Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS 1ère chambre, section H ARRET DU 18 FÉVRIER 2003
(N , 9 pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 2002/14535 Pas de jonction Décision dont recours : décision n° 02-D-44 du Conseil de la concurrence en date du 11 juillet 2002 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : REJET DEMANDERESSE AU RECOURS :
La COMPAGNIE GENERALE DES EAUX prise en la personne de son gérant Ayant son siège 52, rue d’Anjou – 75008 PARIS Représentée par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoués, 23, rue du Louvre – 75001 PARIS Assistée de Maître R. SAINT-ESTEBEN, 130, rue du Fbg Saint-Honoré – 75008 PARIS, toque T 12 DEFENDERESSE AU RECOURS : La SOCIÉTÉ D’AMÉNAGEMENT URBAIN ET RURAL (SAUR) prise en la personne de son président Ayant son siège 1, avenue Eugène Feyssinet – 78280 GUYANCOURT Représentée par la SCP MONIN, avoué, 1, rue de la Néva – 75008 PARIS Assistée de Maître Xavier HENRY, SCP VOGEL & VOGEL, 30, avenue d’Iéna – 75116 PARIS, toque P 151 EN PRESENCE : du Ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, Représenté aux débats par Monsieur X…, muni d’un mandat régulier. COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Madame RIFFAULT-SILK, Président Monsieur CARRE-PIERRAT, Président Monsieur SAVATIER, Conseiller GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l’arrêt, Madame Y…, Greffier DEBATS : A l’audience du 14 janvier 2003 MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Z… a déposé des observations écrites en début d’audience ARRET : Prononcé publiquement le DIX HUIT FÉVRIER DEUX MIL TROIS, par Madame RIFFAULT-SILK, Président, qui en a signé la minute avec Madame Y…, Greffier.
* * * Après avoir, à l’audience publique du 14 Janvier 2003, entendu le conseil des parties, les observations de Monsieur le représentant du Ministre chargé de l’Economie, le Ministère public ayant déposé des observations écrites en début d’audience et le conseil des
parties ayant eu la possibilité de répliquer ; Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours;d’annuler la décision attaquée (articles 2 et 3) et l’ensemble de la procédure la concernant, au motif que le Conseil a violé le principe d’impartialité, le droit à un procès équitable et les droits de la défense inscrits notamment à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, quatre membres du Conseil sur les huit membres composant sa formation ayant précédemment participé au délibéré de l’avis rendu le 31 mai 2000 sur les mêmes faits qui
loin de constituer un avis général sur la structure et le fonctionnement du marché de l’eau, comportait déjà une appréciation négative sur les faits précis évoqués dans la décision attaquée ainsi que sur les filiales communes des deux sociétés nommément désignées, et recommandait à ces entreprises de ne plus associer leurs moyens dans le domaine de la gestion de la distribution de l’eau, le même rapporteur désigné dans ces deux procédures, ayant lui aussi manqué de l’impartialité objective indispensable, ces vices entachant non seulement la décision elle-même mais toute la procédure et notamment l’autosaisine,encore plus subsidiairement, d’annuler son article 3, -pour violation des droits de la défense et du principe du contradictoire, le Conseil ayant fait d’office application de l’article L. 430-9 du Code de commerce soit de dispositions applicables aux concentrations alors qu’il ne s’était saisi que de pratiques anticoncurrentielles, -en tout état de cause, du fait que le texte susvisé ne peut s’appliquer aux filiales communes créées par la CGE et la SLDE, s’agissant d’opérations antérieures de plusieurs décennies à l’entrée en vigueur de ladite réglementation, Vu les observations, déposées le 25 novembre 2002 par lesquelles la société d’Aménagement Urbain et Rural (SAUR), déclare que contrairement aux affirmations de la requérante, elle-même n’est
aucunement un » opérateur national « , la plupart de ses délégations n’étant implantées que dans les marchés locaux des petites et moyennes communes de moins de 100.000 habitants à la seule exception de la ville de Nîmes et son taux de pénétration sur le marché ne dépassant pas 8 %, et ajoute que l’amalgame tenté par la société CGE entre leurs deux comportements est erroné, leurs positionnements respectifs sur le marché ne pouvant être comparés, Vu les observations déposées le 21 octobre 2002 par le ministre chargé de l’économie concluant au rejet du recours, l’avis général rendu le 31 mai 2000 ne pouvant être considéré comme un » pré-jugement » des pratiques examinées dans la décision attaquée, demandant subsidiairement à la Cour, dans le cas d’une annulation de la décision, de se prononcer sur les griefs notifiés à la requérante qu’il estime établis, enfin de constater que l’application de l’article L. 430-9 du Code de commerce relèvent sans ambigu’té des compétences propres exercées par le Conseil pour faire cesser des situations d’abus de position dominante, la décision ne pouvant être considérée comme faisant grief sur ce point dès lors qu’il appartient au ministre de déterminer le contenu et les modalités de l’injonction qu’il lui est demandé de prononcer, Vu les observations écrites déposées le 21 octobre 2002 par le Conseil de la concurrence, observant notamment que les avis qu’il rend dans le cadre de ses attributions consultatives sont dépourvues d’appréciations concrètes des pratiques anticoncurrentielles visées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, et que s’agissant de l’application de l’article L. 430-9 du même Code, le principe du contradictoire et des droits de la défense a été respecté dès lors que la notification de griefs et le rapport notifié aux parties contiennent les éléments d’accusation sur le chef d’abus de position dominante qui constitue le fondement de son application, Vu les observations orales
développées par le Ministère Public, concluant au rejet du recours, La requérante ayant pu répliquer à l’ensemble des observations présentées lors de l’instruction écrite et à l’audience, ************* Sur ce, la Cour Sur la violation du principe d’impartialité, du droit à un procès équitable et des droits de la défense Considérant que la société CGE soulève un moyen de nullité tiré de la présence dans la formation statuant sur cette affaire de quatre membres du Conseil, qui avaient précédemment délibéré sur l’avis rendu par la même autorité le 31 mai 2000 sur les mêmes faits » précis et circonstanciés « , un même rapporteur ayant instruit les deux affaires, le principe d’impartialité, le droit à un procès équitable et les droits de la défense inscrits à l’article 6 CESDH ayant été méconnus ; qu’elle critique enfin le fait que le Conseil se soit saisi d’office de cette procédure contentieuse ; Considérant que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que cette exigence doit s’apprécier objectivement, la circonstance que le Conseil se soit saisi d’office des faits ayant conduit à la décision critiquée, comme le prévoit l’article L.462-5 du Code de commerce, n’impliquant pas en soi qu’il y soit porté atteinte ; qu’en l’espèce, aucun des termes de l’avis rendu le 31 mai 2000 par le Conseil dans l’exercice de ses attributions consultatives en l’espèce à la demande de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, sur le prix de l’eau en France et plus généralement sur la structure du marché, ne s’apparente à un pré-jugement ; Considérant en effet que le Conseil prend soin de préciser qu’il ne lui est pas possible, dans le cadre de cette consultation, de déterminer la dimension du marché pertinent qu’il conviendrait de retenir dans le cadre d’une saisine contentieuse, l’analyse du marché géographique pouvant être différente selon que l’on examine une concentration où l’analyse est essentiellement
prospective, ou un comportement passé, et analyse les différentes dimensions qu’il serait possible de retenir selon l’objet de la recherche entreprise (marché de la gestion déléguée du service public de la distribution de l’eau, marché de la vente en gros de l’eau potable, marché de la distribution de l’eau aux usagers, marché national ou au contraire réduit au territoire d’une commune) ; que la création d’entreprises communes par deux opérateurs économiques est analysée par le Conseil de manière générale, tant sous l’angle du droit des ententes que sous celui des abus de position dominante, le Conseil se bornant à relever que l’ancienne Commission de la concurrence avait émis le 28 octobre 1980 l’avis d’infliger une sanction pécuniaire aux sociétés CGE et SLDE pour entente à l’occasion de la soumission à des marchés de travaux, et recommandé aux deux groupes, notamment, de ne plus associer leurs moyens dans le domaine de la gestion de la distribution de l’eau lorsqu’ils sont en mesure de mettre en ouvre ces moyens de façon séparée et concurrentielle ; que la durée parfois excessive des conventions de délégation est également examinée de manière générale, sans qu’aucune des sociétés mises en cause dans la décision attaquée soit citée ; que la requérante est mal fondée à critiquer le rappel de la jurisprudence concernant les demandes de mesures conservatoires et d’injonctions présentées au Conseil par certaines communes et associations de consommateurs ou par le ministre de l’économie et des finances à l’encontre plus particulièrement de la société CGE en raison du refus de cette dernière de communiquer ses barèmes, s’agissant de l’analyse d’affaires déjà jugées ; que les conclusions de cet avis, qui reprend celui déjà formulé par l’ancienne Commission en 1980 en recommandant » aux entreprises « , sans en citer aucune, » de ne plus associer leurs moyens dans la gestion de réseaux de distribution lorsque, présentant des propositions à des collectivités
