Texte intégral
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi pour l’initiative économique, le 22 juillet 2003, par MM. Jean-Marc AYRAULT, Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX-BACQUET, MM. Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Éric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARILLON-COUVREUR, MM. Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Jean DELOBEL, Bernard DEROSIER, Marc DOLEZ, François DOSÉ, René DOSIÈRE, Julien DRAY, Jean-Pierre DUFAU, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Henri EMMANUELLI, Claude ÉVIN, Laurent FABIUS, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANÇAIX, Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GÉNISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaétan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Elisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD-KUNSTLER, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, MM. François HOLLANDE, Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Serge JANQUIN, Armand JUNG, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean-Yves LE DRIAN, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Bruno LE ROUX, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Patrick LEMASLE, Mme Annick LEPETIT, MM. Jean-Claude LEROY, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Didier MATHUS, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, MM. Michel PAJON, Christian PAUL, Germinal PEIRO, Mmes Marie-Françoise PEROL-DUMONT, Geneviève PERRIN-GAILLARD, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILÈS, Simon RENUCCI, Alain RODET, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mmes Ségolène ROYAL, Odile SAUGUES, MM. Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE, Jean-Pierre DEFONTAINE, Paul GIACOBBI, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO et M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, députés ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de l’Etat en faveur des petites et moyennes entreprises ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 29 juillet 2003 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi pour l’initiative économique ; qu’ils contestent la conformité au principe d’égalité devant les charges publiques de ses articles 43, 44, 47, 48 et 49 ;
2. Considérant qu’il appartient au législateur, lorsqu’il établit une imposition, d’en déterminer librement l’assiette et le taux, sous réserve du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt ; qu’en vertu de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la contribution commune aux charges de la Nation « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que, pour des motifs d’intérêt général, le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation au développement d’activités économiques en appliquant des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés ; que l’ensemble de ces principes est applicable notamment aux droits de mutation à titre gratuit et à l’impôt de solidarité sur la fortune ;
SUR L’ARTICLE 43 :
3. Considérant que l’article 43 étend aux donations en pleine propriété entre vifs le dispositif d’exonération des droits de succession antérieurement prévu par les articles 789 A et 789 B du code général des impôts ; que ce dispositif exonère, à concurrence de la moitié de leur valeur, la transmission de parts et actions d’une société, ainsi que celle des biens affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle ; que cette exonération est subordonnée à diverses conditions relatives à la stabilité du capital et à la direction de l’entreprise ; que, s’agissant des sociétés cotées, l’article 43 réduit de 25 % à 20 % la part minimale des droits financiers et des droits de vote sur lesquels doit porter l’engagement collectif de conservation pris par le défunt ou le donateur avec d’autres associés ;
4. Considérant que les députés requérants font valoir que, si le législateur avait antérieurement restreint le bénéfice de l’avantage aux transmissions d’entreprise par décès, c’est en raison de la possibilité offerte par l’article 790 du code général des impôts de bénéficier d’une réduction des droits de donation pouvant aller jusqu’à 50 % ; qu’ils soutiennent que, « du fait de la combinaison de ces deux dispositifs, la personne bénéficiant de la donation d’une entreprise pourra prétendre à une économie d’impôt pouvant aller jusqu’à 75 % » et que, « compte tenu de sa disproportion par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur, l’octroi d’un tel avantage aboutit à une rupture caractérisée du principe d’égalité devant l’impôt » ;
5. Considérant, d’une part, qu’il résulte des travaux parlementaires que le législateur a souhaité favoriser, en raison du contexte démographique, la transmission d’entreprise dans des conditions permettant d’assurer la stabilité de l’actionnariat et la pérennité de l’entreprise ; qu’il a subordonné l’extension aux donations de l’avantage fiscal prévu en cas de succession à une transmission en pleine propriété des actions ou des biens de l’entreprise ; que le bénéfice de cet avantage reste, par ailleurs, subordonné aux conditions, déjà prévues par le texte, relatives à la stabilité du capital et à la direction de l’entreprise ; que, dès lors, cet avantage n’est pas de nature à entraîner une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ;
