Cour d’appel de Rennes, du 24 avril 2002

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Cour d’appel de Rennes, du 24 avril 2002

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Deuxième Chambre Comm. ARRÊT N°151 R.G : 00/05445 Société EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION « SOCIETE POUR L’EXPANSION DES EXPORTATIONS » Société CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD Société CYPRUS MARITIME CO LTD Société JOY SHIPPING COMPANY INC Société KEEN MARINE COMPANY LTD C/ Société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LTD Confirmation Copie exécutoire délivrée le REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D’APPEL DE RENNES ARRÊT DU 24 AVRIL 2002 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

: Monsieur Philippe BOTHOREL, Président, Monsieur Alain POUMAREDE, Conseiller, Madame Rosine NIVELLE, Conseiller, GREFFIER : Mme Béatrice X…, lors des débats et lors du prononcé DÉBATS : A l’audience publique du 07 février 2002 devant Monsieur Alain POUMAREDE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants ds parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial ARRÊT : Contradictoire, prononcé par Monsieur Philippe BOTHOREL, Président, à l’audience publique du 24 avril 2002, date indiquée à l’issue des débats, après prolongation du délibéré.

APPELANTES : Société EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION « SOCIETE POUR L’EXPANSION DES EXPORTATIONS » 151 O’Connor OTAWA CANADA 1K3 représentée par la SCP GAUVAIN & DEMIDOFF, avoués assistée de Me Michel QUIMBERT, avocat Société CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD Cyprus Building Kifias Avenue 3 Mouson STR. ATHENES 0000 GRECE représentée par la SCP GAUVAIN & DEMIDOFF, avoués assistée de Me Michel QUIMBERT, avocat Société CYPRUS MARITIME CO LTD Cyprus Building

Kifias Avenue 3 Mouson STR. ATHENES 0000 GRECE représentée par la SCP GAUVAIN & DEMIDOFF, avoués assistée de Me Michel QUIMBERT, avocat Société JOY SHIPPING COMPANY INC 80 Broad Street MONROVIA LIBERIA représentée par la SCP GAUVAIN & DEMIDOFF, avoués assistée de Me Michel QUIMBERT, avocat Société KEEN MARINE COMPANY LTD Cyprus Building Kifias Avenue 3 Mouson STR. ATHENES 0000 GRECE représentée par la SCP GAUVAIN & DEMIDOFF, avoués assistée de Me Michel QUIMBERT, avocat INTIMEE : Société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LTD 284 ARCH. Makarios III avenue LIMASSOL CHYPRE représentée par la SCP D’ABOVILLE, DE MONCUIT & LE CALLONNEC, avoués assistée de Me Jean-Jacques OLLU, avocat FAITS ET PROCEDURE

Statuant sur la demande de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED en rétractation de l’ordonnance du 30 juin 2000 ayant autorisé la saisie conservatoire du navire « LEO T », dirigée contre les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, de droit canadien, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, de droit chypriote, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, de droit libérien, et Société KEEN MARINE COMPANY LTD, de droit chypriote;

Le juge des référés du Tribunal de commerce de LORIENT, par ordonnance du 4 août 2000, y a fait droit, condamnant les défenderesses à payer à la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED la somme de 20.000F, par application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile; ]]]

Les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD, ont interjeté appel de cette ordonnance; ]]] MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

APPELANTES, les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD, font grief au premier juge d’avoir ainsi statué, ALORS

Que faute du respect du contradictoire, de l’urgence exigée par l’article 858 du nouveau code de procédure, sur le fondement duquel la procédure avait été engagée, et, en l’absence de remise des conclusions de la demanderesse avant l’audience, l’ordonnance déférée, rendue selon une procédure irrégulière, est nulle;

Que dotée d’actionnaires, d’une direction, de personnels et de capitaines de navire exclusivement cubains, la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, fictive, est une simple émanation de l’état cubain, sans aucune vie propre;

Qu’il en est de même des sociétés débitrices;

