Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 janvier 2019, 18-10.091, Publié au bulletin

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 janvier 2019, 18-10.091, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte authentique du 21 décembre 2007, M. et Mme X… ont consenti à leurs deux enfants, Valérie et C…, une donation-partage incorporant plusieurs donations antérieures, aux termes de laquelle ce dernier a reçu la nue-propriété de 66 % des actions de la société financière X… (SFR) constituée par son père, holding regroupant plusieurs sociétés civiles immobilières et commerciales, l’usufruit étant conservé par les donateurs ; qu’un arrêt du 17 décembre 2013, devenu définitif, a condamné M. C… X… pour abus de biens sociaux, abus de confiance et complicité d’abus de confiance au préjudice des sociétés SFR et Néra propreté Provence ; que, le 30 juin 2014, M. et Mme X… ont assigné leur fils en révocation des donations consenties le 21 décembre 2007 pour cause d’ingratitude et paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. C… X… fait grief à l’arrêt de déclarer l’action recevable, alors, selon le moyen :

1°/ que si l’article 957 du code civil, qui fixe le point de départ du délai d’exercice de l’action en révocation pour cause d’ingratitude au jour du délit civil imputé au donataire ou au jour où ce délit aura pu être connu du disposant, n’exclut pas que, lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu’au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié, c’est à la condition que le délai d’un an ne soit pas expiré au jour de la mise en mouvement de l’action publique par le demandeur à la révocation ; que le report du point de départ du délai préfix au jour de la condamnation pénale définitive suppose ainsi que le donateur ait été à l’initiative de la mise en mouvement de l’action publique ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 957 du code civil ;

2°/ qu’en retenant que les donateurs avaient pu introduire leur demande en révocation dans le délai d’un an à compter du jour où la condamnation pénale du donataire était devenue définitive, sans constater que le délai préfix d’un an n’était pas expiré au jour de la mise en mouvement de l’action publique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 957 du code civil ;

Mais attendu que l’arrêt relève qu’à la suite d’une enquête préliminaire ordonnée en janvier 2010 par le procureur de la République, à réception d’une dénonciation de faits suspects émanant du commissaire aux comptes de la société SFR, et d’une plainte des sociétés SFR et Néra propreté Provence, une information judiciaire a été ouverte le 18 juin 2011, qui a abouti au renvoi de M. C… X… devant le tribunal correctionnel ; qu’il retient que M. et Mme X… ne pouvaient agir en révocation de la donation avant la condamnation définitive de leur fils, dès lors qu’ils invoquaient contre lui, à titre de délits civils, des faits constitutifs d’infractions pénales ; que, de ces énonciations et appréciations, sans avoir à constater que le délai d’un an prévu à l’article 957 du code civil n’était pas expiré lors de la mise en mouvement de l’action publique dès lors que ce point n’était pas discuté, la cour d’appel a exactement déduit que l’action en révocation de la donation, engagée moins d’un an après la condamnation pénale définitive établissant la réalité des faits reprochés à leur fils, était recevable ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen :

Vu l’article 955 du code civil ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que la révocation d’un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l’encontre du donateur ;

Attendu que, pour dire que les faits imputables à M. C… X…, matérialisés à travers différentes infractions pénales pour lesquelles il a été définitivement condamné, constituent le délit civil visé à l’article 955, 2°, du code civil et justifient qu’il soit fait droit à l’action révocatoire, l’arrêt énonce que celui-ci a ainsi manqué à une obligation de reconnaissance envers ses parents qui l’avaient gratifié et que le détournement des fichiers clients de l’entreprise Néra propreté Provence a notamment concrétisé son intention de concurrencer, par des moyens illicites, l’activité des sociétés créées par son père ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, M. C… X… ayant été définitivement condamné pour des infractions commises au préjudice des sociétés SFR et Néra propreté Provence et non pour des faits commis envers les donateurs, ces délits n’étaient pas de nature à constituer l’une des causes de révocation légalement prévues, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déclare M. et Mme X… recevables en leur action, l’arrêt rendu le 8 novembre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Rejette les demandes de M. et Mme X… en révocation des donations consenties à M. C… X… suivant acte authentique du 21 décembre 2007 et en paiement de dommages-intérêts ;

Condamne M. et Mme X… aux dépens, y compris ceux afférents aux instances devant les juges du fond ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour M. C… X….

