Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
REJET des pourvois formés par :
1°) X… Thierry,
2°) Y… Daniel,
contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai, chambre correctionnelle, en date du 29 juin 1988 qui, pour infraction à la législation sur les sociétés commerciales, les a condamnés à 5 000 francs d’amende chacun et a prononcé sur les réparations civiles.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Daniel Y… et pris de la violation des articles 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966, 485, 591, 592 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable du délit de majoration frauduleuse d’apports ;
» aux motifs que, selon les termes du texte d’incrimination, l’élément matériel de l’infraction se trouve constitué dès lors que l’évaluation de l’apport est supérieure à sa valeur réelle, soit au sens de la loi, une valeur constituant dans le patrimoine social et à hauteur de son évaluation une garantie effective pour les créanciers de cette société ; qu’en l’espèce la » valeur de l’apport » et non la » valeur du fonds » doit s’apprécier en tous ses éléments ; que l’apport de X…, compte tenu de la valeur du fonds fixée à 100 000 francs et de la quote-part de l’emprunt souscrit s’élevant à 109 142 francs, présentait une valeur négative de 9 142 francs ; qu’ainsi, l’élément matériel de l’infraction se trouve-t-il établi tant à l’égard de X… qui, bien évidemment, avait connaissance de la valeur négative de son apport qu’à l’égard de Y…, commissaire aux apports, lequel, comme l’indiquent les experts, ne pouvait pas, le 4 juillet 1983, ignorer les conditions d’acquisition du fonds apporté, l’acte d’acquisition étant du 9 juin 1983 et mentionnant le financement par l’emprunt auprès du Crédit d’équipement coopératif qui se trouvait subrogé dans le privilège du vendeur ; que si le texte d’incrimination ne requiert pas impérativement l’emploi de manoeuvres frauduleuses spécialement caractérisées, la majoration de l’apport prend au sens de la loi un caractère frauduleux dès lors que cette majoration procède de réticences dolosives, lesquelles existent si l’apporteur ou le commissaire aux apports a, en pleine connaissance de cause, dissimulé, en la majorant, la valeur réelle de l’apport ; que par des motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont suffisamment établi cette dissimulation volontaire tant à l’encontre de X… qu’à l’encontre de Y…, lesquels ont en conséquence et à juste raison été retenus dans les liens de la prévention ;
» 1°) alors que l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 ne précise pas ce qu’il faut entendre par valeur réelle de l’apport en nature à une société à responsabilité limitée en voie de constitution ; que les commissaires aux apports sont dès lors parfaitement libres d’évaluer cette valeur réelle selon la méthode qui leur paraît la meilleure ; qu’en conséquence, c’est à tort que la cour d’appel a reproché à Y… d’avoir adopté une méthode d’évaluation de l’apport de X… fondée principalement sur le chiffre d’affaires du fonds de commerce vendu et aboutissant à une valeur nette de 100 000 francs après déduction du passif grevant cet apport, différente de celle retenue par la Cour ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 ;
» 2°) alors que la simple référence à la jurisprudence de la Cour de Cassation ne saurait constituer un motif de nature à donner une base légale à une décision ; qu’en l’espèce, pour affirmer que l’élément moral de l’infraction se trouvait constitué à l’encontre de Y…, la cour d’appel s’est bornée à adopter les motifs du jugement qui s’était simplement référé à la jurisprudence de la Cour de Cassation relative à la définition du délit de majoration frauduleuse d’apport ; qu’ainsi la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motifs et violé les articles 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
» 3°) alors que la simple légèreté ou la simple négligence commise par un commissaire aux apports ayant eu pour effet de surévaluer un apport en nature, n’est pas suffisante pour caractériser le délit de majoration frauduleuse d’apport ; qu’il doit être clairement établi que le commissaire aux apports avait conscience de cette majoration et avait entendu dissimuler la valeur réelle de cet apport ; qu’en l’espèce, les juges du fond ont seulement constaté que Y… avait fait preuve de légèreté, voire au pire de négligence dans l’élaboration de son rapport relatif à l’évaluation de l’apport de X… ; qu’ils n’ont relevé aucune circonstance d’où aurait résulté la preuve que Y… avait conscience de la majoration de l’apport en nature de X… et avait voulu tromper M. Z… sur la valeur réelle de cet apport ; qu’en conséquence, les juges du fond n’ont pas caractérisé l’intention frauduleuse, élément essentiel du délit de majoration frauduleuse d’apport tel que défini à la prévention à l’encontre de Y…, privant ainsi leur décision de base légale au regard de l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 ;
» 4°) alors qu’en tout état de cause, aux termes de l’article 7 de la loi du 20 juillet 1988 portant amnistie, sont amnistiées les infractions commises avant le 22 mai 1988 qui sont punies de peines d’amende ; que dès lors l’infraction reprochée à Y… ayant été punie d’une peine d’amende doit être déclarée amnistiée » ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Thierry X… et pris de la violation des articles 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966, 485, 592 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable du délit de majoration frauduleuse d’apports ;
