Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
REJET du pourvoi formé par :
– X… Michel,
contre un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Douai en date du 16 juillet 1986, qui, pour banqueroute par détournement d’actif social, abus de confiance et pour non-déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés de traitements automatisés d’informations nominatives, l’a condamné à 2 ans d’emprisonnement avec sursis et a déclaré recevable la constitution de partie civile de la chambre départementale des huissiers de justice du Nord.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation proposé et pris de violation des articles 197, 238 et 240 de la loi du 25 janvier 1985, des articles 4 et 402 du Code pénal et des articles 6 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
» en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré Me X… coupable de banqueroute par détournement d’actifs ;
» aux motifs qu’une loi nouvelle qui abroge une incrimination s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non encore définitivement jugés et que bien que commis avant le 1er janvier 1986, le détournement d’actif constitutif du délit de banqueroute frauduleuse, ou délit assimilé tel qu’il était prévu par les articles 129, 133-2 et 131 de la loi du 13 juillet 1967 entrait dans les prévisions de l’article 197 de cette dernière loi et demeurait ainsi punissable dans la limite des peines maximales fixées par l’article 402 nouveau du Code pénal ;
» alors, d’une part, qu’il ressort de l’article 240 de la loi du 25 janvier 1985 que les dispositions de la loi nouvelle ne sont applicables qu’aux procédures ouvertes après leur entrée en vigueur et qu’en retenant Me X… dans les liens de la prévention au motif que le détournement d’actif qui lui était reproché entrait dans les prévisions de la loi nouvelle, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
» alors, d’autre part, que le détournement d’actif constitutif du délit de banqueroute incriminé par l’article 197 de la loi du 25 janvier 1985 suppose qu’une procédure de redressement judiciaire ait été ouverte et qu’en déclarant lesdites dispositions applicables en l’absence d’une telle procédure, la cour d’appel a violé le texte précité » ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 196 et 197 de la loi du 25 janvier 1985, de l’article 1er de la loi du 29 novembre 1966, de l’article 22 du décret du 1er mars 1985 pris en application de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, de l’article 402 du Code pénal, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Me X… coupable de banqueroute par détournement d’actif ;
» aux motifs que la société civile professionnelle d’huissiers de justice poursuivait un but lucratif (formulation de la loi du 13 juillet 1967) correspondant à » l’activité économique » reprise dans la loi du 25 janvier 1985, le but évident de la société civile professionnelle étant la recherche d’une rentabilité et donc de bénéfices par l’exercice de ses activités propres ;
» alors que les sociétés civiles professionnelles ont pour objet » l’exercice en commun de la profession de leurs membres » et que la profession d’huissier de justice qui contribue en tant qu’auxiliaire de justice au fonctionnement du service public de la justice, n’est pas une activité économique au sens de la loi du 25 janvier 1985 laquelle vise uniquement » le redressement et la liquidation judiciaire des entreprises » et a pour objet de » permettre la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du passif » ;
» qu’en appliquant un tel texte à une profession à statut, qui en tant que telle est soumise à des instances professionnelles dotées de pouvoirs réglementaires pour contrôler les offices des membres défaillants et tenues en outre de garantir le passif vis à vis des tiers, la cour d’appel a violé par fausse application simultanément l’article 196 de la loi précitée du 25 janvier 1985 ainsi que les articles 4 et 5 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice et les articles 55, 56 et 61 du décret du 26 février 1956 qui complète ledit statut » ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé et pris de violation des articles 196 et 197 de la loi du 25 janvier 1985 et de l’article 1134 du Code civil, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Me X… coupable de banqueroute par détournement d’actif ;
» aux motifs adoptés des premiers juges (cf. jugement entrepris p. 21) que même s’il n’exerçait plus ses fonctions d’huissier au sein de la société, il demeurait gérant de droit, de sorte qu’en percevant à la suite d’un accord avec ses coassociés les montants en cause dont il connaissait parfaitement l’origine, il s’était rendu coauteur des détournements incriminés ;
» alors, d’une part, qu’il avait été expressément stipulé par les statuts (cf. article 10) que les fonctions de gérant prenaient fin par le retrait volontaire de la société ; qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué qui affirme que Me X… qui s’était pourtant volontairement retiré de la société civile professionnelle » demeurait gérant de droit « , viole l’article 1134 du Code civil ;
