Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Acanthe a demandé au tribunal administratif de Rennes, sous le n° 1002923, d’annuler la délibération du 30 avril 2010 par laquelle le conseil municipal de Cancale a décidé de lui retirer la qualité d’aménageur de la zone d’aménagement concerté (ZAC) du Clos Nogain, et sous le n° 1100047, de condamner la commune de Cancale à lui verser la somme de 3 216 798 euros, en réparation du préjudice ayant résulté de la perte de sa qualité d’aménageur de la zone d’aménagement concerté (ZAC) du Clos Nogain, assortie des intérêt au taux légal à compter du 20 septembre 2010.
Par un jugement n° 1002923, 1100047, du 18 décembre 2014, le tribunal administratif de Rennes a annulé la délibération du 30 avril 2010 du conseil municipal de la commune de Cancale et condamné la commune à verser une somme globale de 28 145,25 euros à la société Acanthe, assortie des intérêts à compter du 20 septembre 2010.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 février 2015 et 17 mars 2016, la société Acanthe, représentée par Me A…et Me E…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 décembre 2014 en tant qu’il a limité à 28 145,25 euros la somme que la commune de Cancale a été condamnée à lui verser en réparation de son préjudice ;
2°) de condamner la commune de Cancale à lui verser une somme de 650 241 euros portant intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 2010 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Cancale le versement d’une somme de 6 000 euros par application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement est irrégulier en raison de l’omission à statuer sur les moyens tirés, d’une part, de ce que les éléments essentiels du programme avaient été définis avant le choix de l’aménageur, d’autre part, de ce qu’ayant reçu des assurances précises et concordantes, sa qualité d’aménageur constituait un droit acquis auquel le retrait de cette qualité a porté atteinte et ouvert un droit à réparation, en outre, de ce que le maire était incompétent pour modifier substantiellement le projet d’aménagement de la ZAC et que ces modifications substantielles appelaient une nouvelle procédure de mise en concurrence, et enfin, de l’enrichissement sans cause pour la commune ;
– la commune de Cancale a commis une faute en retirant sa délibération du 23 février 2005 qui créait des droits acquis à son profit ; dès lors que les éléments essentiels du programme avaient été définis avant le choix de l’aménageur, le maire, contrairement à ce qu’a estimé le tribunal administratif, n’était pas en charge de pourparlers et de négociations en vue de la signature du contrat mais mandaté pour signer le traité de concession sur la base des éléments essentiels du dossier de création et du règlement de consultation ; le choix de l’aménageur peut précéder la signature du traité de concession et l’approbation du dossier de réalisation et crée des droits acquis qui ne peuvent être remis en cause du fait des évolutions, possibles, mais nécessairement limitées, du programme global des constructions entre le dossier de création et celui de réalisation de la ZAC ; le maire n’était pas compétent pour modifier substantiellement le projet d’aménagement de la ZAC ; les modifications substantielles apportées au programme initial d’aménagement de la ZAC, à les supposer compatibles avec les dispositions du code de l’urbanisme, auraient dû appeler une nouvelle mise en concurrence ; le retrait de cette délibération créatrice de droits est, au surplus, intervenu au-delà du délai imparti par le jurisprudence » Ternon » et en méconnaissance des dispositions de l’article 24 de la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations du 12 avril 2000 ;
– la commune de Cancale a méconnu les principes de loyauté et de confiance légitime en retirant la délibération précitée après lui avoir donné des assurances précises et constantes sur sa qualité d’aménageur pendant plus de quatre années ; ainsi la commune a, le 17 octobre 2005, émis un avis favorable sur le programme prévisionnel des constructions et sur le plan de masse proposés par Acanthe ; ce même programme a été validé le 24 février 2009 par la commission d’urbanisme puis par le conseil municipal le 26 mars 2009, qui a en outre décidé de procéder à une modification du POS sur la base de ce plan de masse et arrêté le montant des participations de la commune, ce qui a incité la société Acanthe à réaliser la pré-commercialisation dès octobre 2009 et le démarrage des travaux à compter d’avril 2010 ; le projet de traité de concession reprenait l’ensemble du programme, notamment la réalisation de 79 logements sociaux, et des engagements précités de la commune ; la commune avait en outre chargé la société Acanthe d’élaborer le dossier de réalisation de la ZAC ;