Les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD demandent, en conséquence, à la Cour, de:

A TITRE PRINCIPAL

Constater que les assignations à l’encontre des appelantes étaient nulles et de nul effet,

En conséquence, déclarer la nullité de l’ordonnance déférée;

A TITRE SUBSIDIAIRE

Infirmer l’ordonnance,

Confirmer en toutes leurs dispositions les ordonnances en date des 30 juin et 5 juillet 2000 qui ont autorisé la saisie du navire « LEO T »; EN TOUT ETAT DE CAUSE

Rejeter les demandes de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED,

En conséquence, constater que les ordonnances des 30juin et 5 juillet ne sont pas caduques;

Rejeter la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formulée par la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED;

Condamner la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED à payer à chacune des appelantes la somme de FRF 50.000 (7.622,45 euros) pour résistance abusive;

Condamner la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED au paiement à chacune des appelantes la somme de FRF 50.000 (7.622,45 euros) par application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile;

]]]

INTIMEE, la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED fait valoir, en substance:

Que les ordonnances ayant autorisé la saisie conservatoire du navire « LEO T » sont caduques, pour ne pas avoir été suivies d’une procédure tendant à obtenir un titre exécutoire, dans les conditions prévues à l’article 70 de la loi du 9 juillet 1991 et à l’article 215 du décret du 31 juillet 1992;

Qu’elle n’est ni une société fictive ni une émanation de l’Etat cubain,

La société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED demande, en conséquence, à la Cour, de:

Vu la Constitution de la République de Cuba du 12 juillet 1992 et les dispositions du code de commerce de la République de Cuba, en particulier ses articles 151 et suivants, le code civil de Cuba, en particulier ses articles 29 et suivants,

Vu l’article 2092 du code civil;

Vu la Charte des droits et devoirs économiques des Etats,

Vu l’accord de coopération économique et industrielle entre la France et Cuba du 7 janvier 1995;

Vu la Convention commerciale entre la France et Cuba du 06 novembre 1929,

Vu la Convention bilatérale d’encouragement et de protection des investissements du 25 avril 1997 conclue entre Cuba et la France,

Vu l’article 70 de la loi du 9 juillet 1991 et l’article 215 du décret du 31 juillet 1992,

Déclarer caduque et de nul effet les ordonnances en date des 30 juin et 5 juillet 2000, ayant autorisé les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD à pratiquer saisie conservatoire du navire ‘LEO T »,

Confirmer l’ordonnances en date du 4 août 2000 rendue par la Présidente du Tribunal de commerce de Saint-Nazaire en ce qu’elle a ordonné mainlevée des saisies conservatoires pratiquées sur un navire « LEO T » et annulé en toutes leurs dispositions les ordonnances l’ayant autorisée,

Y ajoutant,

Condamner les appelantes à la somme de 76.225 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive ainsi qu’à celle de 30.490 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, les débouter de l’ensemble de leurs demandes;

]]]

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision et conclusions déposées, spécialement celles des appelantes en date du 28 décembre 2001 et de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITEDen date du 25 janvier 2002;

]]] MOTIFS

Considérant qu’il résulte des énonciations non contredites du jugement attaqué, des écritures des parties et des pièces par elles régulièrement produites, que:

Titulaires de créances sur diverses sociétés selon elles fictives comme étant de simples émanations de l’Etat cubain, et estimant que la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, armateur apparent du navire « LEO T », présentait les mêmes caractéristiques, les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD, ont requis et obtenu, par les ordonnances des 30 juin et

5 juillet 2000, l’autorisation de saisir ce navire se trouvant alors au port de SAINT- NAZAIRE; ces décisions étaient rétractées par l’ordonnance déférée, au motif que la preuve de cette fictivité n’était pas rapportée;

]]]

