Cour d’appel de Paris, du 30 avril 2002

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Cour d’appel de Paris, du 30 avril 2002

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS 1ère chambre, section H ARRET DU 30 AVRIL 2002 (N , 7 pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 2001/19854 Pas de jonction Décision dont recours : décision n° 01-D-66 du Conseil de la concurrence en date du 10/10/2001 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : REJET DEMANDEUR AU RECOURS : – Monsieur LE MINISTRE DE X… – DGCCRF -, ayant son siège BAT.5, 59, boulevard Vincent Auriol – 75703 PARIS CEDEX 13 Représenté par Madame Y…, munie d’un pouvoir spécial DEFENDERESSE AU RECOURS : – La Société FRANCE TELECOM prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 6, Place d’Alleray – 75505 PARIS CEDEX 15 Représentée par la SCP GIBOU-PIGNOT-GRAPPOTTE-BENETREAU, avoués, 201, rue Lecourbe – 75015 PARIS Assistée de Maître Christophe CLARENC, Avocat au Barreau de PARIS, Cabinet LATHAM & WATKINS, 154, rue de l’Université – 75007 PARIS COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Madame Z…, Présidente Monsieur LACABARATS, Président Monsieur LE DAUPHIN, Conseiller GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l’arrêt, Madame A…, Greffier MINISTERE PUBLIC : Monsieur B…, Substitut Général ARRET :

Prononcé publiquement le TRENTE AVRIL DEUX MIL DEUX, par Madame Z…, Présidente, qui en a signé la minute avec Madame A…, Greffier.

Par lettre enregistrée le 18 août 2000, le ministre chargé de l’Economie, des Finances et de l’Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques commerciales mises en oeuvre par la société FRANCE TELECOM à l’occasion d’une offre sur mesure conclue, en 1998, avec la société RENAULT.

Par décision n° 01-D-66 du 10 octobre 2001 le Conseil de la concurrence a estimé qu’il n’était pas établi que FRANCE TELECOM aurait enfreint les dispositions de l’article L.420-2 du Code de commerce et abusé de sa position dominante, estimant qu’il n’était pas démontré que l’offre sur mesure (OSM), signée le 31 mars 1998 avec la société RENAULT, aurait comporté des remises de couplage entre les différentes prestations de téléphonie ou aurait subordonné les conditions générales de cette offre à l’obtention de la totalité du trafic concerné.

LA COUR,

VU le recours en annulation et en réformation formé par le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, le 12 novembre 2001, à l’encontre de cette décision ;

VU le mémoire contenant l’exposé des moyens du requérant, déposé le 11 décembre 2001, et le mémoire en réplique déposé le 22 février 2002 par lesquels le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie demande à la Cour :

– d’annuler la décision du Conseil de la concurrence et de statuer à nouveau,

– de qualifier au regard de l’article L.420-2 du Code de commerce l’offre sur mesure présentée par FRANCE TELECOM à la société RENAULT, – de sanctionner cette pratique en infligeant à FRANCE TELECOM une sanction pécuniaire d’au moins 76.224,50 euro ;

VU les observations déposées, le 8 février 2002, par la société FRANCE TELECOM et celles déposées, le 13 février 2002, par le Conseil de la concurrence, qui tendent au rejet du recours, la société FRANCE TELECOM sollicitant paiement d’une somme de 10.000 francs au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

VU les conclusions orales du ministère public tendant aux mêmes fins

;

SUR CE :

Considérant que la loi du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications a ouvert à la concurrence, au plan national, à compter du 1er janvier 1998, les services de communications téléphoniques fixes dont FRANCE TELECOM détenait jusqu’alors le monopole légal ; que son cahier des charges, approuvé par décret n° 96-1225 du 26 décembre 1996, prévoit les conditions lui permettant de déroger à la procédure d’homologation de ses tarifs par le recours à des offres sur mesure (OSM) lorsque la spécificité technique ou commerciale de la demande le justifie ; qu’il en est ainsi des demandes spécifiques des entreprises « grand compte » qui reposent sur des volumes de trafic entraînant pour l’opérateur des économies d’échelle importantes justifiant des réductions de prix, éventuellement à l’issue de mises en concurrence ; que pour être valable l’OSM ne doit pas comporter de couplage entre des segments en concurrence et des segments en monopole, en l’occurrence entre téléphonie longue distance – nationale ou internationale – et téléphonie locale ; que l’ART doit au surplus être informée des conditions techniques et financières de ces offres préalablement à leur signature ;

