Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société par actions simplifiée (SAS) Entreprise Thomas a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2013 du fait de l’exercice clos le 31 décembre, ainsi que des pénalités correspondantes, et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 15 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1809562 du 7 janvier 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 mars 2020 et le 18 février 2021, la SAS Entreprise Thomas, représentée par la société d’avocats Fidal, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2013 du fait de l’exercice clos le 31 décembre, ainsi que des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 25 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement est irrégulier en ce qu’il ne répond pas à l’ensemble des moyens soulevés et est insuffisamment motivé ;
– c’est à tort que le tribunal, pour dénier à la SA Alsine la qualification de holding animatrice de groupe, s’est fondé sur une identité automatique de fonctions entre les dirigeants de la holding et de la filiale, et a retenu l’existence d’une seule filiale, sans tenir compte des sous-filiales de la SAS Entreprise Thomas, alors que les sociétés civiles de construction vente détenues par la société Entreprise Thomas sont des sociétés opérationnelles permettant la réalisation de l’activité de promotion immobilière et que les prestations réalisées par Alsine sont ainsi nécessairement refacturées aux sous-filiales ;
– les rapports trimestriels du directoire au conseil de surveillance constituent des éléments de preuve du rôle d’animation de la SA Alsine, laquelle, conformément au contrat d’animation et de prestation de services, a assuré des prestations de services techniques et des prestations d’animation et de coordination, aucune prestation de direction n’étant prévue au contrat, de sorte que c’est à tort que le tribunal a retenu que la holding aurait facturé des prestations de management, de politique commerciale ou de développement d’activités.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2020, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Entreprise Thomas ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
– les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Entreprise Thomas, qui exerce une activité de promotion immobilière, est contrôlée par la SA Alsine, antérieurement dénommée Thomas Entreprise. A l’issue d’une vérification de comptabilité de la filiale, l’administration fiscale a notamment remis en cause le caractère déductible au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2013 de charges d’un montant total de 250 000 euros correspondant à des prestations facturées trimestriellement par la société-mère, au motif qu’il ne s’agissait pas de charges effectives et réelles, la holding n’ayant en particulier pas fourni de prestations de services distinctes des activités des dirigeants de la SAS Entreprise Thomas. Elle a en conséquence assujetti cette dernière à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l’impôt sur les sociétés au titre de l’année 2013, assorties de pénalités pour manquement délibéré. Les rectifications ayant été maintenues et mises en recouvrement malgré un avis défavorable de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d’affaires, la SAS Entreprise Thomas a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande de décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires. Elle relève appel du jugement du 7 janvier 2020 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte des termes du jugement que le tribunal, pour rejeter les conclusions tendant à la décharge, en droits, des impositions en litige, a suffisamment répondu à l’ensemble des moyens soulevés par la SAS Entreprise Thomas. Il n’était pas tenu de répondre à l’ensemble des arguments développés par la requérante, dont le surplus des critiques adressées à cette partie du jugement, notamment sur l’administration de la preuve, relève de son bien-fondé, et non de sa régularité.
3. En revanche, le tribunal, avant de rejeter les conclusions tendant à la décharge des pénalités, n’a pas répondu au moyen, qui n’était pas inopérant, tiré de l’absence de manquement délibéré, au motif notamment que les agissements reprochés par l’administration ne procédaient pas d’un montage à but fiscal. Le jugement est, par suite, entaché d’irrégularité en tant qu’il statue sur ces conclusions.
4. Par conséquent, il y a lieu pour la cour de statuer par la voie de l’effet dévolutif de l’appel sur les conclusions tendant à la décharge des impositions en litige, d’annuler le jugement en tant qu’il statue sur les conclusions tendant à la décharge des pénalités, puis d’évoquer et de statuer immédiatement sur ces conclusions.
