Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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M. Jean-Claude Y…,
M. Bernard X…,
Le procureur général près la cour d’appel de Versailles,
contre l’arrêt de ladite cour d’appel, 9e chambre, en date du 10 décembre 2009, qui a condamné le premier, pour abus de confiance et abus de biens sociaux, à six mois d’emprisonnement avec sursis et 300 000 euros d’amende, le deuxième, pour complicité de ces délits, à six mois d’emprisonnement avec sursis, 70 000 euros d’amende et un an d’interdiction professionelle ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour MM. Y… et X…, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 1134 du code civil, 36 de la loi du 1er mars 1984, 121-6, 121-7, 314-1 du code pénal, L. 242-6 3° du code de commerce, et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné M. Y… à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 300 000 euros, a condamné M. X… à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, à une amende de 70 000 euros et à une peine complémentaire d’interdiction d’exercer la profession d’avocat pendant un an ;
» aux motifs que les sommes de 5 541 000 francs et 65 000 000 francs ont été affectées en compte courant d’associé comme le stipulait l’accord des 31 octobre et 18 novembre 1997 et ainsi que l’ont admis les prévenus à l’audience et ainsi que cela ressort des échanges de correspondances entre les avocats et notamment de celles du 19 novembre 1997 émanant de Me X… et D… ; que ce versement de fonds s’imposait selon ces termes, nonobstant l’absence d’accomplissement de la condition suspensive de l’homologation d’un accord amiable avec les créanciers, eu égard à l’urgence et à la situation financière de la société ; que la nature d’avances en compte courant d’associé de ces sommes est corroborée par la lettre de Me Z… du 17 décembre 1997 qui organise ces virements d’avances en compte courant en continuant de se référer à la transaction des 31 octobre et 18 novembre 1997 ; que, de même, ce caractère d’avance en compte courant est établi par la lettre de Me X… du 8 décembre 1997 relative au versement de la somme de 65 000 000 de francs qui précise expressément que le remboursement pourrait intervenir en cas de cession de l’intégralité des parts d’Ista comme le prévoyait ladite convention ; qu’il appartenait donc en principe à M. Y…, en sa qualité de représentant de la société Ista, de recevoir les fonds en cause à titre de compte courant d’associé et donc devant être mis à la disposition de la société Ista sur les comptes destinés à cet usage à savoir les comptes bancaires, en toute transparence tant à l’égard des organes de la société que des tiers ; qu’en application de l’article 229 du décret du 27 novembre 1991 et selon les usages de la profession, la Carpa a pour objet de recevoir tous les fonds reçus par un avocat d’un client dès lors que ceux-ci sont associés à un acte professionnel ; qu’il ressort notamment de la lettre du 7 janvier 1998 adressée par Me X… à la Carpa que les dépôts sur le compte Carpa de ces avances en compte courant d’associé étaient justifiées auprès de cette caisse comme des consignations ; que, force est de constater que tel n’est pas le cas, puisqu’il ne s’agit pas d’une somme remise en dépôt à titre de garantie, mais de sommes à la disposition de la société Ista au titre d’un compte courant d’associé ; que les avances en compte courant d’associés ne correspondaient pas à des sommes perçues par Me X… comme associées à un acte professionnel légitime de celui-ci ; que l’affectation de ces sommes sur un compte où elles n’auraient pas dû se trouver tendait à éviter qu’elles n’apparaissent dans les comptes en banque de la société Ista pour les faire échapper aux banques créancières et éviter un dépôt de bilan, comme l’ont reconnu M. A…, directeur financier adjoint de la société Ista, M. Y… et Me X… au cours de l’enquête comme au cours des débats ; qu’il n’entre pas dans la fonction de l’avocat, qui n’est pas un banquier, d’utiliser son compte Carpa comme compte courant d’une société cliente et, a fortiori, de participer par l’intermédiaire de ce compte à une organisation visant à soustraire des fonds aux actions des créanciers ; que, certes, il a pu ainsi éviter un dépôt de bilan, extrémité prévue par le législateur pour assurer en toute transparence l’impossibilité pour la société de faire face à son passif avec son actif disponible dans le cadre d’un respect équilibré des intérêts de l’entreprise, des salariés et des créanciers ; que, certes, l’ouverture d’une procédure collective aurait pu avoir des conséquences nuisibles pour les dirigeants susceptibles de voir mis en cause leur responsabilité et pour les actionnaires créanciers de la société susceptibles de voir leurs apports en compte courant absorbés dans les dettes de la société ; que les prévenus ne sauraient justifier utilement par l’avancée des négociations avec les créanciers et la société CGE, le dépôt de ces apports en compte courant d’associés sur un compte Carpa au lieu des comptes bancaires de la société avant la cession stipulée par le contrat des 31 octobre et 18 novembre 1997 à partir de laquelle les associés pouvaient prétendre récupérer ces sommes et en