– le tribunal administratif a commis une erreur de fait et une erreur d’appréciation en estimant que les modifications substantielles apportées par la commune au programme de constructions et au montant des participations, répondaient à un objectif d’intérêt général ; le programme initial n’était pas incompatible avec le PLH adopté en 2008 qui ne préconise pas le mode de réalisation ou de financement particulier des logements sociaux qu’il veut encourager, et n’a pas vocation à s’appliquer uniformément à chaque opération d’urbanisme ; le retrait de sa qualité d’aménageur est en réalité uniquement motivé par la volonté politique de la commune d’augmenter la part de logements PLUS/ PLAI, au détriment des PLS ; quand bien même le retrait de la délibération du 23 septembre 2005 serait-il motivé par des objectifs d’intérêt général, cette circonstance ne ferait pas obstacle à son droit à indemnisation intégrale du préjudice résultant de la méconnaissance de ses droits acquis ;
– la commune, qui n’a pas renoncé à créer la ZAC mais a décidé d’en poursuivre elle-même l’aménagement, a bénéficié de l’ensemble des études réalisées par Acanthe ; elle est donc fondée à se prévaloir d’un enrichissement sans cause de la commune, et recevable à le faire puisqu’elle l’évoquait ce fondement de demande dans sa réclamation indemnitaire ;
– elle n’a, dans ce contexte, commis aucune faute ni imprudence justifiant l’exonération de la responsabilité de la commune à hauteur de 75% ; elle ne saurait répondre des changements soudains et substantiels du projet initial apportés par la commune du fait de choix politiques ou d’une mauvaise appréciation initiale de ses besoins ;
– elle ne poursuit pas en appel la réparation du coût d’acquisition des terrains (supportés par la SNC du Clos Noguain et objet d’une procédure d’appel sur le coût d’acquisition fixé par le juge de l’expropriation) ;
– elle a droit à l’indemnisation de ses frais d’études et de gestion de 123 741 euros (frais de géomètre de 2 790 euros HT, frais d’architecte de 53 381 euros HT, préparation du dossier d’enquête publique préalable à la DUP de 4 320 euros HT (bien que ces frais aient été exposés avant le 23 septembre 2005), frais des dossiers de création et de réalisation de la ZAC, notice d’incidence loi sur l’eau et maîtrise d’ouvrage infrastructures et paysages de 60 750 euros HT, plan des réseaux, programme de travaux et complément d’étude d’impact de 2 500 euros HT) ;
– elle a droit à l’indemnisation des frais de montage de l’opération de 336 500 euros (soit le temps passé par ses intervenants pour le montage de l’opération de ZAC, de 248 500 euros et le temps consacré à la pré-commercialisation des lots viabilisés et des terrains destinés aux logements collectifs, de 88 000 euros) ; ces frais, non excessifs compte tenu de la durée de 4 ans écoulée, ont été validés par un expert-comptable, et doivent être indemnisés ;
– elle a droit à l’indemnisation de son manque-à-gagner de 190 000 euros, malgré l’absence de signature du traité de concession ;
– elle a donc droit à une indemnité totale de 650 241 euros portant intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 2010, date de la réception de sa réclamation préalable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2015, la commune de Cancale conclut au rejet de la requête et, par la voie de l’appel incident, demande à la cour d’annuler le jugement du 18 décembre 2014 du tribunal administratif de Rennes en tant qu’il l’a condamnée à verser une somme de 28 154,45 euros à la société Acanthe et demande que soit mis à la charge de cette société le versement d’une somme de 7 500 euros par application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement n’est entaché d’aucune des omissions à statuer alléguées et est régulier ;
– c’est à tort que les premiers juges ont condamné la commune à verser la somme de 28 145,25 euros à la société Acanthe ;