6. Considérant, d’autre part, qu’il était loisible au législateur, au regard de l’objectif d’intérêt général ainsi poursuivi, de ne pas exclure les donations en cause du bénéfice de l’article 790 du code général des impôts, dès lors que ce dernier, qui tend à favoriser une transmission anticipée du patrimoine, a un objet et un champ d’application différents et que l’interdiction du cumul des deux dispositifs aurait fortement réduit le caractère incitatif de la mesure ;
7. Considérant, dans ces conditions, que le grief tiré, à l’encontre de l’article 43, d’une rupture de l’égalité devant l’impôt doit être rejeté ;
– SUR L’ARTICLE 44 :
8. Considérant que l’article 44 de la loi déférée modifie l’article 1840 G nonies du code général des impôts pour supprimer le droit supplémentaire dû, en sus du complément des droits éludés majoré des intérêts de retard, en cas de manquement aux engagements de conservation pris par les héritiers ou donataires pour l’application des dispositions de l’article 43 ;
9. Considérant que les requérants font valoir que ces dispositions seraient inséparables de celles figurant à l’article précédent et devraient être déclarées contraires à la Constitution par voie de conséquence ;
10. Considérant que l’article 44, qui se borne à supprimer une sanction applicable en cas de méconnaissance des conditions prévues aux c de l’article 787 B et b de l’article 787 C du code général des impôts, est indépendant, sur le plan juridique, de l’article 43 ; qu’il n’est, au demeurant, contraire à aucune règle, ni à aucun principe de valeur constitutionnelle ; que, dès lors, les conclusions tendant à ce que l’article 44 soit déclaré contraire à la Constitution ne peuvent qu’être rejetées ;
SUR L’ARTICLE 47 :
11. Considérant que l’article 47 crée une exonération d’impôt de solidarité sur la fortune à concurrence de la moitié de la valeur des parts ou actions de certaines sociétés que leurs propriétaires s’engagent collectivement à conserver durant au moins six ans ; que, pour ouvrir droit à cette exonération, l’engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 20 % des droits sociaux s’agissant de sociétés cotées, ou sur au moins 34 % des parts ou actions de sociétés non cotées ; qu’en outre, l’un des associés doit exercer des fonctions dirigeantes au sein de la société ;
12. Considérant qu’il est reproché à cet article de méconnaître, en premier lieu, le principe d’égalité devant les charges publiques en instaurant « un avantage fiscal disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur » ; qu’en effet, selon les requérants, alors que cet objectif était « d’encourager, dans les entreprises à structure familiale, le maintien d’un actionnariat familial », l’article 47 ne réserve pas le bénéfice de la mesure à l’actionnariat familial ; qu’est critiquée, en deuxième lieu, la différence de traitement entre actionnaires qui résulterait de ce que l’engagement collectif de conservation doit porter sur 20 % des droits sociaux s’agissant des sociétés cotées, alors que les titres de ces mêmes sociétés ne sont considérés comme biens professionnels par l’article 885 O bis du code général des impôts qu’à partir d’un seuil de 25 % ; qu’enfin, l’exclusion des entreprises individuelles du bénéfice du dispositif créerait une rupture caractérisée de l’égalité entre les redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune ;
13. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu garantir la stabilité du capital des entreprises, notamment familiales, et, partant, leur pérennité ; que l’avantage fiscal accordé tend à inciter les actionnaires minoritaires, qui ne bénéficient pas de l’exonération des biens professionnels prévue par l’article 885 O bis du code général des impôts, à conserver les parts et actions qu’ils détiennent ; qu’eu égard aux conditions posées quant à la stabilité du capital et à la direction de l’entreprise et à son montant limité à la moitié de la valeur des parts et actions, contrairement à ce que prévoit l’article 885 O bis pour les biens professionnels, cet avantage ne peut être regardé comme entraînant une rupture caractérisée du principe d’égalité devant les charges publiques ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu’au regard de l’objectif d’intérêt général ainsi poursuivi, il était loisible au législateur de retenir un seuil de détention du capital de 20 % pour les sociétés cotées et de 34 % pour les sociétés non cotées, compte tenu du caractère inégalement dispersé de la détention du capital dans ces deux catégories de sociétés ; que, si l’article 885 O bis du code général des impôts retient, pour sa part, un seuil de 25 %, celui-ci est commun aux sociétés cotées et non cotées ;
15. Considérant, enfin, qu’au regard de l’objectif poursuivi, les sociétés se trouvent dans une situation différente des entreprises individuelles, qui ne disposent pas d’un capital ouvert aux tiers et dont les propriétaires sont exonérés de l’impôt de solidarité sur la fortune en vertu de l’article 885 N du code général des impôts ;
16. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que doivent être rejetés les griefs dirigés contre l’article 47 ;
