Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre 3ème section
No RG 19/08543 – No Portalis 352J-W-B7D-CQK3U
No MINUTE :
Assignation du :
18 Juillet 2019
JUGEMENT
rendu le 11 décembre 2020
DEMANDERESSE
ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Gabrielle ODINOT de la SELARL ODINOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0271
DÉFENDERESSE
Société PARFUMS CHRISTIAN DIOR SA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Maître Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0500
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame GILLET, Vice-Président
Madame BASTERREIX, Vice-Président
Madame MELLIER, Juge
assisté de Alice ARGENTINI, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 15 Octobre 2020
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
L’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM (ci-après « l’AFFIF »), reconnue d’utilité publique et placée sous le haut patronage du Ministère de la Culture et du Ministère des Affaires Étrangères, organise depuis plus de 70 ans la manifestation cinématographique annuelle du « Festival de Cannes ».
Elle est notamment titulaire des marques suivantes reprenant la « Palme d’Or », récompense décernée chaque année aux participants victorieux du Festival :
– marque française semi-figurative no 02 3 157 459, enregistrée le 4 avril 2002 et régulièrement renouvelée :
– marque française figurative no 10 3 722 922, enregistrée le 19 mars 2010, couvrant notamment des produits cosmétiques et des salons de beauté et de coiffure en classes 3 et 44 :
L’AFFIF expose concevoir et faire réaliser chaque année une affiche symbolisant l’édition considérée du Festival de Cannes et largement utilisée pour promouvoir l’évènement, l’affiche du Festival 2019, élaborée à partir d’une photographie de plateau prise durant le tournage du film « La pointe Courte » d'[S] [A], étant la suivante :
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, membre du groupe LVMH, a pour activité la commercialisation de parfums et cosmétiques vendus sous la marque « Dior », créée après la seconde guerre mondiale par [K] [J] et le couturier [Q] [K].
L’AFFIF dit avoir découvert, au moment où la 72e édition du Festival de Cannes ayant lieu du 14 au 25 mai 2019 venait de débuter, que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR avait organisé une opération de communication digitale à travers notamment la mise en ligne sur les réseaux sociaux officiels des marques DIOR MAKEUP et DIOR de six vidéos (publiées notamment sous forme de « stories Instagram ») retraçant la mise en beauté des égéries de la marque DIOR, sur certains plans desquelles est visible l’affiche officielle de l’édition 2019 du Festival figurant sur le fronton du Palais des Festivals, quatre de ces publications étant par ailleurs associées à des liens sortants redirigeant l’internaute vers le site de vente en ligne <[Courriel 1];, et l'une d'elles reproduisant la marque semi-figurative no 02 3 157 459. Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 21 mai 2019, l'AFFIF a mis en demeure la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR de supprimer de ses supports de communication toute référence aux éléments d'identification du Festival de Cannes et de lui faire une offre indemnitaire, ce à quoi cette dernière a répondu le 3 juin 2019 que les actes qui lui étaient reprochés n'étaient selon elle constitutifs ni d'actes de contrefaçon ni de parasitisme. En l'absence de solution amiable satisfaisante, l'AFFIF a, par acte du 18 juillet 2019, fait assigner la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR devant ce tribunal en contrefaçon de droits d'auteur, parasitisme et usurpation de marques renommées. *** Aux termes de ses conclusions no 2 signifiées par voie électronique le 8 juin 2020, l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM demande au tribunal de : Vu les dispositions du Livre I, III et VII du code de la propriété intellectuelle et notamment ses articles L. 111-1, L. 121-1, L. 122-4, L. 122-5 9o, L. 122-7, L. 131-3, L. 131-4, L. 331-1-3, L. 335-2, L. 335-3, L. 713-3, L. 714-5 et L. 716-14, Vu les articles 31, 54, 70, 133 et 134 du code de procédure civile, Vu les articles 1128, 1240 et suivants du code civil, Vu les procès-verbaux de constat, Vu les pièces produites aux débats, - RECEVOIR l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM en ses demandes, Y faisant droit : SUR LES DEMANDES DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM : - CONSTATER