Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS 1è chambre, section H ARRET DU 6 AVRIL 2004
(N , pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 2003/18164 Décision déférée à la Cour : décision rendue le 12 septembre 2003 par le Conseil de la concurrence de PARIS DEMANDERESSE AU RECOURS : – S.A.S. D… FRANCE prise en la personne de son president ayant son siège … représentée par la SCP TEYTAUD, avoué à la Cour assistée de Maître O. A…, Toque R255 – S.A. FRANCE TELECOM prise en la personne de son président directeur général ayant son siège … représentée par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoué à la Cour assistée de Maître R. C…, … DEFENDERESSE – S.A.S. Z… FRANCE (anciennement Sonera France) prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège … représentée par la SCP TEYTAUD, avoué à la Cour assistée de Maître Y…, Toque R255 DEMANDEUR AU RECOURS INCIDENT : MINISTRE CHARGE DE L’ECONOMIE, D.G.C.C.R.F., bureau 1, … représenté par Monsieur Michel ROSEAU, muni d’un pouvoir spécial COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 24 Février 2004, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur LACABARATS, président
Monsieur CARRE-PIERRAT, conseiller
Monsieur SAVATIER, conseiller
qui en ont délibéré. Greffier, lors des débats : Madame DALMAS B… public :
non représenté lors des débats, Monsieur E…, substitut général a déposé des observations ; ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par Monsieur CARRE-PIERRAT, président.
– signé par Monsieur LACABARATS, président et par Madame DALMAS, greffier présent lors du prononcé. *
Après avoir, à l’audience publique du 24 février 2004, entendu les conseils des parties, les observations de Monsieur le représentant du ministre chargé de l’économie, les conseils des parties ayant eu la parole en dernier ; * Saisi par une entreprise qui dénonçait les conditions de commercialisation du fichier annuaire de FRANCE TELECOM, le Conseil de la concurrence a, dans une décision no 98-D-60 du 29 septembre 1998, sanctionné l’opérateur pour abus de position dominante et prononcé une injonction relative aux conditions de commercialisation des fichiers en cause. Cette décision a été annulée par un arrêt de la cour d’appel de Paris prononcé le 29 juin 1999 qui a néanmoins statué sur le fond du litige en faisant injonction à la société FRANCE TELECOM, jusqu’à la mise en service de l’organisme prévu à l’article L 35-4 du code des postes et télécommunications chargé de tenir à jour la liste de l’annuaire universel : û de fournir, dans des conditions identiques, à toute personne qui lui en fait la demande, la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l’annuaire
universel ; û de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers contenant des données nominatives détenues par des tiers avec la liste orange des abonnés au téléphone, que ces fichiers soient ou non directement extraits de la base annuaire. La cour a également dit que « ces prestations devront être proposées dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à cette demande, à l’instar, s’agissant de la prestation de déduplication ou topage, de la prestation prévue au catalogue de FRANCE TELECOM à la rubrique prévoyant la mise en conformité des fichiers tiers externes avec la liste safran et la déduplication ou le topage de ces fichiers ». Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 4 décembre 2001. Deux sociétés, invoquant la nécessité d’accéder à la liste des abonnés au téléphone pour exercer leurs activités, ont saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l’article L 463-4 du Code de commerce, d’une procédure de non- respect des injonctions prononcées par la cour d’appel de Paris. Il s’agit de la société SONERA ( actuellement Z… FRANCE ), qui souhaitait installer un service de renseignements téléphoniques, et de la société D… FRANCE, qui envisageait de développer un service d’ »annuaire intelligent » par téléphone et internet. Dans une décision no 02-D-41 du 26 juin 2002, le Conseil de la concurrence a constaté le non respect de l’injonction sur deux points : û non orientation vers les coûts des prix de consultation de la base annuaire des abonnés au téléphone offerts par la société INTELMATIQUE, filiale de FRANCE TELECOM ; û caractère discriminatoire des prix de cession des données annuaire indiqués en ligne L 12 du catalogue de prix de l’opérateur public pour les utilisateurs ne souhaitant pas exercer une activité d’édition d’annuaires imprimés. En outre, la même décision a prononcé