– la délibération du 23 septembre 2005 ne donnait pas de droit à la conclusion de la concession d’aménagement de la ZAC et les éléments essentiels de cette convention, énumérés par l’article L. 300-5 du code de l’urbanisme, n’avaient été ni définis ni a fortiori approuvés par le conseil municipal, qui avait seulement mandaté le maire pour conduire des négociations en vue de la signature de la convention de concession ; la commune pouvait renoncer à conclure cette convention sans méconnaître de droits acquis de l’aménageur potentiel ; contrairement à ce qu’elle soutient, la société Acanthe ne pouvait tenir de droit à l’aménagement de la ZAC que de cette convention de concession ;
– la sélection de la société Acanthe à l’issue de la procédure de mise en concurrence n’interdisait pas à la commune de faire évoluer le projet ; tant que la concession n’est pas conclue, des modifications non substantielles au sens de l’article R. 311-12 du code de l’urbanisme ne font pas obstacle à la conclusion du contrat, mais des modifications substantielles pourraient impliquer un nouveau dossier de création de ZAC et mettre fin à la procédure de mise en concurrence ; en l’espèce, la commune de Cancale s’est contentée de mettre un terme pour des raisons d’intérêt général aux négociations en cours en vue de la conclusion d’une concession d’aménagement et de reprendre à son compte le projet d’aménagement ;
– la délibération contestée du 30 avril 2010 n’a pas pour objet de faire perdre la qualité d’attributaire de la concession à la société Acanthe mais a mis un terme aux négociations en vue de la conclusion de la convention de concession dans la perspective de la reprise du projet d’aménagement par la commune, pour des raisons d’intérêt général tenant à ce que la faisabilité du projet en termes de programmation de logements sociaux n’était plus garantie et de ce que l’approche financière n’était plus compatible avec les ressources de la commune ;
– la délibération du 30 avril 2010 n’est illégale ni au regard de l’article 24 de la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations du 12 avril 2000 ni au regard de la jurisprudence Ternon ;
– le principe de confiance légitime est étranger aux relations en cause, qui ne peuvent être assimilées à des promesses non tenues ou des engagements inconsidérés, dès lors que la société Acanthe, professionnel de l’aménagement, ne pouvait ignorer qu’elle n’avait pas de droit acquis à la conclusion de la concession d’aménagement et que la commune restait libre de modifier le projet de programme global de constructions de la ZAC et de renoncer au projet ou de décider de le poursuivre seule ; la société Acanthe a au contraire elle-même suggéré des modifications de ce programme dès l’année 2006 et ce programme a été modifié par une délibération du 26 mars 2009 pour tenir compte des options du PLH entré en vigueur en 2008, comportant 84 logements bénéficiant de financements PLAI et PLUS induisant en contrepartie des loyers encadrés et un accès réservé aux plus démunis moyennant une participation de la commune à hauteur de 69 000 euros à ce titre, outre une participation totale de 185 000 euros au titre des aménagements de la ZAC ; la société Acanthe a feint d’accepter ces modifications mais en a en réalité refusé les conditions en permettant l’équilibre financier ;
– le principe de confiance légitime n’a pas été méconnu ;
– ni dans sa réclamation indemnitaire préalable ni dans sa requête introductive d’instance, fondées sur la responsabilité pour faute, la société Acanthe n’a mentionné l’enrichissement sans cause, c’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont estimé que cette demande tardive était nouvelle et irrecevable ;
– c’est en revanche à tort que les premiers juges ont considéré que la commune avait donné des assurances à la société Acanthe quant à la conclusion d’un traité de concession d’aménagement sur les bases du programme défini dans le dossier de création de la ZAC, lequel n’était pas abouti ; la commune, qui n’avait pas été tenue informée des dépenses exposées par la société Acanthe pendant la période de négociation, ne peut être regardée comme les ayant encouragées ;
– en l’absence de toute faute de la commune, c’est à tort que le jugement attaqué met à sa charge 25% du préjudice dont la société Acanthe demande réparation, alors qu’elle est un professionnel de l’aménagement et qu’elle a délibérément pris le risque d’engager des études et d’acquérir des terrains dans la ZAC (dès 2003), avant que la convention de concession ne soit signée et avant même l’issue de la procédure de mise en concurrence ; le jugement devra être réformé sur ce point ;
