Conseil d’Etat, 10 / 7 SSR, du 29 décembre 1997, 183475, inédit au recueil Lebon

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Conseil d’Etat, 10 / 7 SSR, du 29 décembre 1997, 183475, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu l’ordonnance en date du 6 octobre 1996, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 7 novembre 1996, par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, la demande présentée à ce tribunal par la SOCIETE PAUL RAYMOND PUBLICATIONS LIMITED, dont le siège est …, représentée par son directeur général ;

Vu la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 26 septembre 1996 présentée par la SOCIETE PAUL RAYMOND PUBLICATIONS LIMITED et tendant, en premier lieu, à l’annulation de l’arrêté du 8 février 1996 du ministre de l’intérieur portant interdiction de vente aux mineurs et d’exposition de la revue intitulée « Club pour hommes », en second lieu, à l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant quatre mois par le ministre de l’intérieur, sur le recours gracieux formé le 25 mars 1996 par la société requérante contre l’arrêté susmentionné et en troisième lieu, à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité du 25 mars 1957 instituant la communauté européenne ;

Vu la loi du 29 juillet 1881

Vu la loi du 2 avril 1947 ;

Vu la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 modifiée ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et notamment son article 75-I ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

– le rapport de M. Rousselle, Maître des Requêtes,

– les conclusions de Mme Daussun, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 14 de la loi du 16 juillet 1949 modifiée : « Le ministère de l’intérieur est habilité à interdire : – de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs de dix-huit ans les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, ou de la place faite au crime ou à la violence, à la discrimination ou à la haine raciale, à l’incitation, à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants ; – d’exposer ces publications à la vue du public en quelque lieu que ce soit, et notamment à l’extérieur ou à l’intérieur des magasins ou des kiosques, et de faire pour elles de la publicité par la voie d’affiches ; – d’effectuer, en faveur de ces publications, de la publicité au moyen de prospectus, d’annonces ou insertions publiées dans la presse, de lettrescirculaires adressées aux acquéreurs éventuels ou d’émissions radiodiffusées ou télévisées. Toutefois, le ministre de l’intérieur a la faculté de ne prononcer que les deux premières, ou la première, de ces interdictions … » ;

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier et notamment de l’examen du contenu de la revue « Club pour hommes » que celle-ci revêt un caractère pornographique qui présente un danger pour la jeunesse ; que l’arrêté attaqué par lequel le ministre de l’intérieur a interdit de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs cette revue et de l’exposer ne présente pas, malgré l’absence de scènes de violence dans cette revue et nonobstant la circonstance que cette double interdiction a pour effet de provoquer, en vertu des dispositions des article 2 et 6 de la loi du 2 avril 1947, une exclusion des sociétés coopératives de presse prévues par cette loi et qui prennent en charge le groupage et la distribution, de caractère excessif ; que par suite le moyen tiré de ce que le ministre de l’intérieur aurait fait en l’espèce une inexacte application des dispositions précitées de la loi du 16 juillet 1949 modifiée ne saurait être accueilli ;

Considérant, en second lieu, que la combinaison des dispositions des article 2 et 6 de la loi du 2 avril 1947, qui a pour effet de provoquer l’exclusion d’une revue frappée de deux des interdictions prévues à l’article 14 de la loi du 16 juillet 1949 modifiée d’une société coopérative de messagerie de presse, ne fait pas obstacle à ce que le ministre de l’intérieur se fonde sur les dispositions susvisées de la loi du 16 juillet 1949 pour prononcer l’interdiction d’exposition ; qu’il n’était pas tenu de prononcer cette interdiction en application des seules dispositions de l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 réservées aux publications rédigées en langue étrangère ; qu’ainsi l’auteur de l’arrêté attaqué n’a pas commis d’erreur de droit ;

Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

Sur le moyen tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi :

Considérant que la circonstance alléguée par la société requérante que des publications analogues à celle qu’elle édite ne seraient pas frappées de la même double interdiction mais seulement de l’interdiction de vente aux mineurs est, à la supposer établie, sans influence sur la légalité dudit arrêté ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du Traité de Rome :

Considérant, en premier lieu, que si les articles 30 à 34 du Traité du 25 mars 1957 instituant la communauté européenne prohibent notamment les restrictions quantitatives à l’importation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent entre les Etats membres, l’article 36 du même traité dispose que les dispositions desdits articles ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation justifiées notamment par des raisons de moralité publique, dès lors que ces interdictions ou restrictions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans la concurrence entre les Etats membres ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, l’arrêté du 8 février 1996 et la décision implicite du ministre de l’intérieur rejetant la demande d’abrogation dudit arrêté, qui ont pour effet d’interdire de proposer, de vendre ou de donner aux mineurs la revue « Club pour hommes » et de l’exposer au public, ont été pris notamment en raison du caractère pornographique de cette revue et du danger qu’elle représente pour les mineurs qui pourraient l’acquérir ou la consulter et non pas en raison de la nationalité de la société éditrice ; que d’autres revues éditées par des sociétés de droit français ont fait l’objet de mesures d’interdiction identiques ; qu’ainsi les mesures d’interdiction prononcées, qui sont justifiées par des raisons de moralité publique, ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire à l’encontre de sociétés anglaises ni une restriction déguisée à leur importation en France ;

Considérant, en second lieu, que l’arrêté attaqué du 8 février 1996 a été pris sur le fondement de l’article 14 de la loi susvisée du 16 juillet 1949 ; que bien que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, il prive la société éditrice du bénéfice des services des sociétés coopératives de messageries de presse régies par la loi du 2 avril 1947, cet arrêté n’a ni objet ni pour effet de fausser les règles de la concurrence ou de favoriser un abus de position dominante ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 7, 86 et 90-1 du Traité de Rome ne peut qu’être rejeté ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE PAUL RAYMOND PUBLICATIONS LIMITED n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 8 février 1996 du ministre de l’intérieur portant interdiction de vente aux mineurs et d’exposition de la revue intitulée « Club pour hommes » et de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’intérieur du recours gracieux formé par ladite société contre ledit arrêté ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante, verse à la SOCIETE PAUL RAYMOND PUBLICATIONS LIMITED la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Article 1er : La requête de la SOCIETE PAUL RAYMOND PUBLICATIONS LIMITED est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE PAUL RAYMOND PUBLICATIONS LIMITED et au ministre de l’intérieur.


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