que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR a exploité sans autorisation l'affiche officielle du FESTIVAL DE CANNES dont l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est cessionnaire des droits d'exploitation exclusifs ; - DIRE ET JUGER que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR s'est en conséquence rendue coupable d'actes de contrefaçon des marques no10 3 157 459 et no 10 3 722 922 désignant les classes de produits et services 3 et 44 au préjudice de l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM ; - CONSTATER par ailleurs l'existence d'agissements distincts de la part de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, constitutifs de parasitisme et d'usurpation de ses marques renommées ; En conséquence : - CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme provisionnelle de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des actes de contrefaçon des marques no 10 3 157 459 et no 10 3 722 922 désignant les classes de produits et services 3 et 44, somme à parfaire dans l'attente des informations qui seront communiquées par la défenderesse en application des dispositions de l'article L. 716-7-1 du code de la propriété intellectuelle, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la signification de la décision à intervenir, à savoir : o les données sur les volumes de connexions (nombres de visiteurs uniques) et taux d'engagement des internautes sur les publications Instagram depuis la date de leur mise en ligne jusqu'à la date de la présente sommation ; o un état exhaustif des factures émises par la défenderesse correspondant à la vente des produits associés aux publications litigieuses pour la période allant de la date de mise en ligne de ces publications jusqu'à la date à laquelle ces publications auront été retirées, certifiée conforme par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes ; - INTERDIRE à la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR sous astreinte de 5 000 euros par jour pour toute infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, de poursuivre ses agissements et d'utiliser l'affiche officielle ou la marque protégée de l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM désignant les classes de produits et services 3 et 44, sur tout support digital ; - DIRE que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes ordonnées ; - CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice subi résultant des actes de parasitisme et d'usurpation de ses marques renommées, somme à parfaire dans l'attente des informations qui seront communiquées par la défenderesse en application des dispositions des articles 133 et 134 du code de procédure civile, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la signification de la décision à intervenir, à savoir : o les données sur les volumes de connexions (nombres de visiteurs uniques) et taux d'engagement des internautes sur les publications Instagram depuis la date de leur mise en ligne jusqu'à la date de la présente sommation ; o un état exhaustif des factures émises par la défenderesse correspondant à la vente des produits associés aux publications litigieuses pour la période allant de la date de mise en ligne de ces publications jusqu'à la date à laquelle ces publications auront été retirées, certifiée conforme par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes ; - ORDONNER la publication du jugement à intervenir aux frais de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR et autoriser l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM à y procéder dans les journaux ou périodiques de son choix dans la limite d'un budget de 50 000 euros hors taxes, toutes publications confondues ; SUR LA DEMANDE DE DECHEANCE DE LA SOCIETE PARFUMS CHRISTIAN DIOR : - DECLARER IRRECEVABLE l'action en déchéance de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, faute d'intérêt pour elles à agir dans les classes de produits et services non concernées par le présent litige, à savoir les classes 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 41, 42, 43 et 45 ; - DIRE ET JUGER que les marques françaises no10 3 157 459 et no 10 3 722 922, dont l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est titulaire, font l'objet d'une exploitation sérieuse dans les classes de produits et services 3 et 44 ; En conséquence : - JUGER la demande en déchéance des marques françaises no10 3 157 459 et no 10 3 722 922 dont l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est titulaire, formulée