Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Grosses délivrées
RÉPUBLIQUE FRANOEAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
1ère Chambre – Section H
ARRÊT DU 07 NOVEMBRE 2006
(no31, 5 pages)Numéro d’inscription au répertoire général :
2006/00570Décision déférée à la Cour : no 05-D-68 rendue le 12 décembre 2005 par le Conseil de la Concurrence DEMANDERESSE AU RECOUR : – LA CHAMBRE SYNDICALE NATIONALE DE L’ENSEIGNEMENT PRIVE A DISTANCE – CHANED -agissant poursuite et diligence de son représentant légal dont le siège social est : … représenté Maître Louis-Charles Y…, avoué près la Cour d’Appel de PARIS assistée de Maître Jean A…, avocat au barreau de PARIStoqu B 58419, place de la Madeleine 75008 PARISEN PRÉSENCE DE : – M. Z… DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE59 boulevard Vincent Auriol75703 PARIS représenté par Mme Laurence NGUYEN-NIED, munie d’un pouvoirCOMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 19 septembre 2006, en audience publique, devant la Cour composée de :
– Mme Jacqueline RIFFAULT-SILK, Présidente
– Mme Brigitte HORBETTE, Conseillère
– Mme Agnès MOUILLARD, Conseillère
qui en ont délibéréGREFFIER, lors des débats : M. Gilles X… B… : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. Hugues C…, Avocat
Général, qui a fait connaître son avis.ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par Mme Jacqueline RIFFAULT-SILK, Présidente
– signé par Mme Jacqueline RIFFAULT-SILK, présidente et par M. Benoit TRUET-CALLU, greffier présent lors du prononcé. * * * * * *
La loi no 71-526 du 12 juillet 1971 définit l’enseignement à distance comme « l’enseignement ne comportant pas, dans les lieux où il est reçu, la présence physique du maître chargé de le dispenser, ou ne comportant une telle présence que de manière occasionnelle ou pour certains exercices ».
Cet enseignement, qui peut utiliser tous types de supports (courriers, CD, Internet…), couvre les mêmes domaines que l’enseignement présentiel, à savoir la formation initiale (comprenant l’éducation et l’enseignement supérieur) se caractérisant par sa gratuité, la formation professionnelle continue, financée par les employeurs et partiellement ordonnée par eux, et l’éducation permanente, souscrite à titre individuel par ceux qui souhaitent acquérir une formation, diplômante ou non.
Sur ce marché, qui selon le Centre d’information et de documentation jeunesse concerne environ 700 000 personnes désireuses de suivre une formation à distance en France, l’offre de formation se caractérise par un foisonnement d’opérateurs, appartenant tant au secteur public ou para-public, que privé.
Le service public de l’enseignement à distance est assuré essentiellement par le Centre national d’enseignement à distance (ci-après le CNED), établissement public administratif placé sous la tutelle des ministres chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Aux termes de l’article 2 du décret no 2002-602 du 27 avril 2002, « le centre a pour mission de dispenser un
enseignement et des formations à distance dans le cadre de la formation initiale, de la formation professionnelle continue et de l’éducation permanente ». Il est administré par un conseil d’administration de 18 membres, dont le président est nommé par arrêté du ministre et qui est composé à parts égales des représentants de l’Etat, des représentants du personnel et des personnalités qualifiées. Le conseil d’administration délibère, notamment, sur les orientations et l’organisation générale de l’établissement, le budget et ses modifications, le taux des redevances et rémunérations dues au centre. Le CNED est financé à la fois par ses fonds propres (inscriptions, recettes liées aux prestations de formation professionnelle continue etc) et par des subventions du ministère de l’éducation (en 2004 : 73% de fonds propres contre 27%, soit 26 millions d’euros, de subventions), cependant qu’une partie de son personnel (17% en 1999) est rémunérée par l’Etat, s’agissant pour une bonne part d’agents inaptes à l’enseignement présentiel qui lui sont affectés en réemploi ou en réadaptation.
L’article L 131-2 du Code de l’éducation prévoit que le service public de l’enseignement à distance peut être assuré par des personnes privés. C’est la loi précitée du 12 juillet 1971, complétée par le décret no 72-1218 du 22 décembre 1972, qui réglemente l’enseignement privé à distance. Ces textes, qui prévoient notamment une obligation déclarative pour tout établissement de ce type ainsi que des contrôles, pédagogique exercé par le ministère de l’éducation, disciplinaire par le conseil académique, précisent le contenu des contrats signés avec les élèves ainsi que les formalités de leur conclusion, et exigent le dépôt préalable au ministère de toute publicité effectuée par l’un de ces établissements. En 2002, la direction des affaires financières de l’éducation nationale a recensé
environ une centaine d’établissements privés regroupant, selon les chiffres recueillis auprès de ces derniers, près de 58 000 inscrits.