Sur le bien-fondé de l’imposition :
5. D’une part, aux termes de l’article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l’impôt sur les sociétés par l’article 209 du même code : » 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (…) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d’œuvre (…) « . Si, en vertu des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits qu’elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l’application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu’il entend déduire du bénéfice net défini à l’article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c’est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée. Dans l’hypothèse où le contribuable s’acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s’il s’y croit fondé, d’apporter la preuve de ce que la charge en cause n’est pas déductible par nature, qu’elle est dépourvue de contrepartie, qu’elle a une contrepartie dépourvue d’intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
6. D’autre part, aux termes de l’article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : » Lorsque l’une des commissions ou le comité mentionnés à l’article L. 59 est saisi d’un litige ou d’une rectification, l’administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l’avis rendu par la commission ou le comité. (…) « . En adoptant le premier alinéa de l’article L. 192 précité, le législateur n’a pas entendu déroger aux principes généraux ci-dessus énoncés en exigeant de l’administration fiscale qu’elle justifie qu’une charge n’est pas déductible dans son principe, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d’affaires, saisie, a rendu un avis favorable au contribuable.
7. Il résulte de l’instruction que la SAS Entreprise Thomas, dont Mme A… est la présidente non rémunérée et M. A… le directeur général, est la filiale de la SA Alsine, dont Mme et M. A… sont respectivement présidente du directoire et directeur général. La société mère et la filiale ont conclu le 23 novembre 2012 un » contrat d’animation et de prestation de services » par lequel la société mère s’engage, d’une part, à l’article 1.1 intitulé » animation et coordination » de la convention, à fournir à la filiale » une assistance et une coordination en matière de management, de politique commerciale et de développement d’activité » et, d’autre part, à l’article 1.2, intitulé » services « , à lui fournir » son assistance et ses conseils » pour la réalisation de ses activités immobilières, et en matière notamment de gestion commerciale, de comptabilité, gestion et fiscalité, de contrôle de gestion et organisation, d’informatique, de ressources humaines ou encore de services administratifs, en contrepartie d’une rémunération trimestrielle forfaitaire et globale de 55 000 euros hors taxes.
8. Pour remettre en cause la déductibilité des charges d’un montant total de 250 000 euros pour l’exercice 2013 correspondant aux factures intitulées » prestations managériales » émises par la SA Alsine, l’administration fiscale a estimé en substance que les prestations ainsi facturées ne correspondaient pas à des charges effectives et réelles, au motif notamment que la holding n’aurait fourni aucune prestation distincte des activités des dirigeants de la société Entreprise Thomas.
9. En premier lieu, pour contester les rectifications en litige, la SAS Entreprise Thomas soutient que la SA Alsine serait une société holding animatrice de son groupe, en faisant valoir que l’identité de dirigeants n’induit pas automatiquement une identité de fonctions, qu’il n’y aurait pas de confusion possible entre les fonctions exercées par Mme A… au sein de chaque entité, qu’aucun élément n’attesterait du double emploi entre les fonctions de direction de la filiale et les prestations facturées par la holding, et que la holding animait l’ensemble des filiales et sous-filiales, la circonstance qu’elle n’aurait qu’une seule filiale ne faisant au demeurant pas obstacle à la qualification de société animatrice de groupe.
10. Une société holding qui a pour activité principale, outre la gestion d’un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, est animatrice de son groupe. Il résulte du caractère facultatif de la fourniture de telles prestations que la circonstance qu’une société soit animatrice du groupe ne saurait suffire, par elle-même, à attester de la réalité et de l’effectivité de prestations de services administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers facturées à une filiale. Par suite, en admettant même que la SA Alsine ait eu dès 2013 pour activité prépondérante la participation active à la conduite du groupe et puisse ainsi être qualifiée de holding animatrice, il lui incombe d’apporter des éléments suffisamment précis portant sur la nature des charges en litige, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’elle en a retirée.