» alors, d’autre part, qu’il est constant qu’à l’époque des prélèvements incriminés, le prévenu avait cessé toute activité de la société civile professionnelle et n’agissait pas en qualité de mandataire social mais de créancier personnel, de sorte que l’arrêt attaqué qui le déclare coupable uniquement de banqueroute viole l’article 196 de la loi du 25 juillet 1985 ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que Michel X…, ainsi que deux autres huissiers de justice, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour notamment, avoir entre 1982 et 1984, en sa qualité de cogérant d’une société civile professionnelle en état de cessation des paiements, frauduleusement détourné partie de l’actif social, délit prévu par l’article 133, alinéa 2, de la loi du 13 juillet 1967 et puni par l’article 402 du Code pénal ;
Attendu que pour le dire coupable de cette partie de la prévention et lui faire application des articles 197-2° et 198 de la loi du 25 janvier 1985 alors entrée en vigueur, la cour d’appel, faisant sien l’exposé des faits des premiers juges, relate que X… qui était l’un des trois cofondateurs, cogérants statutaires de la société civile professionnelle créée le 22 octobre 1981, et entrée en activité en septembre 1982, n’avait pas libéré en totalité l’apport en nature promis à ses coassociés, puisqu’il n’avait pas reversé au compte social et à concurrence de 499 297 francs les fonds provenant de sa clientèle personnelle, et dont, dès le jour de sa fondation, la société civile professionnelle était devenue pourtant responsable et débitrice envers les anciens clients de cet huissier ; que ce prévenu n’avait régularisé cette situation qu’en septembre 1983, et après mise en demeure de la chambre départementale des huissiers dont il dépendait ;
Que la cour d’appel relève que la société civile professionnelle avait ainsi commencé son activité sans fonds de roulement suffisants permettant de faire face à ses premières dépenses et sans la trésorerie indispensable à sa survie ; que cette société civile qui poursuivait un but lucratif au sens de la loi du 13 juillet 1967 et un but économique au sens de la loi du 25 janvier 1985, s’était trouvée en état de cessation des paiements, dès le début de son fonctionnement ; que si aucun protêt ou incident de paiement n’était survenu, cela tenait uniquement à ce que les cogérants de la société civile professionnelle avaient, eux aussi, conservé indûment les fonds que la personne morale avait, depuis sa fondation, recueillis pour le compte de ses propres clients, et qui auraient dû être transmis aussitôt encaissés ; que l’expertise comptable décidée au début de l’enquête avait révélé que la situation financière de la société civile professionnelle, irrémédiablement compromise dès sa création, n’avait fait que s’aggraver en raison des prélèvements effectués par ses cogérants ;
Qu’elle souligne que X… avait personnellement prélevé dans la trésorerie sociale 16 000 francs en 1982, 154 432 francs en 1983 et 165 000 francs en 1984 ; que la mauvaise foi du prévenu, au regard de ces détournements, était établie par le fait qu’au jour de la création de la société civile professionnelle, il avait volontairement omis de procéder à l’arrêté des comptes de sa propre étude, dont il apportait pourtant l’actif et le passif à ses coassociés, et qu’il avait agi de même après son retrait, en septembre 1983, de l’activité de l’étude, ce qui lui avait permis de prélever, encore en 1984, 165 000 francs de deniers sociaux ; que si, à cette date, X… avait cédé ses parts à ses coassociés, cette cession n’avait été consentie que sous conditions suspensives non réalisées, et qu’il demeurait ainsi, et aux yeux des tiers, le cogérant légal de la société civile professionnelle ;
Attendu que pour rejeter l’argumentation du prévenu qui soutenait que la loi du 13 juillet 1967 ayant été abrogée par l’article 238 de la loi du 25 janvier 1985, celle-ci n’étant applicable, selon son article 240, qu’aux procédures commerciales ouvertes postérieurement à son entrée en vigueur, X… devait, en raison de ce vide juridique, être relaxé du chef de banqueroute, l’arrêt attaqué énonce que si une loi nouvelle qui abroge une incrimination s’applique bien aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivements jugés, les détournements d’actifs retenus contre X…, constitutifs de l’ancien délit assimilé à la banqueroute frauduleuse tels que définis par l’article 133 alinéa 2 de la loi du 13 juillet 1967, entrent, bien que commis avant le 1er janvier 1986, dans les prévisions de l’article 197-2° de la loi du 25 janvier 1985 et demeurent punissables dans les limites des peines maximales fixées par l’article 402 nouveau du Code pénal ;
Attendu qu’en prononçant ainsi et alors qu’une société civile professionnelle d’huissiers de justice est bien une personne morale de droit privé ayant à la fois une activité économique et un but lucratif, la cour d’appel, appliquant au cas d’espèce la doctrine dégagée précédemment par la Cour de Cassation à propos de l’application, aux procédures de banqueroute en cours, de la loi nouvelle du 25 janvier 1985, a justifié sa décision, sans encourir l’un quelconque des griefs visés aux moyens réunis, lesquels doivent dès lors être écartés ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme, que la peine prononcée, comme la recevabilité de la constitution de la partie civile, se trouve justifiée par la décision des juges du fond, au regard du délit de banqueroute par détournement d’actif retenu contre X… ; qu’il n’y a pas lieu en conséquence à examiner les quatrième, cinquième et sixième moyens proposés visant les délits d’abus de confiance et le délit de non-déclaration de traitements automatisés d’informations nominatives dont X… a également été reconnu coupable ;
REJETTE le pourvoi.