Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 06/07/2016, 390457

·

·

Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 06/07/2016, 390457

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 15 avril 2016, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a, avant dire droit sur les requêtes enregistrées sous le n° 390047 de la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz (Primagaz) et sous le n° 390774 de la société Vitogaz France (Vitogaz) tendant, l’une et l’autre, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision n° 15-DCC-53 de l’Autorité de la concurrence du 15 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusive de la société Totalgaz SAS par la société UGI Bordeaux Holding SAS (UGI), ordonné un supplément d’instruction aux fins d’inviter l’Autorité de la concurrence à verser au débat contradictoire, dans le délai de quinze jours à compter de sa notification, le contenu des deux engagements souscrits par les parties à l’opération de concentration et occultés dans la décision du 15 mai 2015.

Le 2 mai 2016, l’Autorité de la concurrence a produit un mémoire dans lequel elle présente le contenu de ces deux engagements et souligne leur caractère subsidiaire.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers, y compris celles visées par la décision du Conseil d’Etat du 15 avril 2016 ;

Vu :

– le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 ;

– le code de commerce ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de la compagnie des Gaz de Pétrole Primagaz, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société Ugi Bordeaux Holding, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Total Marketing Services et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Société Vitogaz France ;

Une note en délibéré, enregistrée le 1er juillet 2016, a été présentée par la société Primagaz.

Considérant ce qui suit :

1. Par une lettre d’intention du 2 juillet 2014, puis par un accord de cession d’actions du 11 novembre 2014, la société UGI Bordeaux Holding (UGI), qui contrôlait déjà la société Antargaz, active dans le secteur de la distribution de gaz de pétrole liquéfié (GPL), s’est engagée à acquérir la totalité du capital de la société Totalgaz SAS (Totalgaz), laquelle fait partie du groupe Total et est également active dans ce secteur. La Commission européenne, à laquelle l’opération de concentration avait été notifiée, en a renvoyé l’examen à l’Autorité de la concurrence, qui, par une décision n° 15-DCC-53 du 15 mai 2015, l’a autorisée sous réserve de l’exécution de plusieurs engagements pris par les parties à l’opération de concentration et visant à remédier aux effets anticoncurrentiels de cette opération.

2. Les sociétés Compagnie des gaz de pétrole Primagaz (Primagaz) et Vitogaz France (Vitogaz), qui constituent, avec la société Butagaz, les principales entreprises concurrentes de l’entité issue de l’opération de concentration, demandent l’une et l’autre l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, dirigées contre la même décision et présentant à juger des questions semblables, pour y statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

3. En premier lieu, l’Autorité de la concurrence, à laquelle une opération de concentration entrant dans le champ défini par les articles L. 430-1 et L. 430-2 du code de code commerce a été notifiée, peut, en vertu des dispositions de l’article L. 430-5 du même code, soit autoriser l’opération en la subordonnant éventuellement à la réalisation effective d’engagements pris par les parties, soit, si elle estime qu’il existe un doute sérieux d’atteinte à la concurrence, engager un examen approfondi au terme duquel elle prend une décision qui peut être d’autorisation, le cas échéant assortie d’engagements, de prescriptions ou d’injonctions, ou d’interdiction, dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7 du même code. Ces dispositions offrent aux parties à l’opération de concentration la garantie qu’une opération ne peut être autorisée sous une condition autre que l’exécution d’engagements qu’elles ont elles-mêmes proposés ou ne peut être interdite qu’à l’issue d’un examen approfondi. Les tiers ne peuvent utilement critiquer la régularité du choix de cette Autorité de prendre une décision d’autorisation assortie d’engagements pris par les parties, sans recourir à un examen approfondi. Ils peuvent, en revanche, s’ils justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir et s’ils estiment que cette décision porte atteinte au maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés qu’elle affecte, en contester le bien-fondé. Le moyen des sociétés requérantes tiré de ce que la décision attaquée serait intervenue au terme d’une procédure irrégulière au motif que l’Autorité de la concurrence n’a pas procédé à un examen approfondi de l’opération de concentration ne peut donc être accueilli.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces des dossiers que le renvoi de l’examen de l’opération de concentration par la Commission européenne à l’Autorité de la concurrence a fait l’objet d’un communiqué publié conformément aux dispositions des articles L. 430-3 et R. 430-4 du code de commerce, mettant les tiers intéressés par l’opération, y compris les grandes et moyennes surfaces, en mesure de faire connaître leurs observations. Le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait intervenue au terme d’une procédure irrégulière au motif que l’Autorité de la concurrence n’a pas interrogé les grandes et moyennes surfaces sur l’opération de concentration doit donc en tout état de cause être écarté.

