Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sixième Chambre ARRÊT N°834 R.G :00/05022 M. Jean-Yves X… Y…/ Mme Josiane Z… A… partielle Copie exécutoire délivrée le : à : REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D’APPEL DE RENNES ARRÊT DU 02 SEPTEMBRE 2002 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Madame Marie-Gabrielle Laurent, Président, Madame Ghislaine Sillard, Conseiller, Madame Françoise Cocchiello, Conseiller, GREFFIER : Madame Danièle B…, lors des débats et lors du prononcé DÉBATS : En chambre du Conseil du 27 mai 2002 devant Madame Marie-Gabrielle Laurent, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial ARRÊT : Contradictoire, prononcé par Madame Marie-Gabrielle Laurent, Président, à l’audience publique du 02 septembre 2002, date indiquée à l’issue des débats.
APPELANT : Monsieur Jean-Yves X… né le 18 mai 1951 à la Poterie (22400) C… Bourg 22400 St Denoual représenté par la SCP Gauvain & Demidof, avoués assisté de Me Denoual Saer Kerjean C… Goff, avocat INTIME : Madame Josiane Z… née le 29 octobre 1949 à La Forest 12 rue de la Croix bienvenue 22380 St Cast C… Guildo représentée par Me Jean-Loup Bourges, avoué assistée de Me Alain Prual, avocat (Bénéficie de l’aide juridictionnelle totale numéro 00/5924 du 26/09/2000 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rennes)
Josiane Z… et Jean-Yves X… ont vécu en concubinage d’août 1993 à janvier 1995 en premier lieu dans une maison que Madame Z… avait louée puis dans un appartement qu’elle a acheté.
C… 25 août 1993 elle a cédé la moitié indivise de son droit au bail à son concubin.
C… 24 juillet 1993 les concubins ont créé la S.A.R.L. BRETAGNE PPO dont le siège social était fixé au domicile commun qui a été immatriculée le 25 août suivant. La société avait pour objet notamment l’achat et la vente d’objet publicitaire et le conseil en publicité et communication. Les apports ont été de 24 500 francs pour chacun des concubins et de 1 000 francs pour la fille de Monsieur X… C… capital social a été attribué aux associés à concurrence de 245 parts pour les parties et de 10 parts pour la fille. Monsieur X… a été désigné gérant.
Par arrêt du 5 février 1998 la cour d’appel a confirmé le jugement rendu le 13 février 1997 par le tribunal correctionnel de Dinan en ce qu’il a déclaré Monsieur X… coupable d’abus des biens ou du crédit d’une S.A.R.L. par un gérant à des fins personnelles et faux. Exposant qu’elle avait réglé un certain nombre de sommes pour son compte et lui avait avancé de l’argent Madame Z… a assigné Monsieur X… pour obtenir une somme globale de 103 395,51 francs outre la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 6000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par jugement du 6 juin 2000 le tribunal de grande instance de Dinan :
s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce pour connaître du litige relatif à la somme de 22 500 francs correspondant aux apports effectués au sein de la S.A.R.L. BRETAGNE PPO,
s’est déclaré incompétent au profit du tribunal d’instance pour connaître de la charge et de la répartition de la somme de 42 692,33 francs correspondant au loyers et accessoires du logement loué par Madame Z… après cession partielle à Monsieur X… du droit au bail avec effet au 1er juillet 1993,
a condamné Monsieur X… à payer à Madame Z… les sommes de 15 000 francs représentant des prêts, de 32 335,61 francs représentant sa part des dépenses communes et de 752,35 francs de frais payés pour lui,
a condamné Monsieur X… à payer la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 6000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Monsieur X… a fait appel de cette décision.
Il soutient que les sommes retenues comme prêts étaient en fait des dons manuels résultant de l’intention libérale de Madame Z… en raison de leurs relations sentimentales.
Il indique qu’il appartient à Madame Z… de supporter les dépenses de la vie courante qu’elle a exposées puisqu’il n’y a pas de compte à faire entre concubins et qu’il n’est pas prouvé que la cause dont procède l’éventuel paiement implique l’obligation de rembourser les sommes versées.
