Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I – M. K…R…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 15 mars 2016 par laquelle la ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social a autorisé la Société Nationale d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SEITA) à le licencier pour motif économique.
Par un jugement nos 1602133-1604622 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête n° 17NT02451 enregistrée le 3 août 2017, M.R…, représenté par MeI…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 15 mars 2016 ;
3°) de lui allouer le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l’entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l’administration ne l’a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;
– l’administration n’a nullement procédé au contrôle de la réalité du motif économique ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d’affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ;
– une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d’augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine alors que la valeur de l’action et les dividendes distribués ont ici augmenté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. R…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
II – M. N…J…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 15 mars 2016 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1602135-1604621 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête n° 17NT02452 enregistrée le 3 août 2017, M.J…, représenté par MeI…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 15 mars 2016 ;
3°) de lui allouer le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l’entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l’administration ne l’a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;
– l’administration n’a nullement procédé au contrôle de la réalité du motif économique ; l’entreprise a augmenté les dividendes versés ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d’affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ; une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d’augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. J…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
III – M. M…T…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 9 juin 2016 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1604826-1605576 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête n° 17NT02453 enregistrée le 3 août 2017, M.T…, représenté par MeI…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 9 juin 2016 ;
3°) de lui allouer le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l’entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l’administration ne l’a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;
– l’administration n’a nullement procédé au contrôle de la réalité du motif économique ; l’entreprise a augmenté les dividendes versés ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d’affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ; une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d’augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. T… au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
IV – M. G…A…C…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 9 juin 2016 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1604841-1605578 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête n° 17NT02454 enregistrée le 3 août 2017, M. A…C…, représenté par MeI…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 9 juin 2016 ;
3°) de lui allouer le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l’entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l’administration ne l’a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;
– l’administration n’a nullement procédé au contrôle de la réalité du motif économique ; l’entreprise a augmenté les dividendes versés ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d’affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ; une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d’augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A…C…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
V – M. U…L…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 11 décembre 2015 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1510257-1601302 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête n° 17NT02455 enregistrée le 3 août 2017, M.L…, représenté par MeI…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 11 décembre 2015 ;
3°) de lui allouer le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l’entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l’administration ne l’a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;
– l’administration n’a nullement procédé au contrôle de la réalité du motif économique ; l’entreprise a augmenté les dividendes versés ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d’affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ; une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d’augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. L… au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
VI – M. P…S…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 20 avril 2016 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1603228-1604623 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête n° 17NT02456 enregistrée le 3 août 2017, M.S…, représenté par MeI…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 20 avril 2016 ;
3°) de lui allouer le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l’entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l’administration ne l’a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;
– l’administration n’a nullement procédé au contrôle de la réalité du motif économique ; l’entreprise a augmenté les dividendes versés ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d’affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ; une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d’augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. S… au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
VII – M. H…B…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 9 juin 2016 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1604847-1605577 du 13 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête n° 17NT02457 enregistrée le 3 août 2017, M.B…, représenté par MeI…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 9 juin 2016 ;
3°) de lui allouer le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– en faisant référence alternativement aux difficultés économiques de l’entreprise ou à sa réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité, l’administration ne l’a pas mis à même de connaître le motif retenu pour autoriser le licenciement ;
– l’administration n’a nullement procédé au contrôle de la réalité du motif économique ; l’entreprise a augmenté les dividendes versés ; la menace sur la compétitivité est à relativiser car la baisse du chiffre d’affaires se limite aux marchés européens, alors que le marché mondial du tabac connaît une croissance continue ; une réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci de réaliser des économies ou d’augmenter la rentabilité dans une entreprise financièrement saine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé
VIII – M. E…A…F…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 15 mars 2016 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé la SEITA à procéder à son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1602129-1604385 du 11 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête 17NT02745 et un mémoire ampliatif, enregistrés les 7 septembre et 7 novembre 2017, M. A…F…, représenté par MeQ…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 juillet 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 15 mars 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– sur la régularité du jugement attaqué : ce dernier n’a pas répondu au moyen tiré de l’absence de démonstration quant à la nécessité de réorganisation pour répondre aux menaces pesant sur la compétitivité, ni au moyen tiré de l’insuffisance des baisses d’activité du secteur tabac du groupe ;
– sur le bien-fondé du jugement attaqué : la ministre n’a pas procédé à un examen sérieux des éléments qui lui étaient produits ; les chiffres retenus par la ministre proviennent de l’employeur et sont contredits par ceux mis en avant par les cabinets d’expert comptable mandatés par le comité d’entreprise, qui ont été écartés à tort ; les éléments comptables, notamment la hausse constante du niveau de rémunération des actionnaires, démontrent la bonne santé financière du groupe ; une réorganisation n’est pas nécessaire ; le motif économique dont se prévaut la SEITA n’est pas établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2018, la ministre du travail, conclut au rejet de la requête
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A…F…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
IX – M. O…D…a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 9 juin 2016 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé la SEITA à procéder à son licenciement pour motif économique.