5. En troisième lieu, ni l’article L. 430-5 du code de commerce, ni aucune autre disposition ou principe n’imposent à l’Autorité de la concurrence de transmettre un projet de décision à un tiers à une opération de concentration, aux fins de le mettre en mesure de présenter ses observations. L’engagement n° 2, relatif à la décision de la société UGI de céder à la société Butagaz une participation de 18 %, actuellement détenue par la société Totalgaz, dans le capital du groupement d’intérêt économique (GIE) Norgal, qui exploite un dépôt d’importation de GPL situé à Notre-Dame-de-Gravenchon, en Seine-Maritime, et de fixer un seuil de participation de 13,2 % pour la désignation d’un administrateur du GIE ne prive la société Vitogaz, compte tenu de la composition du conseil d’administration du GIE et de ce qu’elle détient une part du capital de ce GIE supérieure à ce seuil, d’aucun droit. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait intervenue au terme d’une procédure irrégulière au motif que la société Vitogaz n’aurait pas été en mesure de présenter des observations sur la dernière version de l’engagement n° 2 doit être écarté.

6. En quatrième lieu, par un mémoire enregistré le 2 mai 2016, l’Autorité de la concurrence a versé au débat contradictoire le contenu des deux engagements subsidiaires à l’engagement n° 2 mentionné ci-dessus et aux engagements nos 5 et 6, relatifs à la cession, totale ou partielle, par la société UGI de neuf dépôts relais ou centres emplisseurs qu’elle détient et au maintien, durant la période de cession de ces dépôts, des contrats d’échange de volumes de GPL entre distributeurs, qui avaient été occultés dans la décision attaquée, en exécution de la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux du 15 avril 2016 visée ci-dessus. Il ressort de ce mémoire que, par l’engagement subsidiaire n° 3, la société UGI s’est obligée, en cas d’échec dans la réalisation de l’engagement n° 2, à céder à un opérateur actif sur les marchés de la distribution de GPL une participation de 13,4 % dans le capital du GIE Norgal, actuellement détenue par la société Totalgaz, et à ce que les statuts du GIE soient modifiés de sorte que seul un membre détenant plus de 13,2 % du capital puisse désigner un administrateur, sauf à ce que la participation soit acquise par une société membre du groupe auquel appartient la société Vitogaz, et que, par l’engagement subsidiaire n° 7, la société UGI s’est obligée, en cas d’échec total ou partiel dans la réalisation de l’engagement n° 5, à proposer, pour les dépôts relais ou centres emplisseurs non cédés, de reconduire annuellement les contrats d’échange de volumes de GPL existants pendant une période de cinq ans, renouvelable une fois par décision de l’Autorité de la concurrence, sauf en cas de fermeture de ces dépôts. Ni l’engagement n° 3, dès lors que la participation de la société Vitogaz au capital du GIE Norgal excède 13,2 %, ni l’engagement n° 7 ne sont de nature à affecter les droits des sociétés requérantes. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait intervenue au terme d’une procédure irrégulière au motif que les sociétés requérantes ne disposaient d’aucune information sur ces deux engagements subsidiaires et n’avaient pas été en mesure de présenter des observations doit en tout état de cause être écarté.

7. Les moyens tirés de ce que la décision de l’Autorité de la concurrence serait intervenue au terme d’une procédure irrégulière doivent donc être tous écartés.

Sur l’analyse concurrentielle :

8. Il appartient à l’Autorité de la concurrence saisie d’une opération de concentration, à partir d’une analyse prospective tenant compte de l’ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l’opération et d’apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés qu’elle affecte.

