Conseil d’État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 10/12/2007, 296191, Publié au recueil Lebon

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Conseil d’État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 10/12/2007, 296191, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la décision du 26 janvier 2007 par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux, avant de statuer sur les conclusions de la requête de la SOCIETE POWEO tendant à l’annulation de l’arrêté du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministre délégué à l’industrie du 28 avril 2006 relatif au prix de vente du gaz combustible vendu à partir des réseaux publics de distribution, a invité le Conseil de la concurrence :

– à fournir tous éléments d’appréciation susceptibles de permettre au Conseil d’Etat de déterminer si ledit arrêté méconnaît la prohibition des abus de position dominante résultant de l’article 82 du traité instituant la Communauté européenne et de l’article L. 420-2 du code de commerce ;

– à préciser, en particulier, le ou les marchés pertinents en ce qui concerne la fourniture de gaz en distribution publique ;

– à indiquer également si les prix de vente du gaz en distribution publique de Gaz de France, résultant de l’arrêté attaqué, sont au moins égaux, compte tenu du montant de l’abonnement payé par le consommateur, aux coûts complets moyens de fourniture du gaz ainsi distribué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 ;

Vu le décret n° 90-1029 du 20 novembre 1990 ;

Vu l’arrêté du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 16 juin 2005 relatif aux prix de vente du gaz combustible vendu à partir de réseaux publics de distribution ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Claire Legras, Maître des Requêtes,

– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE POWEO,

– les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du II de l’article 7 de la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie, dans sa rédaction issue de la loi du 9 août 2004 : Les tarifs de vente du gaz naturel aux clients non éligibles sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l’ensemble de ces coûts à l’exclusion de toute subvention en faveur des clients éligibles (…) ; que l’article 2 du décret du 20 novembre 1990 réglementant les prix du gaz combustible vendu à partir des réseaux publics de transport ou de distribution dispose : Le prix du gaz combustible est déterminé et évolue, en moyenne pondérée, en tenant compte des variations :/ 1° Des coûts de construction, d’entretien et de renouvellement des installations de stockage, de transport et de distribution ;/ 2° Des coûts d’approvisionnement en gaz ;/ 3° Des coûts d’exploitation des équipements de stockage, de transport et de distribution ;

