Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Compagnie du BTP, dont le siège est …,
en cassation d’un arrêt rendu le 13 janvier 1998 par la cour d’appel de Paris (1ère chambre civile, section A), au profit :
1 / de la société SPIE Batignolles, dont le siège est Parc Saint Christophe, Pôle Vinci, 95863 Cergy-Pontoise Cédex,
2 / de la société Bouygues, dont le siège est …,
3 / de la Société générale d’ entreprises (SGE), dont le siège est 1, cours Ferdinand de Lesseps, 92500 Rueil-Malmaison,
4 / de la société Lyonnaise des eaux devenue société Suez lyonnaise des eaux, dont le siège est …,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 19 décembre 2000, où étaient présents : M. Leclercq, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Collomp, conseiller rapporteur, M. Poullain, conseiller, M. Feuillard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Collomp, conseiller, les observations de la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat de la société Compagnie du BTP, de Me Choucroy, avocat de la Société générale d’entreprises, de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Suez lyonnaise des eaux, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société SPIE Batignolles, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Bouygues, les conclusions de M. Feuillard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 1998), que se prévalant d’un acte souscrit le 26 octobre 1994, aux termes duquel certains de ses actionnaires s’étaient engagés « en considération des résultats d’un audit effectué sur les engagements de Murabail et d’Optibail…à adopter d’ici le 30 novembre 1994, d’une part les mesures permettant de couvrir les risques latents de perte, d’autre part les dispositions de caractère structurel permettant de régler durablement les difficultés de la compagnie du BTP », la compagnie du BTP a sommé les douze actionnaires concernés, de souscrire à l’augmentation de capital décidée par son assemblée générale extraordinaire du 13 avril 1995 et réalisée sous forme d’émission de titres subordonnés à durée indéterminée (TSDI) pour un montant de 800 millions de francs, puis devant le refus de certains, les a fait assigner pour qu’il soit jugé qu’ils étaient tous tenus de souscrire la part leur incombant de cette émission ;
qu’à la suite de plusieurs désistements, le litige a été circonscrit aux seules sociétés Spie Batignolles, Bouygues, Société générale d’entreprises et Suez lyonnaise des eaux, dites les sociétés « majors » ;
Attendu que la compagnie du BTP fait grief à l’arrêt de l’avoir déboutée de sa demande tendant à la condamnation des sociétés Spie Batignolles, Bouyghes, Société générale d’entreprises et Suez lyonnaise des eaux à lui payer respectivement les sommes de 83 600 000 francs, 78 640 000 francs, 58 400 000 francs et 28 640 000 francs avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, en proportion de leur part dans la recapitalisation ou, à défaut la somme de 200 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 ) que malgré son caractère unilatéral, une lettre d’intention (ou lettre de confort) peut, selon ses termes, lorsqu’elle a été acceptée par son destinataire et eu égard à la commune intention des parties, constituer à la charge de celui qui l’a souscrite, un engagement contractuel de faire ou de ne pas faire pouvant aller jusqu’à l’obligation d’assurer un résultat ; que, dès lors, en se déterminant par l’affirmation de principe erronée selon laquelle l’acceptation des engagements financiers souscrits « ne saurait résulter ni d’une lettre de confort ni d’une garantie autonome dont se prévaut de manière inopérante la compagnie du BTP », la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ;
2 ) qu’en se bornant à retenir que rien ne permettait d’affirmer qu’à la date du 26 octobre 1994, les actionnaires appelants étaient en possession d’éléments d’appréciation permettant de chiffrer les besoins à 800 millions de francs, sans répondre aux conclusions, qui, comme le jugement infirmé l’avait retenu, invoquaient le document remis lors de la réunion du 6 octobre 1994, ce document prévoyant expressément en cas de continuité de l’exploitation, une recapitalisation de 565 millions qui, avec la caution FGI de 250 millions, faisait apparaître le montant de 800 millions, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) qu’en tout état de cause, les juges du fond avaient l’obligation, s’il en était besoin, d’interpréter