suivants du Code civil dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016 dont il ressort notamment que :
– on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes (article 1156)
– lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun (article 1157)
– les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat (article 1158)
– toutes les clauses des conventions s’interprétent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier (article 1161)
– dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation (article 1162).
En application de ces règles, la cour n’est pas tenue de s’arrêter au sens littéral du titre de la clause et doit rechercher la commune intention des parties.
Dans l’interprétation donnée par la Société Groupe Windsor, il est difficile de comprendre pourquoi la collectivité des associés aurait un délai aussi bref de 30 jours pour désigner un acquéreur et pour que la cession se réalise, s’il s’agit d’une simple faculté pour elle.
Surtout, la première phrase de la clause comporte un engagement impératif du cessionnaire à céder ses actions (« s’engage irrévocablement à céder »), mais seulement à certaines personnes, et la seconde phrase qui prévoit que la cession doit (emploi du futur « devra ») intervenir au plus tard dans les 30 jours suivant le départ, et ce « quel que soit le motif du départ » a un caractère très général. Elle ne précise pas qu’elle ne s’appliquerait que dans le cas où la collectivité des associés aurait décidé de désigner un acquéreur et impose la réalisation de la cession des actions à bref délai quelque soit la raison du départ de la société. Ces termes traduisent la volonté des parties et notamment de la société de ne pas conserver comme associé une personne qui ne serait plus dans ses effectifs.
Ils sont en outre cohérents, avec la procédure d’agrément prévue par les statuts de la société Windsor Promotion en cas de projet de cession des actions d’un associé à un tiers (pièce 14 produite par l’appelante) qui prévoit in fine qu’en cas de refus d’agrément, la société doit faire racheter les actions par un ou plusieurs associés ou les racheter elle-même, ainsi qu’avec le dernier paragraphe de la clause qui stipule que le cessionnaire ne peut pas céder à un tiers tout droit attaché aux actions. En effet, ces dispositions traduisent la volonté des sociétés Windsor Promotion et Windsor Groupe de conserver un intuitu personae afin que le capital social reste aux mains des mêmes associés sauf accord de leur part pour en intégrer de nouveaux associés, ce qui a conduit le tribunal à utiliser le terme de « sociétés fermées ».
Une telle volonté n’est pas cohérente avec l’interprétation selon laquelle la société ne serait pas tenue de racheter ou faire racheter les actions d’un salairé quittant l’entreprise, ce qui conduirait à conserver comme actionnaires des personnes qui n’oeuvrent plus dans l’intérêt de l’entreprise, et peuvent même être en conflit avec elle et ne plus partager l’affectio societatis.
En outre, l’utilisation du terme « désignerait » peut avoir un autre sens que celui que lui donne la société Groupe Windsor. En effet, le mode conditionnel est utilisé pour exprimer une action qui aura lieu à condition qu’une autre action ait pu avoir lieu avant. La condition devant se réaliser avant n’est pas précisée et le terme « désignerait » peut parfaitement renvoyer, non au fait que la désignation par la collectivité des associés ne serait qu’une faculté, mais à la condition placée au début de la phrase : « en cas de départ » de l’associé, qui n’est qu’une éventualité.
La première phrase de la clause signifie alors que le cessionnaire s’engage irrévocablement à céder ses actions, dans l’hypothèse où il quitterait la société, et ce à toute personne que désignerait alors la collectivité des associés. La désignation de l’acquéreur n’est plus une faculté mais la suite du départ de l’associé, dans l’éventualité où il a lieu.
Cette seconde interprétation de l’emploi du conditionnel est alors cohérente avec les termes impératifs précédemment rappelés, notamment la seconde phrase de la clause.
En outre, en application de l’article 1162 du Code civil, le doute doit ici profiter à celui qui s’est engagé c’est à dire M. Q… .
En conséquence, dès lors que la clause susvisée, tout en obligant le cessionnaire qui quitte l’entreprise à céder ses actions, et ce impérativement dans les trente jours de la fin du contrat de travail, ne l’autorise pas à les vendre librement à la personne de son choix puisqu’il doit les vendre « à toute personne que désignerait la collectivité des associés », la clause doit s’interpréter comme signifiant que l’engagement irrévocable du cessionnaire de vendre ses actions emporte corrélativement l’obligation pour la société de faire désigner un acquéreur par la collectivité des associés.
Le jugement doit en conséquence être confirmé pour ces motifs substitués aux siens en ce qu’il a ordonné à la société SA Groupe Windsor de proposer à M. J… Q… un acquéreur pour ses 2000 actions à un prix qui sera fixé conformément à la convention, sur la base des capitaux propres après affectation du résultat de la société à la clôture de l’exercice précédent la rupture de son contrat de travail.
Il convient en revanche d’assortir cette obligation, en l’absence de règlement dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, d’une astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard et ce pendant une durée de quatre mois, par infirmation du jugement de ce chef.
