Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés respectivement au greffe de la Cour les 28 octobre 2008 et 2 novembre 2008, présenté pour M. Dominique A, élisant domicile en son cabinet, … par Me Déramond, avocat ; M. A demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement nos 0619690 – 0706496 du 9 août 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la réduction des cotisations de taxe professionnelle auxquelles il a été assujetti au titre des années 2003, 2004 et 2005 ;
2°) de prononcer la réduction des impositions litigieuses à hauteur de 7 548 euros au titre de l’année 2003, de 11 866 euros au titre de l’année 2004 et 11 202 euros au titre de l’année 2005 ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-12 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 supprimant la patente et instituant la taxe professionnelle ;
Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 et n° 2009-595 DC du 29 décembre 2009 ;
Vu les décisions du Conseil d’Etat n° 340114 et 340115 du 23 juillet 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 8 septembre 2010 :
– le rapport de Mme Dhiver, rapporteur,
– les conclusions de M. Egloff, rapporteur public,
– et les observations de Me Houilliez, se substituant à Me Déramond, pour M. A ;
Sur la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité :
Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ;
Considérant qu’aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution : Devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat (…) le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office ; qu’aux termes de son
article 23-2 : La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’Etat (…) ;
Considérant que M. A a présenté le 16 avril 2010 un mémoire distinct dans lequel il soutient qu’en ce qu’elles prévoient que, pour les titulaires de bénéfices non commerciaux employant moins de cinq salariés et n’étant pas soumis de plein droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés, la base d’imposition à la taxe professionnelle comprend, outre la valeur locative des immobilisations passibles des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, une fraction des recettes, alors que les titulaires de bénéfices non commerciaux employant cinq salariés en sont dispensés en vertu du 1° de l’article 1467 du code général des impôts, les dispositions du 2° de cet article méconnaissent le principe d’égalité devant l’impôt ;
Considérant que, par deux décisions n° 340114 et 340115 du 23 juillet 2010, le Conseil d’Etat a jugé que la question de la conformité des dispositions du 2° de l’article 1467 du code général des impôts au principe d’égalité devant les charges publiques, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que, par suite, il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A ;
Sur les conclusions en décharge :
Considérant qu’aux termes de l’article 1467 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années en litige : La taxe professionnelle a pour base : / (…) 2° Dans le cas des titulaires de bénéfices non commerciaux, des agents d’affaires et intermédiaires du commerce, employant moins de cinq salariés et n’étant pas soumis de plein droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés, le dixième des recettes et la valeur locative des seules immobilisations passibles des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties et dont le contribuable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence définie au a du 1°. / La fraction des recettes mentionnée au premier alinéa est fixée à 9 % au titre de 2003, 8 % au titre de 2004 et 6 % à compter de 2005 (…) ; qu’aux termes de l’article 1476 du même code : (…) Pour les sociétés civiles professionnelles, les sociétés civiles de moyens et les groupements réunissant des membres de professions libérales, l’imposition est établie au nom de chacun des membres. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux sociétés civiles professionnelles, à compter de l’année qui suit celle où elles sont, pour la première fois, assujetties à l’impôt sur les sociétés ; qu’il résulte de cette dernière disposition, éclairée par les débats parlementaires qui ont précédé son adoption, que les membres des sociétés civiles professionnelles doivent être personnellement imposés à la taxe professionnelle sur une base établie en prenant en compte la fraction de chacun des éléments définis à l’article 1467 précité qui correspond à leurs droits dans la société ;
Considérant, en premier lieu, que la société civile professionnelle d’avocats Degroux Brugère et associés, dont M. A est associé, n’a pas opté pour l’impôt sur les sociétés au titre des années en litige ; qu’en vertu de l’article 1476 du code général des impôts, M. A a été assujetti à titre personnel à la taxe professionnelle au titre des années 2003 à 2005 ; que si le requérant soutient que la société civile professionnelle emploie une quinzaine de personnes et doit être regardée comme mettant en oeuvre des moyens humains et matériels importants, il résulte de l’instruction que le nombre de salariés attachés à M. A, calculé conformément aux prescriptions dudit article 1476, était inférieur à cinq au cours de la période de référence ; que c’est à bon droit que l’administration a, par application des dispositions du 2° de l’article 1467 du code, déterminé la base de taxe professionnelle à partir des immobilisations passibles des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties et d’une fraction des recettes ; que M. A fait valoir que les bases de la taxe professionnelle étaient précédemment déterminées par application du 1° de l’article 1467 et que la modification du mode de calcul de ces bases, qui aurait eu pour conséquence une augmentation globale de 600 % du montant de la taxe, résulte du changement de statut juridique de plusieurs salariés qui sont devenus associés de la société civile professionnelle sans que les conditions économiques d’exercice de l’activité aient été modifiées ; que toutefois, les cotisations de taxe professionnelle auxquelles il a été assujetti au titre des années en litige ayant été établies sur des bases conformes aux prescriptions de l’article 1467, il ne peut utilement soutenir que ces impositions méconnaîtraient l’article 1448 dudit code aux termes duquel : la taxe professionnelle est établie suivant la capacité contributive des redevables appréciée d’après des critères économiques en fonction de l’importance des activités exercées par eux sur le territoire de la collectivité bénéficiaire ou dans la zone de compétence de l’organisme concerné ; que le fait que les cotisations de taxe professionnelle en litige seraient sans rapport avec la capacité contributive du contribuable ne saurait être utilement invoqué devant le juge de l’impôt pour obtenir la réduction du montant des taxes légalement dues ;