l’acte litigieux en recherchant quelle avait été l’intention des parties ; qu’ainsi la cour d’appel devait prendre parti sur l’étendue du concours financier que les actionnaires s’étaient engagés à apporter et dont elle a expressément constaté que ces « actionnaires d’un établissement bancaire ont nécessairement accepté le principe », sachant que le ratio de solvabilité était entamé ; qu’en l’espèce, une clef de répartition correspondant à la part respectives des douze actionnaires concernés dans le capital de la compagnie avait déjà été pratiquée depuis la crise du BTP et c’est sur cette base que, sans aucune contestation, l’ensemble des autres actionnaires avaient exécuté l’engagement du 26 octobre 1994 ; que dès lors, en statuant de la sorte, au prétexte inopérant que « l’objet de ce dernier est indéterminé quant aux moyens techniques du soutien financier » et que « l’acte ne prévoit pas de clef de répartition », l’arrêt infirmatif est dépourvu de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ;
4 ) qu’elle demandait, par ailleurs, la condamnation des majors en cause à lui payer la somme de 200 000 000 francs de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à leur absence totale d’exécution de leur engagement du 26 octobre 1994 ; qu’en rejetant également cette demande sans s’en expliquer par une motivation spéciale, mais implicitement comme une conséquence du rejet de la demande tendant à la condamnation d’exécuter les concours financiers dont l’arrêt a constaté que le principe avait été accepté, et en particulier, sans rechercher si ces actionnaires n’avaient pas manqué à leur obligation en refusant d’emblée et obstinément tout concours financier, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir exactement énoncé que les engagements d’un associé ne pouvaient être augmentés sans le consentement de celui-ci, la cour d’appel, en appréciant la portée et le contenu des obligations souscrites par les actionnaires aux termes de l’acte du 26 octobre 1994 dont l’ambiguïté exigeait interprétation, et des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que si les signataires avaient bien accepté le principe d’une augmentation de leurs engagements financiers, les modalités de mise en oeuvre des « mesures » et « dispositions » envisagées demeuraient indéterminées et indéterminables, les moyens techniques du soutien financier permettant de couvrir durablement les risques latents de perte et de régler les difficultés de la compagnie du BTP n’ayant pas été précisés non plus que les besoins de recapitalisation dont les évaluations avaient varié au fil des mois, ni la clef de répartition de la contribution entre les actionnaires, rien s’établissant que ceux-ci aient accepté que soit appliquée « par défaut », celle qui avait été précédemment mise en oeuvre ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel qui n’a pas fondé sa décision sur le motif critiqué par la première branche du moyen et qui a répondu en les écartant implicitement aux conclusions évoquées par la deuxième, en a déduit, dès lors qu’elle n’avait pas le pouvoir de suppléer la volonté des parties, que l’acte du 26 octobre 1994 qui impliquait que soient poursuivies les négociations destinées à définir les modalités de mise en oeuvre du soutien financier dont seul le principe avait été défini, n’engageait pas à lui seul les sociétés concernées ; que la cour d’appel qui a légalement justifié sa décision a pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, en second lieu, que la compagnie du BTP sollicitait exclusivement la réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de la défaillance des sociétés « majors » à lui apporter les fonds nécessaires à son rétablissement ; que dès lors qu’elle rejetait la demande principale en énonçant que l’acte du 26 octobre 1994 n’engageait pas les sociétés Spie Batignolles, Bouygues, Société générale d’entreprises et Suez lyonnaise des eaux, la cour d’appel qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui avait pas été demandée, ne pouvait que débouter, par voie de conséquence, la compagnie du BTP de sa demande en dommages-intérêts ;
Qu’ainsi le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Compagnie du BTP aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Compagnie du BTP à payer à la société SPIE Batignolles la somme de 12 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en l’audience publique du treize février deux mille un.