locales, elles seront en mesure de mettre en ouvre ces moyens de façon séparée et concurrentielle « , ne permettent pas davantage de dire qu’il y a là un pré-jugement des faits précis imputés à la société CGE et à la société SLDE dans la décision attaquée ; qu’il s’ensuit que l’impartialité des quatre membres du Conseil ayant délibéré sur cette décision ainsi que sur l’avis précédemment rendu ne peut être mise en cause ; Qu’enfin la circonstance que le rapporteur désigné lors de l’instruction de cet avis a également instruit la présente procédure ne saurait constituer pour les mêmes motifs une atteinte quelconque aux garanties fondamentales inscrites notamment à la CESDH, étant au surplus observé que le principe de la séparation des fonctions d’instruction et de jugement a été pleinement respecté, et que la procédure contentieuse s’est déroulée dans le respect du principe du contradictoire et des droits donnés à la défense, aucune atteinte à ces principes lors du déroulement de cette procédure n’étant au demeurant invoquée par la requérante ; Que ce moyen de nullité ne peut qu’être rejeté ; Sur la définition du marché pertinent Considérant que la société CGE fait valoir que la définition du marché pertinent retenue par le Conseil soit le marché national de la gestion déléguée de la distribution de l’eau et le marché national de la gestion déléguée de l’assainissement, est erronée dès lors, d’une part, que ne sont pas pris en compte les opérateurs publics et les régies et que, d’autre part, la pression concurrentielle des opérateurs locaux est minimisée à l’excès ; Mais considérant que le Conseil a exactement défini le marché pertinent comme étant constitué par ces deux marchés, étant observé que selon le rapport du Haut-Conseil du secteur public de décembre 1999, la gestion déléguée distribue les trois quarts de l’eau consommée en France ; que le recours peu fréquent des collectivités locales à d’autres collectivités ou à la régie ne démontre pas l’existence
d’une offre de service générale comparable à celle que proposent les opérateurs privés, la dimension nationale des marchés en cause résultant précisément de ce que les trois plus grandes entreprises privées présentes sur le marché -la CGE, la SLDE et la SAUR- interviennent sur l’ensemble du territoire national ; qu’à cet égard, il importe peu que les faits retenus par le Conseil concernent les pratiques d’abstention reprochées aux sociétés CGE et SLDE dans les seules zones d’implantation de leurs filiales communes soit une partie seulement du marché pertinent retenu par le Conseil, dès lors qu’elles-mêmes sont en mesure de répondre directement ou par l’intermédiaire de leurs agences sur l’ensemble du territoire national ; Sur l’abus de domination reproché aux sociétés CGE et SLDE Considérant que la société CGE soutient que la position dominante exercée collectivement avec la SLDE qui lui est imputée ainsi n’est pas établie, faute de facteurs de corrélation suffisants existant entre elles deux, l’existence de liens structurels comme celle d’une unité d’action sur le marché faisant défaut ; Mais considérant que la décision attaquée relève, sans être démentie par la requérante, que la part de marché cumulée détenue par cette dernière ainsi que par la société SLDE a dépassé 80 % au cours des 27 dernières années, atteignant 82,5 % en 1975 et passant à 85 % de ce marché en 2002 alors que la part de marché détenue par la SAUR n’a pas dépassé 13 %, l’importance des parts de marché des groupes CGE et SLDE caractérisant à elle seule une position de domination au sens de l’article L. 420-2 du Code de commerce, les interventions sur le marché de plus petits opérateurs, qui ont été analysées par le Conseil dans la décision attaquée et représentent environ 1 % du marché pour la période couverte par l’enquête, ne pouvant remettre en cause ce constat ; Que le caractère conjoint de la domination exercée sur le marché par les sociétés CGE et SLDE, qui suppose l’existence