9. En l’espèce, l’Autorité de la concurrence a distingué quatre marchés de produits : la distribution de GPL combustible en moyen et gros vrac, à des clients dont la consommation annuelle est supérieure à douze tonnes, la distribution de GPL combustible en petit vrac, à des clients dont la consommation annuelle est inférieure à douze tonnes, la distribution de GPL combustible conditionné en bouteilles et la distribution de GPL utilisé comme carburant. Elle a estimé que l’opération de concentration aurait un premier effet anticoncurrentiel horizontal, sur le marché de la distribution en moyen et gros vrac, résultant de ce que les distributeurs concurrents auraient un accès réduit aux principaux dépôts d’importation de GPL des parties nord et ouest de la France, sans bénéficier d’un accès immédiat à la production des raffineries du groupe Total, et un second effet anticoncurrentiel horizontal, sur le marché de la distribution en petit vrac, résultant de ce que l’entité issue de l’opération de concentration pourrait exclure les distributeurs concurrents de l’accès à des infrastructures de stockage secondaire dans onze zones du territoire. Elle a estimé en revanche que l’opération de concentration n’entraînerait pas d’effet anticoncurrentiel sur les marchés de la distribution de GPL conditionné en bouteilles et de la distribution de GPL utilisé comme carburant.

10. En premier lieu, il appartient à l’Autorité de la concurrence de définir la méthodologie de l’analyse concurrentielle dans le respect des exigences définies au point 8 ci-dessus. En ne prenant pas en compte des éléments non pertinents, tels que le volume des émissions de gaz à effet de serre imputables au GPL comparativement aux volumes imputables aux autres sources d’énergie ou le caractère d’intérêt général qui s’attacherait à l’existence d’une filière de production et distribution de GPL et en s’abstenant de calculer l’indice Herfindhal-Hirschman de concentration dans le marché ou les marchés pertinents avant et après l’opération, elle n’a pas méconnu ces exigences. Il s’en suit que les moyens tirés de ce que l’Autorité de la concurrence aurait commis des erreurs de droit en ne tenant pas compte de ces éléments et en ne calculant pas l’indice Herfindhal-Hirschman doivent être écartés.

11. En second lieu, pour soutenir que le marché de la distribution de GPL en vrac par le biais de réseaux canalisés constituerait un marché distinct des autres marchés de la distribution de GPL en vrac, la société Vitogaz se borne à indiquer que la société UGI détient des parts de marché importantes sur ce créneau. Il ressort par ailleurs des pièces des dossiers que les volumes de GPL distribués par le biais de réseaux canalisés sont très faibles au regard de la distribution totale de GPL en vrac et que, dans leur réponse au test de marché, deux des trois entreprises concurrentes de l’entité issue de l’opération de concentration ont indiqué qu’une telle segmentation n’était pas pertinente. En n’isolant pas le marché du GPL vendu en vrac par le biais de réseaux canalisés, l’Autorité de la concurrence n’a donc pas commis d’erreur d’appréciation.

S’agissant du marché de la distribution de GPL combustible en moyen et gros vrac :

12. Il ressort des pièces des dossiers que, sur le marché de la distribution en moyen et gros vrac, le GPL est livré directement par camions gros porteurs à partir des sources d’approvisionnement que constituent les dépôts d’importation, pour trois quarts des volumes de GPL consommés en France métropolitaine, et des raffineries, au nombre de huit en métropole, dont cinq sont exploitées par la société Total Raffinages France, pour un quart des volumes consommés. Eu égard à leur situation géographique, à leur capacité à accueillir les plus gros navires gaziers et à leurs infrastructures de stockage, les dépôts d’importation dont dépend l’approvisionnement en GPL de la zone Nord-Atlantique sont le dépôt de Donges, en Loire-Atlantique (46 % des capacités de stockage), le dépôt de Norgal, en Seine-Maritime (44 % des capacités de stockage), et le dépôt de Cobogal à Ambès, en Gironde (6 % des capacités de stockage). Le dépôt de Norgal est exploité par un GIE dont le capital est réparti entre les sociétés UGI (52,66 %), Totalgaz (26,4 %) et Vitogaz (20,94 %). Ses administrateurs sont désignés par l’assemblée générale extraordinaire, à la majorité des deux tiers des voix exprimées, chaque membre du GIE disposant d’une voix, quelle que soit sa participation dans le capital. Le dépôt de Cobogal est exploité par une société dont le capital est réparti entre les sociétés Totalgaz (45 %), Primagaz (40 %) et UGI (15 %) et qui est gérée par un conseil d’administration composé de cinq administrateurs se prononçant à la majorité simple, dont deux sont nommés par la société Totalgaz, deux par la société Primagaz et un par la société Antargaz. Par ailleurs, dans le cadre de l’opération de concentration, les sociétés UGI et Total Raffinages France ont conclu un contrat, reconductible sur accord des deux parties, en vertu duquel la société UGI bénéficierait, jusqu’au 30 septembre 2017, d’un accès privilégié au GPL issu des raffineries exploitées par le groupe Total.