par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, mal fondée et l'en débouter ; EN TOUT ETAT DE CAUSE, - DÉBOUTER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; - CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à l'ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles prévus par l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR aux entiers dépens dans les termes des articles 696 et suivants du code de procédure civile, en ce compris les frais d'huissier de justice, dont distraction au profit de la SELARL ODINOT & Associés, Avocats aux offres de droit, qui pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; - ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir sur l'ensemble des condamnations prononcées, en ce compris les dépens, nonobstant appel et sans constitution de garantie, et ce, en application des articles 514, 515 et 516 du code de procédure civile. * Aux termes de ses conclusions en défense no 3 signifiées par voie électronique le 18 juin 2020, la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR demande au tribunal de : Vu les articles L. 112-1, L. 332-1, alinéa 1er, L. 713-3, L. 714-5, L. 716-2 I. du code de la propriété intellectuelle, Vu les articles 1240 et 1353 du code civil, Vu les articles 32-1 et 122 du code de procédure civile, Vu l'article 10.1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, Vu l'article 3.2 de la directive (CE) no 2004/48 du 29 avril 2004, Vu la loi des 2 et 17 mars 1791(Décret d'Allarde), Sur le fondement de la contrefaçon de droits d'auteur, - DIRE ET JUGER à titre principal que l'AFFIF doit démontrer que l'affiche, édition 2019, du Festival de Cannes est une ?uvre de l'esprit originale protégeable par le droit d'auteur et DIRE ET JUGER en conséquence, qu'à défaut de rapporter cette preuve, l'AFFIF n'est pas recevable à agir en contrefaçon, - DIRE ET JUGER à titre subsidiaire que l'AFFIF ne démontre pas sa qualité de titulaire des droits d'auteur sur l'affiche litigieuse, DIRE ET JUGER qu'au contraire il ressort de l'étude des contrats communiqués par la partie adverse que l'AFFIF n'est pas titulaire des droits sur l'affiche litigieuse, et DIRE ET JUGER en conséquence que l'AFFIF n'est pas recevable à agir en contrefaçon, - DIRE ET JUGER à titre très subsidiaire que la représentation de l'affiche litigieuse au sein des vidéos incriminées n'est qu'accessoire au regard du sujet traité, de sorte qu'elle ne saurait être jugée contrefaisante, - DIRE ET JUGER à titre infiniment subsidiaire que la recherche d'un juste équilibre entre les droits en présence implique de faire primer la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre de PARFUMS CHRISTIAN DIOR et DÉBOUTER l'AFFIF de ses demandes en contrefaçon, En conséquence, - DÉBOUTER l'AFFIF de toutes ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur, Sur le fondement du parasitisme, A titre principal, - DIRE ET JUGER que l'AFFIF ne peut pas cumuler son action fondée sur le parasitisme avec son action en contrefaçon de droits d'auteur et son action au titre de l'atteinte à la marque renommée puisqu'il s'agit des mêmes faits qui sont incriminés et DÉBOUTER en conséquence l'AFFIF de ses demandes au titre du parasitisme, A titre subsidiaire, - DIRE ET JUGER que l'AFFIF ne démontre ni l'existence d'une valeur économique, individualisée, qui résulterait d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ; ni la captation et l'utilisation de cette valeur économique qui procurent un avantage concurrentiel ; ni le caractère injustifié de la prétendue captation, En conséquence, - DIRE ET JUGER que les conditions du parasitisme ne sont pas réunies en l'espèce et DÉBOUTER l'AFFIF de ses demandes à ce titre, Sur le fondement de l'usurpation des marques renommées, A titre principal, - PRONONCER la déchéance pour défaut d'exploitation de la marque no 10 3 722 922, en l'absence d'usage sérieux de ladite marque par l'AFFIF depuis plus de cinq ans en classes 3, 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et PRONONCER la déchéance pour défaut d'exploitation de la marque no 10 3 157 459, en l'absence d'usage sérieux de ladite marque par l'AFFIF depuis plus de cinq ans en classes 3, 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 41, 42, 43, 44 et 45, - DIRE ET JUGER que la présente décision devenue définitive sera transmise à l'Institut National de la Propriété Industrielle par le Greffier préalablement requis ou par la partie la plus diligente aux fins d'inscription de la déchéance des marques susvisées au Registre National