Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 29 juin 1999) que la société France Télécom, qui en 1992 avait le monopole de la fourniture du service téléphonique entre points fixes et du service télex, comptait au nombre des services obligatoires ouverts à la concurrence, en vertu de son cahier des charges approuvé par le décret n° 90-213 du 29 décembre 1990, la publication et la diffusion annuelle d’une ou plusieurs listes des abonnés au service public ; qu’afin de se conformer aux obligations légales et réglementaires, elle tenait au sein du fichier des abonnés plusieurs sous-fichiers :
la liste rouge qui regroupait les titulaires des postes d’abonnement principaux permanents qui s’opposaient à l’inscription de leur nom dans l’annuaire, la liste orange instituée par l’article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications au profit des personnes physiques ayant souscrit un abonnement du téléphone fixe ou du télex qui demandaient à ne pas figurer sur les listes extraites des annuaires commercialisées par l’exploitant public et la liste safran, créée en application de l’article R. 10-2 du Code des postes et télécommunications pour les personnes physiques ou morales ayant souscrit un abonnement au service téléphonique ou au service télex qui demandaient à ne pas faire l’objet de démarchage publicitaire effectué par télex ou télécopie ; que dans l’exécution du service universel, elle proposait la publication et la diffusion d’annuaires imprimés et fournissait aussi un service d’annuaire électronique ouvert à la consultation du public, expurgé des seuls abonnés figurant sur la liste rouge, et, dans le cadre de ses activités concurrentielles de vente de fichiers, commercialisait le fichier des abonnés et des utilisateurs de réseaux publics de télécommunications par le biais des services Téladresses et Marketis ; que le service Téladresses avait pour objet soit la cession, sur divers supports (disquettes, listings…), de fichiers extraits de la base annuaire selon des critères spécifiés par le client, réutilisables à l’infini, soit leur » location « , le fichier étant traité directement par France Télécom ou remis à des prestataires agréés (routeur, agence de télémarketing) qui réalisaient l’opération pour le compte du client ; que le service Marketis, accessible par le réseau Télétel 36.14 code Marketis, mettait à la disposition des entreprises pour leurs besoins de prospection commerciale les adresses des abonnés au téléphone paraissant dans les annuaires, à l’exclusion de ceux inscrits en listes rouge, orange et safran, l’utilisateur pouvant soit transférer ces listes sur son propre terminal afin de créer un nouveau fichier, en recourant au besoin à trois critères de sélection, soit obtenir une » mise à jour » consistant à soumettre au serveur Marketis un fichier déjà existant afin de vérifier la validité des informations déjà détenues, à condition de formuler une requête par adresse ;
qu’ainsi, alors que Marketis offrait une formule en » self-service « , le client devant effectuer lui-même la saisie des adresses en fonction de critères limités de sélection, Téladresses permettait d’accéder à des fichiers obtenus par la mise en oeuvre de nombreux critères de tri et offrait aux entreprises une solution » clés en main » pour des opérations de publipostage ou de télémarketing, au besoin avec l’assistance de conseillers en marketing ; qu’une adresse obtenue par le service Marketis était facturée 0,30 franc HT tandis que celle cédée par Téladresses coûtait 1,20 franc HT, sauf remise quantitative de 6 à 50 % en fonction du nombre d’adresses demandées, et que celle louée auprès de ce même service était facturée 0,30 franc HT ; qu’enfin, la société France Télécom proposait la mise en conformité d’un fichier externe avec la liste safran, au prix de 0,03 franc ou 0,05 franc, suivant la quantité, par adresse vérifiée ; que la société Filetech, aux droits de laquelle vient la société Lectiel, avait pour activité la constitution de fichiers de prospection destinés à la réalisation d’opérations de marketing (mercatique) direct et exploitait sa propre base de données qui contenait alors environ 23 millions d’adresses, constituée, pour l’essentiel, d’abonnés au téléphone, mise à jour quatre à six fois par an et constamment enrichie par des analyses informatiques réalisées avec des logiciels dits de » scoring » ; qu’elle se procurait la liste des abonnés au téléphone par le procédé du » télédéchargement » de l’annuaire électronique mis à la disposition de ses abonnés par France Télécom, opérations pour l’accomplissement desquelles elle avait souscrit 110 abonnements de lignes téléphoniques auprès de l’opérateur public ; que depuis l’entrée en vigueur, en 1992, de l’article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications interdisant l’usage par quiconque, à des fins commerciales ou de diffusion dans le public, des informations nominatives extraites des annuaires concernant les personnes ayant demandé à figurer en liste