Par un jugement nos 1604812-1605422 du 14 août 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête 17NT03136 et un mémoire ampliatif, enregistrés les 11 octobre et 21 novembre 2017, M.D…, représenté par MeQ…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 août 2017 ;
2°) d’annuler la décision du 9 juin 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– sur la régularité du jugement attaqué : ce dernier n’a pas répondu au moyen tiré de l’absence de démonstration quant à la nécessité de réorganisation pour répondre aux menaces pesant sur la compétitivité, ni au moyen tiré de l’insuffisance des baisses d’activité du secteur tabac du groupe ;
– sur le bien-fondé du jugement attaqué : la ministre n’a pas procédé à un examen sérieux des éléments qui lui étaient produits ; les chiffres retenus par la ministre proviennent de l’employeur et sont contredits par ceux mis en avant par les cabinets d’expert comptable mandatés par le comité d’entreprise, qui ont été écartés à tort ; les éléments comptables, notamment la hausse constante du niveau de rémunération des actionnaires, démontrent la bonne santé financière du groupe ; une réorganisation n’est pas nécessaire ; le motif économique dont se prévaut la SEITA n’est pas établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2018, la SEITA, représentée par MeW…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. D…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code du travail ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
– les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
– et les observations de MeV…, représentant la SEITA et de MeQ…, représentant MM. A…F…etD….
Considérant ce qui suit :
Les faits, la procédure :
1. La SEITA, filiale française du groupe Imperial Tobacco, a sollicité l’autorisation de licencier pour motif économique plusieurs salariés protégés de la société au sens du livre IV de la deuxième partie du code du travail, parmi lesquels MM.R…, J…, T…, A…C…, L…, S…, B…, A…F…etD…. L’inspecteur du travail compétent a refusé d’autoriser ces licenciements. Saisie de recours hiérarchiques exercés par la SEITA contre ces refus, la ministre chargée du travail les a d’abord implicitement rejetés. Puis, par des décisions du 11 décembre 2015 en ce qui concerne M.L…, du 15 mars 2016 en ce qui concerne MM. R…, J…et A…F…, du 20 avril 2016 en ce qui concerne M. S…et du 9 juin 2016 en ce qui concerne MM.B…, T…, A…C…etD…, elle a retiré ces rejets implicites, annulé les refus de l’inspecteur du travail et autorisé les licenciements de ces salariés.
2. Les salariés protégés concernés relèvent appel des jugements en date du 13 juin 2017, s’agissant de MM.R…, J…, T…, A…C…, L…, S…etB…, du 11 juillet 2017 pour M. A…F…et du 14 août 2017 pour M.D…, par lesquels le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes tendant à l’annulation de ces autorisations de licenciement accordées par la ministre chargée du travail. Il y a lieu de joindre ces requêtes, qui présentent les mêmes questions à juger et ont fait l’objet d’une instruction commune.
Sur les conclusions à fin d’annulation, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens dirigés contre les autorisations de licenciement :
3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l’inspecteur du travail dont dépend l’établissement. Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé. Dans le cas où la demande d’autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d’effectifs et de la possibilité d’assurer le reclassement du salarié dans l’entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l’autorisation sollicitée, l’autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d’intérêt général relevant de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité, sous réserve qu’une atteinte excessive ne soit pas portée à l’un ou l’autre des intérêts en présence.
S’agissant de la réalité du motif économique invoqué par l’employeur, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens dirigés contre les autorisations de licenciement :
4. Aux termes de l’article L. 1233 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la présente espèce : » Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques « .
5. La nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise est au nombre des causes sérieuses de licenciement économique. Lorsque la demande est fondée sur ce motif, l’autorité administrative doit vérifier que l’employeur fait état d’éléments caractérisant l’existence d’une menace réelle pesant sur sa compétitivité et rendant nécessaire une réorganisation pour y faire face. Lorsque l’entreprise appartient à un groupe, le motif économique doit s’apprécier au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise concernée, et non au niveau de l’entreprise elle-même.
S’agissant du périmètre d’appréciation :
6. Il ressort des pièces du dossier que la SEITA, filiale française du groupe Imperial Tobacco, n’a pas d’autre activité que la production et la vente de tabac. Elle relève donc exclusivement du secteur d’activité tabac du groupe, lequel est distinct de son secteur logistique, qui vise à la distribution, dans les lieux de vente habituels de tabac aux particuliers, de divers produits dont certains non liés au tabac. C’est par conséquent au niveau du secteur d’activité tabac du groupe Imperial Tobacco, dans l’ensemble des pays où il est présent, que doit être apprécié le motif économique invoqué par la société.
