Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° B 18-12.677 et G 18-14.132 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Q…, engagé le 14 septembre 1981 par la société Les Papeteries de Clairefontaine en qualité de responsable adjoint de la finition, a occupé la fonction de directeur du service finition à partir de 1994 ; qu’il a été licencié pour faute grave le 15 mai 2012 ;
Sur le moyen unique du pourvoi de l’employeur et le premier moyen du pourvoi du salarié :
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen du pourvoi du salarié :
Vu l’article 1153, alinéa 3, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu qu’après avoir condamné l’employeur à payer certaines sommes au titre d’un rappel de salaire et de congés payés afférents, l’arrêt fixe le point de départ des intérêts au taux légal à compter du jour de l’arrêt ;
Qu’en statuant ainsi, alors que les intérêts des sommes couraient de plein droit à compter de la notification de la convocation du défendeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que les sommes de 268 554,51 euros et 26 855,45 euros allouées au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires et des congés payés afférents porteront intérêt au taux légal à compter du jour de l’arrêt, l’arrêt rendu le 19 janvier 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Dit que les sommes de 268 554,51 euros et 26 855,45 euros allouées au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires et des congés payés afférents porteront intérêt au taux légal à compter de la notification à l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes de Saint-Dié-des-Vosges ;
Condamne la société Papeteries de Clairefontaine aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. Q… ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° B 18-12.677 par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Papeteries de Clairefontaine
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la société PAPETERIES DE CLAIREFONTAINE à verser à Monsieur Q… les sommes de 268.554,51 € bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et 26.855,45 € au titre des congés payés afférents ;
AUX MOTIFS QUE « sur les heures supplémentaires ; L’article L:3171-4 du code du travail dispose qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l ‘appui de sa demande, le juge forme sa conviction ». Il ressort de cette règle que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties. En l’espèce, M. PG… Q… sollicite un rappel de salaire à hauteur de 268 554,51 € au titres des heures supplémentaires qu’il soutient avoir effectuées au-delà de sa durée mensuelle de travail fixée à 158,71 heures. Au soutien de sa demande, il verse aux débats un décompte quotidien des heures supplémentaires qu’il soutient avoir exécutées et les attestations de deux salariées, Mesdames O… W… et L… F… qui attestent de sa présence de 7h à 12h15 et de 13h45 à 19h, du lundi au vendredi, et parfois les samedis matins. Ces éléments sont suffisamment précis pour que l’employeur puisse les discuter avec les siens de sorte que le salarié étaye sa demande en paiement d’heures supplémentaires. Dès lors que le salarié étaye sa demande en paiement d’heures supplémentaires, l’employeur doit fournir à la cour les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par ce dernier, tels des fiches de pointage, des relevés d’heures, etc, étant précisé qu’il doit, dans tous les cas, pouvoir produire les justificatifs énoncés aux articles D. 3171-1 à D. 3171-17 du code du travail. En défense, la société papeteries de Clairefontaine soutient qu’en sa qualité de directeur du service finition, M. PG… Q… était un cadre dirigeant, de sorte que ses demandes en rappels de salaire sont infondées. Aux termes de l’article L. 3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants sont exclus de la réglementation de la durée du travail. Sont ainsi concernés les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou leur établissement ;
ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise. Il appartient au juge d’examiner la fonction réellement occupée par le salarié au regard de chacun des trois critères précités afin de vérifier si le salarié participait à la direction de l’entreprise. En l’espèce, la société Papeteries de Clairefontaine soutient que le salarié gérait l’ensemble des 172 salariés placés sous son autorité directe, lesquels représentent une masse salariale de 7 669 070 €, qu’il organisait son temps de travail comme il le souhaitait, bénéficiait de la deuxième rémunération la plus importante au sein de la société et avait délégation pour engager financièrement et sans limite la société. S’agissant de la gestion du personnel, l’employeur verse aux débats l’attestation de