Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 1er juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE (API) dont le siège est situé 43-45, rue de Naples à Paris (75008), la CONFEDERATION FRANCAISE DE LA PHOTOGRAPHIE (CFP) dont le siège est situé 121, rue Vieille du Temple à Paris (75003), la société PHOTOMATON dont le siège est situé 4, rue Croix Faron à Saint-Denis (93210), la société STUDIO PHOTO ELISABETH, dont le siège est situé 22, rue Claude Blondeau au Mans (72000) et la société DUKA dont le siège est situé 8, rue des Etuves à Montpellier (34000) ; elles demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre le décret n° 2008-426 en date du 30 avril 2008 modifiant le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques ainsi que la circulaire n° INT/A/08/00105/C en date du 7 mai 2008 relative au choix des 2 000 communes appelées à recevoir des stations d’enregistrement des données personnelles pour le nouveau passeport ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elles soutiennent que le décret attaqué a été pris à l’issue d’une procédure irrégulière dans la mesure où il a été adopté avant la publication au journal officiel de l’avis motivé de la commission nationale de l’informatique et des libertés ; que la circulaire attaquée, qui a un caractère impératif est entachée d’incompétence, d’une part, en raison de l’incompétence de son auteur, d’autre part, en raison de l’absence de délégation régulière du ministre de l’intérieur ; que ces deux textes, en prévoyant l’intervention de l’Etat dans un secteur marchand, sont intervenus en violation du principe de la liberté du commerce et de l’industrie ; qu’en effet, aucun motif d’intérêt général, important ou fondamental, ne justifie l’intervention de l’Etat sur le marché de la photographie d’identité pour lequel, en outre, aucune carence de l’initiative privée n’a été constatée ; que l’intervention de l’Etat dans ce domaine est de nature à fausser le jeu de la concurrence ; que le décret attaqué fausse en outre la concurrence entre les photographes professionnels eux-mêmes ; que ce texte viole également les dispositions des articles L. 420-1 et suivants du code de commerce qui prohibent les situations d’abus de position dominante, les photographes professionnels étant dans l’incapacité de s’aligner sur l’offre proposée par l’Etat qui devrait disposer par conséquent d’un monopole ; que l’atteinte à la concurrence et l’importance du préjudice financier ainsi causé aux photographes professionnels sont manifestement excessifs par rapport aux avantages procurés ; que le décret et la circulaire attaqués portent atteinte aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés dans la mesure où la collecte et le traitement des données tels que prévus par les textes litigieux ne poursuivent pas une finalité légitime et ne sont pas proportionnés à la finalité énoncée ; que ces textes portent également atteinte au droit au respect de la vie privée, composante du principe de liberté individuelle qui a une valeur constitutionnelle ; que la condition d’urgence est remplie dans la mesure où le décret et la circulaire litigieux portent atteinte de manière grave et immédiate non seulement à la situation financière des requérants et aux intérêts qu’ils entendent défendre mais également à divers intérêts publics, à savoir, le maintien d’une concurrence effective sur un marché, la protection de l’emploi et la préservation des deniers publics ;
Vu le décret et la circulaire dont la suspension est demandée ;
Vu, enregistré le 22 juillet 2008, le mémoire en défense présenté par le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales qui conclut au rejet de la requête : le ministre soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie dans la mesure où les décisions attaquées, qui mettent en place un système destiné à fonctionner qu’à la fin de l’année 2008, ne créent pas pour les requérantes un préjudice immédiat ; que la publication, au journal officiel, de l’avis de la commission nationale de l’informatique et des libertés postérieurement à la publication du décret litigieux n’a pas d’influence sur la légalité de ce décret ; que l’intervention de l’Etat ne porte pas atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie ; qu’en effet, la puissance publique ne se substitue aucunement à l’initiative privée dans le domaine de la photographie mais met en place un projet, sollicité par les instances européennes, et dont l’objet constitue une attribution régalienne de l’Etat ; qu’en outre et contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, les intérêts commerciaux des professionnels