I) SUR LA NULLITE DE LA PROCEDURE DEVANT LE TRIBUNAL DE COMMERCE DE SAINT NAZAIRE

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent que la procédure diligentée devant le Président du Tribunal de commerce de Saint-Nazaire serait nulle, au motif qu’elles n’auraient pu présenter leur défense en temps utile et par conséquent, les irrégularités de la procédure leur ont fait grief, même si ledit Président les a autorisées à présenter des notes en délibéré;

Qu’il doit être noté que:

– par différents actes d’huissiers en date des 18 et 19 juillet, dont l’un signifié à Maître QUIMBERT au cabinet duquel certains des créanciers avaient élu domicile, ceux-ci ont été assignés pour l’audience du Tribunal de commerce de SAINT NAZAIRE du 20 juillet (11h), en rétractation de l’ordonnance qui avait autorisé cette mesure conservatoire;

– lors de l’audience du 20 juillet, le conseil des sociétés

appelantes a sollicité le renvoi, demande qui a été rejetée, plaidé sur le fond puis a sollicité l’autorisation de déposer une note en délibéré, arguant du fait qu’il ne lui avait pas été possible de préparer se défense;

– trois notes en délibéré ont été versées aux débats par les créanciers, leur permettant ainsi largement de répondre à l’argumentation de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED;

Qu’en fait, il est apparu, ainsi que cela ressort des termes mêmes de l’ordonnance du 4 août 2000, que « nonobstant la plaidoirie de Maître QUIMBERT et conformément aux échanges avant l’audience, Maître QUIMBERT fut autorisé à déposer une note complémentaire en délibéré, qu’il a remis cependant à l’audience un dossier déjà volumineux, ainsi que des conclusions préalablement remises au greffe de ce Tribunal au nom de la société EDC SEE, dont d’ailleurs Maître OLLU, au vu des échanges de correspondance du 21 juillet, n’aurait pas été destinataire »;

Qu’il apparaît ainsi que le conseil des appelantes avait, préalablement à l’audience du 20 juillet, remis au greffe des conclusions, dont il n’avait d’ailleurs pas rendu destinataire le représentant de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, et dont il n’a pas révélé le dépôt lors de l’audience du 20 juillet; qu’ainsi, les appelantes avaient conclu pour l’audience du 20 juillet 2000 (sans cependant communiquer ses écritures); qu’elles ont cependant prétendu qu’elles n’avaient pas été en mesure de conclure, en dépit du fait qu’elles avaient déposé leur entier dossier au greffe; qu’elles ont été néanmoins autorisées à déposer une note en délibéré; qu’elles ont largement usé de ce droit en produisant trois

notes en délibéré; que, du reste, statuant sur une demande en rectification de la décision entreprise, le juge des référés n’a pas manqué, par une ordonnance du 28 novembre 2000, aujourd’hui définitive, de rappeler les circonstances dans lesquelles les parties avaient été autorisées par lui à déposer des notes en délibéré précisant que « compte tenu des conditions dans lesquelles l’affaire fut retenue pour plaider (explicitées dans l’ordonnance), il a justement été fait droit à la demande du défendeur de mainlevée de compléter sa plaidoirie en déposant des conclusions ou pièces complémentaires »;

Que c’est donc vainement, et avec une certaine mauvaise foi, que les appelantes sollicitent la nullité de la procédure, alors qu’elles se sont trouvées pleinement en mesure de présenter leurs moyens de défense;

Qu’il est tout aussi vainement soutenu que l’assignation délivrée aux sociétés KEEN MARINE et CAROUSSEL serait nulle pour ne pas avoir été signifiée; qu’en effet, ces deux sociétés avaient, dans leur requête à fin de saisie conservatoire, élu domicile chez leur conseil, Maître QUIMBERT, avocat à Nantes; que, ce dernier ayant refusé de recevoir les actes qui lui étaient destinés, ceux-ci ont été déposés en mairie, ainsi qu’en attestent les récépissés de dépôt établis par la mairie de NANTES; que cette exception de nullité sera donc également rejetée;

]]]