13. L’Autorité de la concurrence a déduit de ces constatations que l’opération de concentration conférait à la société UGI le contrôle exclusif des dépôts d’importation de Norgal et de Cobogal et, par suite, la faculté de réduire l’accès de ses concurrentes à ces infrastructures de stockage, tout en lui garantissant un accès privilégié au GPL issu des raffineries exploitées par le groupe Total. En revanche, elle n’a pas identifié d’autre effet anticoncurrentiel sur le marché de la distribution en moyen et gros vrac, notamment pas d’effet anticoncurrentiel horizontal tiré de la captivité des clients.

14. En premier lieu, le dépôt de Donges est contrôlé conjointement par la société UGI et par la société Total Raffinages France, membre du groupe Total. La société Totalgaz n’est pas actionnaire de l’entité contrôlant ce dépôt. Ainsi, l’opération de concentration n’est par elle-même pas de nature à renforcer le contrôle de la société UGI sur ce dépôt.

15. En second lieu, le GPL vendu en moyen et gros vrac est un produit homogène. Si les citernes sont généralement mises à disposition des clients par les distributeurs, d’une part, une partie des clients sont propriétaires de leurs citernes et, d’autre part, le coût du rachat ou de l’enlèvement d’une citerne n’est pas déterminant, pour ces clients professionnels, au regard du coût d’achat du GPL lui-même, de sorte que la concurrence sur le marché du moyen et gros vrac est pour l’essentiel une concurrence par les prix. Enfin, le recours à des contrats d’exclusivité de long terme est une pratique partagée par tous les distributeurs, et non pas seulement par les sociétés Antargaz et Totalgaz. Il ne ressort pas des pièces des dossiers que l’opération de concentration, hors ses effets sur l’approvisionnement en GPL, ait pour effet de renforcer la capacité de ces sociétés à recourir à de telles pratiques au détriment de leurs concurrentes.

16. Il résulte de ce qui précède qu’en estimant que l’opération de concentration n’avait pas d’autre effet anticoncurrentiel sur le marché de la distribution en moyen et gros vrac que celui tiré de l’accès réduit des distributeurs concurrents aux dépôts d’importation de Norgal et de Cobogal et au GPL issu des raffineries exploitées par le groupe Total, notamment pas d’effet anticoncurrentiel tiré de la captivité des clients, l’Autorité de la concurrence n’a pas commis d’erreur d’appréciation.

S’agissant du marché de la distribution de GPL combustible en petit vrac :