La Chambre syndicale de l’enseignement à distance (ci-après la CHANED) regroupe des organismes proposant des formations de type scolaire et professionnel de tous niveaux et de tous âges, de culture générale, de perfectionnement, de reconversion et de formation continue. Elle rassemble 18 écoles et revendique 75 310 incrits en 2005.
Les membres de la CHANED et le CNED sont en concurrence pour les formations suivantes :- la scolarité du CP à la Terminale,- les cours de vacances,- les formations comptables diplômantes,- le secrétariat médical et médico-social,- les formations paramédicales,- les concours de la fonction publique.
Par lettre enregistrée le 20 décembre 1999, la CHANED a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’enseignement à distance par le CNED, en dénonçant essentiellement le fait que le CNED bénéficie d’avantages discriminatoires tenant à sa position d’établissement public et qu’il affecte des aides publiques à des activités concurrentielles, ce qui lui permet de s’affranchir des contraintes du marché et de pratiquer des prix prédateurs ayant pour objet et pour effet d’évincer du marché de l’enseignement à distance les organismes privés.
Par décision no 05-D-68 du 12 décembre 2005, le Conseil de la concurrence a dit n’y avoir lieu à suivre la procédure, aucune pratique prohibée par l’article L 420-2 du Code de commerce n’étant établie à l’encontre du CNED.
LA COUR :
Vu le recours formé par la CHANED le 12 janvier 2006, tendant à la réformation de la décision ;
Vu le mémoire déposé par la CHANED le 14 février 2006 à l’appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 4 septembre 2006, par lequel la requérante demande à la cour de :- à titre principal :
. constater l’absence de définition du marché pertinent dans la décision entreprise, constater que le Conseil de la concurrence ne pouvait en conséquence conclure à une absence de violation des dispositions de l’article L 420-2 du Code de commerce, en conséquence, réformer la décision entreprise,
. constater que le marché de la « Formation Libre » payée individuellement constitue un marché pertinent sur lesquels le CNED dispose d’une position dominante, que ce marché constitue un marché concurrentiel, sur lequel le CNED ne met en oeuvre aucune prérogative de puissance publique, qu’en pratiquant des prix inférieurs au prix de revient et parfois inférieurs de plus de 90% aux prix pratiqués par la concurrence, le CNED pratique nécessairement des prix prédateurs ;- à titre subsidiaire, ordonner un complément d’enquête ou commettre tel expert qu’il lui plaira afin de déterminer les coûts incrémentaux des prestations de formation du CNED sur ce marché afin de déterminer s’ils sont supérieurs aux prix pratiqués et donc éventuellement prédateurs,- à titre très subsidiaire, constater que la faiblesse des prix du CNED – inférieurs au prix de revient industriel- entraîne une configuration du marché structurellement déséquilibrée et une perturbation durable du marché qu’il convient de faire cesser ;
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 24 mai 2006, tendant au rejet du recours ;
Vu les observations écrites du Ministre chargé de l’Economie, en date du 23 mai 2006, tendant au rejet du recours ;
Vu les observations écrites du Ministère Public, mises à la disposition des parties à l’audience, tendant au rejet du recours ;
Ou’ à l’audience publique du 19 septembre 2006, en leurs observations orales, le conseil de la CHANED, qui a été mis en mesure de répliquer, ainsi que le représentant du Ministre chargé de l’économie et le Ministère Public ;
SUR CE :
Considérant, tout d’abord, que c’est inexactement que la CHANED reproche à la décision de ne pas définir le marché pertinent ; qu’en effet, le Conseil de la concurrence, qui, ainsi que la CHANED le lui demandait dans sa saisine, a fait porter son examen sur l’ensemble des prestations d’enseignement à distance proposées par le CNED, à savoir la formation initiale, la formation professionnelle continue et l’éducation permanente, a relevé (point 107), en se référant aux constatations relatives à ces différents segments de marché relatées au points 50 à 59 de la décision, que le CNED occupe la première place sur le marché de la formation à distance, qu’il y dispose de parts de marché importantes et bénéficie d’une forte notoriété « rendant vraisemblable l’existence d’une position dominante » dont il serait susceptible d’abuser ;
Considérant ensuite, qu’en admettant même que le marché de la « Formation Libre » payée individuellement constitue un marché pertinent, sur lequel le CNED dispose également d’une position dominante, c’est en vain que la CHANED reproche au Conseil de ne pas avoir relevé de pratique prohibée à la charge de cet établissement public, au titre des prestations financées par la personne elle-même ;
