Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 20 novembre 2001), que saisi successivement par les sociétés Tim et Groupe Telci, le ministre de l’Economie et M. X…, de pratiques mises en oeuvre par la société Française des jeux, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision n° 00-D-50 du 5 mars 2001, infligé à cette entreprise une sanction pécuniaire ; que le Conseil a retenu que la société La Française des jeux, en position dominante sur le marché des jeux de hasard pur, avait enfreint l’article L. 420-2 du Code de commerce, d’une part, en subordonnant l’agrément de ses détaillants à l’acquisition de deux éléments de mobilier, dont elle était le fournisseur exclusif, et en exerçant des pressions sur plusieurs revendeurs déjà agréés pour les inciter à faire l’acquisition de ce mobilier, et, d’autre part, en consentant à sa filiale, la Française de maintenance, par l’utilisation des ressources tirées du monopole des jeux, une subvention qui a permis à cette dernière de pratiquer, sur le marché de la maintenance informatique, des prix inférieurs à ses coûts variables et d’emporter dix-sept contrats de maintenance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société La Française des jeux fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil l’ayant sanctionné pour avoir enfreint les dispositions de l’article L.420-2 du Code de commerce sur le marché du mobilier de comptoir, alors, selon le moyen, qu’en l’absence de toute définition légale ou réglementaire d’un seuil de sensibilité, il appartient aux juridictions saisies de vérifier dans chaque cas d’espèce si l’effet potentiel ou avéré des pratiques incriminées est de nature à restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence sur le marché concerné ; en retenant en l’espèce qu’en subordonnant l’agrément de ces détaillants à l’acquisition de deux éléments du mobilier dit « comptoir terminal » et « espace-jeux » dont elle était le fournisseur exclusif et en exerçant des pressions sur des revendeurs déjà agréés pour les inciter à faire l’acquisition de ce mobilier, la société La Française des jeux, détentrice d’une position dominante sur le marché des jeux de hasard pur distribués par elle, avait réduit l’intensité de la concurrence sur le marché du mobilier de comptoir et faussé la concurrence existant entre les détaillants sur la même zone de chalandise, sans constater que ces pratiques avaient restreint le jeu de la concurrence sur le marché du mobilier de comptoir de façon sensible, relevant au contraire « leur faible impact sur les marchés considérés, la cour d’appel a violé l’article L. 420-2 du Code de commerce ;
Mais attendu qu’ayant relevé que les détaillants avaient été empêchés de faire jouer leur liberté commerciale au profit d’autres fabricants de mobilier de comptoir, ce qui avait réduit l’intensité de la concurrence sur ce marché, et constaté que le niveau des prix pratiqués sur ce marché avait été faussé en raison de la surévaluation du prix du mobilier litigieux, ce dont il ressortait nécessairement l’affectation sensible du fonctionnement de la concurrence sur le marché considéré, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société La Française des jeux fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil l’ayant sanctionnée pour avoir enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce sur le marché de la maintenance informatique, alors, selon le moyen :
1 ) que pour être sanctionnable la pratique de prix bas doit avoir pour objet ou pour effet d’interdire à un concurrent d’accéder ou de se maintenir sur un marché ; qu’en retenant en l’espèce que la société La Française des jeux avait enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce sur le marché de la maintenance micro-informatique, en permettant, par l’octroi de subventions tirées de la vente dégagée dans l’activité sur laquelle elle dispose d’un monopole public, à sa filiale -la société La Française de maintenance- de pratiquer sur le marché de la maintenance micro-informatique des prix bas, tout en constatant que ces prix n’étaient pas « prédateurs » car la très faible part détenue par ladite filiale sur ledit marché, combinée à la modestie des barrières à l’entrée, rendait improbable le succès d’une stratégie d’élimination des concurrents permettant ensuite de relever les prix, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l’article L. 420-2 du Code de commerce précité ;
2 ) que seule une atteinte sensible au jeu de la concurrence sur le marché concerné peut caractériser une pratique anti-concurrentielle ; qu’en retenant que les pratiques de la société La Française des jeux avec sa filiale -la société La Française de maintenance- ont affecté le marché de la maintenance micro-informatique « en profondeur » perturbant ledit marché de « manière significative » tout en constatant qu’elles avaient eu un » faible impact sur le marché considéré », la cour d’appel a entaché sa décision de contradiction de motifs en violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d’une part, que sans constituer une pratique de prix prédateurs, au sens invoqué par la société La Française des jeux, une pratique de prix mise en oeuvre, indirectement, par un opérateur en position dominante faussant le fonctionnement de la concurrence, peut constituer un abus au sens de l’article L. 420-2 du Code de commerce ;
qu’ayant relevé que la pratique de prix bas, rendue possible par l’octroi, à la filiale d’une entreprise disposant d’un monopole public, de subventions, tirées de la rente dégagée dans l’activité monopolistique, jointe à la force commerciale de celle-ci, composée de points de vente situés sur tout le territoire, a contribué à l’obtention des contrats en cause, affectant la capacité concurrentielle d’autres opérateurs et permettant à la société La Française de maintenance d’acquérir un poids économique et une réputation déterminants pour son avenir autrement que par ses propres mérites, ce dont il ressort que la position acquise par la société La Française de maintenance sur le marché en cause l’avait été artificiellement grâce aux ressources dégagées par l’exercice du monopole attribué à la société La Française des jeux, la cour d’appel en a justement déduit l’existence d’un abus ;
Et attendu, d’autre part, que c’est sans contradiction que la cour d’appel a constaté à la fois que les agissements en cause avaient perturbé de manière significative le marché de la maintenance informatique, caractérisant ainsi l’affectation sensible du fonctionnement de la concurrence, et considéré, pour apprécier la proportionnalité de la sanction, laquelle a été prononcée au regard de deux pratiques anticoncurrentielles retenues sur deux marchés distincts, que son montant tenait compte, notamment au regard la durée limitée des pratiques, du faible impact sur ces marchés ;
Qu’il suit de là que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Française des jeux aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société La Française des jeux à payer au ministre chargé de l’Economie la somme de 1 800 euros ;
Condamne la société La Française des jeux à payer à M. Y…, en qualité de mandataire liquidateur et représentant des créanciers de la société Groupe Telci et de la société TIM, la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille trois.