M. G… E…, le directeur des ressources humaines qui certifie l’évolution des effectifs pour le service Finition et celle de Mme J… I… qui certifie les coûts salariaux du département Finition. Ces attestations ne permettent pas d’apprécier dans quelles conditions M. PG… Q… exerçait une prétendue autorité sur ces salariés, elles n’indiquent pas s’il recrutait ces salariés ou s’il exerçait directement un pouvoir disciplinaire sur eux. Pour ce qui est de la délégation de pouvoirs, l’employeur verse l’attestation de Mme J… I… concernant le chiffre d’affaires réalisé avec la société Vosges Embal. Cette attestation ne permet pas de confirmer que M. PG… Q… possédait une délégation lui permettant d’engager la société, elle confirme seulement l’importance des relations commerciales entre les deux sociétés. M. PG… Q… nie d’ailleurs avoir disposé d’une délégation de pouvoirs, assurant avoir fait valider les commandes par la direction. La cour constate que la société Papeteries de Clairefontaine ne produit aucune délégation annexée au contrat de travail du salarié, ni aucun autre document qui prouverait l’étendue de ses pouvoirs. L’employeur verse également les attestations de Messieurs LX… , VQ… et S… pour justifier des fonctions du salarié qui selon les déclarations de ces salariés, « centralisait toutes les fonctions », « se considérait comme le patron de l’entreprise ». Ces seules attestations ne sauraient suffire à décrire avec précision les missions confiées au salarié et encore moins démontrer en quoi il participait à la direction de l’entreprise. Au sujet de l’autonomie dans le travail, l’employeur soutient que le salarié gérait de façon autonome son emploi du temps et verse plusieurs attestations de salariés qui déclarent avoir vu M. PG… Q… s’absenter de son poste de travail certains vendredis après-midis, ou l’avoir vu quitter son poste de travail en milieu d’après-midi ; Ces quelques témoignages ne sauraient suffire à justifier de la liberté laissée aux salariés dans l’organisation de son travail. Par ailleurs, le salarié produit ses bulletins de salaires, lesquels font mention d’heures supplémentaires exonérées de cotisations sociales et rappellent qu’une telle rémunération est incompatible avec le statut de cadre dirigeant. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. PG… Q…, directeur du service financier, disposait d’une grande liberté dans l’organisation de son travail et occupait un poste à un haut niveau de responsabilité, toutefois, l’employeur ne verse aucun élément concret permettant de caractériser la teneur de ses missions, ni, a fortiori, d’apprécier s’il participait effectivement à la direction de l’entreprise ; À défaut de rapporter la preuve de ce que M. PG… Q… était un cadre dirigeant, il convient de lui appliquer la réglementation relative à la durée du travail: le produisant des éléments suffisant à étayer sa demande en heures supplémentaires, et l’employeur ne versant aucun élément permettant d’apprécier la réalité des heures effectuées par le salarié, il convient de faire droit à la demande de M. PG… Q… en rappel de salaires au titre des heures supplémentaires qu’il a effectuées. Infirmant le jugement déféré, la société Papeterie Clairefontaine sera condamnée à verser à M. PG… Q… la somme de 268 554,51 € brut, outre 26 855,45 € au titre des congés payés afférents » ;
1. ALORS QUE selon l’article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome, et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que si les trois critères fixés par l’article L. 3111-2 du code du travail impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l’entreprise, il n’en résulte pas que la participation à la direction de l’entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux ; que, pour considérer que Monsieur Q… n’avait pas la qualité de cadre dirigeant, la cour d’appel a retenu que si, en sa qualité de « directeur du service [finition], [il] disposait d’une grande liberté dans l’organisation de son travail et occupait un poste à un haut niveau de responsabilité, l’employeur ne verse aucun élément concret permettant de caractériser la teneur de ses missions, ni, a fortiori, d’apprécier s’il participait effectivement à la direction de l’entreprise » ; qu’en statuant ainsi, déniant la qualité de cadre dirigeant à Monsieur Q… dont elle a constaté qu’il « disposait d’une grande liberté dans l’organisation de son travail et occupait un poste à un haut niveau de responsabilité » au seul motif qu’elle n’aurait pas été à même d’apprécier s’il participait à la direction de l’entreprise, la cour d’appel, à qui il appartenait d’examiner la situation du salarié au regard des trois critères légaux, a violé l’article L. 3111-2 du code du travail ;