Il explique qu’en raison du caractère précaire du concubinage et alors que Madame Z… ne l’a pas quitté lorsqu’elle a appris qu’il était marié, il n’y a pas lieu à dommages-intérêts.
Il conclut donc à la réformation du jugement, au débouté de Madame Z… de ses demandes, à la confirmation en ce qui concerne les incompétences prononcées. Il demande la somme de 1524,49 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Madame Z… conclut que l’avance des fonds nécessaires à la souscription des parts sociales et le paiement du loyer constituent un compte entre concubins qui justifie la compétence de la juridiction de droit commun. Elle sollicite la confirmation pour le surplus et demande en conséquence qu’il soit entièrement fait droit à sa demande initiale. Elle demande la somme de 914,69 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. SUR CE
Sur l’intention libérale
Considérant qu’il est établi par la procédure pénale que Monsieur X… avait déclaré à Madame Z… qu’il était entraîneur de football et percevait à ce titre une rémunération mensuelle de 5 000 francs ; qu’il résulte en outre de l’attestation de Madame D… qu’il
avait indiqué en février 1993 qu’il était actionnaire et caution d’une société en difficulté qui avait déposé son bilan et que ses biens immobiliers, comptes et titres étaient saisis ; que par ailleurs Madame Z… est mère de famille divorcée, avait à charge une jeune enfant et était comptable au chômage ; qu’elle ne possédait qu’un modeste capital provenant de la vente d’un bien immobilier ; qu’ainsi il n’est pas vraisemblable qu’elle ait entendu donner à Monsieur X… les sommes qu’il a perçues de sa part au détriment de ses enfants ; qu’il ne s’agissait que d’avances faites jusqu’à retour à meilleure fortune ;
Sur les parts sociales
Considérant que l’article 631 du code de commerce donne compétence au tribunal de commerce pour connaître des contestations entre associés pour raison d’une société de commerce ; que tel est le cas des litiges relatifs à la souscription de parts sociales ;
Mais considérant qu’en l’espèce il n’existe aucun litige relatif à la souscription par Monsieur X… des parts sociales de la société BRETAGNE PPO, Madame Z… ne contestant nullement qu’il en soit régulièrement porteur ;
Que la demande ne concerne que l’origine des fonds qui ont servi à la souscription des parts, ce qui est étranger à la juridiction commerciale ;
Qu’il y a donc lieu de se déclarer compétent ;
Considérant que l’article 1341 du code civil dispose qu’il doit être
passé un acte écrit pour toute chose excédant une valeur de 5 000 francs ; qu’il est fait exception à cette règle par l’article 1348 du même code lorsque l’une des parties n’a pas eu la possibilité morale de se procurer une preuve littérale ;
Considérant que, quoiqu’en dise Monsieur X…, il est établi notamment par l’attestation de Madame E… qu’à compter d’août 1993 il a vécu avec Madame Z… ; que ce concubinage a fait suite à une liaison antérieure ; que la confiance de Madame Z… envers Monsieur X… est démontrée par la création commune d’une société commerciale dont le concubin était le gérant ; qu’ainsi ces relations d’affection et de confiance entre les parties ont placé Madame Z… dans l’impossibilité de se procurer un écrit ; que cela n’est pas démenti par le fait qu’il y a eu cession écrite de droits au bail le 25 août 1993 dès lors qu’il résulte des pièces versées par l’intimée que Monsieur X…, qui demandait l’immatriculation de la société, devait produire le titre justifiant de sa jouissance des locaux affectés au siège de l’entreprise selon lettre et document du 16 août 1993 de la chambre de commerce de RENNES ;
Considérant qu’il n’est pas contesté et qu’il est établi par les pièces, notamment l’enquête de gendarmerie, que les fonds servant à la libération du capital social ont été entièrement fournis par Madame Z… ;