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué,

D’AVOIR confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré les époux X… recevables en leur action ;

AUX MOTIFS QUE « Il résulte de l’article 957 du code civil que lorsque le donateur invoque la commission par le donataire d’un délit au sens de l’article 955, 2° du code civil, la demande doit être formée dans l’année du jour du délit ou du jour où le délit a pu être connu du donateur.

En l’espèce, l’intimé soutient que les faits qui sous-tendent l’action en révocation des époux X… ont été connus par ceux-ci au plus tard le 6 novembre 2009, date de l’assemblée générale des actionnaires de la société SFR au cours de laquelle M. Albert X… a obtenu la révocation de M. C… X… de ses fonctions de président de la société SFR.

Toutefois, lorsque le délit civil visé par l’article 955, 2° du code civil invoqué par le donateur, constitue également une infraction pénale, le point de départ de l’action en révocation est retardé au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié ; la décision doit être définitive.

Il résulte par ailleurs de l’article 955 du code civil, que la révocation d’une donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l’encontre du donateur.

En l’espèce, les délits civils que les époux X… reprochent à leur fils ont été définitivement établis par l’arrêt de cette cour du 17 décembre 2013.

Les époux X… étaient tenus d’attendre que leur fils soit définitivement déclaré coupable des faits dont ils l’accusent pour s’en prévaloir.

L’action en révocation des donations pour ingratitude a été engagée par assignation devant le tribunal de grande instance de Gap délivrée le 30 juin 2014, soit un peu plus de six mois après la date du 17 décembre 2013, à laquelle les donateurs ont connu, au sens de l’article 955 du code civil, la réalité du ou des délits reprochés au donataire.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. C… X…, la loi n’impose pas que le demandeur à l’action en révocation mette lui-même en mouvement l’action publique, étant précisé qu’en l’espèce, c’est le procureur de la République qui l’a mise en mouvement, et que les époux X… étaient fondés à attendre l’issue de la procédure pénale : s’ils ne l’avaient pas fait, leur fils aurait pu invoquer le fait qu’il n’avait pas été définitivement déclaré coupable des faits qu’ils lui reprochaient.

L’action est donc recevable à cet égard ; le jugement sera confirmé sur ce point » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Attendu que l’article 957 du code civil prévoit que la demande en révocation pour cause d’ingratitude doit être formée dans l’année, à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu sar le donateur, institue un délai préfix non susceptible d’interruption ni de prolongation mais dont le point de départ peut être retardé au jour où une condamnation pénale définitive établit la réalité des faits ;

Attendu qu’en l’espèce M. C… X… a été condamné par la Cour d’appel de Grenoble aux termes d’un arrêt prononcé le 17 décembre 2013 qui a permis d’établir et de porter à la connaissance des donateurs les faits délictueux ; que l’action en révocation introduite le 30 juin 2014 en ce qu’elle est formée sur ces délits, se situe dans le délai préfix et apparaît recevable de sorte que la fin de non recevoir opposée ne peut être accueillie » ;

1) ALORS QUE, si l’article 957 du code civil, qui fixe le point de départ du délai d’exercice de l’action en révocation pour cause d’ingratitude au jour du délit civil imputé au donataire ou au jour où ce délit aura pu être connu du disposant, n’exclut pas que, lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu’au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié, c’est à la condition que le délai d’un an ne soit pas expiré au jour de la mise en mouvement de l’action publique par le demandeur à la révocation ; que le report du point de départ du délai préfix au jour de la condamnation pénale définitive suppose ainsi que le donateur ait été à l’initiative de la mise en mouvement de l’action publique ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 957 du code civil ;

2) ALORS QUE, subsidiairement, en retenant que les donateurs avaient pu introduire leur demande en révocation dans le délai d’un an à compter du jour où la condamnation pénale du donataire était devenue définitive, sans constater que le délai préfix d’un an n’était pas expiré au jour de la mise en mouvement de l’action publique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 957 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué,

D’AVOIR prononcé la révocation pour ingratitude des donations consenties à M. C… X… suivant acte authentique du 21 décembre 2007 ;

AUX MOTIFS QUE « M. C… X… a été, notamment, déclaré définitivement coupable d’avoir donné instruction à son épouse de détourner le fichier clients de la société Néra Propreté Provence.