2. ALORS QU’il n’est pas nécessaire, pour qu’un salarié possède la qualité de cadre dirigeant au sens de l’article L. 3111-2 du code du travail, ni qu’il soit investi de fonctions de recrutement et disciplinaires, ni qu’il soit titulaire d’une délégation de pouvoirs ; qu’en retenant que l’employeur ne justifiait pas de ce que Monsieur Q…, dont elle a constaté qu’il « disposait d’une grande liberté dans l’organisation de son travail et occupait un poste à un haut niveau de responsabilité », disposait de telles fonctions et d’une telle délégation, la cour d’appel a violé l’article L. 3111-2 du code du travail ;
3. ALORS QUE pour retenir ou écarter la qualité de cadre dirigeant d’un salarié, il appartient aux juges d’examiner la fonction que le salarié occupe réellement au regard de chacun des critères cumulatifs énoncés par l’article L. 3111-2 du code du travail ; qu’il en résulte que les juges ne peuvent se fonder sur les mentions figurant dans les fiches de paie pour exclure la qualité de cadre dirigeant ; qu’à supposer qu’en retenant que « par ailleurs, le salarié produit des bulletins de salaire, lesquels font mention d’heures supplémentaires exonérées de cotisations sociales et rappel[e] qu’une telle rémunération est incompatible avec le statut de cadre dirigeant », la cour d’appel ait entendu considérer que de telles mentions auraient été exclusives de la qualité de cadre dirigeant, elle aurait violé l’article L. 3111-2 du code du travail ;
4. ALORS QUE les juges ne peuvent se contredire dans leurs motifs ; qu’en retenant, tout à la fois, que les attestations versées aux débats n’auraient pas suffi à justifier de la « liberté du salarié dans l’organisation de son travail », et qu’il résultait de l’ensemble des éléments versés aux débats que Monsieur Q… « disposait d’une grande liberté dans l’organisation de son travail », la cour d’appel s’est contredite et a ainsi méconnu l’article 455 du code de procédure civile ;
5. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU’il appartient au salarié qui réclame le paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires d’étayer sa demande par des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en présentant ses propres éléments ; que, pour faire droit à la demande du salarié et condamner l’exposante à lui verser les sommes de 268.554,51 €
ainsi que 26.855,45 € au titre des congés payés afférents, la cour d’appel, après avoir écarté la qualité de cadre dirigeant, a retenu qu’il versait aux débats des éléments permettant d’étayer sa demande, à savoir « un décompte quotidien des heures supplémentaires qu’il soutient avoir exécutées et les attestations de deux salariées, Mesdames W… et F… qui attestent de sa présence de 7h à 12h15, et de 13h45 à 19h, du lundi au vendredi, et parfois les samedis matins » ; qu’en statuant ainsi, quand un « décompte quotidien » des heures supplémentaires n’est pas suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments, ce d’autant que lesdits décomptes ne coïncidaient pas avec les horaires, fixes, déclarés par les deux salariées dans leurs attestations visées par la cour d’appel, cette dernière a violé l’article L. 3171-4 du code du travail ;
6. ET ALORS QUE seules les heures supplémentaires qui ont été accomplies avec l’accord au moins implicite de l’employeur ouvrent droit à paiement ; qu’en l’espèce, dans ses motifs consacrés à la rupture du contrat de travail et singulièrement aux « intérêts privés » du salarié, la cour d’appel a constaté que Monsieur Q… était en possession, sur son lieu de travail, de « très nombreux documents comptables [de la société VOSGES EMBAL] » – à savoir des « tableaux de bord assortis de commentaires, des comptes rendus de différentes réunions sur la gestion de la société VOSGES EMBAL, des données comptables et financières telles que les comptes annuels pour l’exercice 2002 ou une simulation de taxe professionnelle, des contrats commerciaux, des procès-verbaux des délibérations d’assemblée générale, des tableaux comparatifs de chiffre d’affaires et plusieurs documents présentant les résultats de l’entreprise sous forme de diagrammes », et que « rien n’explique que le directeur du service finition de la société PAPETERIES DE CLAIREFONTANE possède ces documents » ; qu’il résultait nécessairement de ces constatations que Monsieur Q… se consacrait à d’autres tâches qu’à ses fonctions au sein de la société PAPETERIES DE CLAIREFONTAINE, en sorte que les heures supplémentaires réclamées ne pouvaient correspondre à une demande de l’employeur non plus que résulter de la charge de travail du salarié ; qu’en faisant néanmoins droit à sa demande, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses constatations et a violé l’article L. 3122-21 du code du travail.