II) SUR LA CADUCITE DES ORDONNANCES AYANT AUTORISE LA SAISIE DU NAVIRE

Considérant que la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED soutient que les ordonnances ayant autorisé la saisie conservatoire du navire « LEO T » sont caduques, pour ne pas avoir été suivies d’une procédure tendant à obtenir un titre exécutoire, dans les conditions prévues à l’article 70 de la loi du 9 juillet 1991 et à l’article 215 du décret du 31 juillet 1992;

Considérant que selon les articles 70 de la loi du 9 juillet 1991 et 215 du décret du 31 juillet 1992:

(Article 70) « A peine de caducité de la mesure conservatoire, le créancier doit, dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d’Etat, engager ou poursuivre une procédure lui permettant d’obtenir un titre exécutoire s’il n’en possède pas ».

(Article 215) « Si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier doit, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire ».

Que, contrairement à ce qui est indiqué par la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, les appelantes ont introduit une procédure ou accompli les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre

exécutoire dans le délai d’un mois suivant l’exécution de la saisie conservatoire, conformément aux articles 70 de la loi du 9 juillet 1991 et 215 du décret du 31 juillet 1992; qu’ainsi, la société JOY SHIPPING a, le 4 août 2000, présenté une requête en exequatur des jugements anglais des 20 et 30 juillet 1998 devant le Tribunal de commerce de SAINT -NAZAIRE; qu’une ordonnance d’exequatur a été rendue par ce tribunal;

Qu’enfin, les sociétés EDC, JOY SHIPPING, CAROUSEL et KEEN MARINE ont également engagé une procédure devant le Tribunal de commerce de SAINT NAZAIRE, pour faire constater la fictivité des diverses sociétés cubaines, en ce compris la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED;

Que, par suite, il ne peut être sérieusement affirmé que les procédures ou formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire n’ont pas été accomplies; que, si le Tribunal de commerce de SAINT NAZAIRE s’est estimé incompétent pour statuer sur les demandes relatives en particulier à la fictivité des sociétés cubaines, il n’a pas déclaré qu’il l’était manifestement, de sorte que la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED ne peut se prévaloir de la décision d’incompétence dudit Tribunal pour invoquer la caducité de la saisie conservatoire; que ce moyen, tiré de la caducité de la saisie litigieuse, sera donc écarté;

]]]

II) SUR LA FICTIVITE DE LA SOCIETE LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED

Considérant que la société EDC fait valoir une créance à l’encontre des sociétés ENERGOIMPORT et ALMACEN BERROA à concurrence d’un montant de 997.220,65 dollars canadiens; que les sociétés CAROUSEL SHIPPING CO et KEEN MARINE CO se prévalent, pour leur part, d’une créance à l’encontre d’une société CUFLET CHARTERING, qu’elles évaluent à titre provisoire à la somme de 3.000.000 USD; qu’enfin, la société JOY SHIPPING s’estime créancière de diverses sommes qui lui seraient dues par CUFLET CHARTERING et PESPORT, en vertu d’un accord transactionnel conclu avec ces dernières; qu’il apparaît ainsi qu’aucune créance directe n’est invoquée contre la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, propriétaire du navire « LEO T », objet de la saisie litigieuse;

Q’elles soutiennent, en effet, que les sociétés débitrices, CUFLET CHARTERING, ENERGO IMPORT, ALMACEN BERROA ET PESPORT sont des sociétés fictives, qui ne sont pas distinctes de l’Etat cubain, pour en déduire que les créances alléguées à l’encontre desdites sociétés seraient en fait des créances à l’encontre de l’Etat cubain;

Que, par suite, le bien fondé de cette saisie implique la démonstration par les poursuivantes du caractère purement fictif de toutes ces sociétés, qualifiées « d’entités », et leur participation à une composante unique, en l’espèce l’Etat cubain, désigné comme débiteur et véritable propriétaire du navire saisi;

Considérant que selon les articles 17 et 23 de la Constitution cubaine, dans leur rédaction issue de la réforme de 1992, applicable à l’espèce:

(Article 17) « L’Etat administre directement les biens qui font partie de la propriété socialiste de l’ensemble du Peuple; ou il pourra créer et organiser des entreprises et des entités chargées de leur administration dont la structure, les attributions, les fonctions et le type de relations sont réglementées par la Loi. Ces entreprises et entités répondront de leurs obligations avec leurs seules ressources financières dans le cadre des limites fixées par la Loi. L’Etat ne répond pas des obligations contractées par les entreprises, entités et autres personnes morales, et celles-ci ne répondent pas non plus des obligations de l’Etat ».