des Marques, . En conséquence, - DEBOUTER l'AFFIF de ses demandes fondées sur l'atteinte aux marques renommées, A titre subsidiaire, - DIRE ET JUGER que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n'a pas fait un usage à titre de marque de la Palme d'or apposée sur l'une de ses vidéos sur le réseau social Instagram et DÉBOUTER la demanderesse de ses réclamations au titre de l'atteinte à ses prétendues marques renommées, - DIRE ET JUGER que les conditions de l'action fondée sur une marque renommée ne sont pas réunies en l'espèce, DIRE ET JUGER que la partie adverse ne démontre pas la renommée de ses marques, DIRE ET JUGER qu'elle ne démontre pas subir un préjudice du fait de l'exploitation de ses marques et qu'elle ne démontre pas en quoi cette exploitation serait injustifiée, En conséquence, - DÉBOUTER l'AFFIF de ses demandes fondées sur l'atteinte aux marques renommées, EN CONSÉQUENCE DE TOUT CE QUI PRÉCÈDE : - DÉBOUTER l'AFFIF de l'intégralité de ses demandes et notamment : - DÉBOUTER l'AFFIF de sa demande de communication forcée, sous astreinte, d'éléments au titre du droit à l'information, - DÉBOUTER l'AFFIF de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, - DEBOUTER l'AFFIF de sa demande d'interdiction d'exploitation générale de reproduire l'affiche litigieuse, ainsi que ses marques no 023 157 459 et no 103 722 922, ainsi que sa demande de retrait des publications litigieuses, - DEBOUTER l'AFFIF de ses demandes de publications judiciaires, - DEBOUTER l'AFFIF de sa demande d'exécution provisoire, A titre reconventionnel, - CONDAMNER l'AFFIF au paiement de la somme de 10 000 euros au bénéfice de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR pour procédure abusive, ainsi que 5 000 euros d'amende civile, En tout état de cause, - CONDAMNER la demanderesse au versement de la somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR a été contrainte d'engager dans la présente procédure, ainsi que des entiers dépens qui seront recouvrés directement par le Cabinet Christophe CARON, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. * La clôture a été prononcée le 1er juillet 2020 et l'affaire a été plaidée le 15 octobre 2020. Pour un exposé complet de l'argumentation des parties, il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées. *** MOTIFS DE LA DECISION Sur la contrefaçon de droits d'auteur L'AFFIF considère avoir suffisamment démontré sa qualité de cessionnaire des droits patrimoniaux de l'affiche litigieuse par la production d'extraits, tant du contrat conclu avec la société TAMARIS, titulaire des droits portant sur le cliché original, que du contrat conclu avec la graphiste en charge de la réalisation technique de l'affiche, Mme [D] [I]. Elle soutient ensuite que l'affiche du Festival de Cannes 2019, si elle a été réalisée à partir d'une photographie de plateau, est une création originale, véritable hommage à [S] [A] disparue en mars 2019, reflétant une véritable réinterprétation par Mme [I], notamment par le travail de composition de la maquette, la modification de perspective, l'incrustation d'un arrière-plan, un travail de peinture numérique recourant à des couleurs évoquant un coucher de soleil, ou encore l'occultation du technicien debout au pied du support, conférant à l'ensemble une apparence aérienne, et portant indubitablement la trace de la personnalité de l'auteur. Soutenant que les actes reprochés à la défenderesse sont contrefaisants, elle réfute tout caractère accessoire à l'apparition de l'affiche sur les vidéos litigieuses, qu'elle estime reproduites intégralement et partiellement à de nombreuses reprises et de manière délibérée (plus de 11 % de la durée totale des vidéos). Elle considère que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR ne peut s'abriter derrière le droit du public à l'information, dès lors qu'elle avait la possibilité d'informer le public de la présence des égéries DIOR au Festival de Cannes sans nécessairement représenter l'affiche protégée, et que les conditions posées à l'article L. 122-5 9o du code de la propriété intellectuelle ne sont pas respectées (nom de l'auteur et de la source), le comportement délibéré de la défenderesse ne relevant en rien d'un exercice loyal de la liberté d'expression et de la liberté d'entreprendre. La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soulève en premier lieu l'irrecevabilité à agir de l'AFFIF, d'une part en ce qu'elle s'abstient d'identifier les caractéristiques véritablement originales de l'affiche du Festival de