Sur la demande de résolution du contrat de cession d’actions
Aux termes de l’article 1184 ancien du Code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
M. Q… ne conteste pas ne pas avoir réglé les deux sommes de 22.000€ venues à échances les 30 juin 2015 et 30 juin 2016, étant précisé en réponse à son argumentation relative à sa convocation aux assemblées générales que l’intimée justifie de la convocation de l’intéressé, par courriers respectifs des 12 juin 2015 et 20 juin 2016, aux assemblées des 23 juin 2016 et 30 juin 2016 au cours desquels il a été décidé d’affecter le bénéfice de l’exercice clos au report à nouveau, de sorte que les échéances susvisées n’ont pu être réglées avec les dividendes de M. Q… .
Néanmoins, et en tout état de cause, la cour observe qu’en application de l’article 4 précité, la société Groupe Windsor aurait dû trouver un acquéreur, (au besoin la société elle-même), pour racheter les 2000 actions de M. Q… , ce au plus tard le 7 mars 2014 et le contrat aurait alors pris fin, M. Q… étant alors de fait libéré de son obligation de paiement des annuités.
Au regard du retard dans l’exécution de son obligation par la société, le non paiement par ce dernier de deux échéances de 22.000€ à des dates auxquelles ses actions auraient en principe déjà dues être rachetées, n’apparaît pas un manquement suffisamment grave justifiant de prononcer la résolution du contrat de cession d’actions aux torts de ce dernier.
La société Groupe Windsor doit en conséquence être déboutée de la totalité de ses demandes.
Sur les autres demandes
M. Q… prétend avoir été victime de discrimination de la part de la société Groupe Windsor qui aurait accepté de racheter les actions d’autres salariés mais refusé de racheter les siennes en raison de sa contestation de son licenciement.
Il ressort toutefois de la pièce 13 produite par l’intimée que les actions de M. P…, directeur commercial ont été rachetées en exécution d’un engagement express pris par le Président de la société Windsor Promotion, envers son salarié par courrier du 21 juin 2006. Un tel engagement n’a pas été pris envers M. Q… . Ces deux personnes ne sont donc pas placées dans la même situation et le reproche de discrimination ne peut prospérer.
S’agissant de M. S…, l’intimé ne produit aucun justificatif de ses affirmations. Il ne rapporte donc pas la preuve d’une discrimination et sa demande de dommages et intérêts sera rejetée.
En revanche, il est exact que si la société Groupe Windsor avait exécuté son obligation tenant à la désignation d’un acquéreur, M. Q… aurait disposé d’une somme d’argent qu’il aurait pu placer. Cette somme correspond ainsi qu’il l’indique à la valeur des 2000 actions au 31 décembre 2013 sous déduction du montant des échéances restant à payer, soit la somme de 489.740€ non contestée en son quantum.
L’intimé produit une attestation d’une société de gestion de portefeuille indiquant que sur une base de 100 et sur la période du 31 janvier 2014 au 30 juin 2019, le compte PEA de M. J… Q… a évolué de 55,34%. Néanmoins, la période à prendre en compte pendant laquelle un placement aurait pu être effectué si la société Groupe Windsor avait exécuté son obligation court uniquement à compter du 7 mars 2014 et sera donc évaluée à 5 ans et non 6 ans.
En outre, le préjudice subi à ce titre est seulement la perte de chance d’avoir pu obtenir des gains issus du placement, pendant cette durée de 5 ans, de la somme correspondant au rachat de ses actions refusé à tort par la société Goupe Windsor, sous déduction de leur prix restant dû. En effet, il n’est pas certain que M. Q… aurait placé la dite somme sur le compte PEA ouvert auprès de la société Tiepolo et que le dit placement lui aurait rapporté en 5 ans la somme de 150.000€, sur la base d’un taux de 5% par an, s’agissant d’un placement à risque.
Il peut être raisonnablement retenu une perte de chance d’avoir pu valoriser la somme due sur la base d’un taux d’environ 2% par an. Il sera en conséquence alloué à ce titre à M. Q… la somme de 50.000€.
La société Groupe Windsor qui succombe en son appel sera condamnée aux entiers dépens, outre le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Maître L… et réglera une somme de 4000€ à l’intimé sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
– Infirme le jugement déféré en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à astreinte ;
Statuant à nouveau sur ce seul chef,
– Assortit l’obligation pour la société Groupe Windsor de proposer à M. J… Q… un acquéreur pour ses 2000 actions à un prix qui sera fixé conformément à la convention, sur la base des capitaux propres après affectation du résultat de la société à la clôture de l’exercice précédent la rupture de son contrat de travail, d’une astreinte provisoire de 150€ par jour de retard, en l’absence d’exécution dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et ce pendant une durée de 4 mois, à l’issue de laquelle il sera le cas échéant de nouveau statué;
Confirme le jugement dans le surplus de ses dispositions ;
Y ajoutant,
– Déboute la société Groupe Windsor de la totalité de ses demandes,
– Condamne la société Groupe Windsor à payer à M. J… Q… la somme de 50.000€
au titre de son préjudice financier ;
– Condamne la société Groupe Windsor à verser à M. J… Q… une indemnité de 4000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Rejette le surplus des demandes ;
– Condamne la société Groupe Windsor aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT