Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS 1ère chambre, section H ARRET DU 4 JANVIER 2000 AUDIENCE SOLENNELLE (N , 8 pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 1999/15649 Pas de jonction Décision dont recours : Decision n°96-D-10 du Conseil de la concurrence en date du 20/02/1996 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : REJET DEMANDEUR AU RECOURS : M. LE MINISTRE DE X…, représenté aux débats par Mme F. Y…, munie d’un mandat régulier 59 BD VINCENT AURIOL Télédoc 031 75703 PARIS CEDEX 13 DEFENDERESSE AU RECOURS : Ste FRANCE TELECOM prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 6 Place d’Aleray 75505 PARIS représentée par la SCP VALDELIEVRE-GARNIER, avoué assistée de Maître Joùlle SALZMANN, Toque T 03, Avocat au Barreau de PARIS APPELEE EN CAUSE : Maître Véronique BECHERET, mandataire judiciaire, ès-qualités de liquidateur Judiciaire de la société COMMUNICATION MEDIA SERVICES (CMS), domiciliée 3-5-7, Avenue Paul Doumer, 92500 RUEIL MALMAISON assistée de Maître Michel BAZEX, Avocat au Barreau de PARIS, SCP LAFARGE-FLECHEUX-CAMPANA-LE BLEVENNEC, Toque P 209 COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Madame FAVRE, Président Madame RENARD-PAYEN, Président Madame PINOT, Président Monsieur HASCHER Monsieur REMENIERAS Z… : Lors des débats : Madame de PEINDRAY d’AMBELLE, Z… Lors du prononcé de l’arrêt :
Madame A…, Z… en Chef MINISTERE PUBLIC :
Monsieur B…, Substitut Général ARRET : Prononcé publiquement le QUATRE JANVIER DEUX MILLE, par Madame FAVRE, Président, qui en a signé la minute avec Madame A…, Z… en Chef.
Par décision n° 96-D-10 du 20 Février 1996, le Conseil de la
concurrence a enjoint à la société O.D.A. de cesser de consentir des remises de couplage aux annonceurs pour l’achat d’espaces publicitaires dans « les pages jaunes locales » et dans les « pages jaunes départementales » et a infligé à cette société une sanction pécuniaire de 10 millions de francs.
Par arrêt du 6 Avril 1999, la Cour de cassation, chambre commerciale financière et économique :
– a cassé et annulé, en ses dispositions relatives à la société FRANCE TELECOM, l’arrêt rendu le 18 Février 1997 par lequel cette cour, réformant pour partie la décision du Conseil de la concurrence ci-dessus rapportée, et faisant droit au recours incident de la Société COMMUNICATION MEDIA SERVICE – C.M.S – a décidé, notamment, que la société FRANCE TELECOM devait être sanctionnée pour exploitation abusive d’une position dominante ;
– remis la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant cette Cour autrement composée ;
LA COUR,
Vu la déclaration de saisine déposée le 28 Juillet 1999 par laquelle le Ministère chargé de l’Economie et des Finances demande à la Cour de qualifier la pratique de FRANCE TELECOM d’abus de position dominante au sens des dispositions de l’article 8 de l’ordonnance du 1er Décembre 1986 et de prononcer une sanction pécuniaire en application de l’article 13 de cette ordonnance ;
Vu les conclusions déposées le 25 Octobre 1999 par lesquelles la société FRANCE TELECOM demande à la Cour de :
– déclarer le recours du Ministre irrecevable ;
– constater que la politique éditoriale qui lui est est reprochée n’est pas constitutive d’un abus de position dominante ;
– condamner le Ministre à lui payer la somme de 200.000 Francs au
titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Vu les écritures déposées le 2 Novembre 1999 par lesquelles le Ministre de l’Economie et des Finances réplique à cette société, d’une part sur la recevabilité de la déclaration de saisine de la Cour et, d’autre part, sur l’existence d’un abus de position dominante ;
Vu les conclusions en réplique de la société FRANCE TELECOM déposées le 9 Novembre 1999 ;
Vu les conclusions déposées le 10 Novembre 1999 par lesquelles Maître BECHERET, es-qualité de liquidateur de la société COMMUNICATION MEDIA SERVICE demande à la Cour de :
– réformer la décision du Conseil de la concurrence du 20 Février 1996 en ce qu’elle a mis hors de cause FRANCE TELECOM ;
– constater l’existence de pratiques anticoncurrentielles lors de la mise en oeuvre de la politique éditoriale ainsi qu’à l’occasion de la définition des conditions tarifaires de la vente des espaces publicitaires ;
– condamner FRANCE TELECOM à une sanction pécuniaire prévue par l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
– condamner par ailleurs cette société à lui verser la somme de 15.000 Francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Vu la note déposée le 28 Octobre 1999 par laquelle le Conseil de la Concurrence a fait connaître qu’il n’entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites ;
Le ministère public ayant été entendu à l’audience en ses observations orales tendant à la réformation de la décision critiquée en ce qui concerne l’analyse du comportement de FRANCE TELECOM et à lui faire application des dispositions des articles 8 et 13 de l’ordonnance du 1er Décembre 1986 ; SUR CE, LA COUR,
Sur la procédure
1) En ce qui concerne la recevabilité de la déclaration de saisine du Ministre de l’Economie et des Finances
Considérant que la société FRANCE TELECOM soutient, à l’appui de ses conclusions d’irrecevabilité, que le Ministre qui ne formule aucune critique précise à l’encontre de la décision du Conseil de la concurrence demande, en réalité la confirmation de l’arrêt de cette Cour, partiellement annulé, du 18 Février 1997 ;
Mais considérant que la déclaration de saisine, qui vise expressément la décision du Conseil, demande à la Cour de constater l’existence d’une pratique pouvant être qualifiée d’abus de position dominante et de prononcer une sanction pécuniaire à l’encontre de l’entreprise défenderesse ; qu’il s’ensuit que cette déclaration a ainsi clairement pour objet la réformation de la décision critiquée qui n’a infligé une sanction pécuniaire qu’à la société O.D.A., et qu’elle est, dès lors, parfaitement recevable ;
2) En ce qui concerne les conclusions de Maître BECHERET
Considérant qu’aux termes de l’article 10 du décret du 23 Mars 1990, le Premier Président ou son délégué fixe les délais dans lesquels les parties à l’instance doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au Greffe de la Cour ;
Considérant, en l’espèce, que selon l’ordonnance du délégué du Premier Président du 29 Septembre 1999, un délai au 25 Octobre 1999 était imparti à la société C.M.S. pour déposer ses observations ;
Qu’il s’ensuit que les conclusions déposées par le liquidateur de cette société le 10 Novembre 1999 doivent être d’office écartées des débats ;
Sur le fond
Sur le marché pertinent
Considérant que FRANCE TELECOM admet désormais que l’édition des annuaires constitue, en soi, un marché pertinent ; qu’il suffit, à cet égard, de rappeler que le Conseil de la concurrence a parfaitement défini d’une part, l’existence d’un marché de l’édition des annuaires professionnels destiné aux abonnés au téléphone, sur lequel opère FRANCE TELECOM et, d’autre part, un marché de la vente d’espaces publicitaires dans lesdits annuaires, sur lequel opère ODA, ainsi que la zone géographique ; qu’il convient dès lors, sur le point, de se référer à la décision attaquée pour en adopter les motifs ;
Sur la position dominante de France Télécom
Considérant que pour faire application des dispositions de l’article 8 (1) de l’ordonnance du 1er décembre 1986 à l’égard de FRANCE TELECOM, il convient d’établir le pouvoir de cette entreprise de faire obstacle à une concurrence effective sur le marché en cause ;
Considérant qu’en l’espèce, le Conseil de la Concurrence pour conclure que cette entreprise disposait, au moment des faits, d’une position dominante sur le marché de l’édition des annuaires dans la zone géographique considérée a relevé, notamment, que selon les chiffres non contestés par les parties versés au dossier, France Télécom a édité 605 710 exemplaires de l’édition 1992 des pages jaunes départementales dans le département des Yvelines et 220 641 exemplaires de l’édition 1992 des pages jaunes locales dans la région de VERSAILLES ;
Qu’elle a également édité 810 000 exemplaires de l’édition 1992 des pages jaunes départementales dans le département des Hauts de Seine ; que pour sa part la Société CMS a édité 230 000 exemplaires de l’édition 1992 de l’Annuaire Soleil dans la région de VERSAILLES, zone dans laquelle cet annuaire se trouvait, pour une part