orange, la société Filetech était tenue, sous peine de sanctions pénales, de radier de ses fichiers constitués à partir de la base annuaire le nom des personnes inscrites en liste orange, que l’annuaire électronique ne permettait pas d’identifier ; qu’exposant qu’en raison de cette interdiction, elle ne pouvait plus continuer à exploiter les ressources de la liste des abonnés en passant par la consultation de l’annuaire électronique mais était obligée de recourir aux services plus onéreux de Marketis et Téladresses, la société Filetech a, par lettre du 17 novembre 1992, saisi le Conseil de la concurrence en invoquant un abus de position dominante de la société France Télécom ; qu’après avoir recueilli l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART), le Conseil de la concurrence a, par décision n° 98-D-60 du 29 septembre 1998, estimé les agissements anticoncurrentiels caractérisés et prononcé à l’encontre de la société France Télécom une sanction pécuniaire ;
que saisie du recours de cette dernière, la cour d’appel, devant laquelle était intervenue volontairement la société Groupadress, locataire-gérante du fonds de commerce de la société Lectiel, a, par l’arrêt attaqué, annulé la décision du Conseil en raison de la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré puis, statuant sur les pratiques reprochées, a dit que la société France Télécom avait enfreint les dispositions des articles 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 devenu l’article 82 du traité de Rome, lui a infligé une sanction pécuniaire de 10 000 000 francs et a prononcé une injonction ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société France Télécom fait grief à l’arrêt d’avoir statué sur les pratiques reprochées après avoir annulé la décision déférée du Conseil de la concurrence alors, selon le moyen :
1° que si le Conseil de la concurrence est compétent pour examiner si les pratiques dont il est saisi sont prohibées, pour ordonner le cas échéant aux intéressés de mettre fin à ces pratiques, ou pour infliger des sanctions, la cour d’appel de Paris n’a le pouvoir que d’annuler la décision du Conseil de la concurrence ou bien de réformer cette dernière ; qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne confère à cette juridiction de l’ordre judiciaire, statuant sur le recours formé contre la décision d’un organisme administratif, le pouvoir, lorsqu’elle a annulé la décision du Conseil de la concurrence et que cette dernière est donc censée ne pas exister, d’examiner les pratiques dénoncées, d’infliger une sanction pécuniaire et de prononcer des injonctions ; qu’en procédant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 15 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
2° qu’à supposer que la cour d’appel de Paris soit autorisée à statuer elle-même après avoir annulé la décision du Conseil de la concurrence, il lui appartenait d’examiner les autres moyens de forme et de procédure soulevés par la requérante dans la mesure où ils pouvaient avoir une incidence sur le fond ; que la société France Télécom faisait valoir qu’aucun procès-verbal d’audition de M. X…, délégué général de l’Union française du marketing direct, n’avait été établi et que la décision du Conseil de la concurrence ne faisait pas état du contenu de ce témoignage capital, de sorte qu’elle avait été privée d’un élément de preuve qu’elle aurait pu utiliser à l’appui de son recours subsidiaire en réformation ; qu’en s’abstenant de répondre à ces conclusions et de rechercher si les droits de la défense avaient été préservés lors de l’instruction, sous prétexte qu’elle annulait en tout état de cause la décision du Conseil de la concurrence, la cour d’appel a privé sa décision de fondement légal au regard de l’article 15 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, d’une part, qu’ayant annulé la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence après la notification du rapport et le dépôt des mémoires en réponse, la cour d’appel tenait de la combinaison de l’article 15 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l’article L. 464-8 du nouveau Code de commerce, et de l’article 561 du nouveau Code de procédure civile, le pouvoir de statuer, en fait et en droit, sur les griefs notifiés ;
Attendu, d’autre part, qu’en décidant que, dès lors qu’elle avait annulé la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, elle n’était pas tenue d’examiner les autres moyens invoqués par la société France Télécom qui, se prévalant d’autres irrégularités, tendaient aux mêmes fins, la cour d’appel n’a pas porté atteinte aux droits de la défense de la société France Télécom qui, si elle s’estimait lésée par le défaut de transcription de l’audition d’un témoin, avait la faculté de lui demander de la renouveler, conformément aux articles 204 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;
Que le moyen n’est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois premières branches :