de liens structurels et celle d’une politique d’action commune, est suffisamment démontré du fait même de la création d’entreprises communes disposant de zones d’influence reconnues par l’une et l’autre de leurs sociétés-mères dont les comportements sont parallèles et prévisibles dans ces zones, ce qu’au demeurant la requérante ne conteste pas, le développement relatif et récent de la concurrence dans les secteurs extérieurs à ces zones ne contredisant pas les constatations du Conseil ; que la décision attaquée relève enfin le caractère homogène du produit eau commercialisé par les deux sociétés et l’inélasticité de la demande de ce produit par rapport à son prix, cet élément venant s’ajouter aux présomptions de comportement parallèle réunies à l’encontre des deux sociétés ; Considérant, s’agissant des abus de domination reprochés à la CGE, qu’il résulte des constatations du Conseil que lors de 41 appels à la concurrence lancés par des collectivités dans les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement postérieurement au 21 juin 1997 et sur lesquels six des entreprises créées et contrôlées par les sociétés CGE et SLDE, à savoir la société des Eaux de Marseille (SEM), la société des Eaux du Nord (SEN), la société des Eaux de Douai (SED), la société Martiniquaise des Eaux, la société Guyanaise des Eaux, la société des Eaux de Versailles et de Saint-Cloud (SEVESC) ont formulé des offres, la CGE n’a présenté que 4 candidatures distinctes de celles des entreprises communes (soit uniquement en concurrence avec la SEM et la SED) avant le 2 août 2000 date à laquelle elle a été informée par le rapporteur de la saisine d’office du Conseil ; Que la société CGE, qui s’est abstenue comme la société SLDE dans la plupart des cas de créer des agences à moins de 50 kms du siège d’une entreprise commune, n’est pas fondée à invoquer la nécessité de concentrer ses capacités techniques et la rationalité économique de cette abstention dans les secteurs d’activité des entreprises
communes, compte tenu de l’ampleur des moyens dont elle dispose sur l’ensemble du territoire national ; que la requérante admet elle-même un taux d’abstention moyen de 83 % sur les 41 marchés analysés dans la décision attaquée, alors qu’elle a fait état lors de l’enquête d’un taux de réponse à appels d’offres de 80 % à l’échelle nationale ; que la comparaison proposée par la requérante entre son propre comportement d’abstention et celui de la SAUR, sur certains de ces appels à candidature, n’est pas pertinente eu égard à leur positions respectives sur le marché ; Que les pratiques reprochées à la société CGE, sur laquelle pesait, comme sur la SLDE, du fait de leur position de domination collective, une obligation particulière de ne pas porter atteinte au développement d’une concurrence effective sur le marché, ont limité sensiblement le nombre d’offreurs actifs dans la zone d’influence des entreprises communes ; qu’elles ont eu un objet et un effet anticoncurrentiel et constituent un abus de position dominante au sens des dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce ; Sur l’application de l’article L. 430-9 du Code de commerce Considérant que la société CGE fait valoir que l’application par le Conseil de l’article L. 430-9 du Code de commerce est intervenue en violation des droits de la défense et du principe du contradictoire, dès lors que ces dispositions sont applicables aux concentrations et que le Conseil ne s’était saisi que de pratiques anticoncurrentielles, et ajoute qu’en tout état de cause, le texte susvisé ne peut s’appliquer aux filiales communes créées par elle-même et par la SLDE, s’agissant d’opérations antérieures de plusieurs décennies à son entrée en vigueur ; Mais considérant que les dispositions de cet article, qui permet au Conseil de la concurrence, en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique, de demander au ministre chargé de l’économie d’enjoindre à l’entreprise en cause de modifier, de
compléter ou de résilier dans un délai déterminé tous accords ou tous actes par lesquels s’est réalisée la concentration de la puissance économique ayant permis ces abus, se réfèrent directement aux dispositions de l’article L. 420-2 dont s’était d’office saisi le Conseil ; Qu’en l’espèce, la suite éventuelle qui sera donnée à la demande du Conseil d’enjoindre aux deux sociétés de modifier, compléter ou résilier dans un délai déterminé tous accords ou tous actes les ayant conduites à associer leurs moyens dans le cadre des filiales communes qu’elles ont créées conjointement, relève de l’appréciation exclusive du ministre de l’économie, tant dans son principe que dans ses modalités ; qu’il s’ensuit que la décision prise par le Conseil de formuler cette demande ne fait pas grief, de sorte que le recours en annulation formé par la société CGE contre l’article 3 de la décision est irrecevable ; Considérant qu’il convient de rejeter le recours ; PAR CES MOTIFS Rejette le recours formé par la société CGE contre la décision n 02-D-44 du 11 juillet 2002 du Conseil de la concurrence, Condamne la société CGE aux dépens. LE GREFFIER
LE PRESIDENT