Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Marie-Pierre,
1° contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de GRENOBLE, en date du 31 mars 2006, qui, dans l’information suivie contre lui des chefs d’abus de biens sociaux, faux et usage, a prononcé sur sa demande d’annulation de pièces de la procédure ;
2° contre l’arrêt de la même cour d’appel, chambre correctionnelle, en date du 31 mars 2009, qui, pour recel d’abus de biens sociaux et complicité de faux et usage, l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit ;
I-Sur le pourvoi formé contre l’arrêt du 31 mars 2006 :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 80, 83, 84, 170, 171 et 593 du code de procédure pénale et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs et manque de base légale ;
» en ce qu’arrêt attaqué du 31 mars 2006 a rejeté la requête de Marie-Pierre X… en annulation de tous les actes postérieurs à l’ordonnance aux fins de règlement du 19 août 2002 ;
» aux motifs que, d’une part, la désignation d’un juge d’instruction aux fins de prendre en charge l’information d’un dossier constitue une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours, en application de l’article 83, dernier alinéa, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993 seule applicable en l’espèce ; que, dès lors, le requérant ne peut être accueilli dans sa demande d’annulation fondée sur la prétendue irrégularité de la désignation des juges qui, dans l’instruction du présent dossier, ont succédé à M. Blaes, alors vice-président du tribunal de grande instance de Grenoble, en charge des dossiers économiques et financiers, initialement désigné pour instruire le présent dossier ; que, d’autre part, il ressort de l’examen du dossier que le second magistrat chargé de l’instruction des affaires économiques et financières, ainsi que l’établit l’ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grenoble, en date du 30 août 1999, Mme Parola s’est, au départ de M. Blaes qu’elle a remplacé dans la conduite de son cabinet, corrélativement vu affecter les dossiers antérieurement confiés à celui-ci ; que Mme Parola ayant été affectée à d’autres fonctions, une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grenoble, en date du septembre 2003, a réparti les dossiers de son cabinet entre les magistrats du tribunal, le présent dossier étant attribué à Mme Mas, vice-présidente de cette juridiction ; que M. Soulard, vice-président, ayant été installé dans ses fonctions le 15 janvier 2004, il a, par l’ordonnance susvisée, reçu la charge de l’ensemble des dossiers économiques et financiers ainsi répartis avant que, à son tour, appelé à d’autres fonctions, ceux-ci ne soient confiés à Mme Gouypaillier par les ordonnances susmentionnées ; qu’en cet état, ne sont caractérisées ni la méconnaissance de l’article 83 précité du code de procédure pénale ni la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, plus suggérée que réellement alléguée ; qu’en conséquence, il convient de rejeter la présente requête et de dire n’y avoir lieu aux annulations sollicitées, ni à quelque autre que ce soit, la procédure ainsi soumise à la cour étant régulière par ailleurs ;
» 1°) alors que l’incompétence du juge constitue une irrégularité substantielle qui entraîne la nullité des actes qu’il a accomplis ; qu’en l’espèce Marie-Pierre X… avait dénoncé les actes d’instruction accomplis par Mme Parola qui n’avait jamais été désignée dans les conditions légales pour poursuivre l’instruction initialement confiée à M. Blaes et il en avait déduit que tous les actes subséquents devaient en conséquence être annulés ; qu’il ne remettait pas en cause la régularité d’un acte de désignation de Mme Parola, en l’absence d’un tel acte, mais l’incompétence du juge et par suite la nullité des actes d’instruction accomplis ; qu’en se bornant à affirmer que la désignation d’un juge d’instruction est un acte d’administration judiciaire insusceptible d’être critiqué, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
» 2°) alors qu’en toute hypothèse la chambre de l’instruction qui s’est bornée à relever qu’au départ de M. Blaes, Mme Parola s’était vu confier les dossiers antérieurement affectés à celui-ci, sans rechercher si cette « affectation » avait donné lieu à une ordonnance de désignation dans le cadre de l’instruction suivie contre Marie-Pierre X…, la chambre de l’instruction n’a pas donné de base légale à sa décision » ;
Attendu que le mode de désignation du juge d’instruction chargé d’une affaire déterminée constitue un acte d’administration judiciaire qui n’intéresse pas les droits des parties, lesquelles ne sauraient en discuter ni la régularité ni l’existence ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
II-Sur le pourvoi formé contre l’arrêt du 31 mars 2009 :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 321-1 du code pénal, L. 242-3, 3° du code de commerce et de l’article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Marie-Pierre X… coupable du délit de recel d’abus de biens sociaux et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis et à 15 000 euros d’amende, outre le paiement de la somme de 149 400 euros de dommages-intérêts au profit de la partie civile ;
