Cour administrative d’appel de Paris, 3e chambre, du 15 juin 1993, 92PA00141, inédit au recueil Lebon

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Cour administrative d’appel de Paris, 3e chambre, du 15 juin 1993, 92PA00141, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

VU le recours présenté par le ministre délégué auprès du ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et du budget ; il a été enregistré au greffe de la cour le 17 février 1992 ; le ministre demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 88.10035 en date du 25 juin 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à M. Ernest Steier la décharge des suppléments d’impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes mis à sa charge au titre de l’année 1984 ;

2°) à titre principal, de remettre intégralement l’imposition contestée à la charge de M. Steier et, à titre subsidiaire, de rétablir ladite imposition à la charge de l’intéressé à concurrence d’un montant en droits de 151.477 F assorti des intérêts de retard ;

VU les autres pièces du dossier ;

VU le code général des impôts ;

VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

VU le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;

VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cour de l’audience publique du 1er juin 1993 :

– le rapport de M. LOTOUX, conseiller ;

– les observations de Me LACHAUME, avocat à la cour, pour M. Steier ;

– et les conclusions de M. MENDRAS, commissaire du Gouvernement ;

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

Considérant que M. Ernest Steier fait valoir qu’ayant sollicité par lettre en date du 20 mai 1987 un entretien avec l’interlocuteur départemental des impôts, il n’a obtenu un rendez-vous à ce titre que le 1er juin 1987, soit après la mise en recouvrement le 31 mai 1987, des impositions litigieuses procédant de redressements notifiés à la suite de la vérification approfondie de situation fiscale d’ensemble dont il avait fait l’objet au cours de l’année 1986 ; que, si l’intéressé prétend que l’administration a méconnu ainsi les prescriptions de son instruction du 18 juin 1976 relative aux conditions de saisine de l’interlocuteur départemental, en tout état de cause, la procédure invoquée, non prévue par les dispositions du livre des procédures fiscales, est contraire aux lois et règlements, au sens de l’article 1er du décret du 28 novembre 1983 ; que, par suite, le contribuable ne peut utilement s’en prévaloir sur le fondement de ce texte ;

Sur le fond :

Considérant qu’aux termes de l’article L.64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicables : « ne peuvent être opposés à l’administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention à l’aide de clauses : a. Qui donnent ouverture à des droits d’enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; b. Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; c. Ou qui permettent d’éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d’affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d’un contrat ou d’une convention. L’administration est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. Si elle s’est abstenue de prendre l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit ou ne s’est pas rangée à l’avis de ce comité, il lui appartient d’apporter la preuve du bien-fondé du redressement » ; que lorsque l’administration use des pouvoirs qu’elle tient de ce texte et dès lors qu’elle s’est abstenue, comme en l’espèce, de prendre l’avis du comité consultatif pour la répression de l’abus de droit, elle doit, pour pourvoir écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, établir que lesdits actes ont un caractère fictif ou n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation et à ses activités ; qu’enfin, aux termes de l’article 161 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : « le boni attribué lors de la liquidation d’une société aux titulaires de droits sociaux en sus de leur apport n’est compris, le cas échéant, dans les bases de l’impôt sur le revenu que jusqu’à concurrence de l’excédent du remboursement des droits sociaux annulés sur le prix d’acquisition de ces droits dans le cas où ce dernier est supérieur au montant de l’apport. La même règle est applicable dans le cas où la société rachète au cours de son existence les droits de certains associés, actionnaires ou porteurs de parts bénéficiaires » ;

Considérant que M. Ernest Steier, président directeur général de la société anonyme Steier Pneus jusqu’au 23 août 1984, détenait 1801 des 1896 actions composant le capital social de cette société ; que le 4 octobre 1984, il a cédé, ainsi qu’il ressort des pièces versées au dossier, à son fils Robert Steier, alors directeur général de la société, 1791 actions pour le prix unitaire de 1.100 F ; qu’en paiement du prix ainsi convenu, M. Robert Steier a remis au cédant un chèque de 177.500 F encaissé par ce dernier le 16 octobre 1984, ainsi que deux billets à ordre, l’un de 957.000 F à échéance au 31 décembre 1984, l’autre de 836.000 F à échéance au 31 décembre 1990 ; que le transfert de propriété de ces titres a été inscrit sur le registre de la société émettrice le 3 novembre 1984 ; que les actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire ayant le 11 décembre 1984 décidé une réduction du capital de la société celle-ci a racheté à M. Robert Steier 869 actions au même prix unitaire de 1.100 F, soit un montant total de 955.900 F qu’elle a inscrit au crédit du compte courant de ce dernier ; que M. Robert Steier redevable envers son père de la somme de 957.000 F à l’échéance du 31 décembre 1984, lui a cédé sa créance sur la société par une écriture de compte courant ; que l’administration, usant de la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L.64 du livre des procédures fiscales, a considéré que la cession préalable par le père à son fils d’une partie des titres, selon les modalités sus-indiquées devait s’analyser comme le rachat direct par la société des 869 actions possédées par M. Ernest Steier et que, par suite, ce dernier était imposable, à concurrence du boni de liquidation en résultant d’un montant de 946.733 F, sur le fondement du 2e alinéa de l’article 161 précité du code général des impôts ; que, par le jugement dont fait appel le ministre, le tribunal administratif a estimé que l’administration ne démontrait pas que l’opération litigieuse avait eu pour but de permettre au requérant d’éluder l’imposition en cause ;