Cannes 2019 lui permettant de bénéficier de la protection du droit d'auteur, le travail de Mme [I] n'ayant consisté, de manière passive, qu'à coloriser la photographie initiale et à en supprimer certains éléments ; d'autre part, en ce qu'elle ne justifie pas être titulaire de droits d'exploitation sur cette affiche, les contrats invoqués n'ayant pas date certaine d'entrée en vigueur, et celui conclu avec la société TAMARIS s'apparentant à un simple contrat de licence. Très subsidiairement, la défenderesse soutient que l'apparition de l'affiche dans les vidéos litigieuses n'est que partielle et très accessoire, de sorte qu'elle ne caractérise pas une communication au public, et subsidiairement qu'elle est parfaitement justifiée au regard de la balance des intérêts en présence. Sur ce, Sur la protection de l'affiche litigieuse par le droit d'auteur L'originalité de l'?uvre est une condition qui conditionne le succès de l'action au fond mais ne constitue pas une fin de non-recevoir, susceptible de rendre l'action initiée irrecevable. Aux termes de l'article L. 332-1, alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, « Tout auteur d'une ?uvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon ». La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, tout en affirmant ne pas contester l'originalité de l'affiche litigieuse, considère qu'il n'est pas démontré par l'AFFIF qu'il s'agisse d'une « ?uvre protégée » au sens de l'article L. 332-1 précité. L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle définit l'?uvre protégée comme une ?uvre de l'esprit sur laquelle l'auteur jouit, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, le qualificatif d'?uvre étant toutefois réservé à leur caractère original. Cette originalité de l'?uvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur. Lorsque la protection est contestée en défense, l'originalité doit être explicitée et démontrée par celui revendiquant à son bénéfice la protection du droit d'auteur, qui doit permettre l'identification des éléments au moyen desquels cette preuve est rapportée. En l'espèce, l'affiche litigieuse est certes dérivée d'une ?uvre première, constituée par le cliché photographique représentant la réalisatrice [S] [A] sur le tournage du film « La pointe Courte ». La défenderesse ne peut toutefois soutenir que l'AFFIF ne rapporte pas la preuve de l'originalité de l'affiche litigieuse, alors même (i) que cette dernière revendique l'expression par Mme [I] de ses choix tant sur la composition de la maquette ayant modifié la réalité de la photographie de plateau que sur le travail de peinture numérique réalisé sur les couleurs, les brillances et les contrastes de l'affiche, et (ii) que sont parfaitement explicités, en particulier, la modification de perspective, l'angle de vue et le recul pris, l'incrustation d'un arrière-plan, la création d'un coucher de soleil dégradé rouge et orange et l'occultation du technicien debout au pied du support mais également de la plage, remplacée dans le fond par une mer scintillante colorée en violet ou encore le montage calligraphique, toutes interventions qui, quand bien même elles constituent un « travail de modification par un tiers », traduisent dans ce travail un effort créatif et des choix propres à leur auteur, Mme [D] [I]. Le recours à des outils matériels et logiciels, conçus comme des prolongements de la main et des outils traditionnels du créateur manuel, n'ôte en rien au résultat obtenu par ce biais son caractère créatif et les choix arbitraires dont il est la résultante : Il apparaît ainsi que le travail créatif réalisé à partir de ce cliché pour aboutir à l'?uvre seconde révèle un parti-pris esthétique rendant celle-ci éligible à la protection du droit d'auteur. Sur la présomption de titularité En application de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l'?uvre est divulguée, et en l'absence de revendication d'une personne physique qui s'en prétendrait l'auteur, l'exploitation non équivoque de l'?uvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon que celle-ci est titulaire des droits patrimoniaux invoqués. En l'espèce, l'AFFIF verse aux débats le contrat conclu avec la société TAMARIS, titulaire des droits d'exploitation du cliché photographique ayant servi d'?uvre première à la création de l'affiche litigieuse (pièces no 25 et 25 bis ? AFFIF). La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soutient que ces droits d'exploitation n'auraient pas été véritablement cédés mais uniquement concédés en