un sursis à statuer sur le respect de l’injonction relative à l’orientation vers les coûts des tarifs de l’activité de gestionnaire de fichier. Faisant application de l’article L 463-8 du Code commerce, le rapporteur général a décidé, le 13 septembre 2002, de désigner un expert avec pour mission de : û décrire les opérations de constitution du fichier commercial et celles de la base annuaire ; û identifier les tâches spécifiques à la constitution de la base annuaire ; û apprécier le volume de ces tâches et leur nécessité en considération d’une exigence minimale d’efficacité ; û évaluer le coût de revient de ces opérations. La mission d’expertise précisait que « pour l’évaluation des coûts liés aux éventuelles tâches nécessaires de collecte de l’information, il sera procédé à l’appréciation critique de la composante durée nécessaire à la saisie de l’information et à l’analyse critique de la composante taux horaire au regard du coût théorique d’une prestation identique dans un environnement concurrentiel. Le principe retenu est que les opérations imputées à la base annuaire ne doivent comporter aucune opération qui de toute façon est nécessaire pour la constitution du fichier commercial ». Après dépôt du rapport de l’expert, M. X…, le Conseil de la concurrence a rendu le 12 septembre 2003 une décision no 03-D-43 comportant le dispositif suivant : » Article 1er : Il est établi que FRANCE TELECOM n’a pas respecté les injonctions formulées à son encontre par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999 en ce qui concerne l’orientation vers les coûts des tarifs de l’activité de gestionnaire de fichiers. Article 2 : Il est infligé à la société FRANCE TELECOM une sanction pécuniaire de 40 millions d’euros au titre de cette pratique ainsi que des pratiques de : û non orientation vers les coûts des prix de consultations de la base annuaire via les services offerts par la société INTELMATIQUE ; û caractère discriminatoire des prix de
cession des données annuaires indiqués en ligne L 12 du catalogue de prix de l’opérateur public pour les utilisateurs souhaitant exercer un service de renseignement mais ne souhaitant pas exercer une activité d’édition d’annuaires imprimés. Article 3 : les frais d’expertise sont mis à la charge de la société FRANCE TELECOM, en application de l’article L 463-8 du Code de commerce. Article 4 :
Dans un délai maximum de trois mois suivant la notification de la présente décision, la société FRANCE TELECOM fera publier, à ses frais, la partie III de la présente décision dans le quotidien Les Echos ». Le 17 octobre 2003, la société D… FRANCE a déposé un recours en annulation et/ou réformation contre la décision du Conseil de la concurrence. La même société a déposé toutefois des conclusions de désistement le 19 janvier 2004. La cour d’appel reste en revanche saisie d’un recours en annulation et, subsidiairement réformation, déposé par la société FRANCE TELECOM le 22 octobre 2003. Par son exposé des moyens déposé le 24 novembre 2003, la société FRANCE TELECOM demande à la cour : û A titre principal, d’annuler la décision du Conseil de la concurrence , l’expertise de M. X… et le rapport du rapporteur du Conseil ; û Subsidiairement, de réformer la décision en ce qu’elle a considéré que FRANCE TELECOM n’a pas respecté les injonctions formulées à son encontre par la cour d’appel de Paris pour l’orientation vers les coûts des tarifs de l’activité de gestionnaire de fichiers; û Très subsidiairement, de réformer la décision en ce qui concerne la sanction pécuniaire, de dire qu’il n’y a pas lieu à sanction ou de réduire très substantiellement cette sanction ; û Par voie de conséquence, d’ordonner la restitution des sommes indûment payées au titre de la sanction, avec intérêts au taux légal à compter du jour du paiement et application de l’article 1154 du Code civil. Le ministre de l’économie a formé un recours incident contre la même décision le 24