11. En second lieu, la société requérante, qui employait en 2013 une dizaine de salariés constituant un pôle commercial et marketing, un pôle travaux, un pôle développement et un pôle comptabilité, ne produit aucun élément précis de nature à attester de l’existence de prestations en matière de comptabilité, de gestion, d’informatique ou encore de ressources humaines qui lui auraient été fournies par les deux dirigeants de la SA Alsine, laquelle employait un seul salarié dont il est constant que les interventions, qui n’ont pas été remises en cause par le vérificateur, étaient facturées de manière distincte. Par ailleurs, si l’identité de dirigeants entre une holding et sa filiale ne fait pas obstacle à ce que des prestations de services puissent faire l’objet d’une facturation, la rémunération par la SAS Entreprise Thomas de conseils fournis par M. et Mme A… à M. et Mme A… pour le montage d’opérations immobilières et la recherche de foncier ou de financements, ne présentait pour elle aucun intérêt en l’espèce, en admettant même que la réalité de telles prestations d’assistance fournies distinctement au nom de la SA Alsine soit avérée par les éléments produits à l’instance. Il résulte au demeurant des rapports du directoire versés aux débats que les recherches de nouveaux financements ont été effectués par M. A…, directeur général assisté de la comptable de la société Entreprise Thomas, ce qui ne saurait justifier une facturation par la SA Alsine. S’agissant des prestations » d’animation et de coordination » consistant notamment, aux termes de la convention, en une assistance et une coordination en matière de management, de politique commerciale et de développement d’activité, les documents produits par la requérante pour en justifier sont soit non datés ou significativement postérieurs à l’année en litige, soit établis à l’entête de la SAS Entreprise Thomas. La production du programme d’une formation à laquelle Mme A… aurait participé ne renseigne pas davantage sur l’effectivité de prestations fournies ultérieurement. Les rapports du directoire d’Alsine à son conseil de surveillance, s’ils démontrent que la SA Alsine exerçait ses prérogatives d’actionnaire auprès de la SAS Entreprise Thomas, sont également insuffisants à justifier de la réalité de prestations précisément identifiables rendues à la filiale par la société mère, alors notamment qu’à plusieurs reprises, les développements qui y figurent émanent de M. A… pris en sa qualité de directeur général d’Entreprise Thomas, s’agissant par exemple du recrutement d’un monteur d’opérations, et qu’il en résulte une confusion certaine quant à l’émetteur d’autres passages de ces rapports, en tout état de cause insuffisamment précis quant à la substance, et donc la valeur, des prestations susceptibles d’avoir été fournies à la filiale par ses propres dirigeants, dans des domaines relevant du pouvoir général de direction de l’entreprise.
12. Il résulte de ce qui précède que la SAS Entreprise Thomas n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires en litige.
Sur les pénalités :
13. Aux termes de l’article 1729 du code général des impôts : » Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt (…) entraînent l’application d’une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (…) « .
14. Pour assortir les impositions en litige de la pénalité prévue par les dispositions précitées, l’administration fiscale a relevé que, compte tenu du montant des charges en cause, la comptabilisation des prestations litigieuses avait permis à la SAS Thomas de minorer l’impôt sur les sociétés dans des proportions importantes, alors qu’elle savait que ces prestations n’étaient pas justifiées et avait ainsi créé une situation lui permettant de réduire sa matière imposable tout en donnant à sa comptabilité, régulière en la forme en présence de factures, une apparence de sincérité. L’administration établit suffisamment, par ces éléments, l’intention délibérée de la société Entreprise Thomas d’éluder une partie significative de l’impôt dû à raison de ses activités économiques taxables. La requérante n’est, dès lors, pas fondée à demander la décharge des pénalités lui ayant été infligées.
Sur les frais liés au litige :
15. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à la demande présentée sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par la SAS Entreprise Thomas, partie perdante pour l’essentiel dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1809562 du 7 janvier 2020 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu’il statue sur les conclusions de la SAS Entreprise Thomas tendant à la décharge des pénalités mises à sa charge.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SAS Entreprise Thomas devant le tribunal administratif de Lyon tendant à la décharge des pénalités pour manquement délibéré et le surplus de sa requête d’appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Entreprise Thomas et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l’audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mars 2022.
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N° 20LY00983