« L’Etat reconnaît la propriété des entreprises mixtes, des sociétés et des associations économiques qui seront constituées conformément à la Loi. L’exploitation, la jouissance et le pouvoir de disposer des biens appartenant au patrimoine des entreprises susmentionnées seront régis par les dispositions stipulées par la Loi et les Traités, ainsi que par les statuts et règlements propres établis par ceux qui les dirigent ».

Qu’il résulte donc du texte même de la Constitution cubaine, telle que celle-ci a été refondue en 1992, que les sociétés et entités juridiques visées à l’article 17 précité disposent du capital qui leur est propre; ne sont pas tenues au-delà de ce capital, et n’engagent pas l’Etat cubain lorsqu’elles contractent avec des tiers;

que, ce texte, qui affirme l’existence d’entités pourvues de la personnalité morale, était en vigueur lors des faits à l’origine du litige, comme l’étaient également le Code civil et le Code de commerce de la République de Cuba, selon lesquels:

1°) les entreprises d’Etat, de même que les sociétés privées (entreprises non étatiques), sont pourvues de la personnalité morale, et sont comme telles autonomes par rapport à l’Etat cubain,

2°) « la loi peut créer des personnes morales dotées d’un patrimoine propre et pouvant en disposer pleinement » (Article 141.1 du Code civil)

3°) ces entités répondront de leurs obligations dans la limite de leur patrimoine, mais aucunement des obligations de l’Etat, ce dernier ne répondant pas des leurs (article 141.2 du même Code)

Qu’il se déduit de ces textes que les entreprises étatiques, les sociétés privées ou les autres personnes morales créées par la Loi cubaine, qu’elles soient ou non propriétaires des biens qui leur sont affectés, constituent des entités juridiques distinctes, pourvues de la personnalité morale et qui jouissent comme telles d’une autonomie de gestion par rapport à l’Etat cubain; que le Code de commerce cubain prévoit lui-même la constitution de sociétés comportant des structures comparables à celles prévues en France;

Que cette législation procède d’un choix national, reconnu comme tel par les conventions internationales, tant bilatérales avec la France ( accord de coopération économique et industrielle du 16 janvier 1975, Convention du 25 avril 1997) que multilatérales (Charte des

droits et devoirs économiques des Etats);

Que, par suite, la mise en place d’un tel système, ne saurait être « a priori » qualifié de montage juridique destiné à frauder les créanciers de l’Etat cubain, en limitant leur gage;

Qu’ainsi, la société ENERGO IMPORT a été constituée par une résolution n°117 en date du 1et décembre 1997; qu’il est indiqué à l’article 1er que cette société, rattachée au Ministère du transport, est pourvue d’une personnalité juridique indépendante, c’est-à-dire de la personnalité morale et dispose d’un patrimoine qui lui est propre; que, régulièrement autorisée, selon licence n°1562/00 en date du 11 février 2000, à opérer en devises étrangères, cette société a conclu des contrats en nom propre, ainsi qu’en atteste le contrat à l’origine du litige ou encore celui passé avec la société de droit espagnol (YBERDROLA CONSULTARIA SA) concernant la fourniture de services d’ingénierie;