» aux motifs que Marie-Pierre X… est poursuivi pour avoir de mars 1996 à janvier 1998, bénéficié en connaissance de cause des produits du délit d’abus de biens sociaux commis par Francis E…, en encaissant une somme de 1 181 180 francs, soit 180 070 euros, en contrepartie de prestations fictives ; qu’il est constant que Francis E…, en sa qualité de président du conseil d’administration de la SA CSP Médical, a versé des honoraires au prévenu ; que les honoraires ainsi encaissés, au regard des déclarations des prévenus et de l’exploitation par les gendarmes des notes adressées par Marie-Pierre X…, s’élèvent en réalité à la somme de 980 000 francs hors taxes, soit 149 400 euros ; que force est de constater que Marie-Pierre X…, qui a déposé des conclusions aux fins de relaxe, en contestant les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux, a varié dans ses explications pour justifier ses honoraires ; qu’en effet, le prévenu, après avoir indiqué devant les gendarmes et le magistrat instructeur, que les sommes perçues correspondaient, d’une part, aux remises sur les achats de matériels, dont il n’avait pas bénéficiées entre 1992 et 1996, et, d’autre part, à la rémunération de son activité au sein de la société dans le domaine » médicotechnique « , à savoir la mise au point de matériel numérique en collaboration avec Francis E…, dans la vente de matériels et la politique de développement de l’entreprise, a soutenu devant la cour qu’il avait été exclusivement rémunéré pour son travail dans la société ; qu’il a, en outre, fourni deux modes de calcul de ses honoraires, qu’il avait lui même fixés ;
que, devant les gendarmes, Marie-Pierre X… a expliqué qu’il avait évalué la somme que lui devait la société, soit 960 000 francs hors taxes et divisé cette somme par le nombre de mois facturé ; que par la suite, il a affirmé que ses honoraires étaient facturés par référence au tarif des radiologues conventionnés ; que, par ailleurs, les explications fournies par Francis E… ne permettent nullement d’établir la réalité de l’activité, dont se prévaut Marie-Pierre X…, l’intéressé se bornant à souligner l’aide précieuse apportée par ce dernier et à invoquer les » ventes importantes, » conclues à la suite de démonstrations de matériels, réalisées en 1994 au cabinet X… ; qu’il a également admis qu’il ignorait le contenu des actions menées par le prévenu pour promouvoir la SA CSP Médical ; que, de même, les deux rapports d’activité de consultant, rédigés par Marie-Pierre X… pour justifier, sur le plan comptable, le versement des honoraires, le libellé laconique des notes d’honoraires et la convention de prestations, antidatée et conclue pour les besoins de la cause, ne sont pas de nature à accréditer la thèse soutenue par le prévenu ;
qu’enfin, les salariés de la SA CSP Médical, entendus dans le cadre de la procédure, et notamment les techniciens de maintenance, dont le prévenu a expliqué à l’audience de la cour, qu’ils procédaient à l’installation du matériel vendu par la société, sont unanimes pour indiquer que Marie-Pierre X… n’exerçait aucune activité au profit de la société ; que le caractère injustifié et indu des honoraires versés au prévenu, qui constituent au regard de leur montant, une atteinte à l’intérêt social de la SA CSP Médical, est donc avéré ;
que Francis E… a décrit Marie-Pierre X… comme le plus fidèle et important client de la société ; qu’il a expliqué, outre que l’intéressé avait permis à l’entreprise de se développer au début de son activité, que ce dernier était actionnaire principal de la SA Hermès financière, associée à concurrence de 50 % de la SA CSP Médical ; qu’il a enfin indiqué que Marie-Pierre X… avait » injecté » 750 000 francs dans la société et qu’il avait espoir qu’il » insuffle » de l’argent dans l’entreprise ; qu’il est ainsi manifeste que Francis E… a, en acceptant de régler les honoraires réclamés par Marie-Pierre X…, agi dans le souci de satisfaire les exigences du représentant de l’actionnaire principal de la société qu’il dirigeait ; que son intérêt personnel est donc caractérisé ; que la déclaration de culpabilité de Marie-Pierre X…, bénéficiaire des produits du délit d’abus de biens sociaux commis par Francis E…, sera en conséquence confirmée, sauf à rectifier le montant du recel ;
» 1°) alors que le délit d’abus de biens sociaux suppose que le dirigeant social qui en est l’auteur ait recherché un intérêt personnel ; qu’en se bornant à énoncer que Francis E…, dirigeant de la société CSP Médical ayant versé les rémunérations litigieuses à Marie-Pierre X…, avait « agi dans le souci de satisfaire les exigences du représentant de l’actionnaire principal de la société qu’il dirigeait », ce dont il résultait qu’il aurait agi non dans son intérêt mais dans celui de Marie-Pierre X…, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’élément intentionnel du délit d’abus de biens sociaux et par conséquent le caractère punissable du versement des rémunérations à Marie-Pierre X…, a violé les textes susvisés ;