Qu’il a été dit ci-dessus que celle-ci n’avait pas d’intention libérale ; qu’il convient en conséquence de fixer à 24 500 francs (3 735 euros) le montant de la somme que Monsieur X… devra rembourser à Madame Z… ; que celle-ci sera déboutée de sa demande concernant les parts de la fille de son concubin à qui elle devra
s’adresser directement puisque c’est elle qui en a bénéficié;
Sur les sommes d’argent
Considérant que Madame Z… a versé 15 000 francs à Monsieur X… ; que l’impossibilité de se procurer un écrit et l’absence d’intention libérale ont été analysées plus haut ; qu’en outre Monsieur X… a reconnu devant les gendarmes que Madame Z… lui avait prêté cette somme et a même prétendu, sans en justifier, qu’il avait commencé à la rembourser (pièce 4 troisième feuillet de l’enquête de gendarmerie ;
Que c’est à juste titre que le premier juge a condamné Monsieur X… à restituer la somme de 15 000 francs (2 286,74 euros) ;
Sur la part des loyers et frais afférents au logement
Considérant que si aux termes de l’article R. 321-2 du code de l’organisation judiciaire le tribunal d’instance connaît des actions dont le contrat de louage est l’objet, la cause ou l’occasion, la compétence prévue par ce texte n’est pas exclusive ; qu’en présence de demandes multiples concernant un compte de concubinage, il convient de se déclarer compétent ;
Considérant qu’en l’espèce Madame Z…, titulaire du bail d’un immeuble d’habitation, a cédé avec l’accord du propriétaire la moitié indivise de ses droits au bail à Monsieur X… selon acte notarié du 25 août 1993 ; que la cession a été consentie sans prix ni indemnité étant toutefois précisé que les parties feront leur affaire et décompte entre eux des loyers à compter rétroactivement du 1er
juillet 1993 (page 4 de l’acte) ; que Monsieur X… s’est par ailleurs engagé envers la cédante à payer notamment les loyers, charges, taxes, assurances et à continuer les contrats d’abonnements d’eau et électricité ;
Considérant que ce contrat dûment signé par lui (quoiqu’il ait tenté de soutenir le contraire pendant l’enquête de gendarmerie) l’oblige à régler à proportion de ses droits tous les frais afférents à l’immeuble c’est à dire les loyers et charges de 42 692,33 francs, l’électricité de 10 382,37 francs, l’eau de 3 098,28 francs, l’assurance de 800 francs et la taxe d’habitation de 1 940 francs soit un total de 58 912,98 francs ou 8 981,23 euros dont moitié égale à 4 490,62 euros ;
Sur les frais à caractère domestique
Considérant que le concubinage n’entraîne aucune obligation légale ; qu’il n’y a donc pas lieu à liquidation d’un régime de concubinage comme le fait observer à juste tire l’appelant ;
Considérant cependant que l’article 1371 du code civil autorise à agir celui qui fait valoir l’enrichissement sans cause du fait qu’aucune règle de droit ne régit les relations entre concubins ; que Madame Z…, qui ne peut faire valoir aucune obligation légale ou conventionnelle envers Monsieur X… est théoriquement habile à demander, sur ce fondement, à être remboursée de ce qu’elle a réglé ; Que l’absence de cause s’entend des relations juridiques entre les parties et non des relations juridiques entre l’une des parties et
des tiers, en l’espèce les fournisseurs des produits nécessaires à la subsistance quotidienne du couple ;et des tiers, en l’espèce les fournisseurs des produits nécessaires à la subsistance quotidienne du couple ;
Considérant que Monsieur X… soutient que la concubine avait une intention libérale à son égard et qu’il lui appartient de démontrer le contraire ;
Que la cour rependra les considérations développées plus haut sur l’absence générale d’intention libérale de Madame Z… à l’égard de Monsieur X… ;
Qu’en outre la jurisprudence relative au concubinage qui dispose que chaque concubin doit supporter seul les dépenses de la vie courante qu’il a exposées est fondée sur la présomption que chacun a apporté sa contribution en espèce ou en nature à la vie commune des concubins ;
