Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B…A…a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l’année 2007 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1202794 du 12 avril 2013, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de M. A….
Par un arrêt n° 13VE01964 du 9 juin 2015, la cour administrative d’appel de Versailles, sur appel du ministre de l’économie et des finances, a annulé ce jugement et remis à la charge de M. A…l’imposition en litige dans la limite de la somme de 1 494 120 euros en base.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un mémoire en duplique, enregistrés les 11 août et 12 novembre 2015, ainsi que les 15 juin et 13 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de constater que le montant du dégrèvement des rappels d’impôt sur le revenu et intérêts de retard y afférent doit être limité à 140 339 euros et de condamner l’Etat à verser au requérant des intérêts moratoires, en application de l’article L. 208 du livre des procédures fiscales, sur la somme de 109 187 euros que l’administration lui a restituée à la suite du dégrèvement d’impositions de 140 339 euros, prononcé en cours d’instance ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le traité instituant la communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– l’arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne du 22 mars 2018 (C-327/16 et C-421/16) ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de M. B…A…;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en décembre 1999, M.A…, alors résident fiscal français, a échangé 23 105 actions de la société Promodès contre 138 630 titres de la société Carrefour réalisant une plus-value de 20 249 568,63 euros qui a été placée, sur sa demande, sous le régime du report d’imposition dans les conditions alors prévues au II de l’article 92 B du code général des impôts. En 2000, à la suite de la division par deux de la valeur nominale de l’action de la société Carrefour, le nombre de titres détenus par l’intéressé est passé à 277 260. En 2002, le contribuable a cédé 11 060 titres entraînant l’expiration du report d’imposition d’une fraction de la plus-value d’échange, soit 807 736 euros, laquelle a été régulièrement déclarée et imposée. L’intéressé, après avoir transféré son domicile fiscal en Belgique en septembre 2005, a notamment cédé en 2007, 22 650 autres titres de la société Carrefour reçus en échange. Aux termes d’une proposition de rectification du 29 novembre 2010, l’administration fiscale a relevé que cet évènement avait mis fin, au report d’imposition de la plus-value d’échange réalisée en 1999 à hauteur de la somme de 1 654 234 euros. Ayant considéré que, nonobstant le transfert de domicile fiscal de M.A…, cette plus-value, réalisée avant ce transfert, devait être taxée en France, l’administration l’a soumise à l’impôt au taux forfaitaire de 16 % en vertu des dispositions de l’article 200-A-2 du code général des impôts. M. A…se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles qui, sur l’appel du ministre de l’économie et des finances, a annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil qui l’avait déchargé de ces impositions, et remis à sa charge ces impositions dans la limite de la somme de 1 494 120 euros en base.
Sur l’étendue du litige :
2. Par décision du 22 octobre 2018, postérieure à l’introduction du pourvoi, l’administration a prononcé le dégrèvement de la somme de 140 339 euros. Les conclusions du pourvoi dirigées contre l’arrêt attaqué sont devenues sans objet à hauteur de ce dégrèvement partiel. Il n’y a, par suite, plus lieu d’y statuer.
Sur le surplus des conclusions :
3. L’article 150-0-A du code général des impôts dispose que : » I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l’article 118 et aux 6° et 7° de l’article 120 , de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l’impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 20 000 euros pour l’imposition des revenus de l’année 2007 et 25 000 euros pour l’imposition des revenus de l’année 2008. (…) ». Aux termes de l’article 150-0 D du même code : » 1. Les gains nets mentionnés au I de l’article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci ou, en cas d’acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation (…) / 11. Les moins-values subies au cours d’une année sont imputables exclusivement sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des dix années suivantes. « . Aux termes de l’article 244 bis C du code général des impôts : » Sous réserve des dispositions de l’article 244 bis B, les dispositions de l’article 150-0 A ne s’appliquent pas aux plus-values réalisées à l’occasion de cessions à titre onéreux de valeurs mobilières ou de droits sociaux effectuées par les personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B, ou dont le siège social est situé hors de France, ainsi qu’aux plus-values réalisées par ces mêmes personnes lors du rachat par une société émettrice de ses propres titres (…) « . Aux termes de l’article 244 bis B de ce code : » Sous réserve des dispositions de l’article 244 bis A, les gains mentionnés à l’article 150-0 A résultant de la cession ou du rachat de droits sociaux détenus dans les conditions du f du I de l’article 164 B, réalisés par des personnes physiques qui ne sont pas domiciliées en France au sens de l’article 4 B ou par des personnes morales ou organismes quelle qu’en soit la forme, ayant leur siège social hors de France, sont déterminés et imposés selon les modalités prévues aux articles 150-0 A à 150-0 E (…) « . Aux termes de l’article 164 B du même code : » I. Sont considérés comme revenus de source française (…) / f. Les gains nets mentionnés au I de l’article 150-0 A et résultant de le cession de droits sociaux, ainsi que ceux mentionnés au 6 du II du même article retirés du rachat par une société émettrice de ses propres titres, lorsque les droits détenus directement ou indirectement par le cédant ou l’actionnaire ou l’associé dont les titres sont rachetés, avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants dans les bénéfices sociaux d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés et ayant son siège en France ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années (…) « . Enfin, aux termes de l’article 18 de la convention fiscale franco-belge : » Dans la mesure où les articles précédents de la présente convention n’en disposent pas autrement, les revenus des résidents de l’un des Etats contractants ne sont imposables que dans cet Etat. « .