Attendu que la société France Télécom reproche aussi à l’arrêt d’avoir dit qu’elle avait enfreint les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et de l’article 86 devenu l’article 82 du traité de Rome alors, selon le moyen :
1° que l’abus de position dominante par le refus ou les conditions restrictives de fourniture d’un produit ou d’un service n’est caractérisé que si cette prestation est effectivement indispensable à l’exercice d’une activité et qu’il n’existe aucune solution équivalente ; que France Télécom faisait valoir que la liste des abonnés au téléphone ne constitue pas une ressource essentielle pour les opérateurs de marketing direct, compte tenu non seulement de l’existence d’autres fichiers mais de l’absence de pertinence du critère de la dimension, la valeur d’un fichier résultant surtout de son » ciblage » ; qu’elle faisait valoir qu’il n’existe d’ailleurs pas de demande réelle des opérateurs ; que la circonstance que cette liste présente les qualités d’exhaustivité, de fraîcheur et de » marquage » des abonnés en liste orange et safran relevées par la cour d’appel ne suffisait pas à établir qu’elle revêt un caractère indispensable pour exercer une activité de marketing direct ; qu’en affirmant que cette liste constitue une ressource à laquelle aucune autre base de données ne peut être substituée, sans avoir constaté que les entreprises de marketing direct ne puissent effectivement exercer leur activité sans accéder à la liste des abonnés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome ;
2° que le marché, sur lequel une position dominante peut être exploitée abusivement, suppose l’existence d’une demande ; que France Télécom faisait valoir qu’il n’existe pas de demande réelle, de la part des détenteurs de fichiers de prospection non extraits de l’annuaire, de tri de leurs fichiers au regard de la liste orange ; que l’intérêt, pour ces derniers, d’un tel croisement, est en effet purement théorique, et que les détenteurs des plus gros fichiers externes ne lui en avaient jamais fait la demande ; qu’en affirmant que la conformité d’un fichier de prospection à la liste orange accroît sa valeur commerciale et que le croisement de ces fichiers avec la liste expurgée des abonnés présenterait un intérêt certain pour tous les opérateurs de marketing direct, sans rechercher, comme elle y était invitée, s’il existe effectivement une demande de leur part en ce sens, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome ;
3° que l’abus de position dominante par le refus ou les conditions restrictives de fourniture d’une prestation n’est caractérisé que si cette prestation est effectivement indispensable à l’exercice d’une activité ; que la cour d’appel a constaté que l’extraction, du fichier des abonnés au téléphone, des données se rapportant à ceux inscrits sur la liste orange, n’est indispensable, sous peine de sanctions pénales, qu’aux détenteurs de fichiers extraits de l’annuaire, tandis que pour les autres opérateurs de marketing direct, la conformité de leurs fichiers » externes » à la liste orange n’a pour effet que d’accroître la valeur commerciale de ces fichiers dont le croisement avec la liste expurgée des abonnés présenterait un » intérêt certain » ; qu’en estimant cependant que la mise en conformité de tout fichier avec la liste orange constituait une opération essentielle pour tous les opérateurs sur le marché du marketing direct, la cour d’appel a violé les articles 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome ;
Mais attendu que l’arrêt retient que les opérateurs de marketing direct ont besoin à la fois d’une base de données exhaustive à partir de laquelle ils peuvent constituer, après enrichissement de cette base, des fichiers spécifiques adaptés à la demande des clients, ainsi que d’une prestation de mise à jour des fichiers de prospection en vue d’atteindre le plus grand nombre possible de » prospects » et qu’ils ont tous intérêt à ce que ces listes soient expurgées des abonnés inscrits sur la liste orange dès lors que, même si l’interdiction formulée à l’article R. 10-1 du Code des postes et télécommunications ne s’impose qu’aux détenteurs de fichiers extraits des annuaires de France Télécom, la conformité d’un fichier avec la liste orange accroît sa valeur commerciale puisqu’elle assure à son utilisateur des gains de productivité, les personnes inscrites sur cette liste étant réputées insensibles à ce type de sollicitation ; que les juges en déduisent qu’il existe une demande portant sur l’accès à la liste des abonnés au téléphone envisagée dans sa fonction de fichier-source et dans celle, complémentaire, d’instrument de mise à jour de fichiers existants ; qu’ils ajoutent qu’à cet égard, les fichiers commercialisés par France Télécom présentaient des caractéristiques d’exhaustivité et de mise à jour permanente qui les rendaient incomparables, qu’aucun autre fichier disponible sur le marché n’était aussi important en taille, et que France Télécom, qui jouissait à l’époque considérée d’un monopole légal sur le marché des télécommunications entre points fixes, était la seule en mesure de fournir aux opérateurs la liste des abonnés au téléphone, tenue à jour et expurgée des noms des personnes figurant en liste orange ou safran ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision, a pu considérer que la liste des abonnés au téléphone ainsi expurgée constituait une ressource essentielle pour les opérateurs intervenant sur le marché des fichiers de prospection ; que les griefs ne sont pas fondés ;
