Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 septembre 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 918 F-D
Pourvoi n° T 20-14.448
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2021
La société [8], société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 1] (Fédération de Russie), a formé le pourvoi n° T 20-14.448 contre l’arrêt rendu le 12 décembre 2019 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Chambre 1-9), dans le litige l’opposant au procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, 20 place de Verdun, 13616 Aix-en-Provence, défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société [8], après débats en l’audience publique du 7 juillet 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 décembre 2019), la société [8], société de droit russe, a déposé, le 30 avril 2019, une requête devant un juge de l’exécution afin d’être autorisée, sur le fondement de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, à pratiquer diverses mesures conservatoires à l’encontre de M. [Q], à savoir une saisie conservatoire et un nantissement provisoire de parts sociales détenues par lui dans la société [4], en garantie de la somme de 40 351 220,14 euros.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
2. La société [8] fait grief à l’arrêt de rejeter sa requête, alors « que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut obtenir du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ; qu’en rejetant la requête de l’exposante, après avoir constaté que le dossier présenté par l’exposante révélait que M. [Q] était intervenu dans des agissements frauduleux avec, notamment, M. [X], et que l’action en responsabilité introduite par l’exposante à Chypre était dirigée, notamment, contre M. [Q], ce dont il se déduisait l’existence d’une créance de l’exposante contre M. [Q] paraissant fondée en son principe, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution :
3. En application de ce texte, il n’appartient pas au juge de l’exécution de statuer sur la réalité de la créance ou d’en fixer le montant, mais de se prononcer sur le caractère vraisemblable d’un principe de créance.
4. Pour confirmer l’ordonnance du juge de l’exécution ayant rejeté la demande de mesures conservatoires, l’arrêt retient que M. [Q] n’a pas agi seul, mais nécessairement avec l’aide ou l’implication éventuelles d’autres sociétés, de leurs dirigeants ou actionnaires, de sorte que la cour ne peut cerner avec une précision suffisante la pertinence de la créance de nature délictuelle, invoquée à titre personnel à l’encontre de M. [Q], à tout le moins quant à son montant, toute évaluation raisonnable outre l’aléa de la procédure, étant à ce jour impossible.
5. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 décembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société [8]
Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir rejeté la requête de la société [8] ;
aux motifs propres que : « L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que toute personne dont la créance parait fondée en son principe, peut solliciter du juge de l’exécution l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La société requérante est bien fondée lorsqu’elle souligne que le « principe de créance » exigé par ce texte ne se confond pas avec la « certitude » de créance. Mais il ne s’agit pas non plus d’une simple « apparence » de créance. La vérification à faire par le juge, lorsqu’il autorise la mesure conservatoire sans obtention préalable par le créancier d’un titre exécutoire, en raison de l’indisponibilité des biens qu’elle provoque, ne doit pas être banalisée, afin de ne pas créer une atteinte démesurée aux droits du débiteur, fut-il présenté, comme en l’espèce, comme un homme animé par l’intention de fraude et de corruption. En l’espèce, la société [8] rappelle avoir consenti des financements très importants, le 28 avril 2015, à la société [7] (ci après [7]) et la société [5] (ci après [5]) qui n’ont pas été honorés alors que la société [5] est en liquidation judiciaire depuis le 5 mars 2018 et que la société [7] a été condamnée à lui payer 39.7 millions de dollars US par le tribunal de commerce de Moscou. Monsieur [Q] n’est donc pas un débiteur direct sur le plan contractuel. Elle expose néanmoins, au moyen de nombreux éléments procéduraux, soutenir depuis un acte introductif du 20 décembre 2018 à l’encontre de monsieur [Q], une action en dommages et intérêts pour le préjudice qu’elle a subi, en invoquant l’organisation par ce dernier, réel bénéficiaire de toutes les manoeuvres, un concert frauduleux visant à vider progressivement les sociétés contrôlées de leurs actifs et trésoreries à son profit. Le dossier ainsi que présenté par la société [8] révèle cependant que monsieur [Q] n’était bien entendu, pas le seul à intervenir dans ces agissements frauduleux, ainsi on peut relever entre autres, le nom de monsieur [S] [J] [X], un associé et collaborateur de longue date de monsieur [Q], qui d’ailleurs avait racheté la société [3]. De plus, l’action en responsabilité entreprise n’est pas seulement dirigée contre monsieur [Q] mais également le Group [1], [2] et [6] ce pour le montant global de 45 709 862 USD. Monsieur [Q] n’a pas agi seul, mais nécessairement avec l’aide ou l’implication éventuelles de ces sociétés, de leurs dirigeants ou actionnaires, de sorte que la cour ne peut cerner avec une précision suffisante la pertinence de la créance de nature délictuelle, invoquée à titre personnel à l’encontre de monsieur [Q], à tout le moins quant à son montant, toute évaluation raisonnable outre l’aléa de la procédure, étant à ce jour impossible, alors que le préjudice qui lui sera imputé ne correspondra pas nécessairement avec le montant de l’emprunt non remboursé. En conséquence de quoi, la décision de première instance sera confirmée » ;