Moyens produits au pourvoi n° G 18-14.132 par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. Q…
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que le licenciement est fondé sur une faute grave, et d’AVOIR débouté le salarié de ses demandes à titre de rappel de salaire sur mise à pied, outre les congés payés afférents, d’indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement, et de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
AUX MOTIFS propres QUE la lettre de licenciement, fixant les limites du litige, doit énoncer le ou les motifs du licenciement, lesquels doivent être précis, objectifs, vérifiables et, en matière de faute, situés dans le temps ; en l’espèce, la lettre de licenciement du 15 mai 2012 est motivée comme suit : « Nous vous informons que nous avons pris la décision de vous notifier votre licenciement aux motifs suivants : Vous êtes depuis 30 ans Directeur du service Finition des Papeteries de Clairefontaine, et à ce titre responsable des achats des matières de conditionnement qui sont utilisées. Nous avions une totale confiance en vous. Vous avez abusé de votre statut pour nuire aux intérêts de votre employeur, et tromper notre confiance. Vos pratiques déloyales et contraires aux intérêts des Papeteries de Clairefontaine sont inacceptables. En effet, et alors que nous envisagions de mettre en place une procédure de contrôle des prix, vous avez tout fait pour que cette procédure n’aboutisse pas. Vous avez tout d’abord multiplié les prétextes pour ne pas créer le fichier informatique avec le descriptif détaillé des produits que nous vous demandions depuis le 3 janvier 2012. Face à votre carence, nous avons dû créer nous même la structure de ce document. Ce n’est que le 8 mars 2012 que nous avons obtenu un fichier ; il était inexploitable. Le 12 mars 2012, vous nous présentez une commande d’achat sans respecter la procédure mise en place, à savoir sans renseigner les caractéristiques produits dans le fichier. Vous n’avez donc pas respecté nos directives. Le 11 avril 2012, nous vous demandons de nous adresser les appels d’offre reçus de 4 fournisseurs pour 2011 et 2012. Ce même jour, vous nous répondez que les deux fournisseurs qui constituent l’essentiel des approvisionnements de cartonnages (Dssmith et Mosb Urger) passent par la société Vosges Embal qui les représente. Nous avons été tout à fait stupéfaits de cette annonce car ces sociétés n’ont pas besoin d’intermédiaire pour vendre à Clairefontaine et vous n’en aviez jamais parlé à votre Direction. Or, il s’avère que Vosges Embal est dirigée par votre frère, P… Q… et que vous êtes un ancien actionnaire de cette société. Une seconde société, la SCI Vosges Embal est gérée par votre épouse V… Q…. Par ailleurs, il nous a été rapporté que vous refusiez de recevoir les fournisseurs de cartonnages qui ne passeraient pas par Vosges Embal pour revendre à Clairefontaine, rendant cet intermédiaire obligatoire. De ce fait, vous achetez ces cartonnages à Vosges Embal pour refacturer à Clairefontaine à des prix en moyenne supérieurs de 30 % aux prix du marché, avant négociation. Nous nous apercevons aujourd’hui que cette pratique déloyale dure depuis de nombreuses années. Le préjudice pour Clairefontaine se chiffre en plusieurs centaines de milliers d’euros sur la seule année 2011. Trompant notre confiance, vous avez délibérément favorisé une société familiale, dans laquelle vous aviez un intérêt direct ou indirect au détriment de votre employeur. Les achats de votre service chez Vosges Embal représentant d’ailleurs près de 80 % du chiffre d’affaires de cette société. Ces faits sont qualifiables de faute lourde car vous avez agi en toute connaissance de cause et depuis des années. Par ailleurs, votre qualité de Cadre supérieur vous oblige à montrer l’exemple et à être irréprochable. Toutefois, et malgré votre déloyauté évidente, nous