S’agissant des menaces sur la compétitivité :
7. La société SEITA fait valoir que le secteur tabac du groupe a connu en 2014 une baisse de plus de 7 % de son chiffre d’affaires et de 4,8 % de son résultat au niveau mondial, et que cette détérioration s’inscrit dans un contexte de forte diminution de la demande de cigarettes depuis de nombreuses années, notamment en Europe, où le groupe réalise plus de 70 % de son chiffre d’affaires net et où la production et la consommation ont chuté en volume de plus de 30 % entre 2002 et 2013.
8. Toutefois les requérants contestent cette baisse du chiffre d’affaires et du résultat en se fondant sur les données figurant au rapport annuel 2014 du groupe. Ils contestent également l’ampleur des conséquences attachées à ces évolutions sur la compétitivité du groupe Imperial Tobacco, en se fondant sur les résultats du groupe relatifs à l’exercice clos le 30 août 2015, comme ils sont recevables à le faire dès lors que les autorisations en litige sont postérieures à cette date.
9. Il résulte des rapports annuels d’Imperial Tobacco que le chiffre d’affaires de l’activité tabac du groupe ( » Tobacco Net Revenue « ) a augmenté de 2% en 2014 et de 3%, en 2015, étant observé que, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, il n’y pas lieu de déduire de ces recettes le chiffre d’affaires procuré par les filiales acquises durant l’exercice 2015 aux Etats-Unis, dès lors que la société ne conteste pas que ces recettes sont rattachables au secteur tabac du groupe au niveau mondial, lequel constitue le périmètre pertinent d’examen, ainsi qu’il a été dit au point 6. Le montant des recettes nettes 2015 n’a pas non plus à être corrigé pour tenir compte au titre de cet exercice de l’incidence des variations de change intervenues ou encore de l’impact d’une opération exceptionnelle de réduction des stocks détenus par les distributeurs, dès lors que ces éléments, non récurrents ou sans impact sur la position du groupe sur le marché pertinent, sont sans rapport avec une éventuelle menace sur la compétitivité du secteur tabac du groupe.
10. Les requérants se prévalent également d’une communication de la directrice générale du groupe du 4 novembre 2015, où elle commente les résultats 2015 en précisant que le chiffre d’affaires, le résultat net et le bénéfice par action ont augmenté, cependant que l’acquisition aux Etats-Unis de plusieurs marques exploitées par une filiale ITG Brands conforte la bonne tenue des marques de prestige du groupe.
11. Compte-tenu de ces éléments actualisés, qui portent sur le marché pertinent d’examen et témoignent de la bonne situation du groupe ainsi que de ses réelles perspectives de croissance à la date des décisions en litige, la société SEITA ne peut se borner, pour caractériser une menace sur la compétitivité du secteur tabac du groupe Imperial Tobacco, à se référer à la baisse des ventes observée en volume sur les marchés français et européen entre 2002 et 2012. Elle ne démontre pas davantage un risque de perte de compétitivité du groupe en se prévalant d’une baisse de part de marché limitée à 1,5 point sur la période 2009/2013. Enfin la seule volonté de diminuer la masse salariale en considération d’une sous utilisation des capacités de production de l’usine de Carquefou ne peut être regardée comme visant à répondre à une telle menace.
12. Dès lors les salariés licenciés sont fondés à soutenir que la ministre chargée du travail ne pouvait, sans erreur d’appréciation, estimer que la société SEITA justifiait d’une menace sérieuse sur la compétitivité du secteur tabac du groupe Imperial Tobacco et par suite démontrait la réalité du motif économique allégué.
13. Il résulte de ce qui précède que MM.R…, J…, T…, A…C…, L…, S…, B…, A…F…et D…sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par les jugement attaqués, lesquels sont suffisamment motivés, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants, qui n’a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande la société SEITA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à chacun des salariés requérants d’une somme de 1 000 euros au même titre.
DECIDE :
Article 1er : Les jugements susvisés du tribunal administratif de Nantes des 13 juin, 11 juillet et 14 août 2017, ainsi que les autorisations de licenciement accordées par la ministre chargée du travail le 11 décembre 2015 en ce qui concerne M.L…, le 15 mars 2016 en ce qui concerne MM.R…, J…et A…F…, le 20 avril 2016 en ce qui concerne M.S…, et le 9 juin 2016 en ce qui concerne MM.B…, T…, A…C…et D…sont annulés.
Article 2 : L’Etat versera une somme de 1 000 euros à M.R…, à M.J…, à M. T…, à M. A…C…, à M.L…, à M.S…, à M.B…, à M. A…F…et à M. D… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à MM. K…R…, N…J…, M…T…, G…A…C…, U…L…, P…S…, H…B…, E…A…F…et O…D…, à la société SEITA et à la ministre du travail.
Délibéré après l’audience du 12 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
– M. Lenoir, président de chambre,
– M. Francfort, président-assesseur,
– M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 décembre 2018.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
2
Nos 17NT02451…