– en tout état de cause, l’appelante ne démontre pas plus qu’en première instance que les préjudices dont elle demande réparation présentent un lien de causalité direct et certain avec la faute reprochée à la commune de Cancale ; un tel lien fait défaut notamment s’agissant des dépenses exposées avant le 23 septembre 2005 ou des dépenses exposées par la SNC Clos Noguain, société tierce ; le tribunal administratif n’aurait d’ailleurs pas dû retenir la facture de 3 500 euros HT émise par la société Parcoret à l’attention de la SNC ; que doivent être également écartées la facture du 30 septembre 2009 de 2 500 euros HT de la société Urbane pour de prestations de dossier de création (ledit dossier avait été approuvé en 2005) et la facture de la société Sétur pour la préparation du dossier d’enquête publique préalable à l’expropriation d’utilité publique, non nécessaire puisque la société Acanthe s’était assurée de la maîtrise foncière totale ; les frais de montage de l’opération, de 88 000 euros, ne sont pas justifiés et ne présentent pas de lien de causalité direct avec la prétendue faute de la commune ; le jugement devra être également réformé en tant qu’il retient les factures de la société Chouzenoux, (au demeurant d’un montant total de 53 381 euros HT et non 59 081 euros HT retenu par les premiers juges), pour des prestations dont la réalité et l’utilité ne sont pas établies et qui font doublon avec d’autres facturations ; la circonstance qu’un expert comptable a vérifié la teneur des sommes ne suffit pas à en établir le caractère certain et directement imputable ; en outre, aucune pré-commercialisation ne pouvant avoir lieu avant l’approbation du programme de réalisation de la ZAC, la commune de Cancale n’a pu faire aucune incitation à cette fin ; c’est donc à tort que le jugement attaqué fait une appréciation forfaitaire du préjudice à réparer à la somme de 50 000 euros HT.
Par ordonnance du 2 novembre 2016, la clôture d’instruction a été fixée au 17 novembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Loirat, président-assesseur,
– les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
– et les observations de MeE…, représentant la société Acanthe, et de Me D…B…, représentant la commune de Cancale.
1. Considérant que, par une délibération du 28 janvier 2005, le conseil municipal de la commune de Cancale a décidé de lancer une procédure de création d’une ZAC, sur le fondement des articles L. 311-1 et R. 311-1 et suivants du code de l’urbanisme, afin de développer l’offre de logements et l’accueil de nouveaux habitants par l’aménagement d’une zone de sept hectares, à l’entrée de l’agglomération, à l’ouest du centre ville, dans le quartier dit du Clos Nogain ; qu’une concertation a été organisée et des études préalables, confiées à un bureau d’études spécialisé, ont permis d’établir le dossier de la création de la future ZAC, prévoyant la réalisation d’un programme favorisant la mixité sociale et générationnelle par la création d’environ deux cents logements comprenant une dizaine de lots individuels, une quinzaine de maisons de ville, dont quatre en accession aidée à la propriété, une centaine de logements intermédiaires, une cinquantaine de logements collectifs, dont une dizaine de logements sociaux, une emprise réservée pour la réalisation d’un équipement comportant une trentaine de logements pour personnes âgées autonomes ; que, par une délibération du 12 juillet 2005, le conseil municipal a approuvé sur ces bases le dossier de création de la ZAC et décidé de confier l’aménagement et l’équipement de la zone à un opérateur privé, en application de l’article R. 311-6 du code de l’urbanisme ; qu’à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, la commission d’appel d’offres a retenu en qualité d’aménageur la société Acanthe et, par une délibération du 23 septembre 2005, le conseil municipal a approuvé le choix de cet aménageur et » autorisé le maire à signer le marché correspondant » ; que des difficultés ont toutefois retardé et entravé l’élaboration d’une convention de concession, laquelle n’a finalement jamais été signée, en raison d’un désaccord entre l’aménageur pressenti et la commune concernant la proportion des logements sociaux dans le programme et les montants des participations respectives d’Acanthe et de la commune à la réalisation de l’opération ; que, par une délibération du 30 avril 2010, le conseil municipal a décidé qu’il ne serait pas donné suite à l’opération avec la société Acanthe et que la commune reprenait la maîtrise totale du projet ; que par son jugement n°1002923, 1100047 du 18 décembre 2014, le tribunal administratif de Rennes a, en premier lieu, annulé la délibération du 