de la photographie n’ont pas été méconnus dans la mesure où les administrés conservent la possibilité de faire appel à leur service ; que contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les actes litigieux ne méconnaissent ni la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ni la Constitution ou la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le régime des passeports a toujours fait l’objet d’une réglementation et que le principe de proportionnalité entre le but poursuivi par les pouvoirs publics et les moyens utilisés a bien été en l’espèce respecté, les données à caractère personnel figurant sur les nouveaux passeports étant limitées au strict nécessaire pour lutter contre la fraude documentaire ; que, de plus, l’utilisation de ce système de traitement fait l’objet d’un encadrement rigoureux ; qu’enfin, la circulaire dont il est demandé la suspension, qui se borne à apporter des précisions quant aux modalités de réalisation du projet, ne contient aucune disposition à caractère impératif ;
Vu, enregistré le 22 juillet 2008, le mémoire complémentaire présenté pour L’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE (API), la CONFEDERATION FRANCAISE DE LA PHOTOGRAPHIE (CFP), la société PHOTOMATON, la société STUDIO PHOTO ELISABETH, et la société DUKA qui persistent dans leurs conclusions ; elles font valoir, en outre, que les actes attaqués sont contraires à l’article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales en ce qu’ils mettent incompétemment à la charge des communes des dépenses nouvelles ;
Vu, enregistré le 24 juillet 2008, le nouveau mémoire présenté par le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales qui maintient ses conclusions ; il ajoute que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu’il y aurait violation de l’article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales ; qu’en effet, d’une part, le décret attaqué ne prévoit aucun transfert de charge à destination des communes appelées à délivrer les passeports sécurisés et, d’autre part, la circulaire contestée ne revêt aucun caractère impératif ; qu’en outre, le transfert des charges qui pèsera sur les communes concernées et la compensation financière qui leur sera allouée seront prévus dans le cadre du futur projet de loi relatif à la protection de l’identité ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 ;
Vu le règlement CE n° 2252/2004 du 13 décembre 2004 ;
Vu le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE, la CONFEDERATION FRANCAISE DE LA PHOTOGRAPHIE, la société PHOTOMATON, la société STUDIO PHOTO ELISABETH, et la société DUKA, et d’autre part, le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 25 juillet 2008 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
-Me Boucard, avocat au conseil d’Etat et à la cour de cassation, avocat de l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE, la CONFEDERATION FRANCAISE DE LA PHOTOGRAPHIE, la société PHOTOMATON, la société STUDIO PHOTO ELISABETH, et la société DUKA ;
– le représentant de l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE ;
-les représentant du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;
Considérant que le règlement n°2252/2004 du Conseil du 13 décembre 2004 établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les Etats membres, fait obligation à ces derniers de délivrer, au plus tard à compter du 29 juin 2009, des passeports et documents de voyage comportant un support de stockage contenant une photo faciale du demandeur ainsi que ses empreintes digitales ; que, pour l’ application de ce règlement, l’article 5 du décret du 30 avril 2008 a inséré dans le décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques, un article 6-1 ainsi rédigé : « Article 6-1. – Lors du dépôt de la demande de passeport , il est procédé au recueil de l’image numérisée du visage et des empreintes digitales de huit doigts du demandeur…/ A moins que le demandeur ne fournisse deux photographies d’identité de format 35 x 45 mm identiques, récentes et parfaitement ressemblantes, le représentant de face et tête nue, l’image numérisée de son visage est recueillie par la mise en oeuvre de dispositifs techniques appropriés. Ces photographies et cette image sont conformes aux spécifications arrêtées sur le fondement de l’article 2 c du règlement (CE) n° 2252/2004 du 13 décembre 2004 du Conseil. » ; qu’une circulaire du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités locales en date du 7 mai 2008 prévoit que les demandeurs de passeport seront accueillis dans 2000 communes réparties sur le territoire national, dans lesquelles