17. L’Autorité de la concurrence a constaté que, sur le marché de la distribution en petit vrac, le GPL est livré par camions petits porteurs, à partir de centres emplisseurs ou de dépôts relais, dans un rayon de 115 km à 150 km. Le marché de la distribution en petit vrac est donc de dimension, non pas nationale, mais locale. Dès lors qu’aucun des distributeurs ne dispose de capacités de stockage secondaire couvrant tout le territoire, ils recourent à des contrats annuels d’échange de volumes de GPL, qui, selon les zones, représentent entre 15 % et 45 % des volumes globaux de GPL commercialisés. Ainsi, il est crucial pour le maintien d’une concurrence suffisante sur chaque marché local que tout distributeur dépourvu de capacités de stockage secondaire sur un marché puisse s’adresser à un concurrent disposant de telles capacités de stockage et ayant intérêt à conclure avec lui un contrat d’échange de volumes de GPL. Or il ressort des pièces des dossiers que l’entité issue de l’opération de concentration disposera d’infrastructures de stockage secondaire couvrant l’ensemble du territoire. En outre, il ressort de la décision attaquée que les chevauchements d’activités entre des dépôts relais ou centres emplisseurs contrôlés par les sociétés UGI et Totalgaz conduiront à l’existence d’une position dominante de la nouvelle entité en matière de stockage dans les onze zones entourant les dépôts relais ou centres emplisseurs d’Arleux (Nord), Boussens (Haute-Garonne), Chanzeaux (Maine-et-Loire), Cobogal (Gironde), Cramans (Jura), Feyzin (Rhône), Lacq (Pyrénées-Atlantiques), La Motte (Var), Le Merlerault (Orne), Niort (Deux-Sèvres) et Vic-en-Bigorre (Hautes-Pyrénées). L’Autorité de la concurrence a déduit de ces constatations que la société UGI aura la faculté de refuser de conclure des contrats d’échange avec ses concurrentes et de les priver de l’accès à des capacités de stockage secondaire dans ces onze zones, rallongeant leurs distances de livraison et, par suite, leurs coûts de distribution du GPL. En revanche, elle n’a pas identifié d’autre effet anticoncurrentiel sur le marché de la distribution en petit vrac, notamment pas d’effet anticoncurrentiel horizontal tiré de la captivité des clients.

18. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le marché de la distribution en petit vrac doit lui-même être séparé entre le marché de la distribution à destination des particuliers et des professionnels à besoins faibles, tels que les restaurateurs, dont la consommation annuelle est inférieure à six tonnes, et le marché de la distribution à destination des petits professionnels, dont la consommation annuelle est comprise entre six et douze tonnes, n’est pas assorti d’éléments de nature à en établir le bien-fondé. Il doit, par suite, être écarté.

19. En deuxième lieu, il ressort de la décision attaquée que l’Autorité de la concurrence n’a examiné les effets sur le marché de la distribution en petit vrac de la faculté qu’aura l’entité issue de l’opération de concentration de s’extraire du réseau de contrats d’échange de volumes de GPL que dans les onze marchés locaux dans lesquels sa position dominante a résulté du chevauchement d’activités entre des dépôts qui étaient auparavant contrôlés séparément par les sociétés UGI et Totalgaz. En revanche, l’Autorité de la concurrence n’a pas examiné les effets sur le marché de la distribution en petit vrac de la faculté qu’aura l’entité issue de l’opération de concentration de s’extraire de ce réseau de contrats d’échange dans les marchés locaux dans lesquels l’une ou l’autre des société UGI et Totalgaz disposait déjà d’une position dominante, mais était incitée à ne pas en abuser en raison de l’intérêt qu’elle avait à conclure des contrats d’échange dans d’autres zones du territoire. Or, dans ces marchés locaux, la société UGI aura également la faculté de refuser de conclure des contrats d’échange avec ses concurrentes et de les priver de l’accès à des capacités de stockage secondaire.

20. En troisième lieu, s’il ressort des pièces des dossiers que, sur le marché de la distribution en petit vrac, pour des motifs tenant pour partie à la dispersion de la clientèle, essentiellement rurale, et pour partie à la politique commerciale des distributeurs, caractérisée par l’existence de contrats de fourniture exclusive pouvant aller jusqu’à neuf ans, l’absence de transparence tarifaire et l’obligation de racheter ou de faire enlever la citerne en cas de changement de fournisseur, les clients sont largement captifs de leur fournisseur, ces pratiques n’apparaissent pas propres aux sociétés Antargaz et Totalgaz. Il ne ressort pas des pièces des dossiers que l’opération de concentration, hors ses effets sur l’accès à certains dépôts relais et centres emplisseurs, aurait pour effet de renforcer la capacité de ces sociétés à recourir à de telles pratiques au détriment de leurs concurrentes. En outre, la contraction du marché, marquée par la baisse de 90 % du nombre annuel d’installation de citernes entre 1999 et 2012, réduit la capacité de la société UGI à imposer des hausses de prix. Enfin, il ne ressort pas non plus des pièces des dossiers que l’opération de concentration permette à la société UGI, par sa position sur le marché de la distribution en petit vrac, de verrouiller l’accès à un autre marché situé en amont ou en aval.