SUR L’ARTICLE 48 :
17. Considérant que l’article 48 insère dans le code général des impôts un article 885 I ter exonérant d’impôt de solidarité sur la fortune, dans les conditions qu’il fixe, les titres reçus en contrepartie de souscriptions en numéraire ou en nature au capital « d’une société répondant à la définition des petites et moyennes entreprises figurant à l’annexe I au règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de l’Etat en faveur des petites et moyennes entreprises » ;
18. Considérant que, selon les requérants, cet article méconnaîtrait le principe d’égalité à quatre titres ; qu’en premier lieu, il instituerait un avantage disproportionné par rapport au but poursuivi, en octroyant une exonération totale à ses bénéficiaires ; qu’en deuxième lieu, l’avantage ainsi créé bénéficierait aux sociétés exerçant une activité bancaire, financière et d’assurance, mais non à celles exerçant des activités de gestion du patrimoine mobilier ou immobilier, pourtant placées dans une situation identique au regard de l’objet de la loi ; qu’en troisième lieu, la disposition exclurait indûment « les apports de capitaux réalisés dans une entreprise individuelle » ; qu’enfin, l’extension de l’avantage aux apports en nature irait à l’encontre du but poursuivi et ferait courir un risque de détournement ;
19. Considérant qu’il résulte des travaux parlementaires à l’issue desquels il a été adopté que l’article 48 a pour objet d’inciter à l’investissement productif dans les petites et moyennes entreprises compte tenu du rôle joué par ce type d’entreprises dans la création d’emplois ; que la définition des entreprises concernées, qui prend en compte l’effectif des salariés, le chiffre d’affaires ou le total du bilan et la composition du capital, est claire et en rapport avec l’objectif poursuivi ; que, compte tenu du risque affectant un tel placement, il était loisible au législateur de prévoir une exonération totale d’impôt de solidarité sur la fortune pour les titres reçus en contrepartie de ces investissements productifs ;
20. Considérant, en deuxième lieu, qu’au regard de cet objectif d’intérêt général, il était loisible au législateur d’exclure les activités de gestion de patrimoine mobilier pour compte propre ainsi que les activités de gestion ou de location d’immeubles ; qu’il lui était également loisible d’inclure les activités bancaires, financières et d’assurances qui présentent un caractère commercial ;
21. Considérant, en troisième lieu, qu’au regard de l’objet de la loi, les entreprises individuelles sont dans une situation différente des sociétés, dès lors que leur capital n’est pas ouvert aux tiers ;
22. Considérant, enfin, que le législateur était fondé à faire bénéficier du nouvel avantage, non seulement les apports en numéraire, mais encore les apports en nature de biens nécessaires à l’activité de l’entreprise ; qu’en effet, dans les deux cas, l’investissement présente un caractère productif et s’expose au même risque ; qu’en excluant expressément l’apport d’actifs immobiliers et de valeurs mobilières, le législateur a pris les précautions nécessaires pour prévenir un détournement de la mesure à des fins d’évasion fiscale ;
23. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les griefs dirigés contre l’article 48 doivent être écartés ;
SUR L’ARTICLE 49 :
24. Considérant que l’article 49 modifie les articles 885 O bis et 885 O quinquies du code général des impôts pour abaisser de 75 % à 50 % la proportion que doivent représenter, dans le patrimoine du dirigeant d’une société, les parts ou actions qu’il détient directement, pour être considérées comme des biens professionnels exclus de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune ;
25. Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, « l’abaissement du seuil de 75 % à 50 % conduira à accorder un avantage fiscal disproportionné au regard de l’objectif poursuivi par la loi » ; qu’en outre, les mêmes biens pourraient être assujettis ou totalement exonérés « pour certains contribuables compte tenu uniquement de leurs fonctions » ;
26. Considérant que l’évolution récente de la valeur des actions et parts d’entreprises, comparée à celle des biens immobiliers, peut conduire à faire perdre aux titres détenus par un dirigeant de société la qualification de biens professionnels sans que la répartition effective de son patrimoine soit pour autant modifiée ; que, pour tenir compte de cette réalité économique, il était loisible au législateur de fixer à la moitié du patrimoine du dirigeant d’une société le seuil à partir duquel les parts ou actions qu’il détient dans celle-ci doivent être considérées comme des biens professionnels ;
27. Considérant que le grief dirigé contre l’article 49 doit, par suite, être rejeté ;
28. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution,
Décide :
Article premier :
Les articles 43, 44, 47, 48 et 49 de la loi pour l’initiative économique ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 juillet 2003, où siégeaient : MM. Yves GUÉNA, Président, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Pierre JOXE, Pierre MAZEAUD, Mmes Monique PELLETIER, Dominique SCHNAPPER et Simone VEIL.
ECLI:FR:CC:2003:2003.477.DC