Considérant que la société RENAULT, sous contrat jusqu’au 1er avril 1998 avec FRANCE TELECOM pour la totalité de son trafic national de téléphonie et avec CEGETEL pour la totalité de son trafic international et de son trafic fixe vers mobiles, a entrepris, fin 1997, de négocier avec ces deux opérateurs l’ensemble de ses communications – locales, de voisinage, interurbaines et internationales – indiquant notamment qu’elle souhaitait que l’ensemble de son périmètre soit pris en compte avec un système tarifaire unique, simple et lisible pour les entités qui en

bénéficient ;

Considérant que des offres ont été formulées, en janvier et février 1998, par chacun des deux opérateurs consultés ;

Que la proposition finale de FRANCE TELECOM a été transmise par celle-ci, le 16 mars 1998, à l’ART qui a reconnu la spécificité de la demande et n’a formulé aucune critique ou réserve quant aux conditions accordées ;

Que le contrat signé entre RENAULT et FRANCE TELECOM, le 31 mars 1998, pour une durée d’un an, porte sur le trafic local et de voisinage et sur 80 % du trafic national, celui signé avec CEGETEL portant sur la totalité du trafic international et du trafic fixe vers mobiles et sur 20 % du trafic national de RENAULT ;

Considérant qu’il n’est pas contesté qu’au 1er trimestre 1998, en raison de l’absence de dégroupage de la boucle locale ou d’autres moyens alternatifs et de l’assimilation par l’ART des contours de la zones locale de tri (ZLT) à celle du département, FRANCE TELECOM détenait un quasi monopole sur les communications dites locales et de voisinage et se trouvait seule en mesure de présenter une offre intra-départementale pour l’ensemble des sites de la société RENAULT ; qu’à la suite à l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications à compter du 1er janvier 1998, quelques opérateurs avaient déployé des réseaux longue distance leur permettant de la concurrencer sur les marchés des communications nationales ;

Considérant que le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie prétend qu’alors qu’elle était le seul opérateur à disposer d’une infrastructure permettant de présenter, pour le trafic intra-départemental, une offre pour l’ensemble des sites RENAULT, FRANCE TELECOM a mis en oeuvre une pratique consistant à coupler dans une même offre des services fournis en situation de quasi monopole (à savoir les acheminements du trafic intra-départemental) à des

services ouverts à la concurrence, liant, selon lui, son offre globale à un engagement de lui confier 80 % du trafic national ;

Qu’il reproche au Conseil d’avoir limité son contrôle aux seules énonciations du contrat conclu le 31 mars 1998 avec FRANCE TELECOM ou à sa présentation formelle et d’avoir omis de constater, au regard notamment des déclarations faites par FRANCE TELECOM par procès-verbal du 9 avril 1999, des termes de ses propositions des 4 et 17 décembre 1999 et de son offre définitive du 5 février 1998, que l’OSM, présentée avec des grilles de réduction propres à chaque type de trafic téléphonique (local, voisinage, interurbain) a été comprise, tant par FRANCE TELECOM que par RENAULT, comme une offre globale comportant des engagements de consommation globaux portant non pas sur chaque trafic séparément, mais au moins, par certains aspects, sur la somme de trafic correspondant à des marchés différents ;

Qu’il ajoute que si l’offre sur mesure de FRANCE TELECOM n’a pas empêché CEGETEL d’obtenir 20 % du marché (qu’il lui paraît difficile de qualifier à la suite du Conseil de partie substantielle) elle n’a pas permis à celle-ci, nouvel entrant sur le marché de la téléphonie longue distance national, d’obtenir la totalité de ce qu’elle avait proposé dans son offre du 18 février 1998, mais a permis à FRANCE TELECOM de capter 80 % du marché des communications interurbaines en dépit de tarifs moins intéressants que ceux de son principal concurrent ;