» 2°) alors que les prestations de Marie-Pierre X… réalisées pendant les années 1996 et 1997 avaient fait l’objet, ainsi qu’il l’avait soutenu par référence aux pièces du dossier, d’une convention de prestation, de l’établissement de factures approuvées par le conseil d’administration après validation par le commissaire aux comptes de la société CSP Médical et de l’établissement de deux rapports d’activité de consultant rédigés par Marie-Pierre X… ; qu’en se bornant à affirmer que ces documents ne sont pas de nature à accréditer la thèse du prévenu pour la seule raison qu’il avait varié dans ses explications au cours de l’instruction et parce que les salariés de la société étaient unanimes pour indiquer que Marie-Pierre X… n’exerçait aucune activité dans la société, sans exposer en quoi les changements dans les explications de Marie-Pierre X… démontrerait l’absence de prestation et sans indiquer les raisons pour lesquelles les avis des salariés devraient prévaloir sur ceux du dirigeant social, des administrateur et du commissaire aux comptes, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
» 3°) alors que Marie-Pierre X… avait fait valoir dans ses conclusions d’appel, qu’en sa qualité d’actionnaire majoritaire de la société Hermès finance qui détenait la moitié des actions de la société CSP Médical, il n’avait aucun intérêt à percevoir des rémunérations directes pour ses activités en faveur de cette dernière société, compte tenu des prélèvements fiscaux et sociaux beaucoup moins intéressants que la perception de bénéfices auxquels il pouvait prétendre en sa qualité d’actionnaire de la société holding ; que cette absence d’intérêt démontrait que ses prestations n’étaient pas fictives et correspondaient à une activité réelle ; qu’en omettant de répondre à ce moyen la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-6, 121-7 et 441-1 du code pénal et de l’article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Marie-Pierre X… coupable de complicité des délits de faux et usage de faux et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis et à 15 000 euros d’amende, outre le paiement de la somme de 149 400 euros de dommages-intérêts au profit de la partie civile ;
» aux motifs que Marie-Pierre X… est poursuivi pour avoir été complice, du délit de faux et usage de faux commis par Francis E… dans l’établissement de deux factures de la CSP Médical à la SCM Alpha imagerie gestion dont il est l’un des cogérants ; que la matérialité du faux et de l’usage est établie par les déclarations circonstanciées de Geneviève G… comptable de la société et les aveux de Francis E… ; que ce faux et cet usage sont punissables dans la mesure où les fausses factures d’un montant de 466 720 euros et 71 150 euros, même si elles n’ont pas été réglées, ont été portées à la comptabilité de la SA CSP Médical pour dissimuler une partie du déficit de la société, causant ainsi un préjudice aux créanciers tenus dans l’ignorance des difficultés financières ; que la cour constate que Francis E… a désigné Marie-Pierre X… comme l’instigateur des délits et tenté maladroitement devant les gendarmes de décharger ce dernier de toute responsabilité ; que, par ailleurs, le prévenu, qui a déposé des conclusions aux fins de relaxe en faisant valoir le moyen inopérant au regard des termes de la poursuite qu’il n’avait pas émis les factures litigieuses, avait en sa qualité d’actionnaire et de caution personnelle de la SA CSP Médical un intérêt certain à l’émission des factures ; qu’enfin, le libellé des factures au nom de la SCM Alpha imagerie gestion dont Marie-Pierre X… est cogérant et leur envoi impliquait nécessairement la participation du prévenu aux faits délictueux ; qu’en conséquence, la complicité reprochée est caractérisée en tous ses éléments de sorte que la déclaration de culpabilité sera confirmée ;
» alors que la complicité d’un délit n’est punissable que si son auteur avait connaissance de l’infraction qu’entendait commettre l’auteur principal et avait manifesté sa volonté de s’y associer ; qu’en se bornant à relever que Marie-Pierre X… en sa qualité d’associé et de caution de la société CSP Médical, avait un intérêt à l’infraction et que le libellé des factures impliquait sa participation aux faits délictueux, sans rechercher ni exposer les circonstances qui établirait qu’il avait connaissance de ce que les factures seraient fictives et qu’elles avaient pour objet de dissimuler la situation financière difficile de la société CSP Médical, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits de recel d’abus de biens sociaux et de complicité de faux et usage dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que les arrêts sont réguliers en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Slove conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.