aux motifs, à les supposés adoptés que : « Aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. » La SA [8] sollicite l’autorisation, pour sûreté et conservation de la somme de 40.180.430,05 euros : de pratiquer entre les mains de la société [4] ou entre les mains de tout mandataire de cette société ou intermédiaire habilité pour l’ensemble des valeurs mobilières inscrites en compte au nom de M. [H] [Q], la saisie conservatoire de la totalité des parts sociales de cette société appartenant à M. [H] [Q] ; d’inscrire un nantissement provisoire sur la totalité des parts sociales de la société [4]. Par ordonnance en date du 22 février 2019 (19/96), le juge de l’exécution de ce tribunal a rejeté la requête de la société [8] aux fins d’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien propriété de la société [4] dont M. [Q] détient l’intégralité des parts et dont elle soutient qu’il est le véritable propriétaire de l’immeuble dénommé [Adresse 2]. Par ordonnance en date du 12 mars 2019 (19/122), le juge de l’exécution de ce tribunal a rejeté la requête de la société [8] aux fins de saisie des parts sociales détenues par M. [Q] au sein de la société [4] et d’inscription d’un nantissement provisoire, aux motifs : qu’elle bénéficie d’une ordonnance du juge chypriote de gel des actifs de M. [Q] pour un montant des actifs de 45.709.862,17 dollars américains ou sa contrevaleur en euros, une procédure au fond est pendante à Chypre à l’encontre de M. [Q], que la requérante ne caractérise ni suffisamment sa créance envers M. [H] [Q] à titre personnel ni, en l’état des mesures ordonnées par le juge chypriote, une circonstance susceptible de menacer le recouvrement de la créance qu’elle invoque. La SA [8] a déposé, en date du 30 avril 2019, la présente requête susvisée aux mêmes fins que celle ayant donné lieu à l’ordonnance rendue le 12 mars 2019. Elle prétend faire état d’éléments nouveaux par la production d’une opinion juridique d’un avocat chypriote en date du 27 mars 2019 et d’un arrêt de la Cour de cassation du 03 octobre 2018. Il appartient à la société [8], à l’appui de ces pièces et des moyens juridiques qu’elle soutient, de former tout recours utile contre les ordonnances du juge de l’exécution contestées, conformément aux dispositions de l’article 496 du code de procédure civile, en l’absence de démonstration de tout élément nouveau à l’appui de la présente requête. En conséquence la requête sera rejetée » ;
alors 1°/ que toute personne justifiant d’une apparence de créance et de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement peut obtenir du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire ; qu’en estimant qu’une apparence de créance ne suffirait pas pour l’obtention d’une autorisation du juge de pratiquer une mesure conservatoire, la cour d’appel a violé l’article L. 511-1 du code des procédure civile d’exécution ;
alors 2°/ que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut obtenir du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ; qu’en rejetant la requête de l’exposante, après avoir constaté que le dossier présenté par l’exposante révélait que M. [Q] était intervenu dans des agissements frauduleux avec, notamment, M. [X], et que l’action en responsabilité introduite par l’exposante à Chypre était dirigée, notamment, contre M. [Q], ce dont il se déduisait l’existence d’une créance de l’exposante contre M. [Q] paraissant fondée en son principe, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;
alors 3°/ qu’il n’appartient pas au juge de l’exécution saisi d’une demande d’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire de statuer sur la réalité de la créance ou d’en fixer le montant, mais seulement de se prononcer sur le caractère vraisemblable d’un principe de créance ; qu’en retenant, pour rejeter la requête de l’exposante, qu’elle ne pouvait cerner le montant de la créance de nature délictuelle invoquée à titre personnel à l’encontre de M. [Q], toute évaluation étant impossible, et que le préjudice imputable à ce dernier ne correspondra pas nécessairement au montant de l’emprunt non remboursé, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;
alors, subsidiairement, 4°/ que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire dépourvue d’autorité de chose jugée, de sorte que si une telle requête est rejetée, il est possible de la réitérer ; qu’à supposer que la cour d’appel ait adopté les motifs du juge de l’exécution, pris de ce qu’une précédente requête avait été rejetée et qu’elle n’apportait pas d’éléments nouveaux, la cour d’appel aurait violé l’article 493 du code de procédure civile ;
alors, subsidiairement, 5°/ que la mesure ordonnée le 27 décembre 2018 par le tribunal de Limassol est une interdiction de toutes opérations sur les actifs détenus par M. [Q], directement ou indirectement, à Chypre, dans la limite de la somme de 45.709.862,17 dollars américains ou au montant équivalent en euros ; qu’elle constitue une mesure provisoire et conservatoire de nature civile ayant pour objet d’empêcher que le débiteur n’organise son insolvabilité en lui interdisant de disposer de ses biens, sous la forme d’une injonction personnelle assortie de sanctions, de sorte que, opérant in personam et non in rem, elle ne rend pas juridiquement indisponibles les biens visés et n’écarte pas toute menace pesant sur le recouvrement d’une créance ; qu’à supposer que la cour d’appel ait adopté les motifs du juge de l’exécution pris de ce que par une précédente ordonnance du 12 mars 2019, le juge de l’exécution avait retenu que l’exposante bénéficiait d’une ordonnance du juge de Limassol emportant gel des actifs de M. [Q], motif impropre à exclure toute menace pesant sur le recouvrement par l’exposante, de sa créance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédure civile d’exécution.
ECLI:FR:CCASS:2021:C200918