Qu’en l’espèce le concubin a reconnu devant les services de gendarmerie qu’il n’a pas contribué aux frais de vie quotidienne pendant le concubinage ; qu’il n’apporte au demeurant aucune preuve du contraire ; que ses allégations aux termes desquelles il aurait participé aux charges de la vie commune par l’amélioration de l’appartement acquis par sa concubine ne sont pas pertinentes dès lors que celle-ci prouve que la majorité des travaux nécessaires ont été financés par un emprunt ;
Considérant que Madame Z… démontre en conséquence que Monsieur
X… n’a en aucune manière participé aux frais de la vie commune ; qu’elle s’est donc appauvrie alors que Monsieur X… s’est enrichi par une économie de dépenses ; qu’il a été dit ci-dessus qu’il n’y avait pas d’intention libérale ;
Qu’il est toutefois établi que la fille de Madame Z… vivait avec elle et que Monsieur X… s’absentait en fin de semaine ; que dès lors celui-ci doit participer aux frais de nourriture justifiés par les tickets de caisse à concurrence de la somme de 13 000 francs soit 1981,84 euros ; que le premier juge sera approuvé en ce qui concerne la somme de 752,35 francs (114,70 euros) ;
Que cette créance née de l’enrichissement sans cause ne peut produire d’intérêts que du jour où elle est judiciairement constatée ;
Sur les dommages-intérêts
Considérant que le concubinage a un caractère précaire ; qu’il implique cependant un minimum de loyauté en raison de la communauté de vie ;
Qu’en l’espèce il est établi par l’attestation de Madame D… et par l’acte de cession des droits au bail que Monsieur X… a prétendu qu’il était célibataire ; qu’il s’est présenté comme entraîneur d’un club de football rémunéré 5 000 francs par mois pour pouvoir s’absenter en fin de semaine et rejoindre son épouse au domicile conjugal ; qu’il a établi de fausses commandes pour faire croire à Madame Z… que son activité au sein de la société PPO allait leur rapporter de l’argent alors qu’il utilisait le compte de l’entreprise à des fins personnelles notamment de remboursement de dettes et d’entretien de sa famille légitime, ce qui a amené Madame Z… à combler le découvert du compte de la société à hauteur de 119 417 francs ; qu’il l’a quittée lorsqu’elle n’a plus eu d’argent ;
Qu’il est donc établi qu’il a constamment fondé sa relation avec Madame Z… sur le mensonge et qu’il l’a grugée pour profiter d’elle ; que le fait qu’elle ne l’a pas quitté lorsqu’elle a appris qu’il était marié n’est pas de nature à atténuer sa faute ni le préjudice moral et financier qui en est résulté pour elle ;
Que c’est à juste titre que le premier juge a alloué des dommages-intérêts dont le montant a été correctement évalué ;
Sur les frais et dépens
Considérant que le premier juge a fait une exacte appréciation du montant de l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ; que Monsieur X… qui succombe en son appel alors que Madame Z… est accueillie en son appel incident sera en outre condamné à payer une somme de 900 euros pour les frais d’appel outre aux dépens ;
PAR CES MOTIFS Statuant publiquement et contradictoirement, Réformant le jugement, Se dit compétente pour connaître l’ensemble des demandes de Madame Z…. Condamne Monsieur X… à payer à Madame Z… les sommes de : – 3 735 euros (24 500 francs) avec intérêt au taux légal à compter de l’assignation au titre de l’avance pour l’acquisition des parts sociales ; – 4 490,62 euros avec intérêt au taux légal à compter de l’assignation au titre de sa part sur les loyers et l’ensemble des frais afférents au logement ; – 1 981,84 euros avec intérêt au taux légal à compter de ce jour. Confirme le jugement en ce qu’il a condamné Monsieur X… à payer la somme de 752,35 francs (114,70 euros) mais dit qu’elle portera intérêt au taux légal à compter du jugement. Confirme le jugement en ses autres dispositions. Condamne Monsieur X… à payer à Madame Z… la somme de 900 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile pour les frais d’appel outre la somme allouée par le premier juge. C… condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux lois relatives à l’aide juridictionnelle. C… GREFFIER
C… PRESIDENT