Que cette pratique caractérise selon lui un abus de position dominante prohibée par l’article L.420-2 du code de Commerce qui doit être sanctionné ;

Mais considérant que FRANCE TELECOM lui objecte pertinemment que si l’offre globale qu’elle a formulée visait l’ensemble du trafic téléphonique de RENAULT, en réponse à la sollicitation de cette

dernière, elle n’en a pas moins parfaitement distingué, dans les offres qui ont été faites, les différents types de trafic concernés – local, de voisinage et national – et pour chacun de ces trois types, les niveaux de réduction tarifaire consentis et les engagements distincts de volumes minimum proposés ;

Que les pénalités prévues au contrat du 31 mars 1998 en cas de non respect des conditions du trafic local et de voisinage, d’une part, et du trafic interurbain, d’autre part, ont été fixées segment par segment, contrairement au contrat de 1999, sanctionné par une autre décision, invoquée en vain par le requérant ;

Que le procès-verbal d’audition du responsable des questions tarifaires de FRANCE TELECOM de 1999, s’il révèle l’existence de cette offre globale, ne comporte pas pour autant d’engagements globaux sur les trois volets correspondant aux trois types de trafics en cause ;

Que dans son avis n° 00-1333 rendu à la demande du Conseil, l’ART a d’ailleurs elle-même souligné que si l’engagement de l’a société RENAULT a porté sur un montant global de 70 millions de francs, cet engagement était toutefois décomposé en trois volets portant respectivement sur le trafic local, voisinage et national, ajoutant qu’il ne paraissait pas clairement établi que la remise accordée sur chaque segment ait été subordonnée à un engagement global du client sur les trois volets et précisant que les tarifs proposés avaient, semblait-il, durant la négociation, été décomposés selon chaque palier forfaire, ce que les éléments du dossier ne permettent pas de contredire ;

Que le Conseil a également justement relevé que l’engagement global reproché était d’autant moins établi que les remises consenties par FRANCE TELECOM sur chaque segment de trafic, après que RENAULT ait pris la décision d’attribuer une partie du trafic national à CEGETEL,

étaient plus avantageuses que celles qui avaient été proposées, le 17 décembre 1997, à une époque où cette proposition concernait l’ensemble des trafics téléphoniques de l’entreprise ;

Que la preuve d’un engagement global n’est donc pas, en l’espèce, rapportée ;

Considérant que FRANCE TELECOM fait par ailleurs justement valoir qu’il ne peut valablement lui être reproché d’avoir freiné le développement des offres concurrentes alors que RENAULT en 1998 n’a fait appel qu’aux deux opérateurs susvisés, qu’elle a perdu, en un an, 15 % du marché qui venait de s’ouvrir à la concurrence et que la convention critiquée n’avait été conclue que pour une durée de un an ;

Qu’elle souligne, à juste raison, le fait que la décision de RENAULT de ne pas confier à CEGETEL plus de 20 % de son trafic national résultait directement de considérations techniques liées, à l’époque, aux limites du réseau de cette dernière qui ne lui permettait pas, au plan technique et économique, de lui offrir un service compétitif à l’exception des sites de BOULOGNE et VENISSIEUX qui lui ont été effectivement confiés ;

Qu’au surplus, les 20 % du trafic national remportés par CEGETEL apparaissent d’autant moins négligeables qu’ils se sont accompagnés de la totalité du trafic international et du trafic fixe vers mobiles ;

Que le Conseil a exactement estimé, dans de telles conditions, que l’OSM présentée par FRANCE TELECOM à RENAULT ne caractérisait pas un abus de position dominante, et que celle-ci n’avait pas enfreint les dispositions de l’article L.420-2 du Code de commerce ;

Qu’il convient, en conséquence, de rejeter le recours ;

Qu’il n’y a lieu de faire droit à la demande formée par la société FRANCE TELECOM au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure

civile ;

PAR CES MOTIFS,

REJETTE le recours,

Dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile

Dit que les dépens de la présente instance resteront à la charge du Trésor public.

GREFFIER

PRESIDENT


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