30 avril 2010 du conseil municipal de Cancale, pour un vice de procédure tenant à l’absence d’envoi aux membres du conseil municipal avec leur convocation de la » note explicative de synthèse » prévue par l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ; qu’en second lieu, le tribunal a reconnu la responsabilité pour faute de la commune de Cancale en ce qu’elle a encouragé la société Acanthe à exposer des dépenses, notamment d’études, pour la finalisation de son projet d’aménagement et l’élaboration du dossier de réalisation de la ZAC, tout en limitant cette responsabilité à 25 % du préjudice » pour tenir compte des imprudences et risques auxquels la société requérante s’est sciemment exposée » et a condamné la commune à verser la somme de 28 145,25 euros à la société Acanthe, assortie des intérêts à compter du 20 septembre 2010, date de réception de sa demande préalable du 17 septembre 2010 ; que la société Acanthe relève appel de ce jugement en tant qu’il a limité à la somme de 28 145,25 euros la condamnation de la commune de Cancale en réparation du préjudice ayant résulté de la perte de sa qualité d’aménageur de la ZAC du Clos Nogain et demande la condamnation de la commune à lui verser la somme de 650 241 euros ; que, par la voie de l’appel incident, la commune de Cancale demande l’annulation de ce même jugement en tant que le tribunal administratif l’a condamnée à verser une somme de 28 145,25 euros à la société Acanthe ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que, contrairement à ce que prétend la requérante, le tribunal a répondu au moyen tiré de ce que les éléments essentiels du programme de la ZAC avaient été définis avant la désignation de l’aménageur, en estimant au point 7 de son jugement qu’à la date de la délibération du 23 septembre 2005 désignant la société Acanthe en qualité d’aménageur les éléments essentiels du programme de la ZAC tels que définis à l’article L. 300-5 du code de l’urbanisme n’étaient pas adoptés ; que la requérante n’est pas davantage fondée à soutenir que le tribunal n’aurait pas répondu à son moyen invoquant les droits qu’elle tenait de sa qualité d’aménageur de la ZAC dès lors que tout le point 7 du jugement y répond ; que, de même, la commune n’avait pas à répondre aux moyens tirés de ce que le maire de Cancale n’était pas compétent pour modifier le projet d’aménagement et qu’une telle modification nécessitait l’organisation d’une nouvelle procédure de mise en concurrence, dès lors que ces moyens étaient invoqués sous le n°1002923, dans le cadre de la demande d’annulation de la délibération du 30 avril 2010, et que le tribunal a annulé cette délibération en se fondant sur un autre moyen ; qu’enfin, le tribunal n’avait pas à répondre à l’argumentation sur l’enrichissement sans cause, puisqu’il a jugé au point 5 de son jugement que la société Acanthe n’était pas recevable à invoquer cette cause juridique nouvelle ; qu’il suit de là que le jugement attaqué n’est pas entaché des omissions invoquées et n’est pas irrégulier ;
Sur les conclusions d’appel principal :
3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 300-5 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au présent litige : » Dans le cas où une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités qui a décidé de mener une opération publique d’aménagement au sens du présent livre en confie la réalisation à un aménageur dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 300-4 et décide de participer au coût de l’opération, la convention précise à peine de nullité : / 1° Les modalités de cette participation financière, qui peut prendre la forme d’apports en nature ; / 2° Le montant total de cette participation et, s’il y a lieu, sa répartition en tranches annuelles ; / 3° Les modalités du contrôle technique, financier et comptable exercé par la collectivité ou le groupement contractant ; à cet effet, la société doit fournir chaque année un compte rendu financier comportant notamment en annexe : / a) Le bilan prévisionnel actualisé des activités, objet de la convention, faisant apparaître, d’une part, l’état des réalisations en recettes et en dépenses et, d’autre part, l’estimation des recettes et dépenses restant à réaliser ; / b) Le plan de trésorerie actualisé faisant apparaître l’échéancier des recettes et des dépenses de l’opération ; / c) Un tableau des acquisitions et cessions immobilières réalisées pendant la durée de l’exercice » ;