21. Il résulte de ce qui précède que l’Autorité de la concurrence a commis une erreur d’appréciation en limitant son analyse des effets de la capacité de l’entité issue de l’opération de concentration à exclure les distributeurs concurrents de l’accès à des infrastructures de stockage secondaire aux marchés locaux dans lesquels sa position dominante a résulté du chevauchement d’activités entre des dépôts qui étaient auparavant contrôlés séparément par les sociétés UGI et Totalgaz.

S’agissant du marché de la distribution de GPL combustible conditionné en bouteilles :

22. Il ressort des pièces des dossiers que le marché de la distribution de GPL conditionné en bouteilles se divise entre la distribution à usage professionnel, dans des bouteilles de 35 kgs, qui s’effectue directement aux consommateurs, et la distribution à usage domestique, dans des bouteilles consignées de moindre contenance, qui s’effectue, pour environ 60 % du chiffre d’affaires, dans les grandes et moyennes surfaces, soit sous des marques de distributeurs, soit sous des marques de fabricants, pour environ 15 % du chiffre d’affaires, dans les stations-services, sous des marques de fabricants et, pour le reste, via d’autres réseaux de distribution. Il ressort également des pièces des dossiers que les conditions de vente, soit directement aux professionnels, soit aux groupes de distribution et aux réseaux de stations-services, sont principalement décidées au niveau national. La circonstance que, dans certains réseaux de distribution indépendants, des magasins n’aient pas systématiquement appliqué les décisions de déréférencement prises au niveau national ne remet pas en cause ce constat. Enfin, pour ce qui concerne la vente en stations-services, il ressort des pièces des dossiers qu’afin que la société Totalgaz ne soit pas subitement privée d’une partie de ses débouchés, le groupe Total s’est engagé, en vertu d’un accord conclu avec la société UGI et courant jusqu’en 2019, dans les stations services dont il assure l’exploitation, à ne référencer que des bouteilles de marque Totalgaz, devenue Finagaz, et, dans les autres stations-services sous l’enseigne Total, à faire ses meilleurs efforts pour y faire référencer ces bouteilles.

23. En premier lieu, sur le marché de la distribution de GPL conditionné à usage professionnel, en l’absence d’attachement à la marque et de consignation des bouteilles, les freins au changement de fournisseur sont limités. Par ailleurs, il n’est pas contesté que les distributeurs concurrents de la société UGI disposent de bouteilles et de capacités d’emplissage excédentaires et pourraient ainsi réagir en cas de hausse des prix. En outre, la contraction du marché, de 25 % entre 2002 et 2011, réduit la capacité de la société UGI à imposer de telles hausses de prix.

24. En second lieu, sur le marché de la distribution de GPL conditionné à usage domestique, si les freins au changement de fournisseur sont plus élevés, en raison notamment de la consignation des bouteilles, ces freins jouent en faveur du maintien des parts de marché des différents distributeurs. Or il ressort des pièces des dossiers que la société Totalgaz n’est pas présente sur le créneau de la vente de GPL sous des marques de distributeurs et que, sur le créneau de la vente de GPL sous des marques de fabricants, la société Butagaz, qui était le leader jusqu’à l’opération de concentration, dispose d’une notoriété et d’une part de marché importantes. Par ailleurs, le contrat de référencement des bouteilles de GPL de marque Finagaz, qui vise à limiter les conséquences de la désintégration verticale du groupe Total sur la commercialisation de ces bouteilles, ne dégrade pas la situation concurrentielle par rapport à la situation actuelle. En outre, il expire en 2019 et ne concerne qu’un réseau de stations-services et, par suite, une part réduite du marché de la distribution du GPL conditionné en bouteilles. Enfin, tant les grandes et moyennes surfaces que les réseaux de stations-services disposent d’un fort pouvoir de marché. Les grandes et moyennes surfaces l’ont d’ailleurs démontré par le passé en procédant au déréférencement de certaines marques de GPL de tout ou partie de leur réseau.