4. Dans un arrêt du 22 mars 2018 Marc Jacob contre ministre des finances et des comptes publics et Ministre des finances et des comptes publics contre Marc Lassus, C-327/16 et C-421/16), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que, d’une part, l’article 8 de la directive 90/434/CE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats membres différents ( » directive fusions « ) doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose ni à une législation d’un Etat membre en vertu de laquelle la plus-value issue d’une opération d’échange de titres relevant de cette directive est constatée à l’occasion de cette opération, mais son imposition est reportée jusqu’à l’année au cours de laquelle intervient l’événement mettant fin à ce report d’imposition, en l’occurrence la cession des titres reçus en échange, ni à une législation qui prévoit l’imposition de la plus-value afférente à une opération d’échange de titres, placée en report d’imposition, lors de la cession ultérieure des titres reçus en échange, alors même que cette cession ne relève pas de la compétence fiscale de cet Etat membre. Mais, d’autre part, la Cour a dit pour droit que l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à une législation d’un Etat membre qui, dans une situation où la cession ultérieure de titres reçus en échange ne relève pas de la compétence fiscale de cet Etat membre, prévoit l’imposition de la plus-value placée en report d’imposition à l’occasion de cette cession sans tenir compte d’une éventuelle moins-value réalisée à cette occasion, alors qu’il est tenu compte d’une telle moins-value lorsque le contribuable détenteur de titres a sa résidence fiscale dans ledit Etat membre à la date de ladite cession.
5. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que M. A…demandait, dans ses écritures d’appel, que soit imputée, en application des dispositions du 11 de l’article 150-0 D du code général des impôts, citées au point 3, sur la plus-value réalisée lors de l’échange, en 1999, d’actions de la société Promodès contre des titres de la société Carrefour, la moins-value de cession subie lors de la vente, en 2007, de 22 620 titres de la société Carrefour. Il soutenait qu’une telle imputation de la moins-value de cession avait pour effet de rendre négative la base d’imposition de la plus-value d’échange, de sorte qu’aucune imposition n’était due au titre de cette plus-value. Il résulte de ce qui a été dit pour droit par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 22 mars 2018, cité au point 4, qu’en jugeant que l’impossibilité, résultant de l’application de l’article 224 bis C du code général des impôts, cité au point 3, pour M. A…d’imputer sur la plus-value d’échange imposable en France et placée en report d’imposition, les moins-values réalisées en sa qualité de résident belge à l’occasion de la cession des titres en cause, ne caractérisait pas une restriction à la liberté d’établissement, alors qu’une telle possibilité d’imputer des moins-values lui aurait été ouverte s’il était demeuré résident fiscal français au moment de cette cession, la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit. M. A…est fondé pour ce motif, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque dans la mesure des impositions restant en litige.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de M. A…à hauteur du dégrèvement de 140 339 euros.
Article 2 : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 9 juin 2015 est annulé dans la mesure des impositions restant en litige.
Article 3 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, devant la cour administrative d’appel de Versailles.
Article 4 : L’Etat versera une somme de 3 000 euros à M. A…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B…A…et au ministre de l’action et des comptes publics.
ECLI:FR:CECHS:2018:392589.20181228