S’agissant de l’historique des faits, il est acquis que M. C… X… avait constitué en septembre 2007 puis immatriculé au mois d’octobre suivant une société dont l’objet social était celui du service à la personne mais dont le code APE était celui des sociétés de nettoyage, soit celui d’une activité susceptible de concurrencer celle de sociétés dont il était alors le dirigeant.

Comme le soulignent les appelants, cette société a même été créée deux mois avant la donation-partage litigieuse par laquelle M. C… X… se voyait gratifié en nue-propriété de la majeure partie du capital de la société SFR, tandis que la donation qui lui était consentie l’était pour partie par préciput et hors part.

En juillet 2009, M. Albert X… faisait nommer son gendre, M. Édouard A…, comme PDG des sociétés Néra Propreté Provence, principale filiale du groupe, et SOS Net Egout.

Les relations entre M. C… X… et M. Édouard A… devenaient immédiatement mauvaises et M. C… X… reconnaît à cet égard n’avoir pas accepté la décision de son père de faire entrer son beau-frère comme dirigeant au sein du groupe.

C’est dans ces conditions que M. Albert X… faisait convoquer une assemblée générale des actionnaires de la société SFR le 6 novembre 2009 au cours de laquelle était décidée à la majorité la révocation de M. C… X… de ses fonctions de président.

La veille de cette assemblée générale, M. C… X… avait transféré une ligne téléphonique Orange appartenant à la société SFR au bénéfice de sa propre société ATD. Il a par la suite été condamné pour ces faits, sous la qualification d’abus de biens sociaux.

Le 15 octobre 2009, alors que M. C… X… était officiellement convoqué depuis le 10 octobre précédent, à l’assemblée générale des actionnaires de la société SFR, Mme Sylvie X… détournait sur instruction de son mari M. C… X… les 37 800 lignes d’informations confidentielles représentant les fichiers clients de la société Néra Propreté Provence vers sa messagerie personnelle.

Pour ces faits, Mme Sylvie X… a été définitivement condamnée pour abus de confiance et M. C… X… pour complicité d’abus de confiance au préjudice de la société Néra Propreté Provence.

M. C… X… a, par ailleurs, été définitivement condamné pour abus de biens sociaux pour avoir :

– employé une stagiaire de la société Néra Propreté Provence pour le compte de sa propre société, ATD, en cours de constitution,

– utilisé un véhicule, du matériel de nettoyage et le logiciel appartenant à la société Néra Propreté Provence et du temps de travail de salariés de la même société au profit de sa propre société ATD,

Enfin, M. C… X… a été également condamné définitivement pour abus de confiance pour avoir détourné une puce de téléphone portable qui appartenait à la société SFR.

C’est à bon droit que les époux X… estiment l’attitude de leur fils, matérialisée à travers ces différents infractions pénales qui sont autant de délits civils au sens de l’article 955, 2° du code civil, comme caractérisant l’ingratitude de ce dernier à leur égard. M. C… X… a, par ces faits, manqué à une obligation de reconnaissance envers ses parents qui l’avaient gratifié. Le détournement des fichiers clients de l’entreprise Néra Propreté Provence a notamment concrétisé l’intention de M. C… X… de concurrencer par des moyens illicites l’activité des sociétés créées par son père ; la société ATD n’avait pas vocation, dans l’intention de l’intimé, à devenir l’une des filiales de la société SFR mais était au contraire destinée à les concurrencer puisque le code APE de la société ATD le permettait, ce qui confirme l’intention dolosive de M. C… X…, alors même que celui-ci était encore président de la société SFR.

Ces faits dans leur ensemble constituent le délit civil visé à l’article 955,2° du code civil et ont occasionné un préjudice moral aux époux X…, dont l’intimé ne conteste pas la réalité au regard du contexte familial et de l’investissement professionnel de M. Albert X…, créateur de l’ensemble du groupe.

L’ingratitude du gratifié justifie qu’il soit fait droit à l’action révocatoire. Le jugement sera dès lors infirmé et il sera statué en ce sens » ;

ALORS QUE la révocation d’un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l’encontre du donateur ; que l’arrêt relève que M. C… X… a été condamné pour abus de biens sociaux, abus de confiance et complicité d’abus de confiance, au préjudice des sociétés SFR et Néra Propreté Provence ; qu’en prononçant néanmoins la révocation pour ingratitude des donations consenties par les époux X… à leur fils C… à raison de ces délits, tandis qu’ils n’avaient pas été commis au préjudice des donateurs, la cour d’appel a violé l’article 955 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2019:C100098


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