Qu’en effet, examinant les tarifs appliqués pour cette formation, à savoir le tarif B, non subventionné, si la formation est payée par un tiers lorsque sont remplis les critères légaux de la formation professionnelle continue, et le tarif A1, subventionné, pour les personnes qui s’inscrivent dans le cadre de la promotion sociale, le
Conseil a relevé, d’une part, que le tarif B correspond aux coûts réels de ladite prestation, excluant tout prix prédateur de ce chef, et que le tarif A1, sensiblement inférieur aux prix proposés par les établissements d’enseignement à distance privés, résulte de la prise en compte des subventions allouées par le ministère de l’éducation nationale ;
Qu’il a observé à cet égard qu’aux termes de l’article 8 du décret du 31 décembre 1979, applicable lors des faits : « les délibérations portant sur le budget ou ses modifications, le compte financier, les emprunts ou portant délégation de pouvoirs à l’administrateur délégué ne sont exécutoires qu’après avoir été approuvées par arrêté conjoint du ministre de l’éducation et du ministre du budget », que le décret du 25 avril 2002, portant organisation et fonctionnement du CNED, précise en son article 8 que « les délibérations portant sur le budget ou ses modifications ainsi que sur le compte financier sont approuvées par les mêmes ministres dans les conditions fixées par le décret du 8 juillet susvisé » ; que ces conditions sont énoncées dans l’article 1er du décret du 8 juillet 1999, relatif aux modalités d’approbation de certaines décisions financières des établissements publics de l’Etat, qui dispose que « dans tous les cas où l’approbation préalable de l’Etat, expresse ou tacite, des décisions des instances compétentes des établissements publics de l’Etat portant sur le budget ou l’état prévisionnel de recettes et de dépenses, leurs modifications, ainsi que sur le compte financier, est prévue par les textes réglementaires applicables à ces établissements, ces décisions sont exécutoires, à défaut d’approbation expresse, à l’expiration d’un délai partant de la date de réception, par la ou les autorités de l’Etat compétentes, de la délibération et des documents correspondants, à moins que l’une des autorités n’y fasse opposition pendant ce délai » ;
Qu’il a également relaté les explications du directeur général du CNED, qui le 8 juillet 2003, déclarait à propos des tarifs subventionnés, A1et A2 : »S’agissant du tarif A2, le prix est fixé par l’autorité de tutelle qui en informe le CNED par lettre. Il est entériné par le conseil d’administration. Nous n’avons aucun pouvoir d’augmenter ce prix, quelles que soient les dépenses occasionnées par ces formations notamment sur le plan de la rénovation.Pour le tarif A1, le prix est fixé dans les mêmes conditions sur proposition de l’établissement. Dans ses augmentations, il tient compte des efforts qui ont pu être faits dans la rénovation ou la transformation des enseignements. Le prix fixé par la tutelle est un prix général consolidé pour l’ensemble des formations professionnelles personnelles, le CNED pouvant à l’intérieur de cette enveloppe globale fixer des prix différents d’évolution de chaque produit. » ;
Considérant qu’il s’évince de ces constatations que, contrairement à ce que soutient la requérante, le CNED ne disposait, tant avant qu’après l’entrée en vigueur du décret du 25 avril 2002, que d’une autonomie extrêmement réduite dans l’élaboration des tarifs A1 -qui restent seuls en discussion devant la cour- et que le caractère « prédateur » des redevances qu’il applique à ce titre, qui n’est pas contestable, résulte de l’octroi de subventions dont le Conseil a retenu à juste titre qu’il était incompétent pour en apprécier la légalité, s’agissant de l’organisation, par les ministères compétents, du service public de l’enseignement ;
Qu’au demeurant, le Conseil a surabondamment relevé -à partir de constatations dont la CHANED ne démontre pas l’inexactitude- que ces financements publics n’ont pas entraîné de perturbation du marché caractérisant un abus de position dominante, puisque le nombre d’inscrits au CNED diminue régulièrement et substantiellement depuis plusieurs années (21% de 1999 à 2004), cependant que les informations
relatives aux établissements d’enseignement à distance privés, quoique parcellaires, révèlent, dans la majeure partie des cas, une évolution positive de leurs fonds propres et de leurs résultats nets, leurs chiffres d’affaires connaissant dans tous les cas une progression plus favorable que celle du CNED, tous éléments traduisant que, pendant la période examinée, les opérateurs privés ont pu se développer et concurrencer efficacement les offres du CNED ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le recours de la CHANED ;
La condamne aux dépens ;
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,