Sur le même moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches :
Attendu que la société France Télécom fait le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1° que le producteur d’une base de données bénéficie d’une protection du contenu de cette base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de ce contenu atteste d’un investissement substantiel, et qu’il a le droit d’interdire tant l’extraction, par transfert permanent ou temporaire, de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base de données sur un autre support, que la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base, ces droits pouvant être transmis ou cédés ou faire l’objet d’une licence ; et que si la base de données est protégée durant quinze ans, la protection est renouvelée pour une nouvelle période de quinze ans à compter du moment où la base fait l’objet d’un nouvel investissement substantiel ; que le producteur d’une base de données protégée qui commercialise les fichiers extraits de cette base peut donc légitimement inclure dans ses prix de location ou de cession de fichiers, outre le coût de la prestation technique, le montant de ses droits ; que si la liste des abonnés au téléphone constitue bien une base de données dont France Télécom est le producteur et que cette base de données est protégée, compte tenu des investissements nécessaires à sa constitution, sa tenue et sa mise à jour, France Télécom était en droit d’intégrer dans ses tarifs de location ou de cession de fichiers extraits de l’annuaire, le montant de ses droits de propriété intellectuelle ; qu’en affirmant qu’il était inutile de prendre parti sur la prétention de France Télécom à la titularité de tels droits pour examiner le prix de ses services, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome ;
2° que l’ordre public concurrentiel exige qu’une entreprise qui fournit une prestation fasse supporter le coût de revient de celle-ci à l’ensemble de ses clients qui en ont l’utilisation ; qu’il serait ainsi anormal que l’investissement nécessaire à la tenue et la mise à jour de la base annuaire soit exclusivement supporté par certaines catégories de clients de France Télécom, et non par d’autres, en particulier les opérateurs de marketing direct ; qu’en se fondant, pour refuser à France Télécom le droit d’intégrer les coûts de collecte et de tenue de la base annuaire dans le prix de ses services Marketis et Teladresses, sur la circonstance que la charge nette imputable au titre du service universel serait nulle compte tenu des recettes générées par les annuaires et le service de renseignements téléphoniques, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Mais attendu que si le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une base de données peut légitimement prétendre à une rémunération, il ne peut, lorsque cette base de données constitue une ressource essentielle pour des opérateurs exerçant une activité concurrentielle, subordonner l’accès à cette base de données au paiement d’un prix excessif ; qu’en l’espèce, après avoir comparé la tarification du service Marketis (0,30 franc par adresse) avec celle pratiquée par le service Téladresses, notamment dans sa structure (0,60 franc pour un numéro à raison de 0,55 franc pour le copyright et 0,05 franc pour les frais techniques), ainsi qu’avec celle de la prestation de mise en conformité avec la liste safran (0,03 franc à 0,05 franc) et enfin avec celle demandée pour les 110 000 adresses contenues dans le fichier » Stop publicité « , fichier- » repoussoir » privé mis en place par des professionnels de la vente par correspondance (0,04 franc), la cour d’appel a estimé que le prix des prestations offertes par ce service était hors de proportion avec le coût des moyens techniques nécessaires pour accéder aux informations de la liste des abonnés expurgée ou à une prestation de tri permettant d’expurger les fichiers détenus par des tiers du nom des abonnés inscrits sur la liste orange ; qu’elle a aussi relevé qu’en l’absence de prestation de tri des fichiers pour la liste orange analogue à celle proposée pour la liste safran, les opérateurs étaient contraints de réactualiser l’ensemble de leurs fichiers par le rachat de toutes les adresses qu’ils contenaient au prix unitaire de 0,30 franc de telle sorte que France Télécom percevait, pour une opération marginale relative à une très faible fraction de la liste en cause, des droits assis artificiellement sur la totalité de la liste, sans rapport avec le coût de la prestation effectivement