4. Considérant qu’à la date du 23 septembre 2005 à laquelle le conseil municipal de la commune de Cancale a approuvé le choix de l’aménageur opéré par la commission d’appel d’offres à l’issue de la procédure de mise en concurrence, seul le programme de création de la ZAC du Clos Noguain, incluant notamment un programme prévisionnel des constructions à édifier, avait été approuvé et que, notamment, les modalités de participations financières n’avaient pas encore été définies ; que la société Acanthe ne peut ainsi sérieusement soutenir que les éléments essentiels de la convention d’aménagement étaient alors connus ; qu’eu égard à l’objet limité de la délibération du 23 septembre 2005, qui se borne ainsi qu’il a été dit à approuver le choix de l’aménageur, la mention in fine de ce qu’elle » autorise M. le maire à signer le marché correspondant ainsi que toute pièce afférente à ce dossier » ne saurait être interprétée comme autorisant le maire à signer la convention d’aménagement et lui donnant tout pouvoir pour cela, alors surtout qu’une telle convention, en droit interne, n’est pas un » marché » au sens du code des marchés publics et que la délibération ne comporte aucune précision sur les éléments du contenu du » traité de concession d’aménagement » tel qu’il est défini par les dispositions précitées du code de l’urbanisme, et que, lorsqu’il entend autoriser le maire à souscrire une telle convention, le conseil municipal doit, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir ; que, par suite, la société Acanthe n’est pas fondée à prétendre que la délibération du 23 septembre 2005 aurait créé à son profit des droits devant aboutir à la signature du traité de concession d’aménagement et que la délibération du 30 avril 2010 lui aurait illégalement retiré de tels droits ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que la société Acanthe soutient que la commune a méconnu les principes de loyauté et de confiance légitime en retirant la délibération du 23 septembre 2005 après lui avoir donné des assurances précises et constantes quant à sa qualité d’aménageur pendant plus de quatre années ; que toutefois, d’une part, le principe de loyauté, qui a un champ d’application limité au contentieux de l’exécution du contrat, ne peut être utilement invoqué en l’absence de conclusion du traité de concession d’aménagement de la ZAC du Clos Noguain avec la commune de Cancale ; que, d’autre part, le principe de confiance légitime ne peut être utilement invoqué qu’à l’occasion de la mise en oeuvre du droit de l’Union européenne ; qu’en l’espèce, la procédure de passation des concessions d’aménagement, si elle a été modifiée sous l’influence du droit communautaire, procède de l’application des dispositions de la loi n°2005-809 du 20 juillet 2005 et de celles du décret n°2009-889 du 22 juillet 2009, codifiées au code de l’urbanisme ; qu’il s’ensuit que la société Acanthe ne peut davantage se prévaloir de la méconnaissance du principe de confiance légitime ;
6. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que prétend la requérante, la circonstance que la modification du programme de la ZAC par la commune soit issue d’une volonté politique d’augmenter le nombre de logements sociaux ne s’oppose pas à ce qu’il soit reconnu que cette modification est fondée sur un motif d’intérêt général, eu égard à l’importance des besoins de ce type de logements ; qu’ainsi, l’approbation par le conseil municipal de Cancale, dans sa délibération du 26 mars 2009, d’un programme de constructions comportant 84 logements collectifs sociaux, financés par des prêts spécifiques dont les conditions d’octroi exigent que les loyers soient encadrés et que ces logements soient réservés aux plus démunis, constitue une évolution qui doit être regardée comme fondée sur un motif d’intérêt général, qu’elle soit fondée ou non sur l’application du plan local de l’habitat (PLH) de la communauté d’agglomération de Saint-Malo Agglomération adopté en 2008, alors même que cela aurait été au détriment des logements dits intermédiaires destinés aux classes moyennes ; que ces modifications, qui ont conduit la société Acanthe, estimant qu’elles rendaient la commercialisation des parcelles plus difficile, à exiger en contrepartie un engagement financier supplémentaire de la commune, comme le refus de la commune d’augmenter sa participation financière, qui a conduit à l’abandon des pourparlers en vue de la conclusion du traité de concession de la ZAC, ayant entraîné une situation de blocage, en décidant de reprendre le projet à son propre compte la commune de Cancale n’a pas