licence, dans la mesure où, aux termes de l'article 2 du contrat, la société TAMARIS se réserve l'exploitation ou le droit de concéder l'exploitation de ce même photogramme sur d'autres types de supports. Mais, outre que les droits patrimoniaux d'auteur sont parfaitement démembrables, de sorte que différentes cessions portant sur des supports différents pour un même mode d'exploitation sont possibles, il apparaît que l'objet de ce contrat porte explicitement sur une autorisation d'exploiter le photogramme à titre exclusif sur certains supports tels une affiche, de sorte que l'AFFIF jouit du droit de créer et exploiter une affiche sur la base de ce photogramme. Or, aux termes de l'article L. 113-2 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, « Est dite composite l'?uvre nouvelle à laquelle est incorporée une ?uvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière », l'article L. 113-4 ajoutant que « L'?uvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'?uvre préexistante ». L'affiche litigieuse, dont il a été jugée supra qu'elle était originale, constitue une ?uvre nouvelle, à laquelle a été incorporé le photogramme préexistant, avec l'autorisation mais sans la collaboration de l'auteur ou du titulaire des droits portant sur ce dernier, de sorte que l'auteur de l'?uvre composite a qualité pour agir en contrefaçon, sans que l'autorisation de l'auteur de l'?uvre première soit requise. Or, d'une part l'AFFIF produit le contrat, certes non daté, par laquelle la graphiste auteure de l'?uvre dérivée, Mme [I], lui a cédé l'intégralité de ses droits patrimoniaux d'exploitation (pièce no 26 bis ? AFFIF), d'autre part et surtout, Mme [I] ne revendique aucun droit, de sorte qu'en tant que personne morale sous le nom de qui l'?uvre est divulguée, et le contrat avec la société TAMARIS ne constituant pas une source d'équivocité mais au contraire une légitimation de la création de l'?uvre seconde, l'AFFIF bénéficie de la présomption de titularité de droits sur l'affiche litigieuse et a en conséquence qualité à agir en contrefaçon. La fin de non-recevoir soulevée par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR sera donc rejetée. Sur l'absence de cause exonératoire La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soutient, à titre très subsidiaire, que dans les cinq vidéos litigieuses, l'affiche n'apparaît que de façon partielle et fugitive, et uniquement parce qu'elle était apposée de manière monumentale sur le fronton du Palais des Festivals, au-dessus des emblématiques marches, de sorte qu'en filmant le Palais des Festivals ou la montée des marches pour indiquer sa présence à Cannes, il n'était pas possible de ne pas faire apparaître cette affiche au moins partiellement et, comme cela a été le cas, de manière très furtive. Elle considère ainsi qu'au vu du caractère très accessoire de la représentation litigieuse par rapport au sujet traité par les vidéos (à savoir le maquillage et les égéries Dior à Cannes), il n'y a pas communication de l'?uvre au public et l'atteinte au monopole du droit d'auteur n'est pas constituée. Et si elle ne revendique pas expressément le droit à l'information du public, elle reprend cependant à son compte la référence, faite par la demanderesse, à l'article L. 122-5 9o du code de la propriété intellectuelle pour affirmer que l'apparition de l'affiche au sein de ses vidéos avait pour but « d'informer le public de la présence de Dior au Festival ». Toutefois, quand bien même l'affiche du Festival n'était en elle-même pas le c?ur du sujet des vidéos litigieuses, il ne peut être raisonnablement soutenu que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n'avait pas d'autre possibilité, pour afficher sa présence ou celle de ses égéries à Cannes durant le Festival, que de filmer le Palais des Festivals et son fronton, sur lequel l'affiche litigieuse est parfaitement visible et reconnaissable en arrière-plan des vidéos, de sorte qu'elle ne peut se prévaloir ni du caractère accessoire des vues de l'affiche ni d'un but d'information du public, d'autant plus que les vidéos litigieuses avaient un objectif promotionnel clairement affiché et ne peuvent s'apparenter à des reportages à but informatif, et qu'il n'est pas fait mention, au crédit des vidéos, de la source et du nom de l'auteure de ladite affiche. A titre infiniment subsidiaire, la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soutient qu'il convient à tout le moins de faire application de la balance des intérêts en recherchant un juste équilibre entre le respect dû au droit d'auteur et la préservation de la liberté d'expression protégée par l'article 10.