essentielle, confronté à la concurrence des Pages Jaunes départementales des Yvelines ou de celles des Pages Jaunes départementales des Hauts de Seine et de l’Essonne ainsi que celles des Pages Jaunes locales de France Télécom ; que cette entreprise bénéficie de l’ancienneté de la position d’opérateur public et de moyens financiers sans commune mesure avec ceux de la société CMS, de création récente ;
Considérant que contrairement à ce que soutient l’entreprise défenderesse, la référence au nombre d’annuaires édités dans le cadre départemental, plus large que la zone géographique de VERSAILLES, constitue un des critères pertinents pour apprécier son poids économique et ainsi sa position dominante, dans cette zone ; qu’en outre, le Conseil ne s’est, comme cela vient d’être rappelé, pas borné à l’analyse de ce seul critère ;
Considérant que de ces éléments de fait, non sérieusement contestables, le Conseil de la Concurrence a pu justement déduire que FRANCE TELECOM occupait sur le marché de l’édition des annuaires destinés aux abonnés du téléphone une position dominante, au sens du texte précité, dans la zone géographique considérée ;
Sur l’abus de position dominante :
Considérant que le grief d’abus de position dominante notifié à FRANCE TELECOM à la suite de la saisine du Conseil visait exclusivement sa décision d’éditer un annuaire local dans la même zone et au même moment que celui édité par la Société CMS ;
Considérant que le Conseil a, pour sa part, estimé à ce sujet, « que le simple fait que France Télécom ait lancé un nouvel annuaire au même moment que son concurrent CMS dans la zone de VERSAILLES n’est pas suffisant pour constituer en soi un abus de position dominante au sen de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 » ;
Considérant qu’un tel grief était distinct de celui qui a été notifié à la Société ODA puis jugé fondé par les dispositions non annulées de l’arrêt rendu par cette cour ; qu’il visait, en effet, la pratique du « couplage » consistant à lier les ventes des espaces publicitaires dans les pages jaunes locales et les pages jaunes départementales ;
Considérant que le ministre de l’économie et des finances maintient néanmoins que la politique éditoriale de France Télécom est, en soi, constitutive d’un abus de position dominante, dès lors que cette entreprise a choisi de lancer son nouvel annuaire selon un découpage géographique retenu par la société CMS « nouvel entrant » sur le marché, sans prise de risque financier et sans véritable cohérence avec sa stratégie commerciale de diversification ;
Considérant cependant qu’il n’est ni allégué ni établi que la défenderesse ait participé de façon concrète aux initiatives de la société ODA, qui commercialisait les espaces publicitaires figurant dans les annuaires incriminés, en accordant aux professionnels, avec cette entreprise, des avantages financiers tels que « remises couplées » pour faire échec au développement de la Société CMS ;
Considérant, dès lors, que l’analyse des caractéristiques sus évoquées de la politique éditoriale de la défenderesse, au demeurant formellement constestées par celle-ci, n’apparait pas de nature à faire échec aux conclusions du conseil qui à, juste titre, estime que le lancement simultané d’un nouvel annuaire dans la zone étudiée ne constituait pas, en soi, un abus de position dominante ; qu’il s’ensuit que le recours en réformation du ministre de l’Economie et des Finances doit être rejeté ;
Sur la demande formée au titre de l’article 700 du NCPC
Considérant que l’équité ne commande pas d’allouer à France Télécom une somme au titre des frais non compris dans les dépens ; PAR CES MOTIFS
Statuant sur renvoi après cassation ;
Déclare recevable la déclaration de saisine du ministre de l’Economie et des Finances ;
Ecarte des débats les écritures de maître BECHERET, liquidateur de la société CMS ;
Rejette le recours formé par le Ministre de l’Economie et des Finances ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du NCPC.
Condamne le requérant aux dépens.
LE Z…, LE PRESIDENT,