Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° A 20-87.273 F-D
N° 01323
GM
9 NOVEMBRE 2021
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 NOVEMBRE 2021
M. [Z] [K] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Chambéry, en date du 17 décembre 2020, qui, dans l’information suivie contre lui du chef de prise illégale d’intérêts, a prononcé sur sa requête aux fins d’annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 1er mars 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l’examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Z] [K], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l’audience publique du 5 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 28 novembre 2016, le procureur financier de la chambre régionale des comptes d’Auvergne-Rhône-Alpes a saisi le procureur de la République de Bonneville, au visa de l’article R. 241-25 alinéa 1 du code des juridictions financières alors applicable, d’observations provisoires formées par la chambre dans sa séance du 14 septembre 2016, au sujet de faits susceptibles de caractériser une atteinte à la liberté d’accès à la commande publique et à l’égalité des candidats dans le cadre de la passation d’un contrat de délégation de service public portant sur l’exploitation et la construction des domaines skiables de [Localité 1], convention de délégation attribuée à la société Compagnie du mont-blanc.
3. Après ouverture d’une information, M. [Z] [K], conseiller municipal de la commune de [Localité 1], a été mis en examen le 15 octobre 2019, du chef de prise illégale d’intérêts.
4. Le 15 avril 2010, il a déposé une requête en nullité.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, cinquième, sixième et septième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté le moyen pris de la nullité de la communication du procureur financier au procureur de la République par courrier du 28 novembre 2016, alors :
« 1°/ qu’en raison d’une forte exigence de confidentialité, les communications entre les autorités financières et les autorités judiciaires relatives à l’existence d’un crime ou d’un délit interviennent sur la base du double fondement juridique de l’article 40 du code de procédure pénale et des dispositions du code des juridictions financières encadrant spécifiquement ces communications ; qu’il résulte des articles L. 241-8 et R. 241-25 du code des juridictions financières, dans leur version en vigueur au 28 novembre 2016 (devenus depuis les articles L. 241-1 et R. 241-3 du code de judiciaire doit être prise par décision de la chambre régionale des comptes, laquelle délibère de manière collégiale, et doit être transmise au procureur général près la Cour des comptes ; qu’en l’espèce, une telle décision ne figure ni dans le courrier du 28 novembre 2016 par lequel le procureur financier a transmis les informations ayant fondé la procédure au procureur de la République, ni dans le dossier de procédure ; qu’en l’absence de cette décision, la chambre de l’instruction n’a pu s’assurer de la légalité de la communication ; qu’en rejetant le moyen de nullité au motif erroné que celle-ci pouvait se faire sur le fondement du seul article 40 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 241-8 et R. 241-25 du code des juridictions financières, dans leur version en vigueur au 28 novembre 2016, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu’aux termes de l’article D. 247-1 du code des juridictions financières, dans sa version en vigueur au 28 novembre 2016, les modalités de communication de pièces justificatives par les autorités financières aux autorités judiciaires doivent être définies par le président de la chambre régionale concernée ; qu’en rejetant le moyen de nullité pris de l’absence de décision préalable du président de la chambre régionale des comptes sur les modalités de communication des pièces au motif que « les dispositions réglementaires citées par le requérant (article D. 247-1 du code des juridictions financières) ne concernent pas le procureur financier mais « les comptables, le représentant légal de la collectivité ou de l’établissement public ou les juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif », la chambre de l’instruction a privé sa décision de base légale et violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, D. 247-1 du code des juridictions financières, dans sa version en vigueur au 28 novembre 2016 ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale.»
Réponse de la Cour
7. Pour écarter le moyen de nullité de la communication faite par le procureur financier de la chambre régionale des comptes au procureur de la République de Bonneville le 28 novembre 2016, l’arrêt énonce que la régularité de la procédure intervenue devant la chambre régionale des comptes n’affecte pas la procédure judiciaire, dès lors que le procureur de la République tient des articles 40, 40-1 et 41 du code de procédure pénale le pouvoir d’ordonner une enquête au vu de tout renseignement dont il est destinataire et qui n’obéit à aucune forme.