demandée ; qu’elle en a déduit que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur un éventuel droit de propriété intellectuelle de la société France Télécom sur la liste des abonnés au téléphone constituée par ses soins, les conditions tarifaires mises en oeuvre par cette société étaient de nature à fermer l’accès à la ressource de la liste des abonnés au téléphone nécessaire à l’établissement de la liste de prospection ; qu’en l’état de ces seuls motifs, et dès lors que France Télécom ne soutenait pas que la liste orange engendrât des coûts supérieurs à la liste safran, la cour d’appel, qui a caractérisé à la charge de France Télécom une tarification à un prix sans rapport raisonnable avec le coût de la prestation fournie, constitutive d’abus de position dominante, a légalement justifié sa décision et le moyen qui, en sa dernière branche, vise un motif surabondant de l’arrêt, relatif aux ressources perçues au titre du service universel, ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société France Télécom reproche encore à l’arrêt de lui avoir infligé une sanction pécuniaire de 10 000 000 francs alors, selon le moyen, que, pour fixer le montant de la sanction pécuniaire, les juges doivent prendre en considération la gravité des faits, l’importance du dommage causé à l’économie, la situation financière de l’entreprise et la dimension de celle-ci ; qu’en se fondant sur des considérations générales et abstraites, relatives au caractère prétendument essentiel, pour l’activité de marketing direct, de la possibilité d’expurger ses fichiers des informations relatives aux abonnés inscrits sur la liste orange, sans énoncer le moindre élément factuel permettant de déterminer l’ampleur concrète, sur le marché des fichiers de prospection, des pratiques anticoncurrentielles reprochées à France Télécom, des dommages qu’elles auraient causés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que l’arrêt retient que, loin d’être fortuites ou occasionnelles, les pratiques considérées ont eu pour objet de restreindre l’accès au marché des fichiers de prospection et de faire obstacle au développement technologique de ce marché ; qu’en l’état de ces motifs caractérisant l’ampleur des pratiques et l’atteinte à l’économie qui en résultait, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que la société France Télécom reproche enfin à l’arrêt de lui avoir enjoint, jusqu’à la mise en service de l’organisme prévu à l’article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications, chargé de tenir à jour la liste de l’annuaire universel, de fournir, dans des conditions identiques, à toute personne qui lui en fait la demande, la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l’annuaire universel, et de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers concernant des données nominatives détenus par des tiers avec la liste orange des abonnés au téléphone, que ces fichiers soient ou non directement extraits de la base annuaire, et d’avoir dit que ces prestations devront être proposées dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à cette demande, à l’instar, s’agissant de prestation de déduplication ou topage, de la prestation de mise en conformité des fichiers externes avec la liste safran et la déduplication ou le topage de ces fichiers, alors, selon le moyen :
1° que les injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence ou la cour d’appel de Paris doivent découler directement des pratiques qu’ils ont considérées comme prohibées, et qu’ils ne peuvent ordonner à une entreprise de fournir une certaine prestation qu’à la condition d’avoir préalablement constaté que le fait, pour cette entreprise, de ne pas offrir cette prestation à ses clients constituait un abus de position dominante ; qu’en l’espèce, les faits considérés par la cour d’appel comme constitutifs d’abus de position dominante étaient exclusivement, d’une part, l’absence de proportion du prix du service Marketis avec le coût des moyens techniques nécessaires pour accéder aux informations de la liste expurgée ou à une prestation de tri, d’autre part, l’obligation pour l’utilisateur du service Marketis souhaitant expurger à nouveau son fichier de payer le prix du rachat de toutes les adresses, enfin, l’absence d’imputation, à l’occasion de la commercialisation des fichiers de Téladresses, de charges d’accès à la liste expurgée des abonnés équivalentes à celles supportées par les utilisateurs de Marketis ; qu’en prononçant à l’encontre de France Télécom des injonctions non limitées aux mesures nécessaires pour mettre fin à ces trois pratiques strictement relatives aux conditions tarifaires des services Marketis et Téladresses, et en enjoignant à France Télécom de fournir la liste des abonnés et de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers détenus par des tiers avec la liste orange, la cour d’appel a violé l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