25. Il résulte de ce qui précède qu’en estimant que l’opération de concentration n’avait pas d’autre effet anticoncurrentiel sur le marché de la distribution de GPL conditionné en bouteilles que l’effet anticoncurrentiel sur les capacités d’approvisionnement et de stockage primaire, notamment pas d’effet anticoncurrentiel tiré de la captivité des clients, l’Autorité de la concurrence n’a pas commis d’erreur d’appréciation.

S’agissant du marché de la distribution de GPL utilisé comme carburant :

26. Il ressort des pièces des dossiers que le marché de la distribution de GPL utilisé comme carburant se divise entre la vente au détail dans des stations-services et la vente en gros, soit à des grandes et moyennes surfaces, soit à des stations-services. Dès lors que l’opération de concentration se traduit par la rupture des liens capitalistiques entre la société Totalgaz et le groupe Total, l’entité issue de l’opération de concentration ne sera pas active sur le créneau de la vente au détail. Par ailleurs, pour ce qui concerne la vente en gros à des stations-services, il ressort des pièces des dossiers qu’afin que la société Totalgaz ne soit pas subitement privée d’une partie de ses débouchés, le groupe Total s’est engagé, en vertu d’un accord conclu avec la société UGI et courant jusqu’en 2019, à s’approvisionner en GPL utilisé comme carburant exclusivement auprès de la société Totalgaz.

27. Il n’est pas sérieusement contesté que le contrat de fourniture exclusive de GPL utilisé comme carburant au profit de la société Totalgaz ne concerne que la minorité de stations-services sous l’enseigne Total dont le groupe Total est propriétaire du fonds de commerce, et non la majorité des autres stations-services sous l’enseigne Total. Ainsi, l’opération de concentration a pour effet d’ouvrir aux distributeurs concurrents un nouveau débouché, immédiatement pour celles des stations-services dont le groupe Total n’est pas propriétaire du fonds de commerce et qui étaient jusqu’à présent approvisionnées à titre exclusif par la société Totalgaz, à compter de 2019 pour les stations-services dont le groupe Total est propriétaire du fonds de commerce. En outre, le GPL utilisé comme carburant ne porte pas la marque de son distributeur, ce qui réduit les freins au changement de fournisseur pour les stations-services. Il ressort également des pièces des dossiers qu’en raison principalement de la suppression de mesures fiscales de soutien à ce carburant, la consommation de GPL utilisé comme carburant a fortement baissé au cours des dernières années et que la société Butagaz, qui était le leader sur ce marché jusqu’à l’opération de concentration, dispose d’une part de marché importante. Par ailleurs, il n’est pas non plus contesté que les distributeurs concurrents de la société UGI disposent de la capacité d’augmenter les volumes de GPL mis sur le marché. Enfin, tant les grandes et moyennes surfaces que les réseaux de stations-services disposent d’un fort pouvoir de marché. Il suit de tout cela qu’en estimant que l’opération de concentration n’avait pas d’autre effet anticoncurrentiel horizontal sur le marché de la distribution de GPL utilisé comme carburant que l’effet anticoncurrentiel sur les capacités d’approvisionnement et de stockage primaire, l’Autorité de la concurrence n’a pas commis d’erreur d’appréciation.

28. Il résulte de ce qui précède que, dans l’analyse concurrentielle de l’opération de concentration, l’Autorité de la concurrence n’a pas commis d’autre erreur d’appréciation que celle consistant à ne pas avoir étendu son analyse des effets sur le marché de la distribution de GPL combustible en petit vrac de la capacité de l’entité issue de l’opération de concentration à s’extraire du réseau de contrats d’échange de volumes de GPL aux marchés locaux dans lesquels l’une ou l’autre des société UGI et Totalgaz disposait d’une position dominante avant l’opération de concentration.

Sur les engagements :

29. Lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l’Autorité de la concurrence d’user des pouvoirs d’interdiction, d’injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d’engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les articles L. 430-6 et suivants du code de commerce, à proportion de ce qu’exige le maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l’opération. Les engagements qu’elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu’ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.

S’agissant des engagements visant à prévenir les effets anticoncurrentiels sur l’approvisionnement en GPL et l’accès aux capacités de stockage primaire des distribute


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x