user comme ils l’entendaient ; que, certes, une lettre de la CGE du 31 décembre 1997 informait M. Y… de ce qu’un acte de cession pourrait être signé si un accord intervenait avec les créanciers, souhaité au plus tard le 8 janvier 1998, mais que ces perspectives d’aboutissement de ces négociations envisagées pour une date plus ou moins proche n’autorisait pas la mise de ces fonds ailleurs que sur les comptes bancaires de la société Ista, seuls susceptibles de recevoir des avances en comptes courant, avant même l’acte de cession finalement intervenu le 22 janvier 1998, condition du remboursement des apports en comptes courant d’associé ; qu’ainsi, le virement de l’apport en compte courant de la somme de 65 000 000 de francs, par ordre du 7 janvier 1998, sur le compte Carpa au lieu des comptes bancaires de la société Ista, était contraire à son affectation ; qu’a fortiori, ne pouvait faire l’objet d’un tel dépôt sur le compte Carpa l’apport en compte courant de 5 500 000 francs dès le 16 décembre 1997 ; que M. Y… a, par conséquent, utilisé les fonds à un autre usage que celui pour lequel ils lui avaient été remis, en les déposant sur le compte Carpa de l’avocat X… au lieu des comptes bancaires de la société ; que cet abus est d’autant plus répréhensible qu’il agissait ainsi dans l’idée de frauder les droits des créanciers et d’échapper à l’obligation qui aurait pu en découler, c’est-à-dire déposer le bilan ; que, dirigeant expérimenté d’une société, entouré des conseils d’un avocat spécialisé en la matière, il était pleinement conscient des conséquences des actes reprochés et de leur caractère frauduleux ; que l’existence de ce compte Carpa était connue au sein de la société Ista non seulement de M. Y… mais aussi de M. B…, administrateur, et de M. C…, responsable comptabilité clients, et du commissaire aux comptes ; qu’il n’en demeure pas moins vrai que ce mode de gestion était irrégulier faute d’intégration directe des sommes en cause sur les comptes bancaires et dans la comptabilité de la société ; que cette acceptation de la part d’autres personnes de ce mode douteux de gestion des fonds de la société Ista ne permet pas pour autant aux prévenus qui l’ont mis en oeuvre de s’exonérer de leur faute ; que M. Y… s’est donc bien rendu coupable d’abus de confiance par le simple dépôt sur le compte Carpa de Me X… des sommes de 5 540 000 francs puis 65 000 000 de francs ;
» 1) alors que le détournement suppose une remise à titre précaire, il ne peut avoir de détournement en cas de transfert de propriété ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt attaqué qu’en vertu de la convention transactionnelle des 31 octobre et 18 novembre 1997, les sociétés Natinco et LFA, associées de la société Ista, ont prêté sous forme d’avance en compte courant, à cette dernière qui en est ainsi devenue propriétaire, à charge pour elle de les rembourser, les sommes de 35 000 000 de francs et de 65 000 000 de francs ; qu’en exécution de cette transaction, les 19 novembre 1997 et 17 décembre 1997 les dites sommes ont été déposées à hauteur de 30 000 000 de francs et 65 000 000 de francs sur des comptes ouverts auprès de la BNP par M. Z… au nom de la société Ista et ont servi pour une partie d’entre elles au fonctionnement de la société Ista ; qu’en décidant que M. Y…, président directeur général de la société Ista, s’était rendu coupable d’abus de confiance en faisant virer une partie de ces sommes, le 17 décembre 1997, pour 5 514 000 francs, et le 8 janvier 1998, pour 65 000 000 de francs sur le compte Carpa, sous compte Ista, de M. X…, en méconnaissance de l’affectation qui en avait été donnée par les associés qui n’en avaient plus la propriété, et lors même que la société Ista, représentée par M. Y… pouvait en disposer librement, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;
» 2) alors que l’abus de confiance suppose le non-respect de l’affectation des sommes remises à titre précaire ; qu’il résulte de la convention transactionnelle des 31 octobre et 18 novembre 1997 que les associés de la société Ista, la société LFA et la société Tekelec à laquelle s’est substituée la société Natinco, se sont engagés à verser à la société Ista, sous forme d’avance en compte courant d’actionnaires, les sommes de 65 000 000 de francs pour la première et de 35 000 000 de francs pour la seconde, afin de reconstituer les fonds propres de la société Ista et permettre au conciliateur de conclure avec ses créanciers un règlement amiable durable ; que cette convention avait pour seul objet un prêt consenti par les actionnaires LFA et Natinco en faveur de la société Ista, la forme d’avance en compte courant ne constituant qu’une modalité de remise des fonds ; qu’en décidant que M. Y…, président directeur général de la société Ista, s’était rendu coupable du délit d’abus de confiance au motif qu’il avait, les 17 décembre 1997 et 8 janvier 1998, fait virer les fonds précédemment remis par les associés, sur le compte Carpa, sous-comptoir Ista, de M. X…, en méconnaissance de l’affectation qui en avait été donnée quand bien même la société Ista conservait la disposition de ces sommes, la cour d’appel a méconnu les termes de la convention transactionnelle des 31 octobre et 18 novembre 1997, ensemble les textes susvisés ;