Considérant, en deuxième lieu, que, pour l’application des dispositions du 2° de l’article 1467 du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 juillet 1975 susmentionnée, le terme recettes s’entend de toutes les sommes effectivement perçues par le contribuable au cours de la période de référence, y compris, s’il y a lieu, les taxes incluses dans lesdites recettes ; que dès lors, M. A n’est pas fondé à soutenir que les dispositions réglementaires de l’article 310 HA de l’annexe II au code général des impôts aux termes desquels le montant des recettes est calculé toutes taxes comprises sont illégales, ni par suite, que c’est à tort que la taxe sur la valeur ajoutée a été incluse dans le montant des recettes comme élément de l’assiette des impositions litigieuses ;
Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu’en vertu des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ;
Considérant qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, si elle n’est pas assortie de conditions objectives et raisonnables, c’est à dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique, ou si elle n’est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant que les stipulations combinées de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ne s’opposent pas à ce que des dispositions différentes s’appliquent à des personnes placées dans des situations différentes ; que l’activité d’avocat est différente selon qu’elle est exercée en tant qu’associé ou en tant que salarié ; que si le critère des salaires versés permettait une juste appréciation des capacités contributives des redevables titulaires de bénéfices industriels et commerciaux ainsi que des titulaires de bénéfices non commerciaux, agents d’affaires et intermédiaires de commerce employant au moins cinq salariés, il n’en allait pas de même s’agissant de ces trois dernières catégories de contribuables, dès lors qu’ils avaient recours aux services de moins de cinq salariés ; qu’eu égard à la spécificité de leur activité libérale, qui peut être exercée sans mise en oeuvre de moyens matériels et humains importants, ces contribuables se trouvaient dans une situation différente de celle des redevables appartenant aux mêmes catégories employant au moins cinq salariés et des titulaires de bénéfices industriels et commerciaux ; que si la suppression de la part salariale de l’assiette de la taxe professionnelle à compter de 2003 n’a pas eu pour effet de diminuer les cotisations d’impôt des redevables qui n’étaient pas assujettis sur les salaires mais sur les recettes, elle a été instituée dans un objectif d’encouragement de l’activité économique et de création d’emplois et les contribuables qui n’en bénéficiaient pas étaient susceptibles d’être concernés par des mesures fiscales prises en contrepartie ; qu’en outre, les redevables titulaires de bénéfices non commerciaux et assimilés employant moins cinq salariés étaient assujettis à la taxe professionnelle sur la valeur locative des seules immobilisations passibles des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties tandis que les autres contribuables étaient assujettis selon le régime de droit commun sur la valeur locative de leurs immobilisations corporelles ; que, par suite, l’ensemble de ces motifs objectifs, en rapport avec la loi fiscale, permettait que fussent maintenues dans le code général des impôts, sans discrimination entre les contribuables au sens de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des dispositions qui prévoyaient des bases d’imposition différentes à la taxe professionnelle entre les deux catégories de contribuables susrappelées ; qu’enfin, l’option éventuelle pour l’impôt sur les sociétés, si elle a créé une différence d’imposition entre personnes exerçant leur activité dans le cadre de sociétés civiles professionnelles distinctes, est librement décidée par les associés et, de ce fait, résulte d’une décision qui leur est opposable ; que, dès lors, le moyen tiré de l’incompatibilité des dispositions du 2° de l’article 1467 du code général des impôts avec les stipulations combinées de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention doit être écarté ;
Considérant, en quatrième lieu, que M. A ne saurait utilement invoquer à l’encontre de cotisations de taxe professionnelle ni la méconnaissance des articles 107 à 109 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex articles 87 à 89 du traité instituant la Communauté européenne), lesquels ont trait aux aides accordées aux entreprises par les Etats, ni celle des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne), qui se rapportent à l’interdiction des ententes anticoncurrentielles et des abus de position dominante ;
Considérant, en cinquième lieu, que le requérant n’est, en tout état de cause, pas fondé à invoquer une méconnaissance par l’administration de principes généraux du droit communautaire, à l’encontre de cotisations de taxe professionnelle uniquement régies par la loi fiscale interne ;
Considérant, en dernier lieu, que les impositions ayant été établies conformément à la loi fiscale, ainsi qu’il a été dit précédemment, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 13 du code général des impôts est inopérant ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de transmettre pour avis le dossier au Conseil d’Etat, que M. A n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.
Article 2 : La requête de M. A est rejetée.
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N° 08PA05386