2° que si le Conseil de la concurrence et la cour d’appel de Paris peuvent ordonner aux intéressés de s’abstenir désormais de mettre en oeuvre les pratiques dénoncées, voire de procéder à des modifications dans ces pratiques ou dans des clauses contractuelles, ils ne peuvent ordonner à une entreprise de fournir une prestation à ses concurrents que si cette dernière est indispensable à l’exercice de leur activité ; que la cour d’appel a relevé que, si l’accès à une prestation de topage est indispensable pour les opérateurs exploitant des fichiers extraits de la liste des abonnés, pour les autres, » la conformité d’un fichier de prospection à la liste orange, quelle qu’en soit la source, accroît sa valeur commerciale en assurant à son utilisateur des gains de productivité ; que le croisement de ces fichiers avec la liste expurgée des abonnés présente donc un intérêt certain pour les opérateurs de marketing direct » ; qu’en enjoignant cependant à France Télécom de fournir une telle prestation à toute personne en faisant la demande, la cour d’appel a violé l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
3° que la sanction de l’ordre public concurrentiel ne saurait justifier d’encourager et de faciliter des pratiques illégales ; que France Télécom faisait valoir qu’elle ne pouvait être contrainte de rendre conformes avec la liste orange, et donc légalement exploitables, des fichiers qui auraient été illicitement constitués par télédéchargement parasitaire de sa base de données ; qu’en affirmant que l’invocation par France Télécom du caractère illicite du télédéchargement de l’annuaire électronique était inopérante et en l’obligeant à proposer à toute personne, même à celle ne pouvant justifier de la manière dont elle aurait acquis ses fichiers, la mise en conformité de ceux-ci avec la liste orange, la cour d’appel a violé l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
4° que la circonstance que des informations soient publiques ne fait pas obstacle à ce que la personne qui les recueille et les rassemble ait un droit de propriété intellectuelle sur la base de données qu’elle a constituée et que si le public a un accès gratuit, dans des conditions déterminées, aux informations contenues dans cette base, ce moyen d’accès ne peut être détourné dans le but parasitaire de constituer des fichiers en vue de leur exploitation commerciale ; qu’en se fondant sur le caractère public des informations contenues dans la liste des abonnés au téléphone pour dire que le télédéchargement ne serait pas illicite, et qu’elle pourrait par suite enjoindre à France Télécom de fournir aux » télédéchargeurs » le moyen d’expurger leurs fichiers de la liste orange, la cour d’appel a violé l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
5° que le producteur d’une base de données protégée qui commercialise les fichiers extraits de cette base peut légitimement inclure dans ses prix la cession ou la licence d’usage de ses droits ; que si la liste des abonnés au téléphone constitue bien une base de données dont France Télécom est le producteur au sens des dispositions précitées, et que cette base de données est protégée, compte tenu des investissements que rend nécessaires sa mise à jour, France Télécom peut légitimement tenir compte, dans ses tarifs de location ou de cession de fichiers extraits de l’annuaire, de ses droits de propriété intellectuelle ; qu’en lui enjoignant de fournir la liste comportant les informations contenues dans l’annuaire universel, et de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers détenus par des tiers avec la liste orange, ce à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires, la cour d’appel a violé l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, ensemble les articles L. 341-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que l’arrêt a retenu à la charge de la société France Télécom un abus de position dominante ayant consisté à entraver, notamment par des pratiques de prix excessifs et discriminatoires, l’accès à la liste des abonnés au service téléphonique expurgée de ceux inscrits en liste orange, ressource essentielle pour toutes les entreprises de marketing, et relevé que la liste orange ne pouvant, par nature, pas être divulguée, France Télécom ne pouvait que proposer des listes d’abonnés expurgées de ceux inscrits sur cette liste ou proposer une prestation de mise en conformité des fichiers externes avec la liste orange ; qu’en cet état, et dès lors qu’en vertu de l’article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications, la société France Télécom est tenue, jusqu’à la mise en service de l’organisme prévu par ce texte, de mettre à la disposition de toute personne qui lui en fait la demande la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l’annuaire universel à un prix reflétant les coûts, la cour d’appel a pu prononcer l’injonction visée au moyen qui, seule, était de nature à mettre un terme aux pratiques condamnées ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses cinq branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.