Que, de même, aux termes de la Résolution n°4996 en date du 21 mai 1996, une société d’Etat dénommée « CUFLET CHARTERING » est constituée; qu’il est précisé à l’article 1er que cette société, rattachée au Ministère du transport, est pourvue d’une personnalité juridique indépendante, c’est-à-dire de la personnalité morale et d’un patrimoine qui lui est propre; qu’elle dispose d’une licence par laquelle la Banque Centrale de Cuba l’autorise à conclure des transactions en devises étrangères et d’un certificat qui établit sa qualité de membre de la Chambre de commerce de Cuba;

Que la société ALMACEN BERROA est une société de droit panaméen, et donc une société de droit privé, ainsi qu’en atteste l’extrait

n°2847983 du registre des sociétés de Panama; qu’elle n’est donc pas régie par le droit cubain;

Que la société PESPORT, constituée par une Résolution n°1017/75 en date du 1er janvier 1996, dénommée ASOCIACION PESQUERA PORTURIA « PESPORT », est pourvue de la personnalité morale et dispose d’un patrimoine qui lui est propre; que , membre de la chambre de commerce de la République de Cuba, elle est autorisée à effectuer des opérations en devises étrangères;

Qu’il est établit que les créanciers ont en toute connaissance de cause conclu des conventions à l’origine du litige avec des sociétés distinctes/ CUFLET CHARTERING ET ENERGO IMPORT; que ces dernières ont traité en leur nom propre, et non pas à celui de l’Etat cubain, avec les appelantes ne prétendent pas, du reste, avoir cru contracter; qu’elles disposent d’un patrimoine propre, ne répondent de leur dette que sur celui-ci, l’Etat cubain n’y étant en rien tenu, la circonstance que ces entités juridiques sont subordonnées ou rattachées à un ministère de tutelle étant elle-même sans influence sur la nature strictement privée de leurs relations avec les tiers;

Que le navire « LEO T »n’est pas la propriété des sociétés débitrices; qu’il n’est pas davantage démontré que la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED serait elle-même fictive;

Qu’il s’agit en effet d’une société de droit chypriote inscrite au Registre des sociétés de la République de Chypre (Certificate of Incorporation en date du 17 décembre 1993); que la constitution de cette société est antérieure aux faits à l’origine du litige, en sorte qu’il ne peut être sérieusement soutenu qu’elle a été créée

pour frauder les droits des créanciers; qu’elle a été constituée sous la forme d’une « Company Limited by Shares », régie par la « Loi sur les sociétés »; que de l’extrait du Registre, en date du 7 juillet 1994, de la Central Bank of Cyprus, il résulte que le capital de cette société, divisé en 1000 actions, est détenu par les personnes physiques nommément désignées; qu’elle est propriétaire du navire « LEO T », depuis 1994, battant pavillon chypriote;

Que la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED a un patrimoine qui lui est propre, puisqu’elle est en effet propriétaire depuis 1994 du navire « LEO T », construit en Chine en 1994, battant pavillon chypriote, qui lui a été livré la même année et dont elle a confié la gestion de ce navire à la société NORDSTRAND MARITIME AND TRADING, selon un contrat de gestion en date du 22 septembre 1994, faits confirmés par l’extrait du LLOYDS MARITIME DIRECTORY, versé aux débats par ADECON SHIPPING, mentionnant la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED en qualité de propriétaire et NORDSTRAND en qualité de gérant; que ce navire est assuré par la mutuelle d’armateurs THE NORTH OF ENGLAND ainsi qu’en atteste le « Certificat of Entry » émis par cette mutuelle; que les primes d’assurance sont réglées par les courtiers londoniens de l’armateur; que les revenus du navire « LEO T », ainsi que les indemnités d’assurance éventuelles sont déléguées en faveur des créanciers hypothécaires, les banques hollandaises MEESPIERSON, WESLAND/UTRECT HYPOTHEEKBANK ET VIKING SHIP FINANCE LTD, ainsi que cela ressort des pièces que les saisissants ont eux-mêmes produit aux débats;

Que la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED conclut les conventions nécessaires à la réalisation de son objet social, notamment la charte-partie à temps, en date du 6 septembre 1999, passée entre elle et la société de droit anglais EDF MAN SHIPPING, et

la charte-partie de voyage, conclue avec la société de négoce TRADIGRAIN;