considérons que votre ancienneté constitue une circonstance atténuante, et avons pris la décision de vous licencier pour faute grave » ; que M. PG… Q… a donc été licencié pour faute grave ; l’employeur, en visant la faute grave et en ayant mis à pied à titre conservatoire M. PG… Q… à compter du 25 avril 2012, s’est placé sur le terrain disciplinaire et doit justifier d’une faute imputable au salarié ; la faute grave est définie comme la faute qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis ; il appartient à l’employeur qui entend se prévaloir de la faute grave du salarié d’en apporter la preuve ; il convient, en conséquence, de déterminer si la société Papeteries de Clairefontaine reproche une faute justifiant le licenciement, et si cette faute est assez grave pour justifier la mise à pied à titre conservatoire dont M. PG… Q… a fait l’objet et pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis ; l’employeur reproche au salarié d’avoir abusé de son statut et trompé sa confiance « pour nuire aux intérêts » de l’entreprise, et invoque des pratiques déloyales, à savoir l’obstruction à la mise en place d’une nouvelle procédure de contrôle des prix et le favoritisme accordé à un fournisseur, la société Vosges Embal ; le salarié conteste la réalité de ces griefs et soulève leur imprécision ; que sur l’obstruction à la mise en place de la procédure de contrôle des prix : que l’employeur reproche au salarié d’avoir empêché la mise en place d’une nouvelle procédure de contrôle des prix, en ayant multiplié les « prétextes » pour ne pas créer le fichier informatique demandé depuis le 3 janvier 2012, lui reprochant ainsi de ne pas avoir respecté ses directives ; le salarié conteste ce grief et relève l’imprécision du motif rédigé dans la lettre qui ne précise ni les prétextes invoqués, ni les directives non respectées, ni la date des griefs ; sur la prescription : M. PG… Q… soutient que ces faits ne sont pas datés et qu’ils étaient prescrits ; aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance ; en l’espèce, il apparaît que l’employeur reproche au salarié de ne pas avoir respecté ses directives au cours de la période s’étendant de janvier au 8 mars 2012, ainsi que le 12 mars 2012, alors qu’il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement le 25 avril 2012 ; les faits n’étaient donc pas prescrits ; sur la matérialité des faits : l’employeur reproche au salarié d’avoir « multiplié les prétextes pour ne pas créer le fichier informatique », d’avoir transmis un fichier, seulement le 8 mars 2012 qu’il qualifie d’ « inexploitable » et d’avoir présenté une commande d’achat sans respecter la procédure mise en place le 12 mars 2014 ; il ressort des pièces versées aux débats que par mail du 21 décembre 2011, M. T… D… informait M. PG… Q… qu’il souhaitait valider toutes les commandes d’achat de la finition ; contrairement à ce que soutient l’employeur dans ses écritures, la lecture de ce courriel ne révèle aucune demande particulière relative à la production d’un tableau ; la première directive apparaît dans un courriel du 2 janvier 2012, par lequel M. D… demande au salarié un tableau récapitulatif contenant les renseignements suivants : « Référence, Désignation, Dimensions, Caractéristiques impression, quantité commandée en moyenne par commande, Quantité commandée par an » ; cette demande n’était assortie d’aucun délai ; en revanche, par mail du 5 janvier 2012, M. D… précise à M. PG… Q… que ce fichier est « urgent » ; puis, par courriel du 20 février 2012, M. D… demande à M. PG… Q… un fichier « article des consommables de la finition » pour certains groupes de marchandises et précise la structure du fichier, sans assortir sa demande d’un délai ; par courriel du 2 mars 2017, M. D… a demandé à M. PG… Q… quand il pourrait avoir le fichier ; M. Q… a répondu que le fichier n’était pas terminé et le 3 mars 2012, le