novembre 2003 et demande à la cour de réformer ou annuler l’article 2 du dispositif de la décision en prononçant une aggravation significative de la sanction prise contre FRANCE TELECOM . La société FONECTA FRANCE conclut à l’irrecevabilité partielle ou au rejet des recours de FRANCE TELECOM et à la condamnation de cette société à lui payer 15.000 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Sur les moyens d’annulation de la décision du Conseil de la concurrence Considérant que la société FRANCE TELECOM fait grief à la décision attaquée d’avoir méconnu l’injonction prononcée par la cour d’appel de Paris (1), violé le principe de l’autorité de chose jugée et la règle « non bis in idem » (2), méconnu les droits de la défense et le principe d’impartialité (3) ; 1 û La méconnaissance de l’injonction prononcée par la cour d’appel de Paris Considérant que, soulignant que la procédure de contrôle du respect d’une injonction est limitée à la vérification de la bonne exécution de l’injonction qui est d’interprétation stricte, la société FRANCE TELECOM soutient que le Conseil de la concurrence a introduit à tort dans l’appréciation du coût des prestations de gestion de fichiers et consultation de la base annuaire la notion de coût incrémental que la cour d’appel n’avait pas et ne pouvait pas retenir lors de la fixation de l’injonction, que le Conseil a en toute hypothèse retenu une interprétation erronée de cette notion et est allé bien au-delà de l’injonction formulée ; Considérant que, contrairement à ce que soutient la société FONECTA FRANCE, la société FRANCE TELECOM est recevable à invoquer un tel moyen, même si elle incrimine ainsi largement l’analyse faite par la première décision du Conseil de la concurrence prononcée le 26 juin 2002 à l’encontre de laquelle aucun recours n’a été formé ; qu’en effet, l’intérêt à agir de FRANCE TELECOM découle de la reprise de cette analyse et des conséquences que le Conseil en a tiré par sa seconde décision constatant la
violation de l’injonction judiciaire dans des conditions faisant grief à la requérante ; Considérant que, si le moyen exposé est incontestablement recevable, il n’est pas pour autant fondé ; Considérant en effet que, même si le Conseil de la concurrence évoque dans ses décisions du 26 juin 2002 et 12 septembre 2003 des textes ou décisions de l’A.R.T. postérieurs à l’arrêt du 29 juin 1999, la référence à la notion de coût incrémental, qui tend à la seule prise en compte du coût spécifique généré par la production du service d’accès à l’annuaire, à l’exclusion d’autres coûts communs à différents services, constitue une simple application et la traduction économique du choix fait en 1999 par la cour d’appel, pour laquelle les coûts pertinents étaient exclusivement ceux liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à la demande des sociétés D… FRANCE et SONERA portant sur la consultation de la base annuaire ; qu’en estimant que le périmètre de ces opérations techniques ne doit comporter aucune opération déjà réalisée pour la constitution du fichier commercial de FRANCE TELECOM, mais pouvait en revanche comprendre celles propres à la constitution de la base annuaire, le Conseil de la concurrence a analysé équitablement les bases de calcul des prestations en cause, sans dénaturer l’arrêt du 29 juin 1999 ni ajouter à une injonction, dont l’interprétation n’a pas été discutée à cette date, visant sans équivoque à empêcher FRANCE TELECOM d’intégrer à son tarif des coûts autres que les coûts particuliers se rapportant à la fourniture des listes d’abonnés ; que le premier moyen d’annulation de la décision attaquée ne peut dès lors être accueilli ; 2 û La violation de l’autorité de la chose jugée et de la règle non bis in idem Considérant que, selon la société FRANCE TELECOM, le Conseil de la concurrence aurait entièrement et sans réserve statué le 26 juin 2002, par un simple constat de violation d’une injonction, sur la question de
sa structure ; Considérant que le dommage à l’économie est établi en l’espèce, d’abord par des tarifs de cession de la base annuaire qui ne permettent pas concrètement aux concurrents potentiels de FRANCE TELECOM d’entrer normalement sur le marché, comme le Conseil l’a établi au terme d’une analyse précise des données dont il disposait (décision du 26 juin 2002, page 32) ; qu’il l’est ensuite par la réalisation par FRANCE TELECOM de profits, évalués à 15 ME en 4 ans, liés à des facturations non conformes à l’injonction délivrée par la cour d’appel ; que le Conseil de la concurrence ayant également pris en considération la situation de l’entreprise en cause dans des conditions non critiquées et fixé la sanction adaptée aux circonstances de l’affaire, les recours principal et incident doivent être rejetés ; Considérant que l’application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ne s’impose pas ; PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Rejette le recours principal de la société FRANCE TELECOM et le recours incident du MINISTRE DE L’ÉCONOMIE,
Donne acte à la société D… FRANCE de son désistement,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Laisse à la société D… FRANCE les dépens de son recours,
Condamne pour le surplus la société FRANCE TELECOM aux dépens.