Que la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED dispose de comptes sociaux, qui ont été certifiés par une société d’audit internationalement reconnue; que le compte de résultat, régulièrement certifié, enregistre des revenus tirés de l’exploitation du navire pour un montant s’élevant, en 1999, à 529.522 USD; que les frets et loyers constituant ces revenus, sont versés sur le compte de la société BAYBRIDGE qui les reçoit pour le compte de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED;

Que , dès lors, la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, pourvue de la personnalité morale, qui conclut des contrats d’affrètement en son nom propre, et exerce une activité conforme à son objet social, ne saurait être considérée comme une société fictive, ni « a fortiori » comme une émanation de l’Etat cubain;

Que, de l’extrait du Lloydsté fictive, ni « a fortiori » comme une émanation de l’Etat cubain;

Que, de l’extrait du Lloyds Maritime Directory 2000 produit par les créanciers, il résulte que la société NORDSTRAND, établie au Pirée, exerce l’activité de gérant de divers navires, dont « LEO T », objet du litige; qu’elle a conclu un contrat de gestion de navire avec la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, ainsi d’ailleurs qu’avec les propriétaires d’autres navires; qu’elle emploie 21 salariés; que, pour les besoins de son activité, elle conclut divers contrats, notamment celui conclu avec la société KELVIN &HUGUES relatif à la fourniture des diverses prestations portant sur

l’exploitation de navires, le contrat d’agent commercial conclu avec la société VOSA GROUP OF COMPANIES relatif à la représentation de NORDSTRAND au Vietnam ou encore, la convention qui lie NORDSTRAND à VIDEOTEL portant sur des prestations relatives à la formation du personnel naviguant; qu’il s’agit d’une société exerçant une activité maritime, conformément à son objet social; dont le caractère fictif ne saurait davantage être allégué sérieusement;

Que cet ensemble de sociétés, dont chacune possède bien une existence réelle, participe à un mode d’exploitation largement répandu dans le monde maritime commercial, la constitution de « single ship companies » ne constituant pas en soi une fraude aux droits des créanciers;

Qu’il résulte de tout ce qui précède, que n’étant créancières ni de l’Etat cubain, ni de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, dont la fictivité n’est pas démontrée, les sociétés appelantes ne pouvaient saisir le navire « LEO T », propriété de cette dernière; que les ordonnances ayant autorisé la saisie de ce navire à leur profit, ont été à juste titre rétractées par la décision déférée, laquelle sera donc confirmée;

]]]

Considérant que les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD, qui succombent, supporteront les dépens; qu’elles ne peuvent, de ce fait, bénéficier

des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile; que l’équité commande, en revanche, de faire droit, partiellement, à la demande de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED, fondée sur ce texte, avec maintien de la condamnation prononcée à ce titre par le Tribunal; que, si les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD ont certes abusé du droit d’appel, et de celui reconnu à chacun de se défendre en justice, il n’est pas établi que cette faute a généré un dommage distinct de celui déjà réparé par les sommes allouées au titre des frais non compris dans les dépens; que la demande de la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED pour procédure abusive sera, par conséquent, rejetée;

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions frappées d’appel,

Y ajoutant,

Déboute les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD de leur demande au titre des frais non répétibles et la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY

LIMITED de celle en dommages et intérêts qu’elle a formée pour procédure abusive;

Condamne les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD à payer à la société LEO TEMPEST SHIPPING COMPANY LIMITED la somme de 8.000 euros, par application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Condamne les sociétés EXPORT DEVELOPPEMENT CORPORATION,EDC SEE, CAROUSSEL SHIPPING COMPANY LTD, CYPRUS MARITIME CO LTD, JOY SHIPPING COMPANY INC, et KEEN MARINE COMPANY LTD aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 966 du nouveau code de procédure civile. LE GREFFIER

LE PRESIDENT


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