fichier incomplet a tout de même été transmis sur demande de M. D… ; le 8 mars 2012 à 17h01, M. D… a exprimé le souhait de mettre en place un fichier centralisateur et de connaître les personnes à qui il fallait autoriser l’accès à ce fichier ; à 17h08, M. PG… Q… répondait à ce courriel en indiquant le nom des deux salariées chargées de cette mission ; par courriel du 12 mars 2012, M. D… indiquait à M. PG… Q… « une commande d’achat m’a été transmise pour signature. Cependant, rien n’a été renseigné sur le fichier Excel commun. Merci de faire le nécessaire pour que puisse la valider » ; il ressort de l’ensemble de ces éléments que M. PG… Q… a transmis un fichier à M. T… D… le 8 mars 2012, alors que, dès le 5 janvier 2012, la demande avait été qualifiée d’urgente et que ce fichier s’est avéré, selon les exigences de l’employeur, inexploitable, qu’en outre, le 12 mars 2012, le salarié n’a pas respecté la nouvelle procédure pour une commande ; il convient donc de retenir le non-respect des directives de l’employeur, quant à la réalisation d’un tableur et au respect d’une nouvelle procédure de commande, comme réel ; que sur la pratique anticoncurrentielle au profit de la société Vosges Embal : l’employeur explique que la réticence du salarié à ne pas renseigner les fichiers relatifs à la gestion des commandes l’a conduit à se renseigner sur les prix facturés et à les comparer aux prix du marché ; il soutient avoir ainsi découvert que M. PG… Q… aurait favorisé la société Vosges Embal dans le choix des fournisseurs, qu’il aurait refusé de recevoir les fournisseurs qui ne passeraient pas par Vosges Embal, cet intermédiaire facturant les produits 30 % plus cher que le prix du marché ; il affirme que ces pratiques auraient été accomplies au détriment de la société Papeterie de Clairefontaine et dans l’intérêt direct ou indirect du salarié, dans la mesure où il avait été actionnaire de cette société, gérée par son frère ; le salarié soulève l’absence de précision de la lettre de licenciement et soutient que l’employeur se sert de la procédure pour tenter de justifier les griefs imprécis de la lettre de licenciement ; cet argument n’est pas pertinent, la lecture de la lettre de licenciement se révélant suffisamment claire et précise pour permettre au salarié de connaître les motifs du grief énoncé et à la cour de les vérifier ; le salarié objecte par ailleurs que ce grief ne serait pas établi ; il convient dès lors d’étudier la matérialité de ce grief, étant rappelé que le seul fait d’avoir été actionnaire d’un fournisseur de la société employeur ne constitue pas une faute, et qu’il appartient à l’employeur d’établir la réalité de faits de concurrence déloyale imputés au salarié ; que sur l’absence de mise en concurrence des fournisseurs : l’employeur soutient qu’en recherchant les raisons pour lesquelles les offres plus intéressantes d’autres fournisseurs n’avaient pas été retenues, il s’est aperçu que le salarié n’avait en réalité jamais mis en concurrence les fournisseurs ; à l’appui de ses allégations, il verse les déclarations de plusieurs autres fournisseurs : – M. H… C…, gérant de la société Halpack a déclaré dans une attestation non datée : « pendant l’année 2007, j’ai pris contact avec M. PG… Q… afin de venir présenter la société […] […]. Ma demande a essuyé une réponse négative en me confirmant : j’ai déjà des fournisseurs et je ne souhaite pas en changer » ; – Mme K… M…, responsable commerciale de la société ASF a contacté par mail du 24 mai 2012 Mme B… U… en ces termes : « par le passé j’ai fait 2 à 3 tentatives pour rentrer en tant que fournisseur de palettes chez Clairefontaine mais en vain. […] Dans toute la profession ça se savait que l’acheteur avait son fournisseur attitré et c‘était peine perdue » ; – M. Y… A…, directeur commercial au sein de groupe […], a déclaré dans une attestation du 27 septembre 2012 : « nous