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Toutefois, là encore, la défenderesse ne justifie pas de la nécessité qu'elle avait à faire usage de l'affiche litigieuse comme elle l'a fait, de sorte que le respect des droits d'auteur opposé prévaut ici, après mise en balance des intérêts en présence, sur la liberté d'expression artistique revendiquée par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR sans qu'elle ne démontre une impossibilité de s'exprimer autrement qu'en s'affranchissant de l'autorisation préalable du titulaire des droits. En conséquence, et la matérialité de la représentation de l'affiche litigieuse sur les vidéogrammes de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n'étant pas contestée, la contrefaçon de droits d'auteur est constituée. Il est cependant constaté que la demanderesse ne reprend dans son dispositif aucune demande indemnitaire au titre des droits patrimoniaux d'auteur, dont le tribunal n'est donc pas saisi. Sur la déchéance des marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soulève reconventionnellement, à titre principal, la déchéance des marques opposées, estimant avoir intérêt à agir dans la mesure où seule une demande en déchéance pour l'ensemble des produits et services visés au dépôt permet de faire définitivement échec à une action fondée sur l'atteinte à la marque renommée (protégée hors du principe de spécialité), et considérant que cette demande présente un lien suffisant avec les prétentions originaires de l'AFFIF au sens de l'article 70 du code de procédure civile, puisque cette dernière sollicitait une interdiction générale pour tous produits et services dans son acte introductif d'instance. Or, selon elle, l'AFFIF ne rapporte la preuve d'aucun usage sérieux des marques invoquées pour chacun des produits et services visés aux dépôts, la Palme n'étant utilisée que pour désigner le Festival de Cannes. L'AFFIF considère justifier d'une exploitation sérieuse et régulière dans les classes 3 et 44, peu important notamment que les marques soient exploitées sans l'élément figuratif ovale qui encercle la palme, et considère la défenderesse irrecevable en sa demande visant les autres classes dans lesquelles les marques sont enregistrées, faute d'intérêt à agir et en l'absence de lien suffisant avec les prétentions originaires de la demanderesse. Sur l'intérêt à agir de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR En application des dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, une demande reconventionnelle n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant. L'intérêt à agir en déchéance, dont la demande est formée à titre reconventionnel, est apprécié restrictivement et limité aux produits et services opposés au soutien de la demande principale et à charge pour celui qui l'invoque d'établir que le signe litigieux, dont il n'est pas fait usage par le titulaire, constitue une entrave à son propre développement économique. En l'espèce, il apparaît que, quand bien même l'assignation sollicitait initialement une interdiction d'utilisation générale de ses marques sans viser de produits et services en particulier, l'AFFIF, demanderesse à titre principal en contrefaçon de ses marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 et en concurrence déloyale, ne revendique dans la présente instance les droits conférés par l'enregistrement de ces deux marques qu'en ce qu'ils couvrent des produits de beauté, à savoir des produits des classes 3 (produits de soin et cosmétiques) et 44 (salons de beauté et de coiffure), à l'exclusion de ceux désignés aux enregistrements précités en classes 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42, 43 et 45 ; tandis que la demande reconventionnelle en déchéance tend à voir prononcer celle-ci pour l'intégralité des produits visés aux dépôts, y compris ceux qui ne sont pas invoqués au soutien de l'action en contrefaçon et qui sont par voie de conséquence étrangers au litige. Au regard d'une action en déchéance, la renommée d'une marque ne saurait priver le principe de spécialité de toute portée, de sorte que, de la même manière que si une marque de renommée est exploitée exclusivement pour certains produits ou services désignés au dépôt, la déchéance devra être prononcée pour les autres produits ou services non exploités sans que la renommée alléguée de la marque puisse y faire obstacle, l'intérêt à agir doit êtr