» 1°) alors que l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 ne précise pas ce qu’il faut entendre par valeur réelle de l’apport en nature à une société à responsabilité limitée en voie de constitution ; que les associés de même que les commissaires aux apports sont dès lors parfaitement libres d’évaluer cette valeur réelle selon la méthode qui leur paraît la meilleure ; qu’en conséquence c’est à tort que la cour d’appel a reproché à X… d’avoir adopté au vu du rapport du commissaire aux apports, Y…, une méthode d’évaluation de son apport fondée principalement sur le chiffre d’affaires du fonds de commerce vendu et aboutissant à une valeur nette de 100 000 francs après déduction du passif grevant cet apport, différente de celle retenue par la Cour ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 ;
» 2°) alors qu’au sens de l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 relatif au délit de majoration frauduleuse d’apport en nature, la fraude ne peut résulter que d’actes positifs de la part de celui auquel on reproche d’avoir trompé les tiers ou les associés sur la valeur réelle de son apport en nature à la société en voie de constitution ; que dès lors en décidant que la majoration frauduleuse d’apport pouvait procéder d’une simple réticence dolosive, la cour d’appel a violé l’article 425. 1° précité de la loi du 24 juillet 1966 ;
» 3°) alors que les juges du fond ne pouvaient affirmer que l’intention frauduleuse était démontrée à l’encontre de X… sans rechercher si le demandeur avait conscience du préjudice qu’il pouvait causer à Z… et aux éventuels créanciers de la société Lille Est Auto du fait de la prétendue dissimulation de la valeur réelle de son apport ; qu’en s’abstenant de procéder à cette recherche, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 ;
» 4°) alors que pour caractériser l’élément moral du délit de majoration frauduleuse d’apport les juges du fond ne peuvent se fonder que sur des faits imputables au seul prévenu ; qu’en l’espèce pour dire que l’intention frauduleuse était démontrée à l’encontre de X…, les juges du fond se sont uniquement fondés sur des irrégularités lors de la constitution de la SARL Lille Est Auto ; que cependant le fait que le rapport du commissaire aux apports n’aurait pas été annexé aux statuts et que la lecture de ce rapport n’aurait pas été donnée lors de l’assemblée générale constitutive de la société, n’incombait pas seulement à Z… qui, en qualité d’associé, était solidairement responsable avec le prévenu du non-respect de ces formalités ; qu’ainsi la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 ;
» 5°) alors qu’en tout état de cause, aux termes de l’article 7 de la loi du 20 juillet 1988 portant amnistie, sont amnistiées les infractions commises avant le 22 mai 1988 qui sont punies de peines d’amende ; que dès lors l’infraction reprochée à X… ayant été punie d’une peine d’amende doit être déclarée amnistiée » ;
Les moyens étant réunis ;
Sur la quatrième branche du moyen de Daniel Y… et la cinquième branche du moyen de Thierry X… ;
Attendu qu’aux termes de l’article 11 de la loi du 20 juillet 1988, l’amnistie, à raison de la nature de la peine prévue par l’article 7 de cette loi, n’est acquise qu’après condamnation définitive ; qu’en raison des pourvois formés par les demandeurs, et à défaut de désistement, l’amnistie des condamnations visées aux moyens ne peut être acquise avant la décision de la Cour de Cassation ;
Qu’ainsi les demandes de déclaration d’amnistie ne sont pas recevables ;
Sur les autres branches des moyens réunis ;
Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs, qu’aussitôt après avoir acquis un garage à l’aide d’un prêt ayant entraîné le nantissement de ce fonds de commerce à hauteur de 109 149 francs, Thierry X… a constitué avec Michel Z… une société à responsabilité limitée dans laquelle il apportait les éléments incorporels de ce commerce évalués à 100 000 francs selon le rapport signé par le commissaire aux apports, Daniel Y… ; que cette évaluation ne tenait pas compte de la sûreté grevant le fonds de commerce ; que X… et Y… sont poursuivis pour majoration frauduleuse d’apport en nature ;
Attendu que pour les retenir dans les liens de la prévention, les juges du fond relèvent que l’existence de ces sûretés qui enlevaient au fonds de commerce toute valeur réelle était connue tant de l’apporteur que du commissaire aux apports ; qu’ils ajoutent que Thierry X… avait intérêt à surévaluer la valeur de son apport en nature afin d’inciter Michel Z…, peu rompu aux affaires, à s’associer avec lui et à apporter la somme de 80 000 francs en espèces tandis que lui-même limitait son apport en numéraire à 20 000 francs ; qu’ils énoncent enfin que Thierry X…, commerçant expérimenté, et Daniel Y…, expert-comptable, ont frauduleusement majoré la valeur de l’apport en nature en dissimulant en pleine connaissance de cause sa valeur négative réelle ;
Attendu qu’en l’état de ces constatations relevant de son pouvoir souverain d’appréciation des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, le délit prévu et réprimé par l’article 425. 1° de la loi du 24 juillet 1966 dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
Qu’en effet, s’il est vrai que ce texte ne précise pas ce qu’il faut entendre par valeur réelle et si l’apporteur, comme le commissaire aux apports sous sa responsabilité, en application des articles 40 et 86 de la même loi, sont libres d’apprécier cette valeur vénale ou marchande des biens apportés, cette faculté ne les autorise pas à dissimuler volontairement des éléments d’appréciation de nature à entraîner une réduction importante de la valeur de ces biens ;
D’où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.