8. En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction n’a pas méconnu les textes visés au moyen pour les motifs suivants.
9. D’une part, nonobstant le visa, dans la transmission du procureur financier de la chambre régionale des comptes, de l’article R. 241-25, devenu l’article R. 241-3 du code des juridictions financières, la dénonciation d’une chambre régionale des comptes n’est pas un préalable nécessaire à la poursuite en matière d’infraction aux règles des marchés publics.
10. D’autre part, l’article D. 247-1 dudit code, qui traite des demandes de communication des pièces justificatives détenues par une chambre régionale des comptes, ne trouve pas à s’appliquer lorsque c’est cette dernière qui a pris l’initiative de la transmission.
11. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté le moyen pris de la nullité de la réquisition à la Direction Régionale du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) en date du 12 juin 2017, alors « que la réquisition du 12 juin 2017 priait Mme [J], inspecteur de la DIRECCTE, d’analyser le protocole d’accord litigieux et d’indiquer s’il comportait des éléments de nature à entraver la liberté d’accès à la délégation de service public, s’il pouvait relever de pratiques anticoncurrentielles et s’il pouvait constituer un abus de position dominante de la part de la Compagnie du mont-blanc ; que dès lors, non seulement cette réquisition relevait des dispositions de l’article 77-1 du code de procédure pénale et non de l’article 77-1-1 du même code, mais que, s’agissant d’une expertise, Mme [J], ne pouvait y procéder sans avoir préalablement prêté serment ; que la chambre de l’instruction, qui se borne à affirmer de façon abstraite et générale que les agents de la DIRECCTE ne sont pas soumis à l’obligation de prêter serment, sans vérifier si la mission demandée n’était pas une véritable mission d’expertise et si elle a été conduite dans le cadre d’un domaine où la loi confiait aux agents de la DIRECCTE des pouvoirs de police judiciaire, a manifestement violé les articles 77-1 et 60 du code de procédure pénale et en toute hypothèse a insuffisamment motivé sa décision, en violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 60 et 77-1 du code de procédure pénale :
13. Il résulte de ces textes que, lorsque les officiers de police judiciaire intervenant en enquête préliminaire ont recours à des personnes qualifiées auxquelles ils confient une mission, celles-ci doivent prêter le serment par écrit d’apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience, à moins qu’elles ne soient inscrites sur une liste d’experts.
14. Pour rejeter la nullité des réquisitions adressées le 12 juin 2017 par le procureur de la République à une inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes auprès de la Direction Régionale du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) d’Auvergne-Rhône-Alpes, l’arrêt relève que l’officier de police judiciaire a requis, auprès d’une personne qualifiée, des « informations » au sens de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, et que les agents de la DIRECCTE ne sont pas soumis à l’obligation de prêter serment.
15. En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
16. En effet, la réquisition adressée à l’inspectrice de la répression des fraudes ne portait pas sur la simple communication d’informations, mais sur l’analyse d’un protocole d’accord, constitutive d’une opération intellectuelle ne relevant pas de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, mais des dispositions de l’article 77-1 dudit code exigeant la prestation de serment de l’agent prévu par l’article 60 de ce code.
17. Par ailleurs, une telle mission ne peut être considérée comme intervenue dans un domaine où la loi confie aux agents de la répression des fraudes des pouvoirs de police judiciaire.
18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions concernant la réquisition du 12 juin 2017 adressée à Mme [R] [J], inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes près la DIRECCTE Auvergne-Rhone-Alpes, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Chambéry, en date du 17 décembre 2020, toutes autres dispositions étant maintenues ;
ANNULE lesdites réquisitions ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf novembre deux mille vingt et un.
ECLI:FR:CCASS:2021:CR01323