Considérant, en premier lieu, que l’administration soutient, qu’indépendamment de la date de cession des actions, le seul fait, pour M. Ernest Steier, d’avoir accepté, sans contrepartie financière, un mode de paiement différé des titres cédés à son fils sans l’assortir de garanties contre l’insolvabilité éventuelle de ce dernier, lequel ne disposait pas à l’époque des disponibilités lui permettant d’honorer, à l’échéance du 31 décembre 1984, l’engagement souscrit, suffit à révéler que le rachat par la société Steier Pneus des 869 actions litigieuses a eu pour objet de permettre à M. Robert Steier, ainsi qu’il le reconnaît, « de se procurer les fonds nécessaires pour se libérer de sa dette » ; que, toutefois, ces opérations, dont il n’est pas exclu qu’elles soient intervenues, ainsi que le soutient le contribuable, en vue d’assurer la transmission d’une société de caractère familial, ne sont pas de nature, par elles-mêmes à établir qu’elles procèdent d’une démarche visant exclusivement à éluder des charges fiscales ; qu’en outre, l’administration n’établit pas, ainsi que l’a jugé à bon droit le tribunal administratif, qu’à la date de la cession, le 4 octobre 1984, de 1791 actions, M. Ernest Steier, qui, à compter de cette cession, ne disposait plus d’aucun pouvoir de direction ni de contrôle sur cette société de capitaux, n’ignorait pas que les 869 titres nominatifs en cause seraient ultérieurement rachetés par ladite société ; qu’à défaut pour l’administration d’apporter la preuve qui lui incombe de l’abus de droit dont elle se prévaut, l’imposition litigieuse ne pouvait, dès lors, être régulièrement établie sur le fondement des dispositions précitées ;

Mais considérant, en second lieu, que l’administration est en droit, à tout moment de la procédure, de donner à des impositions contestées une nouvelle base légale qui les justifie en tout ou partie ; qu’en l’espèce le ministre fait valoir, à titre subsidiaire, que l’imposition supplémentaire initialement mise à la charge de M. Ernest Steier doit être maintenue à concurrence d’un montant en droits de 151.477 F par application des dispositions, alors en vigueur, de l’article 160 du code général des impôts, selon lesquelles : « lorsqu’un associé, actionnaire, commanditaire ou porteur de parts bénéficiaires cède, pendant la durée de la société, tout ou partie de ses droits sociaux, l’excédent du prix de cession sur le prix d’acquisition – ou la valeur au 1er janvier 1949, si elle est supérieure – de ces droits est taxé exclusivement à l’impôt sur le revenu au taux de 16 %. L’imposition de la plus-value ainsi réalisée est subordonnée à la seule condition que les droits détenus directement ou indirectement dans les bénéfices sociaux par le cédant ou son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, aient dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. Toutefois, lorsque la cession est consentie au profit de l’une des personnes visées au présent alinéa, la plus-value est exonérée si tout ou partie de ces droits sociaux n’est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. A défaut, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l’année de la revente des droits au tiers » ; que M. Ernest Steier ne conteste ni le principe ni le montant de cette imposition dont il a d’ailleurs admis le bien-fondé dans le cadre de sa réclamation à l’administration ; qu’eu égard aux faits sus-analysés de l’espèce il y a lieu de faire droit, en application des dispositions précitées de l’article 160 du code, aux conclusions du recours du ministre tendant à ce que M. Ernest Steier soit rétabli à l’imposition supplémentaire mise à sa charge à concurrence du montant sus-indiqué assorti des intérêts de retard ; que, dans cette mesure, le ministre est fondé à demander la réformation du jugement attaqué ;

Article 1er : L’impôt sur le revenu auquel M. Steier a été assujetti au titre de l’année 1984 est remis à sa charge à concurrence de la somme de 151.477 F ainsi que des intérêts de retard y afférents.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 25 juin 1991 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre du budget est rejeté.


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