» 3) alors que M. X… a fait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées que le solde de la somme avancée par la société Natinco, puis viré sur le compte Carpa, sous compte Ista, d’un montant de 5 514 897, 47 francs a été utilisé effectivement dans l’intérêt de la société Ista pour payer le principal créancier de la société Ista à hauteur de 3 000 000 de francs ; qu’en décidant que les sommes en cause avaient été détournées du fait de leur virement sur le compte Carpa, sans répondre à ces conclusions, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 593 du code de procédure pénale ;
» 4) alors que, par ordonnance du 16 octobre 1997, le président du tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de règlement amiable à l’égard de la société Ista ; que, par ordonnance du 5 décembre 1997, il a ordonné la suspension des poursuites des créanciers de la société Ista jusqu’au 15 janvier 1998 ; qu’en décidant que M. Y…, président directeur général de la société Ista, s’était rendu coupable du délit d’abus de confiance au motif que les fonds au lieu de rester sur un compte bancaire, avaient été dans un second temps, les 17 décembre 1997 et 8 janvier 1998, virés sur un compte Carpa, sous compte Ista, en fraude des droits des créanciers de la société Ista et afin d’éviter la cessation des paiements, la cour d’appel a méconnu l’autorité de la chose jugée des dites ordonnances, ensemble les textes susvisés ;
» 5) alors que l’abus de confiance suppose que le détournement soit opéré au préjudice du propriétaire, du possesseur ou du détenteur des fonds ; qu’en décidant que M. Y… s’était rendu coupable du délit d’abus de confiance au préjudice de la société Ista en virant sur le compte Carpa, sous compte Ista de M. X…, les sommes remises par ses actionnaires au motif qu’un tel agissement en fraude des droits des créanciers avait permis d’éviter la cessation des paiements sans préciser le préjudice qu’aurait personnellement subi la société Ista, du fait du virement, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
» 6) alors que, l’abus de confiance suppose la conscience de porter atteinte aux droits du propriétaire ; qu’en se bornant à relever que M. Y… était pleinement conscient des conséquences des actes reprochés et de leur caractère frauduleux sans préciser en quoi son comportement qui consistait à avoir fait virer sur un compte Carpa, des fonds remis par les associés pour sauvegarder l’entreprise, révélait sa volonté de se les approprier, la cour d’appel qui a constaté que ces virements avaient permis de faire échapper les fonds aux saisies des créanciers de la société et d’éviter la cessation des paiements, n’a pas légalement justifié sa décision ;
» 7) alors que M. Y… a fait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées que le but du transfert des fonds sur le compte Carpa, sous compte Ista, était de montrer aux banques qui avaient retiré leur crédit à la société Ista et fermé ses comptes, sa capacité de mobiliser une forte somme d’argent en vue de la réalisation d’un règlement amiable avec les principaux créanciers ; qu’en ne répondant pas à ce moyen qui était de nature à démontrer que M. Y… n’avait pas agi dans un but frauduleux mais pour que la procédure de règlement amiable aboutisse et que la société Ista soit sauvegardée, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 593 du code pénal » ;
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que la somme de 34 480 000 francs versée par la société Natinco et la somme de 65 millions de francs revenant à la société LFA ont été portées, conformément à l’affectation décidée par convention transactionnelle, à leur crédit en comptes courants d’associés de la société anonyme Ista, ayant pour président M. Y… ; qu’une partie de la somme de 34 480 000 francs et la somme de 65 millions de francs ont été virées, les 16 décembre 1997 et 7 janvier 1998, sur le compte Carpa de M. X…, avocat ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables, respectivement, d’abus de confiance et de complicité de ce délit, l’arrêt énonce notamment que le virement des sommes sur le compte Carpa de M. X… était contraire à leur affectation et tendait à les faire échapper aux banques créancières ainsi qu’à éviter un dépôt de bilan, qu’il appartenait à M. Y…, en sa qualité de représentant de la société Ista, de recevoir les fonds en cause pour être mis à la disposition de la société sur les comptes destinés à cet usage, à savoir des comptes bancaires, en toute transparence à l’égard des organes de la société et des tiers, et que M. X… a mis tout en oeuvre pour permettre l’utilisation de son compte de manière non conforme à l’objet de la caisse et à la nature des avances en compte courant ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il ne ressort pas de ces énonciations que la remise des sommes mises à la disposition de la société Ista ait été effectuée à titre précaire, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de cassation proposés :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles, en date du 10 décembre 2009, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Bloch conseiller rapporteur, Mme Desgrange conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;