l’agence nationale des titres sécurisés installera des stations d’enregistrement des données biométriques comportant une unité centrale, un dispositif de numérisation des documents, un dispositif de prise photographique et d’empreintes digitales et une imprimante ; que la même circulaire indique que « Les citoyens auront toute faculté de se présenter avec un photographie d’identité répondant à la norme ISO/IEC.19794.5.2005. La photographie pourra aussi être prise par la station d’enregistrement qui ne délivrera aucun cliché au demandeur. » ; qu’elle précise, enfin, qu’un arrêté établira la liste des communes retenues à l’issue d’une concertation avec les élus et que le dispositif de stations sera progressivement déployé par phases, pour couvrir tout le territoire national à la fin juin 2009 ;
Considérant que les associations et sociétés requérantes demandent la suspension de l’article 5 du décret du 30 avril 2008 et de la circulaire du 7 mai 2008 et, pour justifier l’urgence qui s’attache à leur demande, font valoir que la possibilité offerte à un demandeur de passeport de faire réaliser gratuitement sa photographie par la station d’enregistrement où il se rendra aura pour conséquence d’impacter négativement le marché de la photographie d’identité, dont elles font profession ou dont elles représentent les intérêts, et de conduire à des destructions d’emplois ; qu’elles font, en outre, valoir que la suspension demandée est justifiée par l’intérêt qui s’attache à la préservation de l’argent public si, dans l’hypothèse où leur requête au fond serait accueillie, l’agence nationale des titres sécurisés était tenue de résilier le marché qu’elle vient de conclure pour la mise en place , l’exploitation et la maintenance des stations d’enregistrement ;
Considérant toutefois, d’une part, que la prise de vue du demandeur de passeport effectuée par les stations d’enregistrement, lorsque celui ci n’aura pas choisi d’apporter une photographie d’identité réalisée dans le commerce, ne s’accompagnera pas de la délivrance d’un cliché mais, en application de l’article 25 du décret du 30 décembre 2005, lors de la remise du passeport, d’une copie sur papier des données nominatives enregistrées dans le composant électronique ; qu’ainsi, le dispositif envisagé n’a pas, contrairement à ce qui est soutenu, pour effet de permettre la délivrance au demandeur d’une photographie d’identité gratuite par les stations d’enregistrement ; que, d’autre part, si la possibilité offerte à un demandeur de passeport de ne pas fournir de photographies d’identité réalisées dans le commerce est susceptible d’avoir un impact sur l’activité de ceux des professionnels de l’image pour lesquels la photographie d’identité représente une part importante de leur chiffre d’affaires, cet impact reste incertain et relatif compte tenu du très grand nombre de situations et d’usages dans lesquels il peut ou doit être recouru à des photographies d’identité et ne présente, quoiqu’il en soit, aucun caractère immédiat dés lors que le dispositif envisagé ne sera effectif qu’au 29 juin 2009 et ne commencera à se déployer, ainsi que cela a été précisé à l’audience publique, qu’après l’intervention d’une loi ayant pour objet de fixer les compensations financières que recevront les communes accueillant les stations d’enregistrement ; qu’enfin, l’intérêt public lié à la préservation des deniers publics tel qu’il est invoqué, ne saurait prévaloir sur celui qui s’attache à ce que la France se conforme au règlement communautaire du 13 décembre 2004 qui lui impose de se mettre en mesure de délivrer à compter de l’été 2009, des passeports intégrant des données biométriques ;
Considérant qu’il suit de là , qu’eu égard à la portée qu’il convient de donner aussi bien aux dispositions contestées du décret du 30 avril 2008 qu’à la circulaire du 7 mai 2008 et au calendrier de leur mise en oeuvre, la condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative ne se trouve pas remplie ; qu’il y a lieu par suite de rejeter la requête de l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE, la CONFEDERATION FRANCAISE DE LA PHOTOGRAPHIE, la société PHOTOMATON, la société STUDIO PHOTO ELISABETH, et la société DUKA ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE, la CONFEDERATION FRANCAISE DE LA PHOTOGRAPHIE, la société PHOTOMATON, la société STUDIO PHOTO ELISABETH, et la société DUKA est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’IMAGE, la CONFEDERATION FRANCAISE DE LA PHOTOGRAPHIE, la société PHOTOMATON, la société STUDIO PHOTO ELISABETH, et la société DUKA et au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.