Considérant que si, dans les limites fixées par la loi du 3 janvier 2003, les ministres chargés de l’économie et de l’énergie, compétents pour prendre les décisions relatives à ces tarifs en vertu du troisième alinéa du I de l’article 7 de la loi du 3 janvier 2003, peuvent légalement tenir compte de la situation économique générale, et plus particulièrement de celle des ménages, pour moduler l’évolution du prix de vente du gaz en distribution publique, sans être tenus de répercuter intégralement, dans les tarifs qu’ils fixent, les variations, à la hausse ou à la baisse, des coûts complets moyens de fourniture du gaz ainsi distribué, il résulte des dispositions combinées de l’article 7 de cette loi et de l’article 2 du décret du 20 novembre 1990 que ces tarifs ne peuvent être inférieurs aux coûts moyens complets de chaque opérateur ; que, pour satisfaire à cette obligation, il appartient aux ministres compétents, à la date à laquelle ils prennent leur décision, premièrement, de permettre au moins la couverture par les tarifs des coûts moyens complets des opérateurs tels qu’ils peuvent être évalués à cette date, deuxièmement, de prendre en compte une estimation de l’évolution de ces coûts sur l’année à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à cette même date, et, troisièmement, d’ajuster ces tarifs s’ils constatent qu’un écart significatif s’est produit entre tarifs et coûts, du fait d’une sous-évaluation des tarifs, au moins au cours de l’année écoulée, afin de compenser cet écart dans un délai raisonnable ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments chiffrés fournis par l’avis en date du 27 juillet 2007 du Conseil de la concurrence demandé par une décision avant dire droit du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 26 janvier 2007 que la hausse des tarifs du gaz en distribution publique autorisée par l’arrêté attaqué du 28 avril 2006 permettait, à la date à laquelle elle est intervenue, d’ajuster le prix de vente du gaz aux différents tarifs réglementés, pondéré par le volume des ventes effectuées sous chacun de ces tarifs, au niveau des coûts moyens complets supportés par Gaz de France pour fournir les clients bénéficiant de ces tarifs, tout en ménageant la possibilité d’un rattrapage des écarts constatés sur l’année précédant l’adoption de l’arrêté attaqué ; qu’il n’est pas allégué que cette hausse ait été fondée, à l’époque, sur des prévisions manifestement erronées ; qu’ainsi, le niveau de hausse autorisé n’est entaché ni d’erreur de droit ni d’erreur manifeste d’appréciation ; qu’il suit de là que la SOCIETE POWEO n’est pas fondée à soutenir que cet arrêté méconnaît les dispositions précitées de l’article 7 de la loi du 3 janvier 2003 et de l’article 2 du décret du 20 novembre 1990 relatives à la couverture des coûts par les tarifs réglementés ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société requérante soutient que l’arrêté attaqué aurait pour effet, en raison d’une hausse insuffisante des tarifs du gaz en distribution publique, d’avantager, premièrement, Gaz de France au détriment de ses concurrents, deuxièmement, les clients éligibles n’ayant pas fait jouer leur éligibilité au détriment de ceux qui ont choisi un distributeur de gaz autre que Gaz de France et, troisièmement, certains distributeurs de gaz au détriment des distributeurs de fioul ; que l’arrêté attaqué méconnaîtrait ainsi les règles de concurrence fixées par l’article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles rappelées par l’article 25 de la directive du 26 juin 2003, notamment la prohibition des abus de position dominante résultant des stipulations de l’article 82 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant qu’aux termes de l’article 82 du traité instituant la Communauté européenne : Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci./ Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :/ a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables (…) ; que l’article L. 420-2 du code de commerce prohibe l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et, notamment, de l’avis du Conseil de la concurrence que les tarifs fixés par l’arrêté attaqué ont été supérieurs aux coûts variables de Gaz de France pour l’activité de vente de gaz en distribution publique ; que, d’ailleurs, ainsi qu’il a été dit plus haut, ces tarifs n’ont pas été manifestement inférieurs aux coûts complets de Gaz de France pour cette activité ; que s’il est allégué que le niveau des prix pratiqués par Gaz de France pour ses ventes de gaz en distribution publique se traduirait par une perturbation du marché de nature à constituer une barrière à l’entrée de nouveaux opérateurs s’adressant aux clients éligibles n’ayant pas fait jouer leur éligibilité, la situation concurrentielle ainsi décrite ne résulte pas de l’arrêté attaqué, lequel n’est pas à l’origine d’une configuration du marché du gaz en distribution publique caractérisée par une position concurrentielle de Gaz de France renforcée notamment par l’ancienneté de son implantation, ainsi que par la stabilité et le coût favorable de ses sources d’approvisionnement ; qu’ainsi, en l’espèce, l’arrêté attaqué ne met pas, par lui-même, Gaz de France en situation d’abuser de la position dominante qu’il occupe sur ce marché en conduisant une politique de prix prédateurs ou en y perturbant de manière significative les conditions d’exercice de la concurrence ; qu’il suit de là que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté attaqué méconnaît les règles de concurrence qui résultent de l’article 82 du traité instituant la Communauté européenne et de l’article L. 420-2 du code de commerce ;

Considérant, par ailleurs, qu’il ressort également des pièces du dossier et, notamment, de l’avis du Conseil de la concurrence que le marché du fioul domestique et celui du gaz naturel ne constituent pas un même marché économique pertinent dans la mesure où, passé le stade de l’installation des équipements de chauffage, le consommateur n’est plus en situation d’arbitrer entre les différentes sources d’énergie ; qu’il en résulte que la société POWEO ne peut valablement invoquer la méconnaissance des règles de la concurrence issues de l’article 82 du traité instituant la Communauté européenne et de l’article L.420-2 du code de commerce qui résulterait, pour les distributeurs de fioul, du niveau auquel l’arrêté attaqué a fixé le tarif du gaz en distribution publique ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE POWEO n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministre délégué à l’industrie du 28 avril 2006 ; que, par voie de conséquence, les conclusions de cette société tendant, d’une part, à ce qu’il soit enjoint aux ministres compétents de prendre un nouvel arrêté fixant le prix du gaz combustible vendu à partir des réseaux publics de distribution à un niveau conforme aux exigences du II de l’article 7 de la loi du 3 janvier 2003 et, d’autre part, à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ;

D E C I D E :

————–

Article 1er : La requête de la SOCIETE POWEO est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE POWEO et au ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Copie en sera adressée pour information à la société Gaz de France.


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