commis d’illégalité de nature à engager sa responsabilité ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que si, en cas d’absence de contrat, une entreprise qui a effectué des prestations pour le compte d’une personne publique peut demander sur le terrain de l’enrichissement sans cause le remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à cette collectivité, une telle demande procède d’une cause juridique distincte de celle fondée sur le terrain de la faute ; que contrairement à ce qu’elle soutient, la société Acanthe, qui n’a devant le tribunal administratif de Rennes invoqué cette cause juridique distincte que par un mémoire du 26 octobre 2012, n’avait invoqué l’enrichissement sans cause ni dans sa réclamation indemnitaire préalable du 17 septembre 2010 ni dans des écritures présentées avant l’expiration du délai de recours contentieux, lequel a couru au plus tard à la date d’enregistrement de sa demande de première instance ; que c’est par suite à bon droit que le tribunal a jugé qu’elle n’était pas recevable à s’en prévaloir ;
8. Considérant, en cinquième lieu, qu’en faisant procéder à la plupart des acquisitions foncières et en faisant réaliser diverses études par des prestataires extérieurs avant même d’être désignée comme aménageur, puis en poursuivant ses propres travaux sans qu’aient abouti les négociations sur le contenu précis et définitif du programme d’aménagement et ses modalités de financement et sans que soit signée la convention d’aménagement nécessaire, la société Acanthe, professionnelle de l’aménagement, a pris un risque qu’il lui incombe d’assumer et commis une imprudence fautive, venant en atténuation de la responsabilité de la commune à hauteur de 75% ainsi que l’ont estimé à bon droit les premiers juges ;
9. Considérant, en sixième lieu, que la société Acanthe demande, en ce qui concerne le montant de la réparation qu’elle estime lui être due, la condamnation de la commune de Cancale à lui verser une indemnité de 650 241 euros ;
10. Considérant que, d’une part, au titre des frais d’études et de gestion qu’elle a exposés auprès de plusieurs prestataires, elle sollicite une somme de 123 741 euros HT, comprenant des frais de géomètre de 2 700 euros, des frais d’architecte de 53 381 euros, des frais de préparation du dossier d’enquête publique préalable à la DUP de 4 320 euros , ainsi que 60 750 euros de frais de dossiers de création et de réalisation, notice d’incidence au titre de la loi sur l’eau et maîtrise d’oeuvre infrastructures et paysages et 2 500 euros pour le plan des réseaux, le programme des travaux et un complément d’étude d’impact ; que, toutefois, il résulte de l’instruction qu’à l’exception de ceux dont le caractère indemnisable a été admis par le tribunal, c’est-à-dire les études réalisées par le cabinet Chouzenoux, architecte, suivant contrat du 10 mars 2009, pour un montant total acquitté de 59 081 euros, et la réalisation pour un montant de 3 500 euros également facturé d’une étude paysagère par la société Parcoret, les autres études et prestations invoquées sont antérieures à sa désignation en qualité d’aménageur ou dénuées des justifications nécessaires, notamment par une facture ; qu’il n’est ainsi pas établi que le tribunal aurait fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice ;
11. Considérant, d’autre part, que la société Acanthe sollicite une somme de 336 500 euros au titre des » frais de montage de l’opération » correspondant à sa mission d’aménageur, se décomposant en 248 500 euros pour le temps passé par ses intervenants dans le montage de l’opération de la ZAC et 88 000 euros correspondant au temps passé pour assurer la pré-commercialisation des lots viabilisés et des terrains destinés aux logements collectifs ; que la réalité des prestations supposées correspondre à des frais de pré-commercialisation n’est établie par aucun justificatif pertinent et qu’en tout état de cause de tels frais ne sauraient être regardés comme constituant un chef de préjudice indemnisable en lien direct avec la faute de la commune de Cancale alors que le dossier de réalisation de la ZAC n’était pas approuvé et que le traité de concession d’aménagement n’était pas établi et signé ; qu’en l’absence des précisions et justifications pertinentes permettant d’apprécier le bien fondé de sa demande d’une somme de 248 500 euros au titre du » temps passé par ses intervenants dans le montage de l’opération « , et compte tenu de ce qu’elle inclut dans ce montant une part importante de prestations antérieur