travaillons régulièrement avec différents établissements du groupe Clairefontaine à savoir CFR, Zack-Division enveloppes, Etival-Division cahiers Etival. Mais au cours des 20 dernières années nous n’avons jamais pu établir un courant d’affaires avec le service Ramettes dirigé par Monsieur Q… » ; – M. Y… X…, attaché commercial, dans une attestation non datée, déclare « pour faire suite à notre entretien de jeudi dernier, je vous confirme avoir tenté à plusieurs reprises ces dernières années, en tant que commercial de la sté Cobalco, de prendre RDV avec Mr Q… afin de lui proposer des produits d’emballage que nous livrions déjà dans d’autres services de la papeterie Clairefontaine, et que à chaque fois, j’ai eu une fin de non recevoir » ; M. PG… Q… conteste la valeur de ces attestations, soutenant que les produits fournis par ces fournisseurs ne concerneraient pas les caisses carton et n’auraient donc pas été en concurrence avec Vosges Embal ; il ne produit aucune pièce qui le justifie ; que la société Clairefontaine produit également l’attestation de M. GC… PY…, le nouveau responsable du service finition qui atteste, le 14 septembre 2012, avoir reçu, le 6 juillet 2012, M. CI…, salarié de la société Corex, et déclare qu’au cours de cet entretien, M. CI… lui a demandé « Est-ce que je peux acheter les cartons qui conditionnent les tubes où je veux » précisant que M. Q… « lui imposait d’acheter les cartons chez Vosges Embal pour qu’il puisse être fournisseur de tubes au service finition chez Clairefontaine » ; ces propos sont confirmés par Mme II… UD…, responsable des achats, dans une attestation du 13 septembre 2012 ; le salarié conteste ces deux attestations et produit les comptes-rendus des réunions du 15 novembre 2011 et du 8 mars 2012 à l’appui de ses dires ; toutefois, la lecture de ces comptes-rendus ne permet pas de remettre en cause les déclarations relatant la réunion s’étant tenue le 6 juillet 2012, ils font seulement état d’une négociation des prix proposés par la société corex, la société Papeteries de Clairefontaine menaçant de rompre les relations au profit d’un autre fournisseur ;
QUE la société Papeteries de Clairefontaine soutient également que M. PG… Q… aurait exigé que Vosges Embal soit l’intermédiaire de certains fournisseurs alors que ces derniers n’auraient pas eu besoin d’un intermédiaire ; au soutien de ses affirmations, elle verse l’attestation de deux salariés et de deux fournisseurs : – Mme VU… FJ…, directrice du département Enveloppes au sein de la société Papeteries Clairefontaine qui déclare, dans une attestation non datée, que son service « commande en direct » aux sociétés DS Smith Packaging Velin et France ; – Mme OW… NV… qui a déclaré, le 13 septembre 2012, avoir assisté aux réunions avec les fournisseurs de cartons, elle précise que « la discussion des prix comme des problèmes techniques intervenant directement entre J-J Q… et le fabricant, Mr P… Q… n’intervenant pas » ; – M. PJ… PN…, chef de secteur au sein de la société DS Packaging France, a écrit le 28 mai 2012 à M. T… D… en ces termes : « Dans une démarche de prospection, j’ai tenté en 2008, d’approcher à plusieurs reprises le Service Finition des Papeteries de Clairefontaine afin de présenter notre savoir-faire dans l’emballage en carton ondulé et faire des propositions commerciales. Le directeur du Service Finition des Papeteries Clairefontaine n’a pas souhaité me rencontrer. Dans une autre démarche de prospection, j’ai contacté naturellement la société Vosges Embal, en sa qualité de transformateur-revendeur de carton ondulé. Vosges Embal s’est avéré être un négociant incontournable pour les papeteries de Clairefontaine. Nous avons été consultés par Vosges Embal pour fournir des emballages destinés à Papeterie de Clairefontaine. Notre outil industriel performant et notre offre nous ont ainsi permis d’être référencés. Accompagn